Et Daudet reprend que, pendant toutes ces années, il n’a rien fait, qu’il n’y avait alors chez lui, qu’un besoin de vivre, de vivre, activement, violemment, bruyamment, un besoin de chanter, de faire de la musique, de courir les bois avec une pointe de vin dans la tête, d’attraper des torgnoles. […] Je me sens le besoin de vivre jusqu’à l’heure du spectacle, avec des gens qui m’aiment. […] Et Daudet dit qu’il aimerait à peindre cet engourdissement endormant de la douleur dans le plus secret de l’être, décrit joliment le côté enfantin, que ces choses amènent chez l’homme, avoue le besoin qu’il a, lui, de prendre la main de sa femme, dans un attouchement de bébé, quand le calmant opère. […] » Il nous entretient alors de son peu de besoin de sommeil, de son plaisir à veiller, qui lui permet de travailler, et le délivre de rêves affreux, de rêves atroces… « De rêves d’alcoolisé », lance Daudet en riant. « Oh ! […] Je n’ai pas besoin de dire que, sauf sa belle et grande fierté littéraire, il y a peut-être autant de convention dans ce récit, que dans le costume du narrateur.
Sa brusque invasion, son accroissement irrésistible, le besoin de la saisir, de la presser dans tous ses enchaînements, de l’approfondir en tous ses points, entraînaient ce cerveau puissant auquel la volonté ne mettait plus aucun frein. […] Le jeune Ampère connaissait déjà toute la partie élémentaire des mathématiques et l’application de l’algèbre à la géométrie, lorsque le besoin de pousser au-delà le fit aller un jour à Lyon avec son père. […] Toute sa vie il sentit le besoin de l’amitié, d’une communication expansive, active, et de chaque instant : il lui fallait verser sa pensée et en trouver l’écho autour de lui. […] La Religion, la Science, double besoin immortel ! […] Les hommes ont besoin qu’on leur impose.
Est-ce besoin incessant de l’écho et de l’applaudissement de ces salons qui lui renvoyaient tous les soirs la gloire et l’enthousiasme pour chaque phrase ? […] tout cela à la fois peut-être ; mais rien de cela n’est assez grand pour n’être pas dédaigné au besoin par une grande âme, et pour motiver l’éternelle désolation qui gémit depuis ce jour dans les écrits et dans les sanglots de madame de Staël. […] Éloignée de Paris, madame de Staël avait besoin de changer de scène. […] Le besoin de mouvement et de public la poussa bientôt au-delà du Rhin. […] Penser fortement, sentir sincèrement, agir dignement, parler éloquemment, agir au besoin héroïquement étaient à ses yeux une même condition littéraire.
Les sens ont été organisés, par voie d’adaptation progressive, non pour servir à des connaissances intellectuelles et spéculatives comme celles dont parle Platon, mais pour répondre aux besoins très pratiques de l’appétit et du « vouloir-vivre ». […] L’évolution des sensations, leur passage de l’homogénéité à l’hétérogénéité, est déterminé par le besoin, par le désir de vivre. […] Par suite, le degré de perfectionnement atteint par chaque organe des sens correspond exactement au besoin fonctionnel, c’est-à-dire à l’utilité et à la force qu’en retirait l’individu dans la lutte pour la vie, à l’augmentation de bien-être qui en dérivait pour lui et pour son espèce. […] Nous sentons immédiatement une puissance exercée sur la nôtre, sans avoir besoin de la comparer ni de l’évaluer. […] James Ward remarque que l’employé qui pèse des lettres avec la main arrive à juger directement le poids de chacune en particulier, sans avoir besoin de dire que la première est la moitié ou le tiers de la seconde, et sans se rapporter à une commune mesure.
On n’a besoin que d’une certaine activité nécessaire pour une prompte expédition, que d’embrasser des détails familiers par l’habitude, d’avoir présent à l’esprit le texte de quelques règlements, des formes prescrites, des usages qui ont force de loi. […] On peut appliquer à M. de Meilhan ce que lui-même a dit quelque part de La Rochefoucauld et de ce besoin de tout expliquer par l’amour-propre : M. de La Rochefoucauld est peut-être un peu suspect ; il est comme ces médecins qui, dans toutes les maladies, voient celle qu’ils ont le plus particulièrement étudiée ; mais enfin il a des traits de lumière qui pénètrent jusqu’au fond du cœur, et je lui dois en partie de me connaître. […] Sans faire entrer dans son analyse de l’homme d’autres éléments que les besoins physiques et, au moral, le mobile de l’ambition ou de la vanité, il a pourtant compris que cette bonne compagnie, définie comme on l’entendait alors, et devenue le plus tiède et le plus tempéré des climats, était mortelle au génie, à la grandeur, à la force naturelle en toutes choses : Ne cherchez pas le génie, dit-il, l’esprit, un caractère marqué dans ce qu’on appelle la bonne compagnie. […] Les grands hommes n’ont jamais vécu dans les cercles de la bonne compagnie ; ils y paraissent, mais les entraves dont elle accable l’homme supérieur l’en écartent : il vit en famille, avec sa maîtresse (voilà la marque et le petit signe libertin du xviiie siècle, qui se mêle à tout), avec des amis particuliers ; il cherche la confiance, et il n’a pas besoin des petits succès de la société pour s’assurer de sa valeur… Ce qui ne peint pas moins M. de Meilhan que son moment de société, c’est que dans ce regret général qu’il exprime de voir les caractères s’effacer de la sorte, il trouve moyen de songer même à la disparition prochaine des grands fats et des Alcibiades qui vont chaque jour en diminuant ; il le dit d’ailleurs d’une manière piquante : Il est des genres dans la société qui se perdent ; c’est ainsi que certains poissons, après avoir longtemps abondé sur les côtes, disparaissent pour des siècles.
Petit écolier poli, petit monsieur déjà mondain, ayant besoin, pour s’affectionner aux choses, qu’on lui parlât civilement, il ne rencontra guère que des pédagogues qui le rebutèrent, et il s’habitua à confondre le pédantisme et la discipline. […] Marolles, en embrassant ce genre de vie, avait-il donc besoin d’être consolé de quelque chose ? […] C’est chez lui besoin d’occuper ses heures, besoin d’occuper les autres de soi, désir de servir le public, gloriole, vanité puérile ou sénile, comme on le voudra, qui ne fera que croître avec les années, qu’on a fort raillée en son temps, mais qui lui a fait faire du moins certaines choses utiles.
Voltaire est le premier, et il demeure incomparable : vif, naturel, facile, toujours prêt, donnant au moindre compliment un tour aisé, une grâce légère, exprimant au besoin des pensées sérieuses, mais les déridant bientôt, et toujours attentif à plaire, à faire rire l’esprit. […] Buffon avait essentiellement besoin d’auxiliaires, de collaborateurs. […] Buffon, dès l’entrée, ordonnateur par vocation, reconstructeur auguste de la nature, sent le besoin d’agir en grand, de commander à des masses de faits ; mais tous les faits n’étaient pas prêts, tant s’en faut ! […] Conformez-vous en entier, pour tout le reste, aux avis de M. de Faujas, qui vous fera part de toutes mes intentions et vous remettra vingt-cinq louis de ma part ; et si vous avez besoin des trois mille livres que vous devez recevoir le 4 août, je les donnerai à M.
Paris l’appelait, et le Journal des Débats, qui avait besoin d’une plume finement aiguisée, recourait à lui. […] … La question générale ainsi posée, en ces termes abstraits, serait d’une solution peut-être trop commode ; mais la vraie solution pratique consiste à savoir si telle nation, dans telles circonstances données, avec son humeur, son génie, son passé récent, son culte de souvenirs, ses besoins d’ordre et de réparation, ses autres besoins innés et non moins réels d’initiative, de prépondérance et de grandeur, peut et veut se gouverner de la première manière, si elle en est avide, désireuse et capable, si ce gouvernement de soi par soi-même n’aboutirait pas à la ruine de tout gouvernement, à l’anarchie et à la subversion. […] Je suis là-dessus respectueux, mais positif : je ne nie pas la sincérité et la chaleur des convictions, mais j’ai besoin de me les expliquer, et je dis que le fond de ces convictions mêmes se met toujours d’accord en nous à la longue avec nos talents, nos vocations et nos désirs.
avec un esprit si distingué, ce semble, si pénétrant et si zélé, le duc de Bourgogne ne sentit jamais le besoin de ne plus marcher à la lisière. […] Il écrivait à l’abbé Fleury dès 1695 : « Son naturel le porte ardemment à tout le détail le plus vétilleux sur les arts et l’agriculture même. » Quinze et dix-sept ans plus tard (1712), il pensait et disait encore la même chose, et cette fois au sujet de la religion : « Il a besoin d’acquérir, si je ne me trompe, une certaine application suivie et constante, pour embrasser, toute une matière, pour en accorder toutes les parties, pour approfondir chaque point principal ; autrement cette lumière, qui est grande, ne ferait que flotter au gré du vent. […] Il faut du nerf dans l’esprit, et une autorité efficace… » Fénelon écrivait cela au duc de Chevreuse, quinze jours avant la mort du prince qui était dans sa trentième année ; c’est un dernier mot, et qui revient à dire que le duc de Bourgogne a besoin de coup d’œil, de dominer sa matière, de ne pas s’y perdre et s’y noyer. […] Il en était fort triste, ayant besoin de plaire.
Les hommes de lettres d’Italie, pour retrouver les manuscrits antiques qui devaient leur servir de guides, ayant besoin de la fortune et de l’approbation des princes, étaient plus éloignés que dans tout autre pays du genre d’indépendance nécessaire à cette philosophie. […] Dans les pays où les prêtres dominent, tous les maux et tous les préjugés se sont trouvés quelquefois réunis ; mais la diversité des gouvernements, en Italie, allégeait le joug des prêtres, en donnant lieu à des rivalités d’états ou de princes, qui assuraient l’indépendance très bornée dont les sciences et les arts ont besoin. […] Les gradations de la pensée, les nuances du sentiment, ont besoin d’être approfondies par la méditation ; et ces paroles agréables qui s’offrent en foule aux poètes italiens pour faire des vers, sont comme une cour de flatteurs qui dispensent de chercher, et souvent empêchent de découvrir un véritable ami. […] Les Italiens n’ont pas besoin d’être attendris, et les auteurs, faute de spectateurs, et les spectateurs, faute d’auteurs, ne se livrent point aux impressions profondes de l’art dramatique.
Le moins qu’ils risquent, c’est de refaire toujours le même livre, car le champ de leurs observations, si tant y a qu’ils aient besoin d’observer, est vite parcouru ; le nombre de leurs effets est extrêmement limité ; et rien ne ressemble plus à une… oaristys vue par le côté qu’ils aiment, qu’une autre oaristys vue par le même côté. […] C’est, dans Tartarin de Tarascon, la jolie esquisse — et combien vraie pour ceux qui ont vu les choses de l’Algérie française, de ce cocasse et fantastique mélange de l’Orient et de l’Occident…, « quelque chose comme une page de l’Ancien Testament racontée par le sergent La Ramée ou le brigadier Pitou » Au reste, le conteur n’a pas besoin de mêler aux continents pour obtenir d’amusantes ou tristes antithèses. […] Alphonse Daudet n’a pas besoin de remuer de si grandes douleurs pour nous induire en attendrissement. […] Au besoin, on caractériserait MM. de Goncourt et M.
Voltaire, du premier jour qu’il débuta dans le monde et dans la vie, semble avoir été lui tout entier et n’avoir pas eu besoin d’école. […] Cependant Voltaire n’était pas un pur Descartes, il avait besoin aussi de l’amitié, des arts, des excitations sympathiques de chaque jour. Haï des uns, et le leur rendant, il avait besoin d’être aimé et caressé des autres. […] ils te désireraient, mais ils ne peuvent t’atteindre. » En ce qui est du roman même, Turgot regrette que l’auteur ait mieux aimé faire une héroïne à la Marmontel, et qui renonce au mariage par un sentiment exagéré de délicatesse, que d’avoir conduit la passion à une conclusion plus légitime et plus naturelle : « Il y a longtemps que je pense, dit-il, que notre nation a besoin qu’on lui prêche le mariage et le bon mariage. » Il voudrait que l’auteur n’eût pas manqué ce sujet-là en terminant, et il lui conseille d’y revenir dans une suite dont il trace le plan lui-même.