Le portrait qu’il retrace d’elle ne pâlit point, même à côté des plus grands et des plus touchants que nous connaissons : il se lit avec plaisir après l’Oraison funèbre de Bossuet ; il ajoute heureusement à ce qu’ont dit Mme de La Fayette, Choisy et La Fare. […] Le roi, qui précédemment avait peu souri à l’idée de l’épouser, « connut, en la voyant de plus près, combien il avait été injuste en ne la trouvant pas la plus belle personne du monde ». […] Étant arrivé proche de son lit, elle fit retirer tout le monde, et me dit : « Vous voyez, monsieur Feuillet, en quel état je suis réduite. » — « En un très bon état, madame, lui répondis-je : vous confesserez à présent qu’il y a un Dieu que vous avez très peu connu pendant votre vie. » Il lui dit que toutes ses confessions passées ne comptaient pas, que toute sa vie n’avait été qu’un péché ; il l’aida, autant que le temps le pouvait permettre, à faire une confession générale.
Tout le monde connaît le mérite du Théâtre anglais de M. de La Place. […] Il eût été digne de connaître face à face ce génie qu’il admirait confusément, et d’allumer son âme au tonnerre même. […] Quand Voltaire, quittant Ferney, était arrivé à Paris pour y triompher et y mourir, Ducis n’avait point fait comme tous les gens de lettres qui étaient allés lui rendre hommage, et, n’étant pas connu de lui, il n’avait pas cru devoir le visiter.
C’est parce qu’ils connaissent bien ce mécanisme, que les partis politiques, quelle que soit la pensée qu’ils représentent, apportent une telle passion à s’emparer des sources de l’enseignement. […] Le Bovarysme de l’homme de génie n’a pas reçu, comme le snobisme, Un nom spécial, mais un cliché bien connu le désigne et ouvre une rubrique sous laquelle se classent aussitôt nombre de faits analogues. […] Eux, s’expriment selon les rites ; ils connaissent le signe.
L’Amour, sa Force inhérente, meut la Matière, et son amour veut se connaître. […] Mais cet Amour veut se connaître, ne pouvant se posséder qu’en se sachant, et c’est par le désir d’un fruit né des deux désirs créateurs et en lequel il se définisse, qu’il se connaîtra : et ce troisième désir est ce qui détermine la sortie hors du cercle, en l’elliptique mouvement.
Il n’est personne, parmi les romanciers, qui connaisse mieux Paris dans ses banlieues, ses quartiers excentriques, ses lieux de plaisir et de travail, dans ses aspects changeants de toutes heures, qui sache mieux les intérieurs divers des myriades de maisons parmi lesquelles serpentent ou s’alignent ses rues, qui porte mieux enregistrés dans son cerveau, les physionomies, la démarche, la tournure, les gestes, la voix, le parler, de ses catégories superposées d’habitants. […] Qui ne connaît de son passage dans les bouillons, « cette épouvantable tristesse qu’évoque une vieille femme en noir, tapie seule dans un coin et mâchant à bouchées lentes un tronçon de bouilli ? […] Tous ces traits du pessimisme, connus déjà, sont rassemblés, coordonnés, caractérisés et montrés avec un art merveilleux et pénétrant dans les livres de M.
Il est rare que les peintres réussissent dans les compositions purement allegoriques, parce qu’il est presque impossible que dans les compositions de ce genre, ils puissent faire connoître distinctement leur sujet, et mettre toutes leurs idées à portée des spectateurs les plus intelligens. […] Le prince dont je parle faisoit peindre dans la galerie de Chantilly l’histoire de son pere connu vulgairement en Europe sous le nom du grand Condé. […] Le bien ou le mal que l’histoire en raconte lui donnoit envie depuis long-tems de connoître leur physionomie.
La société est, si l’on peut parler ainsi, un instrument nécessaire à l’homme ; et les révélations dont la société est dépositaire sont le seul moyen par lequel l’homme ait pu parvenir à connaître et à aimer. […] Lorsque vous voyez une peuplade, s’il en existe où l’union des sexes ne soit pas soumise au mariage, dites hardiment que ce sont là les ruines d’une société ancienne qui a péri, et que l’amour n’y subsiste que parce que le saint nœud du mariage y fut connu auparavant. […] Les inventions qui ont été faites pour ainsi dire sous nos yeux, ou dont nous pouvons encore suivre la trace, sont dues à des hommes inconnus, dont les procédés pour y parvenir sont ignorés, ou appartiennent incontestablement au hasard, connue si la Providence eût voulu nous prouver visiblement que nous n’inventons rien.
Jusqu’ici nous ne connaissions Babou que comme un écrivain qui avait travaillé en s’éparpillant ici et là, et avait combattu sous ces tranchées couvertes qui existent aussi en littérature, et d’où le travail le plus héroïque ne sort pas toujours victorieux. […] Dans sa Gloriette, dans son Curé de Minerve, dans son Hercule chrétien et dans son Histoire de Pierre Azam, ce qui le préoccupe, c’est la couleur locale et morale, et les personnages de ses récits presque légendaires ne sont guères que des figures, pour la plupart, connues, et parfois d’une physionomie fatiguée. […] Et quand je dis qu’il va plus loin, il faut entendre qu’il y saute, et avec un geste que la justice ne connaît pas.
Je connais, vous connaissez tous, de détestables livres, qui ont un excellent chapitre trentième. […] Nous le connaissons, et l’intérêt que nous lui portons est surtout fait de la curiosité de savoir comment il sortira des difficultés où l’ont jeté ses passions ou les circonstances de la vie.
comme j’aurais voulu avoir connu de près les auteurs, les inspirateurs de ces récits ! […] On dit que Diderot, ayant un jour entendu vanter la campagne, se hâta d’aller vers le gouverneur de Meudon, qu’il connaissait, et retint une chambre au château ; mais voilà tout ce qu’il en fit ; il laissait passer les étés sans y aller, et comme Delille, sachant cela, lui demanda le logement pour quelques semaines : « Mon cher abbé, lui répondit Diderot, nous avons tous notre chimère, que nous plaçons loin de nous et que nous promenons à notre horizon ; si nous y mettons la main, elle se porte ailleurs ; je ne vais pas à Meudon, mais je me dis chaque jour : J’irai demain.
Esprits immortels de Rome et surtout de la Grèce, Génies heureux qui avez prélevé comme en une première moisson toute heur humaine, toute grâce simple et toute naturelle grandeur, vous en qui la pensée fatiguée par la civilisation moderne et par notre vie compliquée retrouve jeunesse et force, santé et fraîcheur, et tous les trésors non falsifiés de maturité virile et d’héroïque adolescence, Grands Hommes pareils pour nous à des Dieux et que si peu abordent de près et contemplent, ne dédaignez pas ce cabinet où je vous reçois à mes heures de fête ; d’autres sans doute vous possèdent mieux et vous interprètent plus dignement ; vous êtes ailleurs mieux connus, mais vous ne serez nulle part plus aimés. […] Dans cette ode si connue où Horace énumère tout ce qu’il nous faudra quitter bientôt à l’heure de la mort (Linquenda tellus et domus et placens uxor…), il oublie une des plus profondes douceurs, une des plus durables et des plus chères à la vie déclinante, celle de lire Horace et les Anciens : un jour viendra bientôt, charmant poëte, où nous ne te lirons plus !
La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué. Avant d’avoir lu ces lettres, et malgré notre goût bien vif pour tous ses autres ouvrages, il manquait quelque chose à l’idée que nous nous formions du grand homme ; de même qu’on ne comprendrait pas Mirabeau tout entier si l’on ne connaissait aussi ses lettres écrites à la Sophie qu’il aimait.