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1448. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Recevant un jour à Paris la visite de son frère l’apothicaire, qui venait le remercier de lui avoir fait un discours pour complimenter le prince de Condé aux États de Bourgogne, notre Piron s’exprimait ainsi : « Cela m’a valu sa visite ; je ne l’avais pas vu depuis près de quarante ans. […] Je veux m’instruire et vous aimer ; je veux que vous soyez newtonien, et que vous entendiez cette philosophie comme vous savez aimer. » Cette noble ambition d’une intelligence élevée et toujours en progrès, ce beau feu d’une curiosité allègre et légère qu’il a exprimée d’un mot : Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon âme ; Ce zèle à propager ce qu’on croit vrai, ce que l’on sent aimable, et à y faire participer, à y convertir ses amis et l’univers, étaient lettre close pour Piron. […] Son nom ne réveille rien sans doute de bien délicat ni de bien pur, mais il exprime au plus haut degré la vivacité, la verve, le piquant, le nerf et la gaillardise ; ce nom, rien qu’à le prononcer, est devenu le signe représentatif assez exact et durable de tout ce qu’il y avait de viager en lui. […] On a là-dessus des lettres de Piron, fort honorables par les sentiments qu’il y exprime.

1449. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

la même chose se passe dans la république des lettres : une cité nombreuse de poètes se contente d’exprimer un type inférieur, une idée abaissée de la comédie ; une cité de poètes d’élite cherche à réaliser le type absolu, l’idée normale de la comédie, et l’un d’eux a réussi. […] L’orgueil de l’ignorance et le mépris de toute culture intellectuelle sont des ridicules incomparablement plus graves que celui contre lequel il s’escrime, et quand je lis la honteuse tirade où Molière par la bouche de Chrysale exprime ses propres opinions, je ne puis m’empêcher d’épouser la querelle de Philaminte, et de me sentir moi-même atteint personnellement par l’injure que cet impertinent auteur fait à la science58. […] Au premier acte, dans une scène imitée de Plaute, Harpagon exprime sa crainte qu’un domestique n’ait eu quelque soupçon de son trésor. […] Selon toute apparence, ce sont ses propres opinions que Molière a exprimées dans la doctrine étroite de Chrysale sur la destination des femmes, dans celle de Clitandre sur le peu d’utilité du savoir, et ailleurs encore dans des dissertations sur la mesure de connaissances qui convient à un homme comme il faut.

1450. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

I « Après une soirée passée avec Addison, dit Steele, j’ai souvent réfléchi que j’avais eu le plaisir de causer avec un proche parent de Térence ou de Catulle, qui avait tout leur esprit et tout leur naturel, et par-dessus eux une invention et un agrément893 plus exquis et plus délicieux qu’on ne vit jamais en personne. » Et Pope, rival d’Addison, et rival aigri, ajoutait : « Sa conversation a quelque chose de plus charmant que tout ce que j’ai jamais vu en aucun homme. » Ces mots expriment tout le talent d’Addison ; ses écrits sont des causeries, chefs-d’œuvre de l’urbanité et de la raison anglaises ; presque tous les détails de son caractère et de sa vie ont contribué à nourrir cette urbanité et cette raison. […] Il ne pousse à bout aucun principe ; il les accepte tous, tels qu’on les trouve dans le domaine public, d’après leur bonté visible, ne tirant que leurs premières conséquences, évitant la puissante pression logique qui gâte tout, parce qu’elle exprime trop. […] Il veut des mots exacts qui expriment les fines nuances de la pensée, et des mots mesurés qui écartent les impressions choquantes ou extrêmes. […] Elles ne sont plus élues dans les clubs quand on nomme les belles dont on boit la santé ; elles sont obligées par leurs principes de se coller une mouche sur le côté du front où cela va le plus mal ; elles se condamnent à perdre les toilettes du jour de naissance ; il ne leur sert de rien qu’il y ait une armée et tant de jeunes gens porteurs de chapeaux à plumes ; elles sont forcées de vivre à la campagne et de nourrir leurs poulets, juste dans le temps où elles auraient pu se montrer à la cour et étaler une robe de brocart, si elles voulaient se bien conduire… Un homme est choqué de voir un beau sein soulevé par une rage politique qui est déplaisante même dans un sexe plus rude et plus âpre… Et cependant nous avons souvent le chagrin de voir un corset près d’être rompu par l’effort d’une colère séditieuse, et d’entendre les passions les plus viriles exprimées par les plus douces voix… » Mais, heureusement, ce chagrin est rare ; « là où croissent un grand nombre de fleurs, la terre de loin en semble couverte ; on est obligé d’avancer et d’entrer, avant de distinguer le petit nombre de mauvaises herbes qui ont poussé dans ce bel assemblage de couleurs. » Cette galanterie est trop posée ; on est un peu choqué de voir une femme touchée de si près par des mains si réfléchies.

1451. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

S’il a été sévère dans la forme, et pour ainsi dire religieux dans la facture ; s’il a exprimé au vif et d’un ton franc quelques détails pittoresques ou domestiques jusqu’ici trop dédaignés ; s’il a rajeuni ou refrappé quelques mots surannés ou de basse bourgeoisie, exclus, on ne sait pourquoi, du langage poétique ; si enfin il a constamment obéi à une inspiration naïve et s’est toujours écouté lui-même avant de chanter, on voudra bien lui pardonner peut-être l’individualité et la monotonie des conceptions, la vérité un peu crue, l’horizon un peu borné de certains tableaux ; du moins son passage ici-bas dans l’obscurité et dans les pleurs n’aura pas été tout à fait perdu pour l’art : lui aussi, il aura eu sa part à la grande œuvre, lui aussi il aura apporté sa pierre toute taillée au seuil du temple ; et peut-être sur cette pierre, dans les jours à venir, on relira quelquefois son nom. […] Mais revenons d’abord au volume des Consolations : Chateaubriand en fut très touché, et s’exprimait ainsi en écrivant à Sainte-Beuve, peu connu de lui encore : « Je viens, Monsieur, de parcourir trop rapidement les Consolations ; des vers pleins de grâce et de charme, des sentiments tristes et tendres se font remarquer à toutes les pages. […] Je vous écrivis en effet alors une épître en vers, qui exprimait très mal mes pensées, qui me donnait un air protecteur de critique, tandis qu’au fond de l’âme j’étais ému et enthousiasmé d’amitié et d’admiration. […] Lamartine m’en remercia par une lettre qui exprime bien les préoccupations et les pensées de ce temps, et qui en fixe exactement la nuance.

1452. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

La vie est ainsi réduite à un équilibre essentiellement instable, mouvant, où quelque partie doit toujours prédominer, quelque membre se lever ou s’abaisser, où enfin le sentiment dominant doit être exprimé au dehors et courir sous la chair, comme le sang même. […] … je ne puis te l’exprimer… Je n’ai qu’à fermer les yeux, les siens sont là, devant moi, comme une mer, comme un abîme. » Et Werther sera véritablement tué par l’image de Charlotte : c’est cette obsession qui le conduira au suicide. […] Il n’arrive pas à la synthèse de l’intelligence et du sentiment, qui rend seule la vie, exprime l’homme complet dans son fond le plus obscur connue dans son être le plus conscient. […] Son but est d’exprimer la vie telle qu’elle est, la société telle qu’elle est ; comme les réalistes, il accumule le détail et la description, il tombe même dans le technique.

1453. (1896) Écrivains étrangers. Première série

C’est un des passages les plus obscurs de son œuvre, mais aucun n’exprime mieux l’étonnant mélange de besoin de croire et d’impuissance à croire qui fait le fond de cette âme malade. […] Je ne crois pas qu’il ait exprimé jamais une opinion politique. […] Jamais encore le monde n’a vu une pareille machine pour forger des phrases ambiguës et pour les exprimer d’un ton assuré et mielleux. […] C’est que leur beauté ne vient pas tant de l’émotion qu’ils expriment, ni des images, ni du rythme, que de l’admirable harmonie de tout cela, de la concordance parfaite des images avec les idées, et de la forme avec le fond. […] Ojetti, de nous faire voir l’importance qu’attachent à présent les auteurs italiens à se constituer par tous les moyens une langue poétique définie, capable d’exprimer des pensées et des émotions nouvelles.

1454. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVIII » pp. 266-276

Autrement comment pouvoir exprimer en toute sincérité certains sentiments, certaines vérités nobles, désintéressées, naturelles, qui sont l’âme même de toute généreuse poésie ?

1455. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — II »

Nous trouvons cette sorte d’amour énergiquement exprimée dans une pièce de vers inédits adressée à un jeune homme qui se plaignait d’avoir passé l’âge d’aimer : Va, si tu veux aimer, tu n’as point passé l’âge ; Si le calme te pèse, espère encore l’orage ; Ton printemps fut trop doux, attends les mois d’été ; Vienne, vienne l’ardeur de la virilité, Et, sans plus t’exhaler en pleurs imaginaires, Sous des torrents de feu, au milieu des tonnerres, Le cœur par tous les points saignant, tu sentiras, Au seuil de la beauté, sous ses pieds, dans ses bras, Tout ce qu’avait d’heureux ton indolente peine Au prix de cet excès de la souffrance humaine ; Car l’amour vrai, tardif, qui mûrit en son temps, Vois-tu, n’est pas semblable à celui de vingt ans, Que jette la jeunesse en sa première sève, Au blondi duvet, vermeil et doré comme un rêve ; C’est un amour profond, amer, désespéré, C’est le dernier, l’unique ; on dit moins, j’en mourrai ; On en meurt ; — un amour armé de jalousie, Consumant tout, honneur et gloire et poésie ; Sans douceurs et sans miel, capable de poison, Et pour toute la vie égarant la raison.

1456. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Turquety a un public ; en Bretagne, dans le Midi, à Toulouse, beaucoup de lecteurs fervents et fidèles le désirent : pour eux, il donne à des sentiments chrétiens qu’il rajeunit, à des dogmes qu’il exprime, une mélodie qu’on aime.

1457. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Il n’y a que des nuances à côté de cette couleur, et les poètes anciens ont si bien senti ce que cette situation avait d’épouvantable, que s’aidant, pour la peindre, de tous les contes allégoriques de la mythologie, ce n’est pas la souffrance seule du remord, mais la douleur même de la passion qu’ils ont exprimée dans leurs tableaux des enfers.

1458. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

Pour moi, quand le désespoir s’exprime si hautement et si fièrement, je ne me reconnais pas le droit de le condamner.

1459. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Sa critique est d’une sincérité grave qui convainquit, et elle parut toute nouvelle et forte parce qu’elle exprimait avec un dogmatisme professoral des préférences assez modernes.

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