/ 2113
2034. (1926) L’esprit contre la raison

Marcel Arland emploie l’expression dans un article que lui a commandé Rivière et qu’il intitule : « Sur un nouveau mal du siècle », dans La NRF n°125, février 1924 ; il s’attire une réponse de Jacques Rivière dans les « Notes de la rédaction » du même numéro, dénonçant cette « erreur » d’un très jeune écrivain qui conçoit la littérature comme subordonnée : « Si l’on interroge Paul Valéry sur le sens de son activité, il s’efforce aussitôt de la montrer transcendante par rapport à la littérature, la forme écrite qu’il lui donne n’étant, pour sa pensée, qu’un accident. » Cette allusion à un débat interne à la NRF montre encore combien le texte de Crevel est réactif, prend place dans un échange crucial sur la relation de la littérature au politique.

2035. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Cela vient apparemment de ce que mon imagination s’est assujetie de longue main aux véritables règles de l’art, à force d’en regarder les productions ; que j’ai pris l’habitude d’arranger mes figures dans ma tête comme si elles étoient sur la toile ; que peut-être je les y transporte, et que c’est sur un grand mur que je regarde, quand j’écris ; qu’il y a longtems que pour juger si une femme qui passe est bien ou mal ajustée, je l’imagine peinte, et que peu à peu j’ai vu des attitudes, des groupes, des passions, des expressions, du mouvement, de la profondeur, de la perspective, des plans dont l’art peut s’accommoder ; en un mot que la définition d’une imagination réglée devroit se tirer de la facilité dont le peintre peut faire un beau tableau de la chose que le littérateur a conçu.

2036. (1932) Le clavecin de Diderot

La liberté, la volonté, du moins telles que professeurs et curés les conçoivent, en enseignent la pratique à leurs élèves, à leurs ouailles, ne sont que moyens d’autocratisme. […] Alors, j’y vais de ma petite question : comment le Dr Allendy conçoit-il l’exercice de sa psychanalyse, après l’édification du socialisme ?

2037. (1853) Propos de ville et propos de théâtre

*** Le chef de cabinet d’un ministère racontait l’autre jour, dans un salon, qu’il avait eu le matin sous les yeux une demande signée d’un nom très-connu dans l’industrie, et qui était ainsi conçue : « Monsieur le ministre,  » J’ai un mot à dire à Votre Excellence : je la prie de vouloir bien m’accorder, pour samedi prochain, une audience de deux heures. » *** Dans une maison où elle avait été invitée, et où on l’avait reçue avec toutes les attentions que l’on doit à une femme et à une artiste de talent, mademoiselle *** oublie un soir qu’elle était dans le monde, elle prend le lustre pour la rampe, le parquet pour les planches, et, se croyant en scène, elle commença une conversation où se trouvaient des réflexions dignes de figurer dans le dialogue d’une Lisette avec un Scapin. […] Il y a un mois, il fit jouer une comédie, dont le résultat ne devait pas répondre aux espérances qu’il avait pu concevoir le jour de la première représentation. — Abusé cependant par un succès dont les fabricants entrent ordinairement dans la salle avec le public, M*** disait au foyer, en parlant de sa pièce : « Parbleu ! […] *** J’ai vu tant de fois les monuments de Londres servir de décors au mélodrame, et j’éprouve si peu la nostalgie de l’Ambigu, de la Gaîté et de la Porte-Saint-Martin, que j’avais d’abord conçu le projet de ne point visiter les curiosités historiques de la ville.

2038. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

, n’est lucide que conçue et rédigée par des écrivains sensoriels. […] D’abord, conçu avec méthode, il est exécuté avec beaucoup de soin ; mais ce qui ne manquera pas d’intéresser les lecteurs réfléchis, c’est que la vision qu’il nous soumet est une vision très extérieure à son objet . […] XIII C’est sans doute après avoir lu : « Dans la locution se faire fort de, on tolérera l’accord de l’adjectif : se faire fort, forts, forte, fortes », que Mme Hubertine Auclert adressa aux journaux un billet ainsi conçu : « La féminisation des mots de notre lange importe plus au féminisme que la réforme de l’orthographe.

2039. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

Tout ainsi donc que la vérité serait de tous les temps et de tous les lieux, la même à Paris qu’à Rome, et telle enfin, selon le mot de Malebranche, que l’on ne puisse pas concevoir qu’un Chinois refusât d’en tomber d’accord « après l’avoir bien considérée » ; tout de même, la beauté serait universelle et se réduirait pour nos classiques du xviie  siècle au peu qui subsiste de l’homme ou des choses, quand on en a successivement éliminé, par analyse et par abstraction, toutes les particularités qui déforment l’idéal lui-même en le caractérisant. […] Et la preuve, c’est que, sans parler de ces nouvelles qui — comme le Mariage de vengeance ou l’Histoire de don Raphaël — viennent sans cause et sans profit à la traverse de l’histoire de Gil Blas, la preuve, c’est que, si l’on n’oserait rien ajouter à Gil Blas, on conçoit aisément que Le Sage y eût lui-même ajouté presque autant d’épisodes qu’il eût pu lui convenir, comme il n’est pas douteux qu’il fût possible aussi d’en abréger ou d’en retrancher plus d’un. […] Regardez-la, cette face, si mes souliers n’ont point de semelle, c’est elle qui en est cause… « Or, par toutes les choses que je viens de vous expliquer, vous concevez, mon garçon, que c’est une face joyeuse qui est l’origine du dépit qui m’a conduit à la taverne, où je me suis brouillé avec la vanité de la belle chaussure, et où j’ai bu, de même que j’y boirai toutes les semelles qu’un autre fait mettre à mes souliers. […] De retour à Paris, c’est alors qu’il conçut un moment la pensée d’émigrer en Prusse et de tenter fortune auprès de Frédéric. […] C’est qu’à mesure que le roman moderne avançait dans ses voies, et que l’amour devenait le principal ressort ou, mieux encore, l’âme diffuse du roman, — à tel point qu’à peine aujourd’hui pouvons-nous concevoir un roman sans amour, — il apparaissait plus clairement que Prévost, du premier coup, avait touché, non pas peut-être la perfection, mais assurément l’un des sommets du genre.

2040. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Le comble du malheur et du ridicule serait pour lui d’être trompé ; et il s’est tant et si souvent moqué des autres, qu’il a conçu une peur horrible des brocards qui fonderaient sur sa tête dru comme grêle si pareille mésaventure lui devait arriver jamais. […] ce que j’ai pour vous d’amour et de tendresse         Passe aussi celle d’un époux ; Et ne savez-vous pas dans des moments si doux         Quelle en est la délicatesse ; Vous ne concevez point qu’un cœur bien amoureux Sur cent petits égards s’attache avec étude,         Et se fait une inquiétude         De la manière d’être heureux, En moi, belle et charmante Alcmène, Vous voyez un mari, vous voyez un amant : Mais l’amant seul me touche, à parler franchement, Et je sens, près de vous, que le mari le gêne. […] Il joua le rôle tel qu’il l’avait conçu, et ce fut, je puis l’affirmer à M. du Tillet, d’une exécution magistrale. […] C’est ainsi que la pièce a été conçue et exécutée : c’est ainsi que la pièce doit être jouée.

2041. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

C’est pour eux le tort des journalistes en général et de Prévost-Paradol en particulier, que cette facilité rapide à concevoir et à exprimer ; elle provoque le dédain qu’on a pour les choses légères et fait que le premier ignorant venu leur préférera toujours un volume bien lourd qu’il ne lit pas, mais qu’il garde, à ce journal qui est son viatique et qu’il jette. […] J’en suis si chéri, et la chaîne qui nous enlace est si étroitement commise avec le fil délié de sa vie que je ne conçois pas qu’on puisse secouer l’un sans risquer de rompre l’autre…” « Maintenant, le fil est rompu ; il ne lui reste plus qu’à mourir. […] Il est impossible de contenir son admiration en lisant le récit de la façon dont fut conçu le plan d’Austerlitz. […] » Ainsi fut conçu le plan de la campagne d’Austerlitz, de cette bataille où se confirma encore le génie du grand capitaine, et dont le récit, merveilleux de clarté dans l’œuvre de Ségur, donne la juste impression de cette grande journée qui, selon le mot de l’Empereur, « devait terminer la guerre par un coup de foudre ».

2042. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Les plus savants d’entre nous sont obligés de dépayser leur âme, de rajeunir leur imagination et de franchir des siècles, pour concevoir comment les Grecs ont aperçu, dans les fleuves et les montagnes, des êtres vivants, capricieux, plus puissants que les hommes ; comment les générations très anciennes ont vécu dans le mythe, et, en quelque sorte, dans l’hallucination du divin. […] Sans doute, il retrouvait jusque dans les trivialités voulues de l’élève chéri de Flaubert sa propre manière de concevoir les hommes et les choses, et peut-être aussi, avec moins de rigueur et d’âpreté logique, l’allure et la chaude couleur de son style. […] Il est visible que nous ne concevons plus les anciens à la façon de Bossuet, de l’abbé Barthélemy, ni même d’André Chénier. […] Gustave Flaubert fut, avec moins de philosophie, un apôtre encore plus fougueux de la Littérature, conçue comme l’expression plastique des choses par un artiste insoucieux de leur valeur morale.

2043. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Ce qu’il parvint à réaliser à grand-peine vingt ans plus tard avec le cardinal Mazarin, il le concevait, jeune, auprès du président de Mesmes ; il préludait à cette création (car c’en fut une), à cette espèce d’institution et d’œuvre.

2044. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

L’auteur-amateur avait fait imprimer dans l’intervalle quelques petites dissertations sur la Justesse, sur l’Esprit, sur la Conversation, sur les Agréments ; tout cela venait trop tard, et l’on conçoit que Dangeau, enregistrant dans son Journal la mort du chevalier, ait dit : « C’étoit un homme de beaucoup d’esprit, qui avoit fait des livres qui ne lui faisoient pas beaucoup d’honneur. » Le goût de ces choses, et surtout de cette manière de les dire, avait passé, et, en matière légère comme bien souvent en matière plus grave, le moment est tout ; on n’en rappelle pas.

2045. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre I. Principe des mœurs sous l’Ancien Régime. »

En moyenne, ses déplacements exigent par an un demi-million et davantage162  Pour achever de concevoir ce prodigieux attirail, songez que « des artisans et marchands de tous les corps d’état sont obligés, par leur privilège, de suivre la cour » dans ses voyages, afin de la fournir sur place : « apothicaires, armuriers, arquebusiers, bonnetiers-vendeurs de bas de soie et de laine, bouchers, boulangers, brodeurs, cabaretiers, carreleurs de souliers, ceinturiers, chandeliers, chapeliers, charcutiers, chirurgiens, cordonniers, corroyeurs-baudroyeurs, cuisiniers, découpeurs-égratigneurs, doreurs et graveurs, éperonniers, épiciers-confituriers, fourbisseurs, fripiers, gantiers-parfumeurs, horlogers, libraires, lingers, marchands-vendeurs de vin en gros et en détail, menuisiers, merciers-joailliers-grossiers, orfèvres, parcheminiers, passementiers, poulaillers-rôtisseurs et poissonniers, proviseurs de foin, paille et avoine, quincailliers, selliers, tailleurs, vendeurs de pain d’épice et d’amidon, verduriers-fruitiers, verriers et violons163 ».

/ 2113