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950. (1911) Nos directions

Comme en outre il « faisait vrai », on ne considéra que la vérité de son œuvre, et l’on efforça à sa suite, de « faire vrai », mais autrement : chez ceux-là qui s’en réclamèrent, sa large compréhension devint mesquine exactitude, sa sûre intuition, douteuse expérience. […] Nous possédons des drames, certes — mais non le Drame et c’est un fait digne de remarque, qu’au cours d’un siècle aussi riche en expériences, toute réalisation dramatique soit demeurée le privilège des esprits moyens. […] Rien ne peut éclairer davantage le dramaturge que l’extériorisation de son œuvre : par là elle le quitte, se sépare de lui : il est spectateur, il la juge ; cela pour déplorer l’attente prolongée que subissent de jeunes auteurs, qui, faute d’une expérience, se tromperont longtemps et tenteront en vain. […] Pour expérimenter, il n’eût point fallu à Candaule des « sujets » d’instinct primitif, imbus de morale bourgeoise, comme Gygès et Nyssia ; contre lui, aussi bien, se devait retourner l’expérience. […] Que si cette expérience réussie, aboutit à discréditer le plus hybride des genres musicaux, la « symphonie à programme », avouez que ce sera tant mieux.

951. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Mais à mesure que la nature s’est corrompue, que l’innocence a cessé d’habiter la terre, que le séjour des Villes est devenu nécessaire à une société plus nombreuse, que le fer n’a plus été travaillé pour ouvrir seulement le sein de la terre & le rendre fertile, qu’on en a forgé des armes cruelles, & que des ruisseaux de sang ont coulé dans les campagnes ; les besoins alors ont fait naître l’industrie, les Arts ont dû leur découverte au hasard, le luxe les a multipliés, l’expérience d’âge en âge a perfectionné les connoissances, les sciences se sont formées & ont été le produit des méditations constantes de l’esprit humain, les peuples de proche en proche se les sont communiquées, & ceux chez lesquels elles ont jeté les plus profondes racines, ont été les plus favorisés de la nature. […] Le cours des études fini, on entroit dans le monde, non avec ces graces qui doivent tout à l’art, cette confiance hautaine, dont la présomption est la mère, ce ton libre & décidé qu’on applaudit, & qu’il seroit plus sage de réprimer ou de contenir ; mais avec ces graces ingénues, cette candeur aimable, cet embarras modeste, qui annoncent l’innocence des mœurs, cette juste méfiance de soi-même, compagne des vrais talens que l’expérience achève de perfectionner, & qui conduisent aux places destinées à la naissance, briguées par la fortune, accordées à la faveur, & que le mérite attend. […] « l’expérience faite le 16 Août 1771 dans le laboratoire du sieur Rouelle, Démonstrateur de Chimie au Jardin Royal, par laquelle il a été prouvé que le diamant s’évapore au grand feu, & s’y volatilise tout entier, sans laisser dans le creuset aucune trace de matière ».

952. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Tu venais de faire une expérience douloureuse de la contrainte ; tu avais pris la résolution d’y échapper en ne fréquentant plus que ton dieu intérieur, Tu quittas le boulevard Barbès pour t’installer dans cette rue Ravignan dont le nom, grâce è toi, gardera une saveur spéciale dans la mémoire des Lettrés. […] L’expérience prend fin au bout d’un an, faute d’argent. […] Ses expériences formelles annoncent le dadaïsme.

953. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

… » Idylle et catastrophe, une vive et brillante promesse interceptée, son imagination avait pris de bonne heure ce tour dans le sentiment de sa propre destinée et dans l’expérience des malheurs particuliers, réels, auxquels il est temps de venir. […] Les savantes expériences de sa prose cadencée, les artifices de déroulement de sa plume en de certaines pages merveilleuses eussent été plus appréciés encore et eussent mieux servi la cause de l’art, si on ne les avait pu confondre par endroits avec les alanguissements inévitables dus à la fatigue d’écrire beaucoup, à la nécessité d’écrire toujours.

954. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Dans les voyages, on voit tous les jours des choses nouvelles, on acquiert de l’expérience. […] quelle consolation pour les affligés, non-seulement de penser, mais de tenir pour certain qu’il y a des dieux qui leur feront justice… En notre pays et par toute l’Allemagne, ceci passe pour constant que qui prend le bien d’autrui par force perd le droit qu’il a sur son propre bien… Pour moi, j’espère tant du ciel que je ne doute point que quelque jour ce proverbe d’Allemagne ne soit ici à Rome une vérité connue par expérience », etc.

955. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Isabelle cueille çà et là toutes les herbes qu’elle feint de choisir pour son expérience ; elle se baigne dans la source où elle a jeté les herbes. […] oui, alors, poursuivis-je sans lui répondre, de peur de rougir à mon tour, quand ce qui est flamme en nous sera cendre, quand la vie nous aura dit tout ce qu’elle a à nous dire ; quand les hommes, les choses, les passions ne seront plus pour nous, comme pour l’aimable et pieux chanoine, qu’un spectacle auquel nous continuerons d’assister sans en attendre d’autre dénouement que dans le ciel ; quand nous serons retirés dans quelque solitude champêtre, les pieds sur nos chenets et ne songeant plus qu’à faire l’heure, far l’ora, comme vous dites en Italie : alors ayons l’Arioste sur notre cheminée, et lisons-en de temps en temps quelques pages pour poétiser nos souvenirs et pour dépoétiser notre expérience, j’y consens.

956. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Je me trompe : l’existence de Dieu est mille fois plus certaine par cette conclusion logique et infaillible de l’esprit que par les expériences faillibles des philosophes de la matière ; car l’expérience, œuvre des sens, peut se tromper ; la logique, œuvre de Dieu, est absolue, et ne nous tromperait que si Dieu nous trompait lui-même, chose incompatible avec la nature divine ou avec la suprême vérité.

957. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

» Que l’on considère où est cachée la source occulte de tant de sagesse, la connaissance de tous les hommes, l’expérience de tant de vicissitudes, l’habileté instinctive qui apprend à traiter avec eux, à les convaincre, à les dominer, à les supporter, à leur pardonner ; où peut-elle être ? […] Imperfection et vicissitude sont les deux termes qui définissent l’humanité ; changement est sa nature ; cette vicissitude humaine, que la raison proclame, l’expérience et l’histoire ne la proclament pas moins.

958. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

Les sens usés au service d’une intelligence immortelle, qui tombent comme l’écorce vermoulue de l’arbre, pour laisser cette intelligence, dégagée de la matière, prendre plus librement les larges proportions de son immatérialité ; les cheveux blancs, ce symbole d’hiver après tant d’étés traversés sans regret sous les cheveux bruns ; les rides, sillons des années, pleines de mystères, de souvenirs, d’expérience, sentiers creusés sur le front par les innombrables impressions qui ont labouré le visage humain ; le front élargi qui contient en science tout ce que les fronts plus jeunes contiennent en illusions ; les tempes creusées par la tension forte de l’organe de la pensée sous les doigts du temps ; les yeux caves, les paupières lourdes qui se referment sur un monde de souvenirs ; les lèvres plissées par la longue habitude de dédaigner ce qui passionne le monde, ou de plaindre avec indulgence ce qui le trompe ; le rire à jamais envolé avec les légèretés et les malignités de la vie qui l’excitent sur les bouches neuves ; les sourires de mélancolie, de bonté ou de tendre pitié qui le remplacent ; le fond de tristesse sereine, mais inconsolée, que les hommes qui ont perdu beaucoup de compagnons sur la longue route rapportent de tant de sépultures et de tant de deuils ; la résignation, cette prière désintéressée qui ne porte au ciel ni espérance, ni désirs, ni vœux, mais qui glorifie dans la douleur une volonté supérieure à notre volonté subalterne, sang de la victime qui monte en fumée et qui plaît au ciel ; la mort prochaine qui jette déjà la gravité et la sainteté de son ombre sur l’espérance immortelle, cette seconde espérance qui se lève déjà derrière les sommets ténébreux de la vie sur tant de jours éteints, comme une pleine lune sur la montagne au commencement d’une claire nuit ; enfin, la seconde vie dont cette première existence accomplie est le gage et qu’on croit voir déjà transpercer à travers la pâleur morbide d’un visage qui n’est plus éclairé que par en haut : voilà la beauté de vieillir, voilà les beautés des trois âges de l’homme ! […] Voilà de quoi tu te rends complice : tu désertes les lettres pour les chiffres, tu affectes, à l’exemple de tes corrupteurs en prose et en vers, le dédain du beau, l’estime exclusive de l’utile, l’insouciance des institutions qui font l’avenir, le mépris pour ces noms littéraires et politiques qui te restent encore comme des reproches vivants de ta mollesse, écrivains, orateurs, philosophes, poètes, qui n’ont de vieux que leurs services, leur expérience et leurs gloires !

959. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Je crois avoir déjà quelque part déduit de là une expérience qui déterminerait la grandeur relative des images dans la tête de deux artistes ou dans la tête d’un même artiste en différents temps ; ce serait de leur ordonner le dessin net et distinct et le plus petit qu’ils pourraient d’un objet susceptible d’une description détaillée. […] C’est que l’esquisse est l’ouvrage de la chaleur et du génie, et le tableau l’ouvrage du travail, de la patience, des longues études et d’une expérience consommée de l’art.

960. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Edgar Poe »

Eh bien, dans certaines anxiétés, dans certains désespoirs de Legrand quand il constate, Jupiter descendu de l’arbre, qu’il s’est trompé, qu’il a pris l’œil droit de la tête de mort pour l’œil gauche et que l’expérience d’où dépend son sort est à recommencer, dans certaines parties du dialogue, enfin, nous avons retrouvé l’accent d’angoisse mystérieuse qu’avait Darvell avant de mourir. […] — Poe avait l’accent extra-terrestre, le calme dans la mélancolie, la solennité délicieuse, l’expérience précoce, j’allais dire innée, qui caractérise les grands poètes. » Il est impossible de dire plus grandement ; mais la justification de ces magnifiques paroles est ajournée.

961. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Nouveaux voyages en zigzag, par Töpffer. (1853.) » pp. 413-430

Le présent volume, digne du précédent, contient trois excursions pédestres, l’une ancienne, de 1833, à la Grande-Chartreuse, l’autre à Gênes et à la Corniche ; mais surtout on y voit la dernière grande excursion que Töpffer a conduite au cœur de la Suisse, la plus importante, celle du moins où, comme en prévision de sa fin prochaine, il a rassemblé le plus de souvenirs, de résultats d’observation ou d’expérience, son Voyage de 1842 autour du Mont-Blanc et au Grimsel.

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