Le plus grand tort de ceux qui croiraient rabaisser l’homme en rattachant à la sensibilité les plus hautes facultés de l’esprit est de ne pas voir où est précisément la différence entre l’intelligence qui comprend, discute, accepte ou rejette, s’en tient enfin à la critique, et celle qui invente. […] Disons seulement, en ce qui concerne le premier point, que les antiques inégalités de classe, primitivement imposées sans doute par la force, acceptées ensuite comme des inégalités de valeur et de services rendus, sont de plus en plus soumises à la critique de la classe inférieure : les dirigeants valent d’ailleurs de moins en moins, parce que, trop sûrs d’eux-mêmes, ils se relâchent de la tension intérieure à laquelle ils avaient demandé une plus grande force d’intelligence et de volonté, et qui avait consolidé leur domination.
Ce n’est guère l’occasion toutefois de digression critique à cette heure ; nous avons mieux à faire, et il nous faut écouter en Colchide les propos des deux amants : « Pourquoi donc, ô vierge !
Il redescendait dans une nouvelle arène par une insatiabilité de gloire littéraire ; son amie s’agitait d’un groupe du salon à l’autre pour donner le mot d’ordre du jour à tous les conviés ; ce mot d’ordre était silence, attention, enthousiasme, pour tout le monde, et pour les journalistes en particulier, écho complaisant chargé de reporter le lendemain à toute l’Europe un tonnerre d’applaudissements convenus et pas une critique.
Moïse, Zoroastre, Brama, Confucius, Solon, Lycurgue, Numa, furent de grands écrivains religieux et politiques ; Aristote en Grèce, Cicéron dans l’Italie antique, Vico dans l’Italie moderne, Beccaria dans l’Italie d’hier, Montesquieu en France, furent des commentateurs et des dissertateurs érudits de ces législateurs primitifs, des critiques de génie des législations et des constitutions civiles des peuples.
Je puis bien dire que c’est à lui que je dois presque entièrement ce discernement, cette critique, ce jugement sûr, — si toutefois j’en ai un peu, — que l’indulgence des autres, bien plus que la vérité, a fait quelquefois remarquer en moi.
Moi qui avais obstinément blâmé les planches du livre que mon père m’avait donné ; moi dont la critique avait relevé mille défauts dans ces portraits, combien je fus honteux quand mes patients efforts n’aboutirent qu’à des résultats si misérables, qu’à peine pouvais-je reconnaître moi-même l’oiseau que je venais de dessiner !
La saine critique nie jusqu’à l’existence de Gersen, et la conformité de son nom avec celui de Gerson, chancelier de l’Université de Paris, paraît avoir été seule la cause ou l’occasion d’une attribution erronée.
Oui, c’est ainsi que le critique parle de ce livre, la meilleure et la plus courageuse action de notre vie, ce livre qui ne fait si bas le bas des lettres que pour en faire le haut, plus haut et plus digne de respect.
Renouvier, Critique religieuse (juillet 1880, p. 191).
Post-scriptum Un admirable écrivain qui vient d’adresser à mon nom, dans la Presse, un hymne à l’amitié déguisé sous la forme d’une critique, me reproche d’avoir désespéré du monde, d’avoir découragé l’esprit humain de sa sainte aspiration au progrès, d’avoir exhumé, dans une lecture de l’Imitation et ailleurs, ce qu’il appelle les miasmes méphitiques du moyen âge, d’avoir désossé l’homme de ses forces et de sa virilité, en lui enlevant les mirages, selon nous très-dangereux, d’un progrès indéfini et continu sur ce petit globe.
Mais aussi remarquez bien une chose : c’est que tous ceux qui lui reprochent d’être trop exclusivement français sont des critiques, des écrivains ou des poètes, qui sont eux-mêmes trop étrangers dans leurs tendances poétiques et qui touchent, par quelques exagérations de leur génie, à ces vices et à ces excès du grec, du latin, de l’hébreu, de l’italien et surtout de l’espagnol, que Racine a su, avec un art sévère, corriger et exclure de la langue dans laquelle nous chantons pour nous et pour la postérité de la France.
Le poète qui avait concentré dans cette œuvre toute sa foi dans sa religion, tout son zèle pour le roi, tout son génie dramatique et toutes ses splendeurs lyriques, fut accablé par le dédain de la cour, par les moqueries de la critique, par l’indifférence du roi.