XV La cour de Berlin ressemblait à celle de Denys de Sicile : un roi jeune, vainqueur, absolu, très-élevé par le génie et par l’instruction au-dessus de son peuple, aimable quand il avait intérêt à être aimé, terrible quand il fallait être craint, prince grec au milieu des Teutons demi-barbares, joignant aux élégances d’Athènes les mœurs suspectes de la Grèce, philosophe par mépris des hommes, poëte par contraste avec son rang, réunissait autour de lui une société nomade d’aventuriers d’esprit, fuyant leur patrie et cherchant fortune. […] La liberté absolue devint plus chère au poëte ; il résolut de ne plus la chercher à la cour des rois. […] Le monde tend rationnellement à une indépendance mutuelle absolue de la conscience et du gouvernement, de la foi et de la loi, de Dieu et du prince.
D’une part, ce sont les anciennes doctrines philosophiques ou religieuses, les vieilles institutrices de l’humanité, menacées par ces conquérants nouveaux jusque dans les domaines jusqu’alors inviolables de l’absolu, contraintes à renouveler leurs arguments et leur défense, grandissant par cette contrainte même, brusquement réveillées de leur quiétude et rajeunies elles-mêmes dans leur commerce avec la science, dont elles acquièrent de plus en plus l’intelligence et le goût, et dans laquelle elles puisent, avec une conception plus étendue et plus précise de l’univers, des idées plus approfondies sur le vrai sens de la finalité et sur les grands aspects de l’ordre universel. […] Comment une création purement subjective peut-elle avoir une valeur absolue ? […] En dehors d’une justice absolue, il n’y a plus que l’utilité plus ou moins déguisée.
Mais Proudhon n’admet pas plus la miséricorde que Dieu, qui est l’Absolu. […] Mais il faut être vrai : on a confondu probablement avec la méchanceté, la rigueur absolue de l’homme d’idée. […] Grâce à cette Correspondance, je l’ai mis debout devant vous, ce naïf, ce cordial, ce vertueux, cet Alceste sans talon rouge et sans rubans verts, et cet Orgon aussi, cet Orgon qui croyait aux peuples et à l’égalité absolue aussi bêtement qu’Orgon croyait à Tartufe ; je vous l’ai montré lui-même, ce bonhomme, ce bon ours, qui casse la tête de l’homme, de son ami, avec le pavé de ses théories, pour lui ôter les mouches qui le dévorent, croit-il, et qu’il a sur le nez : les religions, le capital, les polices, les hiérarchies, les gouvernements !
Elle est absolue dans ce roman-ci… M. de Goncourt, qui pourrait mieux, s’entête à cette littérature sans idée qui part de Madame Bovary pour aboutir, en dévalant, à l’Assommoir, et cet entêtement est malheureusement réfléchi. […] Ce qui aurait tenté un grand et robuste talent, c’eût été le type absolu de la comédienne, descendue des hauteurs du type dans une puissante et concrète personnalité. […] La question est de savoir si le Talent — cet ogre du cœur qui mange le nôtre dans nos poitrines au point qu’il n’en reste bientôt plus rien — n’est pas plus tyrannique, plus absolu et plus féroce, en ces natures de grandes comédiennes, qu’en quelques artistes que ce soit, et n’exalte pas des vanités que les hommes ne connaissent pas à ce degré de délirante ivresse, et qui l’emporte sur tous les autres enivrements de la vie ?
— Des intrigues et des révérences, des courses en carrosse et des stations d’antichambre, beaucoup de tracas et beaucoup de vide, l’assujettissement d’un valet, les agitations d’un homme d’affaires, voilà la vie que la monarchie absolue impose à ses courtisans. […] Ce père, homme hautain, vivait, depuis l’avènement de Louis XIV, retiré dans son gouvernement de Blaye, à la façon des anciens barons, si absolu dans son petit État que le roi lui envoyait la liste des demandeurs de places avec liberté entière d’y choisir ou de prendre en dehors, et de renvoyer ou d’avancer qui bon lui semblait. […] Ils fabriquaient des Salente et autres bonnes petites monarchies bien absolues, ayant pour frein l’honnêteté du roi et l’enfer au bout.
Platon demeure un pur intellectualiste… (D’après lui) c’est la pensée toute seule qui atteint l’absolu… Le platonisme ne fait nulle part au mysticisme, il reste un pur intellectualisme. » Et plus loin : « … Il s’agit bien ici (Rép. […] Point de critérium absolu de la vérité, mais des groupes de représentations bien liées et une connaissance relative suffisante (on a imprimé insuffisante : c’est une faute manifeste) pour la vie pratique et même pour la science. […] Or la doctrine de Descartes et celle de Pascal sont en opposition absolue. […] Voltaire avait peu à peu découvert à ses dépens que ce roi libre-penseur était, religion à part, un despote « plus absolu que le Grand Turc ». […] « Il est souverain et absolu.
Or, dans le cas qui nous occupe, la constatation ne s’accompagne pas d’une absolue tranquillité : au sein même de la certitude, un malaise persiste. […] C’est dans la pierre que semblent taillés ces nus monumentaux de Degas, — blocs équilibrés, d’une absolue cohérence interne, qui ont l’air d’opposer au morcellement une résistance indestructible. […] Goncourt un peu enivré, Huysmans un peu haché, Courbet un peu confortable, Manet un peu évaporé : à tous il manque un grain de cette indifférence supérieure qui se révèle ici l’instrument de l’absolue mise au point. […] Pour Pascal, sentir et voir sont les deux nécessités absolues de son être. […] Car en cette âme — provisoirement désaffectée — si l’amour jette une flamme si vive, c’est que l’amour lui est alors un absolu, qu’Aimée lui tient lieu de Dieu, — oh !
Certainement il faut cette conviction, et impérieuse et absolue, et qui est un impératif, et qui, elle, n’est pas démontrée. […] Ils ont besoin de l’absolu comme un homme d’action a besoin de l’absolutisme : « Tous les hommes qui sentent qu’il leur faut les paroles et les intonations les plus violentes, les attitudes et les gestes les plus éloquents pour pouvoir 16 agir, les politiciens révolutionnaires, les socialistes, les prédicateurs, avec ou sans Christianisme, tous ceux qui veulent éviter les demi-succès ; tous ceux-là parlent de « devoirs » et toujours de devoirs qui ont un caractère absolu. […] — Ainsi parlait Zarathoustra. » En résumé, quand le plébéianisme l’a emporté, il a détruit l’État sans le remplacer et dans l’incapacité absolue de le remplacer. […] Il est un roi absolu, une aristocratie militaire, une bourgeoisie administrative, un peuple dévoué à son roi et à son aristocratie, et par conséquent essentiellement aristocrate. […] Et puis il est très bon, il est de première importance que, de temps en temps, que souvent, quelqu’un tasse des opinions humaines, des croyances humaines et des plus enracinées et des plus imposantes une révision complète, absolue, intégrale et radicale.
C’est une de ces questions délicates qui n’admettent pas de réponse absolue, et que d’autres juges que les hommes pourraient seuls éclairer avec leurs instincts et leurs fines inductions. […] « Chaque secours de la sagesse des maîtres vient à point en ce monde, où il n’est pas de conclusion absolue et définitive. […] Je n’attache, pour ma part, qu’une médiocre importance à ces distinctions tranchantes de programmes et à ces prétentions absolues en sens divers. […] Il n’y avait pas eu, à l’origine, de dissentiment absolu entre Mme Sand et Balzac, qu’elle rencontra plusieurs fois dans les années de son noviciat littéraire à Paris. […] Ce n’est que beaucoup plus tard que l’école, s’étant formée, attribua au chef un système absolu qui n’avait été d’abord qu’une préférence de goût.
« Il y a un déterminisme absolu, dit Claude Bernard124, dans les conditions d’existence des phénomènes naturels, aussi bien pour les corps vivants que pour les corps bruts… La condition d’un phénomène une fois connue et remplie, le phénomène doit se reproduire toujours et nécessairement à la volonté de l’expérimentateur… Jamais les phénomènes ne peuvent se contredire, s’ils sont observés dans les mêmes conditions ; s’ils montrent des variations, cela tient nécessairement à l’intervention ou à l’interférence d’autres conditions qui masquent ou modifient ces phénomènes. […] Il y en a une pour chacun des axiomes mathématiques ; tous exercent sur notre esprit le même ascendant que l’axiome de raison explicative ; et cependant nous les avons démontrés ; nous avons fait voir qu’ils ont un fondement dans les choses ; qu’ils sont valables non seulement pour nous, mais en soi ; que leur empire est absolu non seulement sur notre intelligence, mais encore sur la nature ; que, si les deux idées par lesquelles nous les pensons sont forcément liées, c’est que les deux données qui les constituent sont aussi forcément liées, et que, si la contrainte éprouvée par notre esprit en leur présence a pour cause première notre structure mentale, elle a pour cause dernière l’ajustement de notre structure mentale à la structure des choses. […] Ainsi, partout et toujours, dès que le groupe est donné, le caractère est présent ; non seulement il est présent, mais encore il ne peut pas être absent : car la loi posée est absolue et sans exception ; une fois qu’on l’a énoncée, on ne peut plus, sans la contredire, supposer un cas où le groupe existe sans le caractère qu’on lui a constaté, de même qu’on ne peut, sans se contredire, supposer un cas où le triangle serait donné sans les propriétés qu’on lui a découvertes. […] Ayant constaté dans tel cas tel caractère, nous ébauchons sans le vouloir une construction mentale ; nous imaginons vaguement un autre cas absolument semblable et tel que les différences par lesquelles il se distingue du premier, notamment celles de moment et de lieu, soient sans influence sur la production du caractère et, par suite, puissent être considérées comme nulles à cet égard ; alors le second cas se confond avec le premier, et nous apercevons la liaison du caractère et de ses conditions, non plus comme un fait fortuit et isolé, mais comme une loi absolue et universelle. […] Or on vient de voir que tout caractère, transitoire ou permanent, peut être considéré comme le second terme d’un couple dans lequel le premier terme est le groupe de ses accompagnements et précédents, que, le premier terme étant donné, le second ne peut manquer d’être donné aussi, que la présence du premier entraîne la présence du second, que la loi est universelle et absolue ; elle serait telle, même si le caractère constaté était unique dans la nature ; car elle vaut, non seulement pour tous les cas réels, mais encore pour tous les cas possibles.
Poinsot parle quelque part, du spiritualisme « un peu vague » de Han Rynerq, et c’est, à ce qui précède, un argument plein de gaité si l’on considère l’absolue perfection et la rigidité de cette métaphysique mathématique où Psychodore se meut et nous entraîne par Han Ryner. […] Les Pacifiques m’apparaissent, à cet égard, l’œuvre majeure de Han Ryner, non pas œuvre majeure dans l’absolu de mon jugement, car j’ai trop le goût de l’abstraction, pour ne pas suivre Psychodore et les Paraboles Cyniques avec une joie d’algébriste au milieu de ses équations. […] Son Bordeaux 1914 devrait, devra, devenir classique et je tiens sa « dernière soirée des amis »am pour un chef-d’œuvre absolu. […] A cela s’ajoute une absolue maîtrise de la forme verbale. […] Un lutte sera donc engagée entre la femme et « l’ordre », Magdeleine Marx a croisé le fer : la voix du sang, l’amour unique, les fadaises lunaires, le dévouement absolu, elle a aboli tout cela.
Par quoi Vinet aurait-il été touché si profondément, et même édifié, — ce qui, soit dit entre nous, me paraît un peu fort, — sinon par la preuve d’absolue confiance que lui donnait Sainte-Beuve, et surtout par l’évidente sincérité d’une confession entière ? […] La seule garantie entière, à ne prendre même les choses que par le côté humain, la seule absolue sauvegarde d’équité constante, réside dans une pensée perpétuellement et rigoureusement chrétienne93. […] Le respect absolu des réformateurs pour la Parole écrite explique d’ailleurs et leur conséquence en général et leur refus d’offrir un culte à la Vierge, pour qui la Parole écrite n’en réclame aucun. […] qui ne voit même que c’est là le seul mal absolu, et que notre jugement sur nos misères terrestres doit demeurer suspendu, jusqu’à ce que l’énigme de notre nature et de notre destination finale ait été sommairement résolue ? […] La connaissance de soi-même, non pas du soi individuel et comparatif, mais du soi absolu, du soi humain, de l’homme en un mot, est le commencement de la sagesse.