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310. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Mais le neuf en ce genre est ce qui est véritablement ancien. Cela n’empêche pas bien des plaintes, bien des regrets de ceux qu’on exproprie de leurs vieilles admirations et qu’on dérange de leurs habitudes : ils s’étaient logés dans un ancien auteur, ils y avaient fait leur nid et leur lit, et voilà qu’on le leur rebâtit et qu’il faut en déménager. […] Regnier lui-même et ses. collaborateurs les plus au fait de l’ensemble du travail et des résultats ; et voici ce qui m’a été répondu, ce qui me paraît à la fois curieux et rassurant, — curieux pour ceux qui veulent du nouveau, rassurant pour ceux qui tiennent à leur culte ancien. […] Mais Bussy a tort de réveiller, comme on dit, le chat qui dort, et de faire allusion à l’ancienne brouille ; il sera battu toutes les fois qu’il essayera de recommencer, et il en prendra de l’humeur. […] Chez Techener : — une édition faite avec élégance et avec exactitude, mais d’après le chevalier de Perrin et surtout d’après l’ancien Monmerqué, et sans en démordre d’un iota.

311. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

De pareilles questions théoriques sont insolubles, interminables : il n’y a rien de tel que des œuvres, — et non pas les anciennes, les froides ou refroidies, mais des œuvres présentes et palpitantes, — pour apporter dans le débat leur exemple sensible à tous, un succès décisif et triomphant. […] Flaubert a choisie pour fond et pour sujet de son récit, et qu’il a voulu peindre dans tout le détail de ses atrocités, l’offrant comme une espèce de type de la guerre chez les Anciens ou du moins chez les peuples d’Afrique. […] Ils sont attablés à un grand festin pour célébrer l’anniversaire d’une de leurs victoires en Sicile, et on leur a livré pour cette orgie soldatesque les jardins même d’Hamilcar leur ancien général, alors absent de Carthage et pour le moment peu en faveur auprès de ses concitoyens. […] Flaubert, dans ce livre d’un art laborieux, n’a fait que reprendre en effet et recommencer sur la civilisation punique la même entreprise épique que Chateaubriand a tentée, il y a plus de quarante ans, dans les Martyrs, pour l’ancienne civilisation gréco-romaine aux prises avec le Christianisme. […] Emportée par les souvenirs de Carthage, elle chantait maintenant les anciennes batailles contre Rome ; ils applaudissaient.

312. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

M. de Senfft désirait in petto un rétablissement complet de la Pologne, mais sans le concours de la France, par un soulèvement spontané des anciennes provinces polonaises, à la faveur de la guerre que la Russie soutenait alors contre les Turcs, avec je ne sais quels efforts combinés de l’Autriche, de la Suède, d’une partie de l’Allemagne du centre, et avec l’assentiment de l’Angleterre, — tout un rêve : il dut contenir de telles pensées dans son for le plus intérieur, et les quelques Polonais auxquels il crut pouvoir s’en ouvrir en confidence, n’étaient pas en position d’y aider. […] Bignon, avocat de Rouen, ancien protégé de M. de Talleyrand et qui avait été l’instrument de l’expulsion de l’Électeur de Hesse à Cassel, et des exactions de la guerre de 1807 à Berlin ; puis envoyé à la Cour de Bade, il avait fait des vers pour la princesse Stéphanie. […] Il s’agissait de pousser en Pologne, et dans le duché et dans toutes les anciennes provinces devenues russes, au soulèvement national universel, d’organiser « une Vendée polonaise », de s’associer, en le dirigeant habilement, à ce mouvement résurrectionnel d’une race si naturellement électrisée. […] Quoi qu’il en soit, l’effet de cette séance d’ouverture fut grand ; la proclamation des mots sacrés et chéris qui déclaraient l’ancienne patrie existante et revivante, enleva tous les cœurs. […] Un Français, un ancien ecclésiastique, d’abord attaché au maréchal Davout et qui se trouvait à cette époque à Varsovie, l’abbé Gley, en prenant spontanément la défense de M. 

313. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

La nature étudiée, attaquée par tous les points, poursuivie dans ses détails, embrassée dans ses ensembles, décrite, dépeinte, admirée, connue ; — ce qui reste de barbarie cerné de toutes parts ; — les antiques civilisations rendues de jour en jour plus intelligibles, plus accessibles ; — le contact des religions considérables amenant l’estime, l’explication et jusqu’à un certain point la justification du passé, et tendant à amortir, à neutraliser dorénavant les fanatismes ; — une tolérance vraie, non plus la tolérance qui supporte en méprisant et qui se contente de ne plus condamner au feu, mais celle qui se rend compte véritablement, qui ménage et qui respecte ; — au dedans, au sein de notre civilisation européenne et française, un adoucissement sensible dans les rapports des classes entre elles, un désarmement des méfiances et des colères ; un souci, une entente croissante des questions économiques et des intérêts, ou, ce qui revient au même, des droits de chacun ; le prolétaire en voie de s’affranchir par degrés et sans trop de secousse, la femme trouvant d’éloquents avocats pour sa faiblesse comme pour sa capacité et ses mérites divers ; les sentiments affectueux, généreux, se réfléchissant et se traduisant dans des essais d’art populaire ou dans des chants d’une musique universelle : — tous ces grands et bons résultats en partie obtenus, en partie entrevus, les transportent ; ils croient pouvoir tirer de cet ordre actuel ou prochain, de cette conquête pacifique future, un idéal qui, pour ne pas ressembler à l’ancien, n’en sera ni moins inspirant, ni moins fécond. […] Les anciens poètes grecs avaient un seul mot pour dire lumière et homme (φώς), comme si l’homme était réellement le phare de la création. […] Il est vrai que, chez les Romains, ce mouvement n’était pas aussi expansif que chez les Grecs ; le monde ancien, au temps de Trajan, d’Adrien, même d’Auguste, était plus porté à se contenir, à se défendre qu’à s’étendre et à se propager. […] » C’est donc sur une plus grande échelle et avec des moyens d’action plus puissants que ceux dont disposaient les anciens, c’est avec des instruments et un outillage (le mot est lâché) bien autrement formidable, c’est aussi avec une conscience plus claire et plus réfléchie de leur tâche, que les modernes se remettent en marche et entreprennent désormais l’œuvre progressive de la civilisation proprement dite ; la différence des proportions et des mesures méritait en effet un mot tout nouveau. […] Jullien, celui qu’on appelait Jullien de Paris, qui, jeune, s’était fait tristement connaître par son fanatisme révolutionnaire, et qui, vieux, tâchait de faire oublier ses anciens excès par son zèle honorable de fondateur de la Revue encyclopédique, avait à la bouche, à chaque phrase, le mot de civilisation : c’était devenu un tic chez ce petit vieillard si actif et toujours courant. — Le mot est naturel et habituel dans l’ordre d’idées et dans la langue de Condorcet, de Volney ; il revient nécessairement sous leur plume, comme le mot de Dieu sous celle des dévots, et il tend à le remplacer : il marque leur religion aussi.

314. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Essai, sur, les études en Russie » pp. 419-428

Soit raison, soit préjugé, je croirai difficilement qu’on puisse se passer de la connaissance des Anciens. […] Mais je pense que l’étude des langues anciennes pourrait être abrégée considérablement, et mêlée de beaucoup de connaissances utiles. […] La connaissance des mots nuira à la connaissance des choses, l’étude des langues anciennes sera abandonnée pour celle des langues modernes. […] Cependant il faut posséder la langue d’un peuple pour ses anciennes richesses, tandis qu’il faut apprendre celle d’un autre pour ses richesses actuelles. […] A cette époque, le monde était si ancien, que les fils des hommes avaient poussé leurs connaissances au plus haut degré.

315. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

D’une bonne et ancienne famille originaire du comté de Kent, ayant un grand-père et un père tories, il naquit à Putney dans le Surrey, le 27 avril 1737. […] Le malheur des historiens modernes, et auquel échappaient les anciens, c’est que, de nouveaux documents survenant sans cesse, le mérite de la forme et de l’art n’est plus compté comme il devrait l’être, et que les derniers venus, souvent sans être meilleurs, mais en paraissant mieux armés de toutes pièces, étouffent et écrasent leurs devanciers. […] Gibbon se pique de prouver que l’érudition bien comprise n’est pas une simple affaire de mémoire, et que toutes les facultés de l’esprit n’ont qu’à gagner à l’étude de l’ancienne littérature. Il montre très bien qu’on lit peut-être encore les anciens, mais qu’on ne les étudie plus ; il le regrette. Il fait voir que la connaissance véritable de l’Antiquité est le résultat d’un ensemble très varié, très détaillé, sans lequel on ne fait qu’entrevoir les beautés des grands classiques : « La connaissance de l’Antiquité, voilà notre vrai commentaire ; mais ce qui est plus nécessaire encore, c’est un certain esprit qui en est le résultat ; esprit qui non seulement nous fait connaître les choses, mais qui nous familiarise avec elles et nous donne à leur égard les yeux des anciens. » Il cite des exemples tirés de la fameuse querelle des anciens et des modernes, et qui prouvent à quel point, faute de cette connaissance générale et antérieure, des gens d’esprit comme Perrault ont décidé en aveugles de ce qu’ils n’entendaient pas. — Il y a, chemin faisant, des vues neuves et qui sentent l’historien.

316. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Il y a eu la querelle des anciens et des modernes ; cette question est loin d’être épuisée, et elle recommence toujours. […] L’indépendance des idées est nécessaire à l’indépendance de l’admiration. » Ils veulent du présent, du vif, du saignant dans les œuvres : « En littérature, on ne fait bien que ce qu’on a vu ou souffert. » L’Antiquité leur paraît encore à juger ; ils ne paraissent accepter rien de ce qu’on en dit ; ils croient que tout est à revoir, et que le procès à instruire n’est pas même commencé ; ce respect du passé en littérature, ce culte des anciens à tous les degrés, qu’il s’agisse des temps d’Homère ou du siècle de Louis XIV, est, selon eux, la dernière des religions qu’on se prendra à examiner et à percer à jour : « Quand le passé religieux et politique sera entièrement détruit, peut-être commencera-t-on à juger le passé littéraire. » Ils ne font grâce entre les anciens qu’à Lucien, peut-être à Apulée, à cause de l’étonnante modernité qu’ils y retrouvent : ce sont pour eux des contemporains de Henri Heine ou de l’abbé Galiani. […] L’un est le dernier esprit de l’ancienne France : l’autre est le premier génie de la France nouvelle. » Ce n’est pas moi qui retirerai jamais rien à Diderot ; mais on conçoit que Voltaire soit immortel ; il ne l’a certes pas volé ! […] Qu’il est bon de relire quelquefois les anciens dans leurs grandes sources ! […] On ne peut pourtant pas s’inquiéter à tout jamais des anciens, je le sais, et les avoir sans cesse interposés entre son objet et soi.

317. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

La Perse, depuis une époque ancienne, conçut l’histoire du monde comme une série d’évolutions, à chacune desquelles préside un prophète. […] Les anciens écrits hébreux ne renferment aucune trace de rémunérations ou de peines futures. […] On ne trouve chez l’ancien peuple d’Israël que des traces tout à fait indécises de ce dogme fondamental. […] Aux ruines qui restent de son ancienne splendeur, on sent un peuple agricole, nullement doué pour l’art, peu soucieux de luxe, indifférent aux beautés de la forme, exclusivement idéaliste. […] L’aspect des grandes métairies s’est encore bien conservé dans le sud du pays de Tyr (ancienne tribu d’Aser).

318. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Royer-Collard, celle de M. le duc de Broglie en législation, ou encore ces hautes idées de justice primordiale que l’ancien Portalis léguait à son fils. […] Il est curieux de voir comment d’Aguesseau, par ses efforts modérés de raison, et tout en ne songeant qu’à s’appuyer aux anciens, penche déjà plus qu’il ne croit du côté de l’avenir. […] Quand il s’agit de Mme la chancelière, son épouse, et des hommages poétiques qu’on lui adresse, M. d’Aguesseau semble complimenteur un peu à l’ancienne mode. […] D’Aguesseau était encore de cette race d’hommes qui ne pouvaient avoir une pensée sans en demander la permission et l’expression à quelque ancien. […] C’est à quoi d’Aguesseau fait allusion ; il aimait à citer ce mot de saint Augustin, et si, dans le cas présent, il s’est permis un trait de mauvais goût, ç’a été à condition encore que ce fût d’après un ancien et d’après un Père de l’Église.

319. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

La rime est aussi ancienne que le vers français et presque aussi ancienne que le vers latin syllabique ; c’est le troisième élément. […] Dans l’alexandrin ancien, l’accent est toujours en principe à la sixième syllabe ; et, si cet accent principal doit être déplacé, si l’affirmation de la pensée exige un temps fort avant ou après la sixième syllabe, cette sixième syllabe garde néanmoins un accent second. […] Kahn emprunte à l’ancienne versification, est donc erronée  ; mais cette erreur, dans le vers libre n’est pas essentielle. […] La prose rythmique tient à la fois de la prose et du vers  ; c’est ce que nous dit l’auteur d’une ancienne Vie de Saint-Wulfram : elle tend à quelque similitude avec la douce cadence du vers, ad quamdam tinuli rhythmi similitudinem 209 ; elle ne se compose pas absolument de vers, puisque ses vers ou versets n’ont pas un nombre fixe d’accents ; elle n’est point de la prose pure, puisque l’accent y joue un rôle sans doute prépondérant, quoique obscur. […] Poèmes anciens et romanesques.

320. (1925) La fin de l’art

de ne pas avoir de valeur raisonnable, objective, car ce futuriste use du jargon ancien. […] C’est bien par hasard, à mon avis, que ce nouveau verbe s’est adapté à l’ancien imparfait du verbe poindre. […] Au fait, où a-t-il pris cela, que le mariage, chez les anciens, était basé sur le pur amour ? […] Les livres anciens ont trouvé de vrais amis. […] Il est certain qu’on ne rétablira jamais les provinces dans leur état ancien.

321. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

L’ancien a disparu, ou disparaît, ou doit disparaître ; il en faut un nouveau. […] D’autre part l’ancien pouvoir spirituel, qu’était-il devenu ? […] Nous ne sommes pas sortis de l’ancien système (antérieur à 1789). […] Non, « l’ancien système » n’a pas disparu. […] De même Ballanche était obsédé de l’histoire de la Révolution française tout autant que des mythes de l’ancienne Grèce, de l’ancienne Égypte et de l’Inde ancienne.

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