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484. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Toute chose ou toute action présente nécessairement deux côtés ; le premier, mobile et changeant, nouveau sans cesse sous le jour qui l’éclairé, donne l’illusion de la vie : c’est l’expression, la poésie des choses, et aussi leur intérêt ; celui-là seul marque vraiment pour nous. […] Si elles ont revêtu pour vous une expression quelconque, si elles vous ont fait sentir ou penser, alors parlez. […] Pour juger du rôle des dissonances et des laideurs dans l’art, il ne faut pas les considérer en tant que pures sensations, mais en tant que principes de sentiment et moyens d’expression. […] Il y a des choses qui choquent l’œil, suivant l’expression vulgaire ; elles le choquent dans la peinture encore plus que dans la réalité, tandis que, vues sous un certain angle, elles peuvent ne pas le choquer dans la littérature. […] Si donc, suivant l’expression de Théophile Gautier, il y a des mots pittoresques qui « sonnent comme des clairons », encore faut-il que ce clairon nous annonce quelque chose, qu’il précède une armée vivante en marche, qu’on sente derrière lui la force des idées, des sentiments et de l’action.

485. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Et en effet, les « races » de l’Europe moderne ne représentent que des formations historiques, dont les littératures ne sont pas tant l’expression que l’un des multiples « facteurs ». […] Mais aussi, comme les enfants, n’éprouvent-ils que des sentiments très généraux ou « typiques », dont l’expression est aussi générale qu’eux-mêmes ; et l’art est justement chose individuelle. […] Dans les formes conventionnelles qu’ils empruntent à ces premiers maîtres, et dont ils subissent docilement les exigences, quand encore ils ne les modifient pas pour en rendre la contrainte plus étroite et plus monotone, nos trouvères, — un Quesne de Béthune, le sire de Couci, Thibaut de Champagne, Huon d’Oisi, Charles d’Anjou, — tous de race noble, essaient de faire entrer l’expression de leurs sentiments personnels. […] XIII] ; — et si la poésie courtoise elle-même, tout en se trompant de route, — n’avait, pas moins tendu à libérer de toute contrainte l’expression de la personnalité du poète ; — c’est encore ce qu’a réalisé Villon. […] Originalité de Commynes. — Il est lui-même, ce qui le distingue des chroniqueurs ses contemporains ; — lesquels ne sont guère, en français ou en latin, que l’expression de leur temps ; — et la voix de l’opinion plutôt que celle de leur pensée. — Son expérience des affaires. — Qualités de ses Mémoires ; — ils sont d’un politique ; — et aussi d’un psychologue [Cf. 

486. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

L’enseignement d’une science, quelle qu’elle soit, pouvant être fait dans la langue de la nation, je conçois bien l’inconvénient, mais je suis encore à sentir l’avantage d’ajouter à la difficulté des choses celle d’un idiome étranger, dans lequel il est souvent difficile, quelquefois impossible, de s’expliquer sans employer des tours et des expressions barbares. […] C’est, de chercher dans la langue qu’on possède, les expressions correspondantes à celles de la langue étrangère dont on traduit et qu’on étudie. […] C’est de chercher, dans la langue étrangère qu’on apprend, des expressions correspondantes à celles de la langue qu’on parle, et qu’on sait. […] Quand on compose on feuilleté à la vérité le dictionnaire de sa propre langue, mais c’est pour y chercher l’expression correspondante dans la langue étrangère ; c’est cette expression qu’on lit, c’est cette expression qu’on écrit, c’est à la syntaxe de cette langue étrangère qu’on l’assujettit, ce sont ses règles qu’on observe, c’est à ses tours qu’on tâche de se conformer, opérations qui toutes tendent à fixer dans la mémoire et la grammaire et le dictionnaire. […] Un écolier aura à rendre cette expression, maison Cornélienne, qu’après avoir cherche dans son Dictionnaire le mot maison, entre les différentes traductions de ce mot, il s’arrête au mot domus ; son travail de recherche lui aura été fort peu utile : rien ne le choquera dans la phrase où il insérera ce mot, rien ne l’avertira du ridicule de son choix ; comment, avant de savoir le latin, s’apercevra-t-il de la bizarrerie d’une phrase latine de sa composition ?

487. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Chez eux, tout est tranché, rien ne se confond : et chez nous, le ton seul de l’expression constitue la variété des ouvrages. […] La délicatesse du goût réussit seule à bien composer ce mélange des expressions. […] Reprenons maintenant les mêmes mots au figuré, et nous jugerons par quelle affinité secrète chaque expression s’attire et s’allie en ces vers. […] Remarquons en passant que les anciens atteignaient mieux que nous l’expression des sentiments propres à la force idéale des héros qu’ils animaient. […] Il ajouta même à l’expression du détail, cette qualité si rare chez nos auteurs, la naïveté sans bassesse.

488. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

ça suppose pourtant de la fantaisie, cette expression, hein ! […] Il suppose l’unité de l’art du Midi de l’Europe, qui a trouvé sa plus haute expression dans la littérature française. […] Cet homme unique n’a disposé que d’un nombre restreint d’expressions. […] Quelle est la désillusion qui l’attend, lorsqu’il cherche l’expression de cette admiration sur leurs visages ! […] ne riez pas de cette expression ; c’est encore le seul sentiment qui puisse nous faire supporter les cahots de la vie.

489. (1927) Approximations. Deuxième série

Les ouvrages du critique d’art François Fosca séduisent par leur netteté d’expression. […] Déterminer ce point de départ, ce serait saisir, par-dessous les moyens d’expression, l’organe même qui leur donne naissance. […] N’importe : cette continence esthétique qui chez le grand artiste bride toutes choses, y compris l’expression de l’incontinence elle-même, voilà la qualité qui aux Goncourt a trop fait défaut. […] Une force explosive toujours présente dans l’expression, voilà ce qui investit le langage de Pascal de ce caractère immédiat qui partout constitue la donnée première de son génie. […] Le rapprochement ne vaut pas moins pour l’expression dont Lytton Strachey a observé avec justesse « que Shakespeare la porte toujours jusqu’au point d’éclatement ».

490. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

cette guerre de couleur locale, de libre allure et de propriété d’expression qu’ils poussèrent plus tard à l’absurde. […] La hardiesse dans l’expression suppose la hardiesse de la pensée… La langue est à celui qui sait la faire obéir. […] Ceux-là du moins se faisaient pardonner leur laideur à force d’expression, quelquefois même de beauté morale. […] Elle n’est ni belle ni laide ; la seule expression qu’on lise sur sa physionomie inerte, c’est la bêtise. […] C’était, dans sa plus mirifique expression, l’apothéose du laid, du vulgaire et du trivial.

491. (1890) Nouvelles questions de critique

Tout de même, une idée n’existe que par l’expression qu’on en donne, et c’est le style qui fait le prix des pensées. […] Renan, si l’on essayait de la caractériser en deux mots, ne serait-ce pas en effet l’expression de la sérénité dans le scepticisme ? […] On les reconnaît à ce signe, que, supérieurs et souvent même admirables ou étonnants dans l’expression de la sensation, ils balbutient, leur langue s’épaissit, et les mots leur manquent dans l’expression des sentiments ou des idées. […] C’est alors l’art conçu, selon l’expression consacrée, comme l’imitation de la « belle nature » : telles, parmi nous, les toiles de M.  […] Mais l’important, c’est qu’au nom de la poésie même, ils aient travaillé à débarrasser le poète d’entraves inutiles, qui risquaient d’être et qui ont plus d’une fois été des obstacles à la liberté de l’expression.

492. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Tirer la conclusion définitive de la querelle des anciens et des modernes, montrer qu’à l’art moderne il faut une inspiration moderne (Chateaubriand disait chrétienne), ne pas mépriser l’antiquité, mais, en dehors d’elle, reconnaître les beautés des littératures italienne, anglaise, allemande, écarter les anciennes règles qui ne sont plus que mécanisme et chicane, et juger des œuvres par la vérité de l’expression et l’intensité de l’impression, mettre le christianisme à sa place comme une riche source de poésie et de pittoresque, et détruire le préjugé classique que Boileau a consacré avec le christianisme, rétablir le moyen âge. l’art gothique, l’histoire de France, classer la Bible parmi les chefs-d’œuvre littéraires de l’humanité, rejeter la mythologie comme rapetissant la nature, et découvrir une nature plus grande, plus pathétique, plus belle, dans cette immensité débarrassée des petites personnes divines qui y allaient, venaient, et tracassaient, faire de la représentation de cette nature un des principaux objets de l’art, et l’autre de l’expression des plus intimes émotions de l’âme, ramener partout le travail littéraire à la création artistique, et lui assigner toujours pour fin la manifestation ou l’invention du beau, ouvrir en passant toutes les sources du lyrisme comme du naturalisme, et mettre d’un coup la littérature dans la voie dont elle n’atteindra pas le bout en un siècle : voilà, pêle-mêle et sommairement, quelques-unes des divinations supérieures qui placent ce livre à côté de l’étude de Mme de Staël sur l’Allemagne. […] Un tube enflammé pour un fusil, un glaive de Bayonne pour une baïonnette, des centaures au vêtement vert pour des dragons, un Cyclope pour un artilleur, voilà les artifices où il fait consister le style épique : et ces étonnantes expressions alternent avec des calumets de paix, des tomahawks, et tout le bric-à-brac du pittoresque local. […] Car c’est sa maladie qu’il décrit, c’est de sa maladie que vivent Chactas, Eudore et René ; et partout où l’expression ne dépasse pas la réalité des malaises moraux de l’auteur, un charme douloureux s’en dégage. […] Rousseau était encore bien orateur ; Bernardin de Saint-Pierre un peu maigre, et plus délicat d’impression que puissant d’expression.

493. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Qu’est-ce donc que l’art, dans l’acception la plus élémentaire, si ce n’est l’expression de vérités générales dans un langage parfait, c’est-à-dire parfaitement conforme au génie du pays qui le parle et à l’esprit humain ? […] Mais, de ce moment, c’est en donner une définition incomplète que de le borner à l’expression de vérités générales dans un langage définitif. […] Si l’art est l’expression des vérités générales dans un langage définitif, les vérités de cet ordre et les termes qui ont servi à les exprimer n’étant pas sujets à changer ni à périr, il suit que l’histoire d’une littérature est l’histoire de ce qui n’a pas cessé, dans les œuvres littéraires d’une nation, d’être vrai, vivant, d’agir sur les âmes, de faire partie essentielle et permanente de l’enseignement public. […] Elle reçoit des idées de l’imagination et des sens, elle en contrôle la valeur, elle en arrête définitivement l’expression. […] Combien d’expressions qui ne déterminent pas les choses, et dont nous sommes si prompts à nous contenter, soit mollesse de conception, soit fatigue ou paresse !

494. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Ainsi Rabelais fut loin de méconnaître le caractère primitif de la Réforme, et je ne sais si quelqu’un s’était servi avant lui de cette belle expression, les sainctes lettres. […] Le premier langage qu’elles parlent est magnifique ; on sent bien, à la beauté des formes, à la généralité des expressions, que notre langue est devenue celle de l’esprit humain. […] Il en avait sans doute appris l’art dans les écrits des Grecs, où cette variété des pensées et des tours qui les expriment ce mélange d’expressions de tous les ordres, est une des grâces inimitables du génie grec. […] Si je la regarde dans les parties de ce livre qui ont été inspirées par la Renaissance, que de nouveautés dans ces expressions si profondes et si générales, qui ouvrent comme des horizons infinis à l’esprit du lecteur ! […] Il y a versé une foule d’expressions et de tours qui sont demeurés.

495. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

s’emmêleront, infiniment affinées, toutes les anciennes formes de l’expression artistique ; il a compris, et il a osé ; il nous a montré la définition et l’exemple de l’Art totalbp, parfait, vers lequel, isolément et obscurément, nous marchons, de si loin ; son œuvre est un signal pour les générations futures, — pour des époques si distantes, que Wagner est, plutôt que le Précurseur à l’Art de l’avenir, son Prophète. […] Eh bien, nous, qui ne savons pas faire cette expression omni-artistique, et qui, de long temps, ne le saurons !… voyons, pourtant, dans la Chose dont l’expression nous séduit, voyons les multiples aspects, les résonnances cachées, les attirances, les échos subtils qui d’elle, par tous côtés, s’éveillent : comprenons comment la Chose est littérairement, comment musicalement, comment plastiquement ; et, — quoique nous ne pourrons pas dire toutes ces compréhensions variées, par, chacune, son langage propre, — ayons en nous, néanmoins, l’émotion, complète, de la Chose vivante. […] Donc, il conçut, l’artiste, la théorie d’Œuvres, où toutes les formes d’art, affinées en leurs suprêmes essences, étaient unies pour la glorieuse expression, vraie et complète, de ce qui est ; et il conçut ces Œuvres, elles mêmes ; et il les conçut accomplies, faites chose, écrites, et vivantes, dans un livre. […] L’obscurité profonde où se trouve le spectateur, l’invisibilité complète de l’orchestre dont l’action musicale possède une si grande précision tant par l’exactitude de l’expression que par la puissance des combinaisons sonores, semblent destinées, par le prodigieux tact physiologique de ce tout puissant artiste, à « désorienter » dans le sens scientifique de ce mot, le spectateur et l’auditeur.

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