Et cette fusion des impressions calmes et suaves, des bois de Meuse avec un cœur plein de sacrifice nous émeut jusqu’à la douleur. […] Et pourtant écoutez le cri que jette, de ces lieux de douleur et de mort, le jeune garçon au jour de Pâques 1915 : Joyeuses Pâques ! […] On ne peut lire sans une admiration qui va jusqu’à la douleur, telle lettre où l’enfant laisse voir comment il vient d’être bouleversé par une première communion de village, et puis s’interrompt, étant remonté aux tranchées, pour réclamer des siens le calme et l’énergie ; — telle autre lettre de charmante gratitude, où cet enfant qui donne sa vie s’inquiète du bien-être qu’il doit aux petites sommes que lui envoient les siens et dont il craint que le modeste foyer ne souffre ; — cette lettre enfin pour la fête de son père, à qui il écrit, oublieux de son propre sacrifice : « Croyez bien que je comprends la peine que doit éprouver un père en voyant partir pour le grand inconnu de la guerre un fils de vingt ans, qu’il a élevé à force de travail, de souci, d’économie… » Et toute la suite.
Elle nous disait : L’âme seule dans l’homme est pure, est divine ; le corps est un « sac de fumier » ; le monde est un exil dans le crime et la douleur ; « dans la fleur se cache le démon » ; le ciel est le seul réel séjour de lumière et de beauté. […] Ne pensez-vous pas que ces parcelles de nature et d’humanité recèlent un monde de douleur et de joie, de vérité profonde et d’insondable idéal ? […] Sur ses ruines, une autre naîtra, dont les adeptes diront : Nous reconnaissons nous aussi une patrie d’origine ; nous ne méconnaissons pas le lien sacré qui unit l’homme au sol, non plus que celui qu’a lentement constitué la communauté des douleurs et des joies.
Elle sommeille, durant l’activité du corps ; mais souvent, aux hommes endormis, elle révèle en songe le partage de joies ou de peines qui les attend14. » Et ailleurs il avait chanté, avec plus de ferveur encore, sans doute dans le sanctuaire d’un temple : « Au-dessous de la voûte céleste, à l’entour de la terre, volent les âmes des impies dans de cruelles douleurs, sous l’étreinte de maux qu’on ne peut fuir. […] Revient-il vers Athènes, qui brillait par-dessus toute la Grèce, et dont Eschyle alors doublait la gloire, en mettant sur la scène cette gloire toute sanglante encore, et en répétant au théâtre, dans les fêtes de sa patrie victorieuse, les chants de douleur d’Ecbatane sur Xerxès fugitif qui repasse la mer dans une barque, avec un carquois vide, il semble plutôt un conseiller qu’un flatteur de la cité triomphante. […] Cette parole va bien aux royales filles de Cadmus : elles souffrirent grandement, mais le poids de leur douleur tomba devant des félicités pins grandes23. » N’y a-t-il pas là toute la solennité pathétique dont l’éloquence sacrée rehaussait les vicissitudes de la royauté, proscrite, ou rappelée dans cette île britannique plus agitée en sa terre et dans ses ports que l’Océan qui l’environne ?
Autour d’eux, en dehors de leur défiant et sinistre langage, tout, dans l’expression et dans le rhythme, est entraîné, interrompu, coupé, comme la joie et la douleur. […] Il n’est plus le prophète qui maudit, ou l’Euménide qui menace ; mais il est à la fois le chantre religieux dans le temple et le poëte de l’amour, de la pitié, de la douleur, dans la vie commune. […] Au rivage de Munychium furent attachés les câbles, pour descendre ; et dès lors, sous le coup d’impures amours, elle a été frappée dans l’âme de la terrible maladie d’Aphrodite ; et, soumise à un cruel malheur, elle attachera elle-même aux voûtes nuptiales le cordon fatal qui va serrer son cou d’albâtre, par effroi de l’implacable déesse, par désir jaloux de bonne renommée, et pour écarter de son âme les peines de l’amour. » Sous les détours, et comme sous les plis onduleux de cette poésie, le dénouement même prédit ne semble-t-il pas se voiler à demi, avec cet art suprême des Grecs de ne pas épuiser l’horreur et de garder toujours la dignité et presque la grâce austère dans la douleur ?
La seconde de ces élégies est de toute beauté, dans la première moitié surtout, où s’exhale une si poignante douleur, où le poète va demander au grand spectacle d’une nature bouleversée, à ce qu’on appelle le pays brûlé de l’île, l’impression muette et morne à laquelle il aspire et qu’il s’indigne de ne point éprouver : Tout se tait, tout est mort. […] Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette âme ; Le rayon s’éteignit ; et sa mourante flamme Remonta dans le ciel pour n’en plus revenir… Ce sentiment qui se trahit dans le détail et qui respire dans tout l’ensemble, c’est une singulière complaisance du poète à décrire le mal qu’il a causé, et cette complaisance, à mesure qu’on avance dans la lecture, l’emporte visiblement sur la douleur, sur le regret, au point de choquer même la convenance.
Il est un autre fleau de l’humanité qui le détruit en détail, poison rongeur de l’ame qui l’attaque au milieu de la pompe & des grandeurs, ou plutôt qui la livre à elle-même, & la contraint à se dévorer, maladie commune aux Grands, sombre vapeur qui étend un voile lugubre autour de nous & flétrit l’Univers, état cruel qui sans avoir les traits aigus de la douleur nous l’a fait presque désirer pour sortir du moins de l’affreux dégoût d’une insipide existence, ce fleau est l’ennui qu’on peut appeller un demi trépas ; l’homme de Lettres a le secret de chasser ce monstre ténébreux. […] Il sent que les dons de la Nature les seuls biens véritables sont la santé, la joie, la tendresse, la tranquillité de l’ame, & il soutiendra sans douleur toute autre privation, parce que sa raison aura reglé cette intempérance d’imagination qui fait l’inquiétude des autres hommes.
Qu’un homme répande des larmes sans objet, qu’il pleure sur l’universelle douleur, qu’il rie d’un rire long et mystérieux, on l’enferme à Bicêtre, parce qu’il ne cadre pas sa pensée dans nos moules habituels. […] Il faut donc s’y résigner : les belles choses naissent dans les larmes ; ce n’est pas acheter trop cher la beauté que de l’acheter au prix de la douleur.
» Et c’est encore une preuve d’énergie que de dire ainsi ; car il est un degré de démoralisation où ce dernier ressort se brise, où l’on ne veut plus même vivre, et où, pour échapper à la douleur et à la fatigue, tout devient indifférent. […] On sent, en lisant M. de Fezensac, que, jusque dans les moments les plus désespérés de l’épouvantable épreuve, il y eut encore quelques âmes de cette trempe énergique et exquise, et c’est ce qui console : Au milieu de si horribles calamités, dit le colonel du 4e, la destruction de mon régiment me causait une douleur bien vive.
Sa douleur, son inquiétude seulement se demandait s’il parviendrait à rendre et à produire tout cela.
Il se tient au bord de la douleur, au seuil de la joie.
Joseph Roumanille est d’avoir senti avec tant de vivacité la douleur et la honte de cette situation.
D’autant plus dangereux, qu’il est moins redouté, Une feinte douceur cache sa cruauté ; Le perside amollit les plus fermes courages, Du Temple de la Gloire assiége les passages, Et soufflant dans le sein une coupable ardeur, Des grandes actions obscurcit la splendeur ; Il dort entre les bras d’une oisive mollesse ; Les Remords dévorans, la Douleur vengeresse, Implacables Enfans des lâches Voluptés, Cherchent à s’emparer des cœurs qu’il a domptés.