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1918. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Et enfin, répandant sur tout le drame les reflets de sa pénétrante sagesse et de sa plus touchante pitié, et y éteignant toute cette vie qui y pétille et brûle pour la rendre plus douce à la Mort, — à la Mort qui va venir tout à l’heure, — il y a un des personnages les plus délicieusement nuancés de tout le théâtre de Shakespeare, le frère Laurence, l’aimable prêtre, la bonté de Dieu dans un homme, ce rôle savamment composé que s’était réservé Shakespeare, quand il jouait, ce délicat Shakespeare, ce grand acteur exquis, à la voix de médium veloutée et à la physionomie « purement humaine », comme l’a très bien remarqué Tieck ; — car rien d’animal ou d’inférieur ne pourrait tacher, même une minute, en y passant, la calme splendeur de l’angle facial de Shakespeare !

1919. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Il y a travaillé pour les délicats, pour les esprits choisis, pour les âmes religieuses, pour le petit nombre des Élus, aussi petit, ce nombre-là, en littérature que dans le ciel !

1920. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Quoique gentilhomme catholique, Saint-Simon fut assez large d’esprit et de cœur pour ne pas dissimuler la sympathie profonde que lui inspirèrent ces victimes de la théocratie : « La révocation de l’édit de Nantes, écrit-il, sans le moindre prétexte et sans aucun besoin, et les diverses proscriptions plutôt que déclarations qui la suivirent, furent les fruits de ce complot affreux qui dépeupla un quart du royaume, qui ruina son commerce, qui l’affaiblit dans toutes ses parties, qui le mit si longtemps au pillage public et avoué des dragons, qui autorisa les tourments et les supplices dans lesquels ils firent réellement mourir tant d’innocents de tout sexe par milliers, qui ruina un peuple si nombreux, qui déchira un monde de familles, qui arma les parents contre les parents pour avoir leur bien et les laisser mourir de faim ; qui fit passer nos manufactures aux étrangers, fit fleurir et regorger leurs États aux dépens du nôtre et leur fit bâtir de nouvelles villes, qui leur donna le spectacle d’un si prodigieux peuple proscrit, nu, fugitif, errant sans crime, cherchant asile loin de sa patrie ; qui mit nobles, riches, vieillards, gens souvent très estimés pour leur piété, leur savoir, leur vertu, des gens aisés, faibles, délicats, à la rame, et sous le nerf très effectif du Comité, pour cause unique de religion ; enfin qui, pour comble de toutes horreurs, remplit toutes les provinces du royaume de parjures et de sacrilèges, où tout retentissoit de hurlements de ces infortunées victimes de l’erreur, pendant que tant d’autres sacrifioient leur conscience à leurs biens et à leur repos, et achetoient l’un et l’autre par des abjurations simulées d’où sans intervalle on les traînoit à adorer ce qu’ils ne croyoient point, et à recevoir réellement le divin corps du Saint des saints, tandis qu’ils demeuroient persuadés qu’ils ne mangeaient que du pain, qu’ils devoient encore abhorrer.

1921. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Sainte-Beuve n’étudie pas le problème « du rapport de l’auteur avec son œuvre et celui du rapport des auteurs avec l’ensemble social dont ils font partie ; questions délicates et fécondes que M.  […] Sa phrase — je parle de l’écrivain de Volupté et non de celui des Lundis, qui n’est plus qu’un journaliste exceptionnel, littéraire — se complaît en des allures louches qui sont justement la seule franchise de l’artiste s’il a des pensées et des sensations délicates et subtiles, sa seule « honnêteté ».

1922. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

À la longue, et sous l’empreinte incessante des siècles, le corps flegmatique, repu de grosse nourriture et de boissons fortes, s’est rouillé ; les nerfs sont devenus moins excitables, les muscles moins alertes, les désirs moins voisins de l’action, la vie plus terne et plus lente, l’âme plus endurcie et plus indifférente aux chocs corporels ; la boue, la pluie, la neige, l’abondance des spectacles déplaisants et mornes, le manque des vifs et délicats chatouillements sensibles maintiennent l’homme dans une attitude militante. […] On ne voit parmi eux que des théologiens échauffés, des controversistes minutieux, des hommes d’action énergiques, des cerveaux bornés et patients, tous préoccupés de preuves positives et d’œuvres effectives, dépourvus d’idées générales et de goûts délicats, appesantis sur les textes, raisonneurs secs et obstinés qui tourmentent l’Écriture pour en extraire une forme de gouvernement ou un code de doctrine.

1923. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Ils n’abordent leurs recherches délicates, mais relativement bien plus simples que celles de la physiologie, qu’après de longs exercices préalables dans leurs laboratoires. […] Messieurs, Nous sommes arrivés à un des points les plus délicats de la fonction glycogénique. […] On comprend que pour des déterminations aussi délicates, car bien qu’il y ait une différence de température, cette différence ne saurait être considérable, puisque la cloison intermédiaire est très mince, et que d’ailleurs, en arrivant au cœur, le sang venu du foie s’est déjà refroidi par son mélange avec le sang du reste du corps ; on comprend, dis-je, qu’il faille s’entourer de précautions minutieuses et d’instruments à la fois très sensibles et d’une grande précision.

1924. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Or, il y a des raisons assez sérieuses d’attribuer à Rodrigue Jimenez lui-même le poème latin en l’honneur de Roncevaux : on comprend que, ne voulant ni froisser les pèlerins qui arrivaient pleins des récits épiques, ni s’associer à leur façon de comprendre la défaite des Français, il ait gardé le silence sur ce point délicat. […] Sully Prudhomme nous montre deux amants, — il a réuni dans son paradis deux êtres qui s’aimaient sur terre, et cela est plus délicat et plus touchant que les amours du mortel, dans les vieilles légendes, avec une déesse ou une fée, — il nous les montre, — en un séjour où est rassemblé tout ce qui peut charmer les sens et l’âme, où il n’y a ni douleur, ni fatigue, ni mal d’aucun genre, où le besoin de savoir est satisfait aussi bien que celui de sentir, — jouissant d’abord avec ivresse et de tout ce qui les entoure et de leur amour que rien ne menace plus. […] Les leçons bas-allemande et danoise ont supprimé la damnation du pape ; elles disent : « Le pape se chagrina beaucoup, — et il pria sans cesse — que Dieu exauçât le vœu de Tannhäuser — et lui pardonnât son péché. » La chanson néerlandaise intercale trois strophes, qui ne manquent pas de poésie, sur l’attitude de Daniel (c’est ici le nom du héros) quand il est rentré dans la montagne : il s’assied sans mot dire, et c’est en vain que Vénus lui offre un repas délicat et une coupe d’or : il ne boit ni ne mange ; elle fait danser devant lui sept jeunes filles rieuses : « Sire Daniel reste silencieux. » La chanson danoise ajoute deux quatrains édifiants sur les dangers de l’amour, prouvés par l’exemple de Danyser.

1925. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

. — Par contre, quelle clarté et quelle précision délicate chez ces Français ! […] Donner à la société la sécurité contre les voleurs et contre le feu, la rendre infiniment commode pour toute espèce de commerce et de relations et transformer l’État en providence, au bon et au mauvais sens, ce sont là des buts inférieurs, médiocres et nullement indispensables, auxquels on ne devrait pas employer des instruments délicats. […] « Au cours d’une excursion entreprise à travers les morales délicates ou grossières qui ont régné dans le monde ou qui y règnent encore, j’ai trouvé certains traits se représentant régulièrement en même temps et liés les uns aux autres ; tant qu’à la fin j’ai deviné deux types fondamentaux et une distinction fondamentale.

1926. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Thiers, avec un bonheur qui pourrait s’appeler également une habileté, esquive la question délicate et controversée du 18 brumaire, cette usurpation à main armée de la force sur le droit, de la violence militaire sur la légitimité nationale.

1927. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

C’était un cirque dont les orateurs étaient les lutteurs devant un peuple délicat.

1928. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Le dévouement irréfléchi, l’amour ombrageux et délicat que portait Goriot à ses filles était si connu, qu’un jour un de ses concurrents, voulant le faire partir du marché pour rester maître du cours, lui dit que Delphine venait d’être renversée par un cabriolet.

1929. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Tout cela, je le répète, est délicat dans la pratique, demande de la patience, de la finesse, du tact.

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