Par ce temps, elle vit dans l’eau et l’air glacés, à la façon d’une espèce de monstre boréal, inventé par la mythologie scandinave. […] Dans la serre où l’on fume après dîner, on est gelé par des courants d’air venant de la couverture, ou étouffé par les bouffées de chaleur des bouches du calorifère. […] Mon frère était à côté de Mme ***, cette femme aux yeux d’aigue-marine, cette femme si rare, si distinguée, si étrangement attirante par son air diaboliquement vertueux. […] Il a son air, son costume rustique, sa barbe inculte, son teint sanguin, ses yeux saillants. […] L’autre jour il mettait notre vin en bouteilles, aidé d’un gandin à l’air humilié, et rinçant les bouteilles avec un faux diamant au doigt.
Il me conte l’habitude qu’il a prise, de dessiner, de peindre en plein air, debout, et cela, pendant huit ou dix heures, disant qu’assis, il retient sa respiration, penché qu’il est sur son travail, tandis que tout droit dans la campagne, il respire à pleins poumons. […] La femme, sortie de la chambre, il a couru dans la cour, chercher de l’air, et mettre sur sa figure le souffle frais du vent. […] Je ne peux traverser les tiédeurs et les frigidités de l’air, je ne peux vivre dans l’aigreur de l’atmosphère du printemps, sans être malade, et malade d’un certain malaise qui me met en communication avec la mort. […] Quelques-uns, arrachés de terre, montraient, retournées en l’air, leurs racines et leur chevelu emmêlé de glaise sèche. […] Au milieu de cette bibelotterie écrasante, une très charmante petite femme, aux paupières lourdes, les paupières d’une houri turque, aux interrogations enfantines, à l’air boudeur d’une pensionnaire en pénitence, une jeune Rothschild s’ennuyant, s’ennuyant, comme seuls les millionnaires savent s’ennuyer.
” « Telles que deux colombes, attirées par le désir, fendent l’air qui porte leur vol, et viennent, les ailes ouvertes et sans mouvement, s’abattre ensemble sur le doux nid de leur amour, telles elles s’élancèrent du groupe des femmes punies pour avoir trop aimé ; et ces deux âmes volèrent à moi à travers la tourmente, tant elles avaient senti de compassion et de tendresse pour elles dans l’accent du cri que j’avais jeté en les appelant ! […] ” me dirent-elles, “qui parcours ainsi cet air réprouvé et qui viens nous visiter dans notre supplice, nous qui avons teint le monde où tu vis de notre sang ; « “S’il nous était permis d’invoquer pour un autre le maître de l’univers, qui nous afflige et nous punit, nous lui demanderions de te combler de sa paix, toi qui ressens une si tendre pitié pour nos peines sans remède ! […] Ce sont ces images, si fréquentes en Italie, ce sont ces oratoires, ces peintures, ces musiques, ces larmes, ces offrandes, ces prières, dont l’air d’Italie est rempli, qui inspirèrent, je n’en doute pas, des images si suaves et des vers si féminins au Dante dans son poème du Purgatoire. […] « Une douce teinte de saphir oriental, qui se répercutait dans la sérénité d’un air transparent jusqu’au premier cercle, rendit la joie à mes regards, aussitôt que je sortis de l’air mort qui m’avait si longtemps contristé les yeux et le cœur. […] Ainsi il me sembla entendre le murmure d’un fleuve dont l’écume étincelle en courant de rocher en rocher, en témoignant de l’inépuisable fécondité de sa source ; et de même que le son prend sa forme et sa note dans le cou de la harpe, et de même que l’air sonore s’insinue par les trous du chalumeau attaché à la musette, ainsi ce murmure du fleuve monta par le cou de l’aigle comme s’il eût été creux ; et là il devint voix, et de son bec sortirent des paroles telles que les attendait mon cœur, où je les écrivis !
Je vous demande donc, mon très cher père, si l’on conserve dans Saint-Victor la même mortification intérieure et extérieure, telle qu’elle était dans son origine… Je vous demande encore si les frères de Saint-Victor, c’est ainsi qu’on les appelait, allaient à la campagne chez leurs amis, chez leurs parents, passer des trois semaines entières et des mois entiers ; s’ils allaient par la ville rendre des visites ; s’il en recevaient de toutes personnes et de tout sexe ; s’ils changeaient d’habits, s’ils en prenaient de plus propres et de plus mondains quand ils sortaient pour se montrer en public ; s’ils affectaient de ces airs libres et dégagés, pour ne pas dire licencieux, qui sont si contraires à la tristesse sainte de la modestie religieuse ; s’ils parlaient indifféremment et sans scrupule dans les lieux réguliers ; s’ils s’entretenaient de contes, d’affaires, d’histoires du monde, de plaisanteries, de nouvelles, qui sont choses qui doivent être entièrement bannies des cloîtres. […] Il y avait des moments où il essayait d’emporter le tout d’un air dégagé : « Voilà bien du bruit, disait-il, pour six méchants vers que j’ai faits en badinant sur le bord d’un étang. » Mais ce ton-là ne réussissait pas. […] » Un petit livret très spirituel, publié en 1696, qui donne l’histoire de ces troubles, nous le représente ainsi au plus fort de la crise : Il était dans des transes mortelles, écrivant à tous les jésuites de ses amis pour leur demander quartier ; il croyait voir partout le Santolius vindicatus imprimé ; et le moindre jésuite qu’il rencontrait, il l’abordait brusquement, et, le reconduisant d’un bout de Paris jusqu’au collège, il lui faisait ses doléances avec le ton, l’air et les gestes que ceux qui ont l’avantage de le connaître peuvent s’imaginer ; et criant à pleine tête, il récitait par cœur l’apologie qu’il venait de donner au public, appuyant surtout sur ces endroits qu’il répétait plusieurs fois : « Veri sanctissima custos, docta cohors, etc., etc. » (et autres passage en l’honneur de la Compagnie)… Enfin il fallait l’écouter bon gré, mal gré ; et fut-ce le frère cuisinier des jésuites, rien ne lui servait de n’entendre pas le latin : de sorte que le chemin n’était pas libre dans Paris à tout homme qui portait l’habit de jésuite. […] Je défie tous les Scaramouches de mieux copier les personnages qui composèrent cette assemblée ; ce n’était plus Santeul, c’était une vingtaine de visages, d’airs et de tons, tous différents les uns des autres.
Il y a maintenant de grands poètes, des poètes de talent, des poètes de génie, des poètes d’art, ou des poètes qui veulent être quelqu’un de ceux-là ; mais ce qui constituait autrefois le poète agréable, ce mélange d’esprit, d’imagination, de facilité, de négligence et de bonne humeur, cette absence de prétention en rimant ou cet air de n’en pas avoir, ce demi-ton de conteur qui était de plain-pied avec la conversation du salon, cet à-propos de menus sujets, cette adresse à trousser en vers un compliment ou une épigramme qui circulait aussitôt et faisait fortune, et parfois aussi la fortune de son auteur, tout cela existe-t-il encore ? […] Lorsqu’on descend le Rhône de Lyon à Avignon, il y a un moment, aux environs de Valence, où le ciel change ; l’azur est plus bleu, l’air plus limpide et plus transparent, les horizons se détachent en contours plus harmonieux : on est entré dans le pur Midi, dans la zone lumineuse. […] Il est extrêmement rapide… Et voilà les ingéniosités quintessenciées et glaciales que Sénecé met dans la bouche de Virgile, en prétendant que rien ne ressemble plus au siècle d’Auguste que celui de Louis XIV ; c’est du Scudéry tout pur, c’est la carte du royaume de Tendre transportée dans la description du goût. — Et puis, quand on est embarqué sur le fleuve d’Imagination, l’arrivée à l’endroit nommé le Péage des critiques, la garde qu’y font les capitaines Scaliger, Vossius et autres, les « petits bateaux couverts qu’on appelle métaphores », et dont quelques-uns échappent à grand-peine à ces terribles douaniers ; et plus loin, quand on a pénétré dans le cabinet du Bon Goût, l’attitude et l’accoutrement baroque de ce bon seigneur qui m’a tout l’air d’être fort goutteux, appuyé d’un côté sur la Vérité et de l’autre sur la Raison, qui, tenant chacune un éventail, lui chassent de grosses mouches de devant les yeux (ces mouches sont les Préjugés) : les deux jeunes enfants qui sont à ses pieds, aux pieds du seigneur Bon Goût, et qui le tirent chacun tant qu’ils peuvent par un pan de son habit, l’un, un petit garçon toujours inquiet et remuant, nommé l’Usage : l’autre, une petite fille toujours fixe et assise, une vraie poupée nommée l’Habitude, que vous dirai-je de plus ? […] Malgré cette espèce de réforme et de révolution apportée par Martial dans l’épigrarame, et qui y a fait dominer l’esprit, quelques modernes ont su lui conserver un grave, un généreux accent, et parfois y ressaisir un air de grandeur.
On se donne souvent bien de la peine pour réveiller des choses passées, pour ressusciter d’anciens auteurs, des ouvrages que personne ne lit plus guère et auxquels on rend un éclair d’intérêt et un semblant de vie : mais quand des œuvres vraies et vives passent devant nous, à notre portée, à pleines voiles et pavillon flottant, d’un air de dire : Qu’en dites-vous ? […] On s’était dit adieu, on ne parlait plus ; le grand air l’entourait, levant pêle-mêle les petits cheveux follets de sa nuque, ou secouant sur sa hanche les cordons de son tablier, qui se tortillaient comme des banderolles. […] Voilà donc Emma devenue Mme Bovary, installée dans la petite maison de Tostes, dans un intérieur étroit, avec un petit jardin plus long que large, qui donne sur les champs ; elle introduit partout, aussitôt l’ordre, la propreté, un air d’élégance ; son mari, qui ne songe qu’à lui complaire, achète une voiture, un boc d’occasion pour qu’elle puisse se promener, quand elle le voudra, sur la grande route ou aux environs. […] Charles, toujours aveugle et toujours dévoué, essaye de tout pour la guérir et n’imagine rien de mieux que de lui faire changer d’air, et pour cela de quitter Tostes et la clientèle qui commençait à lui venir, pour aller se fixer dans un autre coin de la Normandie, dans l’arrondissement de Neufchâtel, en un fort bourg nommé Yonville-l’Abbaye.
Gœthe, causant un jour avec Hegel, se félicitait avec raison d’avoir su échapper à cette infirmité sans le secours d’une dialectique artificielle, qui prête au sophisme et qui a toujours l’air d’un jeu. […] Il sent vivre et s’éveiller en lui des pensées poétiques et philosophiques ; il les a bues avec l’air qui l’entoure, mais il s’imagine qu’elles lui appartiennent, et il les exprime comme siennes. […] Avec ses cheveux blancs, sa robe de chambre bien blanche, il a un air tout candide et tout patriarcal. […] Il le supposait né dans une condition pareille, de parents tailleurs, à Weimar ou à Iéna, soumis à des traverses plus ou moins analogues, et il se demandait « quels fruits aurait portés ce même arbre, croissant dans un tel terrain, dans une autre atmosphère. » Gœthe rendait donc toute justice à l’air vif de Paris.
Contre la puissance et le Vaisseau de l’Angleterre, par exemple, en 1808, le disciple et l’héritier de Malherbe s’écriait énergiquement Je vois, aux plaines de Neptune, Un vaisseau brillant de beauté, Qui, dans sa superbe fortune, Va d’un pôle à l’autre porté : De voiles au loin ondoyantes, De banderoles éclatantes, Il se couronne dans les airs, Et seul sur l’humide domaine, Avec orgueil il se promène, Et dit : « Je suis le roi des mers. » Mais voici la belle strophe, celle de l’invective et de la menace, tout à fait à la Malherbe, et un peu dans son style légèrement vieilli : Il n’a pas lu dans les étoiles Les malheurs qui vont advenir ; Il n’aperçoit pas que ses voiles Ne savent plus quels airs tenir ; Que le ciel est devenu sombre, Que des vents s’est accru le nombre, Que la mer gronde sourdement, Et que, messager de tempête, L’alcyon passe sur sa tête Avec un long gémissement. […] D’intervalle en intervalle, d’espace en espace, à je ne sais quel signal qui éclate dans l’air, de grands talents nouveaux prennent l’essor et se posent du premier coup sur des collines plus avancées d’où l’on découvre d’autres horizons : un nouvel ordre de perspectives s’est révélé, une nouvelle ère commence. […] Il me semble en mon sein sentir battre des ailes ; Un air intérieur me soulève avec elles, Me porte, et je m’envole à chaque lieu connu, Léger comme un oiseau vers son nid revenu.
Hippocrate, le premier, dans son immortel Traité des Airs, des Eaux et des Lieux, a touché à grands traits cette influence du milieu et du climat sur les caractères des hommes et des nations. […] Taine, s’il a trop l’air de la négliger, conteste et nie absolument cette puissance : il la limite, et, en la limitant, il nous permet en maint cas de la mieux définir qu’on ne faisait. […] quel bain d’air libre et de salubrité sauvage ! […] L’homme, comme toute chose vivante, change avec l’air qui le nourrit.
Elle se manifeste sur les lèvres par les mots d’épanouissement, de bonheur, de volupté noble ; en même temps, la vue intérieure a saisi quelque image correspondante, une fleur qui s’ouvre, un visage qui sourit, un corps penché qui s’abandonne, un accord riche et plein d’instruments doux, une caresse d’air parfumé dans une campagne ; voilà des comparaisons et métaphores expressives, c’est-à-dire des représentations sensibles, des souvenirs particuliers, des résurrections de sensations, toutes analogues à celles que je viens d’éprouver, du même ton et du même tour. […] Tout le corps parle ; souvent, à défaut du mot, c’est le geste qui exprime ; une grimace, un haut-le-corps, un bruit imitatif deviennent signes à la place du nom ; pour désigner une allée de vieux chênes, la taille se dresse droite, les pieds se prennent au sol, les bras s’étendent raides, puis se cassent aux coudes en angles noueux ; pour désigner un fourré de chèvrefeuille et de lierre, les dix doigts étendus se recourbent et tracent des arabesques dans l’air, pendant que les muscles du visage se recourbent en petits plis mouvants. — Cette mimique est le langage naturel, et, si vous avez quelque habitude de l’observation intérieure, vous devinez à quel état intérieur elle correspond. […] Partant, de que nous appelons une idée générale, une vue d’ensemble, n’est qu’un nom, non pas le simple son qui vibre dans l’air et ébranle notre oreille, ou l’assemblage de lettres qui noircissent le papier et frappent nos yeux, non pas même ces lettres aperçues mentalement, ou ce son mentalement prononcé, mais ce son ou ces lettres doués, lorsque nous les apercevons ou imaginons, d’une propriété double, la propriété d’éveiller en nous les images des individus qui appartiennent à une certaine classe et de ces individus seulement, et la propriété de renaître toutes les fois qu’un individu de cette même classe et seulement quand un individu de cette même classe se présente à notre mémoire ou à notre expérience. — La seule différence qu’il y ait pour nous entre le mot bara, qui ne signifie rien, et le mot arbre, qui signifie quelque chose, c’est qu’en entendant le premier nous n’imaginons aucun objet ou série d’objets appartenant à une classe distincte et qu’aucun objet ou série d’objets appartenant à une classe distincte ne réveille en nous le mot bara, tandis qu’en entendant le second nous nous figurons involontairement un chêne, un peuplier, un poirier ou tel autre arbre, et qu’en voyant un arbre quelconque nous prononçons involontairement le mot arbre. […] » Blanc est un mot trop large ; il faut que désormais il le réduise à une seule couleur. — Le même enfant entend sa mère qui lui dit : « Tu balances trop ta tête ; ta tête va frapper la table. » Il répond d’un air curieux et surpris : « Ta tête va frapper la table ?
Il inclinait à la sympathie non seulement par l’obligeance de son accueil, mais encore par je ne sais quel air souffrant répandu sur toute sa personne. […] D’un air de n’attacher aucune importance aux choses tristes qu’il disait, il me conta qu’il avait assez longtemps vécu très malheureux à Londres, pauvre professeur de français, qu’il avait beaucoup souffert dans l’énorme ville indifférente, de l’isolement et de la pénurie, et d’une maladie, comme de langueur, qui l’avait, pour un temps, rendu incapable d’application intellectuelle et de volonté littéraire. […] Autre chose est de se murmurer des paroles à soi-même dans la solitude, au coin du feu, ou de les proférer en plein air, quand on se sent écouté et qu’on prend charge d’âmes. […] Seulement, comme étrange fut l’air de croire inventer cela… et dire qu’une prétendue école novatrice voulut vivre sur cette prétendue trouvaille !
À la table de la rédaction s’asseyaient journellement : Murger à l’air humble, à l’œil pleurard, aux jolis mots de Chamfort d’estaminet ; Aurélien Scholl, avec son monocle vissé dans l’orbite, ses colères spirituelles, son ambition de gagner la semaine prochaine 50 000 francs par an, au moyen de romans en vingt-cinq volumes ; Banville, avec sa face glabre, sa voix de fausset, ses fins paradoxes, ses humoristiques silhouettes des gens ; Karr, toujours accompagné de l’inséparable Gatayes. Et c’était encore un maigre garçon, aux longs cheveux gras, nommé Eggis, qui en voulait personnellement à l’Académie ; et c’était Delaage, l’Ubiquité faite homme et la Banalité faite poignée de main, un garçon pâteux, poisseux, gluant, et qui semblait un glaire bienveillant ; et c’était l’ami Forgues, un Méridional congelé, ayant quelque chose d’une glace frite de la cuisine chinoise, et qui apportait, d’un air diplomatique, des articles artistiquement pointus ; et c’était Louis Énault, orné de ses manchettes et de sa tournure contournée et gracieusée de chanteur de romances de salon ; enfin Beauvoir, se répandait souvent dans les bureaux comme une mousse de champagne, pétillant et débordant, et parlant de tuer les avoués de sa femme, et jetant en l’air de vagues invitations à des dîners chimériques. […] Après dîner, la Landelle, le romancier de bâbord et de tribord, beugle des chants de marin ; Venet, en chapeau de paille et en cravate printanière, fredonne des airs de Colin et de Collinette ; Mlle R… chante un grand morceau d’opéra, pendant que le maître de la maison, en un coin du logis, est en conférence avec des messieurs étranges, au sujet de quelque affaire extravagante, comme le monopole des sangsues du Maroc… Et l’on monte, en revenant, sur les chevaux de bois des Champs-Élysées.