Si le tombeau comporte autour de lui quelques êtres qui se meuvent, ce sont ou des oiseaux qui planent au-dessus à une grande hauteur, ou d’autres qui passent à tire-d’aile, ou des travailleurs à qui le labeur dérobe le terme de la vie, et qui chantent au loin.
C’est de là qu’il recueillit, pour la postérité et pour son temps qui ne le croyait pas et qui l’insulta pour sa peine, les paroles qui, créées ou exhalées, allaient s’évanouir, de ce poëte prodigieux qui en Emmerich ne chantait pas, mais disait ce qu’il voyait et, plus que tous les poëtes qui aient jamais souffert, souffrait sa poésie !
IV Il en est de même pour la Correspondance, continuée par Madame Lenormant, et qui nous fait trop toucher, dans des lettres extrêmement médiocres, Madame Récamier, cette fleur idéale de Madame Récamier, qui, après de pareilles lettres, ne sera toujours pas la fleur qui chante !
D’ailleurs, ma muse acquitte un devoir ; elle rend ce qu’elle doit à la vertu, à la patrie, au genre humain, à la nature immortelle et souveraine qui lui a donné, comme à sa prêtresse, la charge honorable de chanter des hymnes en l’honneur de tout ce qu’elle forme de grand et de beau dans l’univers. » On voit quel est le ton et la noblesse de ces éloges ; la vigueur d’âme qui y règne, vaut bien notre délicatesse et notre goût.
Il n’est pas de ceux qui appliquent à la poésie le vieux dicton : « Ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le chante. » Ce qu’il chante, lui, de préférence, c’est ce qui vaut la peine d’être dit, répété et médité ; seulement l’austérité des sujets, la sévérité des pensées de la conscience, enfin la tristesse même de l’impression, peuvent attrister parfois jusqu’aux formes de son langage, et l’amertume exclure l’élégance. […] Sur le toit de chaume, de petits oiseaux, autour de la crèche, des pâtres, dans les airs, l’ange Rachel, chantent la venue du petit enfant, et le bénissent. […] Assis au bord des fleuves, « il compte les vagues qui passent ; pas une ne lui rapportera les jours qui ont été ». — « Passant », dit alors le sphinx, « passant qui chantez si bien, savez-vous donc s’il n’y a plus au Liban du bois de Judée, de quoi tailler une croix ? […] On voit à ses côtés une jeune fille, nommée Rachel, qui n’est autre que ce bel ange qui chantait sur le berceau de Jésus. […] Ahasvérus chante son chant de départ, et le Père Eternel dit au Christ : Ahasvérus est l’homme éternel.
Ils font songer aux paysans du peintre Millet, quand ils chantent avec Milon la rude chanson des batteurs de blé. […] Monteverde, le créateur de l’instrumentation moderne, l’avait tenté depuis longtemps ; dans l’orchestre de son Orfeo ed Euridice, il avait multiplié les timbres en faisant appel à la viole, à la harpe, à la flûte, au trombone et à la trompette aiguë, et chaque divinité chantait accompagnée des instruments qui convenaient le mieux à ses attributions ; les trombones appartenaient à Pluton et les harpes à Orphée. […] Toute occultation humaine devrait être accompagnée de sa mélodie caractéristique : « On chantera un jour à la moisson, à la fenaison, à la vendange, aux semailles, à l’école, à l’atelier. » Ce sera « de la musique réelle, réaliste, appliquée, de l’art en situation144 ». […] On découvre la vapeur, nous chantons Vénus, fille de l’onde amère ; on découvre l’électricité, nous chantons Bacchus, ami de la grappe vermeille ! […] Quoi, nos grandeurs, nos misères, nos aspirations, nos désastres, nos conquêtes ; quoi, tout cela ne mérite pas qu’on le chante, et il faut mettre ses lunettes et feuilleter les historiettes oubliables pour trouver un motif à dithyrambe ou à bas-reliefs165. » Ne finira-t-on pas par renoncer à la peinture « conjecturale » des David, des Delacroix et des Ingres, qui ne peut nous donner que des « illustrations » ?
Malherbe, prenant la lyre espagnole, pour chanter « ces deux grands hyménées », Dont le fatal embrassement Doit aplanir les Pyrénées86, apostrophait ainsi le futur époux d’Anne d’Autriche : Roi que tout bonheur accompagne. […] Supposez chez les tenants de ce défi poétique une sorte de furie, semblable à celle qui fait chanter tous à la fois les oiseaux d’une volière, non pour exprimer leurs petites passions, mais pour s’imiter et se surpasser, vous aurez une idée assez juste de cette poésie. […] n’a-t-il pas quelque bel œil à chanter ? […] Parmi tant de gens qui s’ignorent, qui font des vers sans inspiration, qui se passionnent à froid pour une maîtresse imaginaire, le premier, Boileau, se connaît, ne fait des vers que sur ce qui le touche, ne chante pas les maîtresses qu’il n’a pas, rompt avec le galant, tire sa poésie de son cœur et de sa raison.
Tu n’es qu’un malade qui chante ! […] Chanter ne suffit pas. Les ivrognes chantent. Il faut chanter de belles choses, et avec art. […] C’est un prophète, comme on chante dans la Salomé de Richard Strauss.
Chantez-les donc ; le vannier, « comme il chantait selon son cœur, chacun le comprenait et l’aimait ». […] Et le matin s’éveille : « une lueur courut au faîte des toits, des coqs chantèrent ». […] Le premier dimanche du mois, il ne manque pas d’aller à l’église, d’écouter le sermon, de se lever et de chanter quand il faut. […] Il va au cimetière, tous les ans, un beau jour d’avril ; et, tandis que chantent les merles dans les sombres feuillages, il nettoie la pierre qui recouvre sa première femme. […] Les enfants jouent, les filles chantent, la fontaine murmure ; au cabaret, les camarades s’asseyent sur le vieux banc près des pots de fleurs et des fagots.
En 1848, exalté par les allures dramatiques de la révolution, il se posait, dans un journal qu’il dirigea deux jours, en montagnard intransigeant : il chantait l’Assemblée nationale, poursuivait de ses malédiction le roi détrôné, et son enthousiasme aboutissait à cette exclamation : « Honte à qui n’est pas bon républicain ! […] Depuis Chateaubriand tous les poètes ont chanté ce lourd engourdissement de l’âme, et un tiers peut-être des Fleurs du Mal est consacré à en peindre les nuances et à en accentuer la désolation. […] Je me suis abreuvé dans l’urne universelle D’un amour immense et pieux ; Car je viens du pays où tout chante et ruisselle, Flots des mers et rayons des cieux ! […] Peut-être en un mot a-t-il un peu vécu en dehors de son temps, et alors même qu’il chante des généralités éternelles, comme la beauté, le plaisir, l’amour, la nature, lui a-t-il manqué de savoir se mettre au diapason de ses contemporains les plus raffinés ? […] Pour chanter l’adoration superficielle des beautés de la nature, les joies ou les tristesses de l’amour, la mélancolie vague de l’existence, employer l’orchestration savante et complexe de certains poètes contemporains eût simplement constitué un non-sens, une lourde infériorité, et n’eût servi qu’à glacer l’émotion du lecteur.
Chanterai-je l’amour ? […] C’est notre Provence qu’il eût chantée ; Aix eut égalé la renommée d’Arles, et Sainte-Victoire eût été plus célèbre que les Alpilles. […] Il se mettait alors au piano et chantait sur un air de complainte les poésies de Sully Prudhomme, qui prenaient, avec cette musique, un ton imprévu de prose mirlitonesque. […] On entendait chanter les oiseaux ; les arbres avaient leurs jeunes feuilles, et le square n’était troublé que par le passage pacifique du premier tramway électrique Madeleine-Perret. […] Au Moyen-Age, il eût chanté, lyre en main, dans la cour des vieux manoirs, ou assis aux tables des châtelains hospitaliers.
J’y retrouve une préoccupation d’arrangement : « Les rossignols chantaient Rose, les merles me sifflaient. […] Méry ; les couplets suivants se chantent sur une mélodie solennelle, à la manière des chansons à boire du dix-septième siècle. […] pour ce gamin de génie, qui chanta Rolla en nous berçant à la cadence de son vers ! […] À l’Opéra-Comique, les chœurs ont l’habitude de chanter pendant des heures entières le mot : En avant ! […] … Ces gens qui veulent à toute force chanter des idées me font l’effet des fous qui mettent en vers l’arithmétique ou la trigonométrie.