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383. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

La sensibilité présente, de par sa constitution même, plusieurs caractères réfractaires ou antinomiques aux influences sociales. […] Signalons un autre caractère : le caractère infini de la passion et l’insatiabilité du désir humain. […] Un autre caractère de la sensibilité humaine est la discordance de nos inclinations ; le manque de coordination interne de nos sentiments ; ce sont les désharmonies et les contradictions de notre sensibilité. […] Les caractères que nous venons d’énumérer : unicité, incommunicabilité, instantanéité, insatiabilité du désir, incohérence sentimentale, rendent la sensibilité humaine évidemment impropre à une sociabilité parfaite ou même un peu perfectionnée.

384. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

Le christianisme, avec son caractère universel et absolu, travaille plus efficacement encore dans le même sens. […] Toute conscience gauloise avait péri dès le IIe siècle de notre ère, et ce n’est que par une vue d’érudition que, de nos jours, on a retrouvé rétrospectivement l’individualité du caractère gaulois. […] » En dehors des caractères anthropologiques, il y a la raison, la justice, le vrai, le beau, qui sont les mêmes pour tous. […] De Biarritz à Tornea, il n’y a pas une embouchure de fleuve qui ait plus qu’une autre un caractère bornal. Si l’histoire l’avait voulu, la Loire, la Seine, la Meuse, l’Elbe, l’Oder auraient, autant que le Rhin, ce caractère de frontière naturelle qui a fait commettre tant d’infractions au droit fondamental, qui est la volonté des hommes.

385. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

Son caractère ne dit ni trop ni trop peu. […] Il y a des gens difficiles qui convenant de leur mérite et de la beauté de leur caractère, prétendent qu’elles sont un peu contournées, et que le peintre a serré les cuisses de l’un avec une large bande, sans trop savoir pourquoi. […] Il y a sans doute de la sublimité dans une tête de Jupiter ; il a fallu du génie pour trouver le caractère d’une Euménide, telle que les Anciens nous l’ont laissée ; mais qu’est-ce que ces figures isolées en comparaison de ces scènes où il s’agit de montrer l’aliénation d’esprit ou la fermeté religieuse, l’atrocité de l’intolérance, un autel fumant d’encens devant une idole ; un prêtre aiguisant froidement ses couteaux, un préteur faisant déchirer de sang-froid son semblable à coups de fouet, un fou s’offrant avec joie à tous les tourments qu’on lui montre et défiant ses bourreaux ; un peuple effrayé, des enfants qui détournent la vue et se renversent sur le sein de leurs mères, des licteurs écartant la foule, en un mot, tous les accidents de ces sortes de spectacles ? […] L’expression, la draperie, le caractère de tête et toute la manière de celle-là est du Poussin ; celle-ci est aussi fort belle. […] Est-ce une physionomie traditionnelle dont il ne soit pas possible de s’écarter ; et Rubens a-t-il eu tort dans son Élévation de la Croix, de lui donner un caractère grand et noble ?

386. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Nicolardot au commencement de son ouvrage, — a-t-il été assez vertueux ou assez généreux pour qu’il soit téméraire de juger qu’il n’aurait pas refusé de se laisser conduire aveuglément par un caractère vil et bas ?  […] À côté du plus séduisant esprit qui ait peut-être jamais existé, il a placé, pour en diminuer le charme par le mépris, l’immoralité et les turpitudes du caractère. […] Les voltairiens, qui croient bien à l’esprit de Voltaire, ne croient pas tout à fait autant à son caractère, à sa conscience, à son être moral enfin ! […] Louis Nicolardot n’a vu que cela, lui, la moralité de Voltaire, dans cette biographie qui ne touche pas à son génie, mais qui veut seulement en infirmer l’action en lui opposant l’indignité et l’abjection du caractère. […] Ainsi, par exemple, à toute page et presque à chaque ligne éclate et rayonne cette capacité formidable d’homme d’affaires, qui était en Voltaire à un bien autre degré que tous ses autres talents, et qui en lui, plus encore qu’en Beaumarchais, son Sosie diminué, commence de briller, comme le caractère de la Bourgeoisie moderne dans l’avenir.

387. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

C’est là le caractère le plus visible de son génie. […] Seulement, dans ce volume sur les Manuscrits, que je regarde comme l’épi vidé de l’autre beau volume si plein sur les Idées et les travaux de Buffon, il y a cette biographie extérieure que M. de Flourens n’avait encore jusqu’ici qu’ébauchée et dont on peut se passer d’autant moins, quand il s’agit de cet homme, d’une si magnifique ordonnance, que son talent explique sa vie comme sa vie explique son talent, et que les triples pentes de l’esprit, du caractère et de la destinée se confondent et forment son identité. […] Flourens, il est vrai, n’est pas un savant délivrés ou d’idées pures, c’est un naturaliste, un expérimentateur, c’est-à-dire un esprit incessamment à l’affût du caractère interne ou externe des choses, et, pour cette raison, il ne pouvait guère oublier les caractères de l’homme dans le contemplateur du belvédère de Montbar. […] Flourens, se trompa d’abord sur la méthode, rien n’étant moins dans la nature de son esprit que les nomenclatures et les caractères généraux.

388. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Un tel caractère de réalité, de précision jusque dans les moindres détails, ne saurait appartenir à une fiction. […] croyez-vous avoir traversé sans conséquence un milieu sans caractère ? […] L’attention affectueuse est un des caractères de son talent. […] Elle se présentait avec le caractère qu’elle aura toujours dans ce pays, la gravité, la solennité. […] Tel devait être, on le sent bien, le caractère de la vraie religion ; mais je m’étonne que des esprits nullement superficiels aient pu méconnaître ce caractère dans l’Évangile.

389. (1921) Esquisses critiques. Première série

Il a donné sur certains caractères russes des pages qui les éclairent singulièrement. […] Car si l’évolution d’un caractère peut être un excellent sujet de pièce (ou d’étude), c’est un mauvais moyen dramatique que l’on tire d’un changement de caractère qui a eu lieu pendant l’entracte sans explication. […] Rencontre-ton d’ailleurs des caractères dans ces comédies ? […] Toulet où nous lui voyons des caractères particuliers. […] Ce caractère et ces attraits sont exactement ceux que l’on va reconnaître dans les romans de M. 

390. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

La fidélité à exprimer le caractère de son éloquence. […] L’onction en fait le principal caractère ; l’élégance n’y manque pas, mais ce n’est pas la principale qualité qui y domine. […] Le caractère du P. […] Le principal caractère de l’éloquence du P. […] C’est encore le caractère de Mr. l’Abbé Clément.

391. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Elle explique la pensée, la volonté, la moralité à sa manière, c’est-à-dire en altérant les caractères essentiels de toutes ces choses et en les ramenant aux lois de la nature. […] Littré montre fort bien qu’elle est toujours possible dans sa doctrine, mais en changeant de caractère et de méthode. […] Comment identifier des phénomènes aussi différents par leurs caractères propres et par les organes d’observation qui les constatent ? […] Et cela n’est pas seulement vrai de l’homme, mais de l’animal, mais de la plante, mais de tout ce qui, dans la nature, a le caractère de l’individualité. […] Quand on regarde, ainsi que le font nos savants, l’homme moral du dehors et dans les manifestations extérieures de son activité, on s’arrête aux signes physiques et aux caractères physiologiques de ces phénomènes ; on ne pénètre pas jusqu’aux caractères intimes, aux causes véritables de ces divers états.

392. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Les Placets au Roi et la préface du Tartufe marquent assez le caractère tout moral et philosophique de la seconde lutte, si souvent depuis et si ardemment continuée. […] Remarquez, monsieur, ajoutoit Despréaux, que Molière a fait, sans y penser, le caractère de ses poésies, en marquant ici la différence de la peinture à l’huile et de la peinture à fresque. […] Shakspeare a de plus que Molière les touches pathétiques et les éclats du terrible : Macbeth, le roi Lear, Ophélie ; mais Molière rachète à certains égards cette perte par le nombre, la perfection, la contexture profonde et continue de ses principaux caractères. […] Et sa lucidité néanmoins, sa froideur habituelle de caractère au centre de l’œuvre si mouvante, n’aspirait en rien à l’impartialité calculée et glacée, comme on l’a vu de Goëthe, le Talleyrand de l’art : ces raffinements critiques au sein de la poésie n’étaient pas alors inventés. […] Dix ou quinze ans plus tard seulement, au temps où paraissaient les Caractères, cela lui eût été moins facile.

393. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Duclos avait un caractère, ou du moins une nature primitive très caractérisée, une manière d’être à lui, qu’il imposa partout où il fut. […] L’abbé Du Resnel lui disait doucement : « Monsieur, on ne doit prononcer à l’Académie que des mots qui se trouvent dans le Dictionnaire. » L’abbé de Voisenon, qui reconnaît que Duclos était peut-être celui de toute l’Académie qui entendait le mieux la métaphysique de la grammaire, l’y trouvait « d’un caractère trop peu liant et trop républicain ». […] Voici quelques-unes des idées et des réserves de Duclos au sujet du livre de Beccaria, et dont il s’ouvre de vive voix à l’auteur même : Après lui avoir fait compliment sur le caractère d’humanité qui l’avait inspiré, je ne lui dissimulai point que je n’étais pas de son sentiment sur la conclusion qui tend à proscrire la peine de mort pour quelque crime que ce puisse être. […] En rassemblant ces divers faits un peu disparates, j’ai senti plus d’une fois combien le caractère d’un homme est compliqué, et avec quel soin on doit éviter, si l’on veut être vrai, de le simplifier par système. […] J’ai assez fait ressortir ce qui lui manquait pour atteindre au grand et à l’excellent ; il serait encore à souhaiter, malgré tout, qu’il y eût beaucoup de gens d’esprit aussi sensés, de caractères hardis aussi prudents et aussi positifs dans l’application, de facilités rapides aussi fermes et précises, aussi aptes à quantité d’emplois justes et sûrs.

394. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXI » pp. 323-327

Mais ce que tous les esprits sérieux liront avec intérêt, c’est le livre qui retrace la vie et le caractère d’Abélard. […] Il le montre bel esprit éloquent et profond, talent supérieur, caractère faible, et d’une sensibilité inquiète et maladive qui devance certaines tristesses toutes modernes. […] Héloïse y est proclamée et démontrée bien supérieure à lui de caractère et de cœur, et au moins son égale pour l’esprit, — peut-être la première des femmes.

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