Cependant un certain nombre d’espèces, se maintenant en corps, pourraient se perpétuer sans changements pendant de longues périodes, tandis que, pendant le même temps, plusieurs de ces espèces, venant à émigrer en d’autres contrées et à entrer en concurrence avec des associés étrangers, se seraient modifiées ; de sorte qu’il ne nous faut pas surfaire la valeur du mouvement de transformation organique considéré comme exacte mesure du temps.
On la remplacerait par des lexicographes, des poëtes, des étymologistes, des romanciers, des historiens, des philosophes et des savants qui recevraient la mission de faire un vrai dictionnaire, d’écrire les origines de la langue française, d’encourager toute tentative nouvelle et sérieuse, de veiller à la liberté du théâtre, de rédiger le Code encore attendu de la propriété littéraire, de préserver partout les intérêts de l’esprit humain, de signaler toute découverte, de faire l’Encyclopédie moderne, d’envoyer des missionnaires à la recherche de toutes les belles choses encore inconnues dans le monde, de traduire incessamment les chefs-d’œuvre des langues étrangères, de formuler la foi la plus haute, de combattre les erreurs et les préjugés qui subsistent encore, de rééditer nos grands poëtes et nos grands prosateurs, enfin de chercher le beau, le vrai et le bien par tous les moyens possibles.
On savait depuis longtemps que tout concourt et conspire au phénomène vital dans le système organique, depuis les organes extérieurs jusqu’au cerveau, que l’action des objets étrangers produit une impression, que cette impression, transmise au cerveau parle système nerveux et les organes intermédiaires, se transforme en sensation d’abord, puis en perception proprement dite, et y éveille l’intelligence et la volonté, qui n’entrent en jeu qu’à la suite de ces excitations successives.
Il ira, cet ignorant dans l’art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère de la philosophie et des orateurs ; et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d’églises que Platon n’y a gagné de disciples par cette éloquence qu’on a crue divine. […] Ainsi, l’esprit de nouveauté religieuse, son orgueil, sa mobilité, ses contradictions, qui choquent si souvent son bon sens dans la suite de l’établissement du protestantisme, l’ont empêché de voir l’esprit d’indépendance des peuples, non seulement en face de l’étranger, mais, dans l’intérieur, en face du souverain.
Ce n’est plus un simple antagoniste de l’association spontanée, bornant son rôle à la gouverner ; c’est un pouvoir destructeur, tyrannique, qui s’asservit tout, qui ne permet à la prolifération des idées de se faire que dans un seul sens, qui emprisonne le courant de la conscience dans un lit étroit, sans qu’elle en puisse sortir, qui stérilise plus ou moins tout ce qui est étranger à sa domination. […] Comme il y a des intermittences, des changements momentanés de direction, ces malades, qui ont une intelligence vive et une culture peu commune, ont pleine conscience de l’absurdité de leur état : l’idée fixe leur apparaît comme un corps étranger, logé en eux, qu’ils ne peuvent expulser ; mais elle ne parvient pas à les envahir tout entiers, elle reste une « idée délirante avortée ».
Le Musée Espagnol est venu augmenter le volume des idées générales que vous devez posséder sur l’art ; car vous savez parfaitement que, comme un musée national est une communion dont la douce influence attendrit les cœurs et assouplit les volontés, de même un musée étranger est une communion internationale, où deux peuples, s’observant et s’étudiant plus à l’aise, se pénètrent mutuellement, et fraternisent sans discussion. […] Je sais bien que cet homme est un Français, et qu’un Français en France est une chose sainte et sacrée, — et même à l’étranger, à ce qu’on dit ; mais c’est pour cela même que je le hais.
Rentrant ainsi dans la vérité, sinon au regard de tous, au moins pour quelqu’un, il se relie à la société sur un point, par un fil ; s’il ne se réintègre en elle, du moins est-il à côté d’elle, près d’elle ; il cesse de lui être étranger ; en tout cas, il n’a plus aussi complètement rompu avec elle, ni avec ce qu’il porte d’elle en lui-même. […] Il eût fallu condamner l’esclavage, renoncer à l’idée grecque que les étrangers, étant des barbares, ne pouvaient revendiquer aucun droit.
J’aime aussi beaucoup la morale… en action, en littérature moins, parce qu’elle s’y trouve être un élément étranger et troublant qui ne peut que donner à l’œuvre une allure empesée, roide et gauche, de même du reste que la politique, la passion et l’émotion, toutes choses très-bonnes… à leurs places respectives. […] L’exposition de 1855 ouverte en pleine guerre de Crimée, celle de 1867, étalant ses splendeurs pendant qu’on fusillait au-delà des mers ce Maximilien l’Unique que notre gouvernement d’alors avait placé sur un trône acheté par tant de vies précieuses, celle de 1878 préludant au sanglant conflit russo-turc, enfin le centenaire et l’exposition dernière éclatant au milieu de luttes d’opinion sans exemple peut-être dans notre histoire et sous la menace d’une formidable coalition étrangère plus à nos aguets que jamais, démontrent à l’évidence l’inanité des rêveurs qui prétendent encore essayer de nous présenter ces gigantesques Concours Généraux comme des panacées universelles, comme les fêtes annonciatrices et les prémisses d’une fraternité prouvée dérisoire et odieusement mensongère par les événements eux-mêmes, et quels !
N’est-il pas déterminé par beaucoup de circonstances étrangères au contenu de cet ouvrage, dont la principale est l’esprit d’imitation, si puissant chez l’homme et chez l’animal ? […] Certes, la large humanité de César fut toujours étrangère au collègue d’Octave et de Lépide. […] On le devine tel que l’ont rêvé ces marins et ces pêcheurs habitués à entendre pleurer dans l’ombre le Vieillard des mers ; on l’imagine ingénieux, impie, luttant de ruse et d’audace avec les dieux, partageant, dans des îles, le lit des femmes étrangères, ayant vu ce qu’on ne doit pas voir, horrible, poursuivi par une inexorable fatalité, condamné à errer sans fin sur cette mer dont il a violé la divinité mystérieuse, destiné à des voluptés indicibles et à ces rencontres qui font dresser les cheveux sur la tête, l’homme enfin le plus digne d’envie et de pitié, le vieux roi des pirates, le père des navigateurs. […] Ammien Marcellin, témoin de toute sa vie, nous apprend qu’après la mort de sa femme Hélène, il resta étranger à tout commerce charnel.
Deux personnages pour représenter le monde des auteurs ; — trois pour représenter les ridicules divers des femmes qui se mêlent de questions qui leur sont étrangères ; — un pour représenter l’excès du bon sens bourgeois poussé à l’injustice par le spectacle du pédantisme et l’horreur que ce spectacle lui inspire ; — un pour représenter le bon sens populaire en sa naïveté un peu rude, — un pour représenter le bon sens et la raison ferme chez la femme comme il faut ; — un pour représenter l’homme du monde et un peu l’homme de cour, d’esprit sain, de raison ferme, d’instruction seulement suffisante. — Toute la société du temps en ses rapports avec les choses de lettres, de science et d’érudition, est dans Les Femmes savantes, comme toute la société du temps en ses rapports avec les choses de religion est dans Tartuffe, comme toute la société du temps prise au point de vue des relations mondaines est dans Le Misanthrope. […] Je m’étonne si vous ne convenez pas, plus ou moins énergiquement, selon votre caractère, qu’il n’y a pas esprit plus étranger à tout sentiment religieux que celui de Molière ; j’irai même jusqu’à dire plus étranger à toute idée morale élevée. […] C’était chose qui lui était absolument étrangère. […] Il a vu se lever et grandir cette armée de la grande fiction religieuse, et il y a vu l’ennemi, si le mot est trop dur, disons l’étranger, et c’est bien à peu près la même chose ; et comme il avait attaqué successivement toutes les affectations, cette dernière affectation, c’est-à-dire ce dernier effort pour créer et maintenir en nous un autre principe d’action et une autre manière d’être que la bonne pente et la bonne impulsion naturelle, rien d’étonnant, rien d’étrange, rien d’extraordinaire ou d’inattendu à ce qu’il l’ait attaqué aussi.
M. de Sainte-Beuve père n’était étranger à rien de ce qui se publiait et qui faisait quelque bruit de son temps.
Telles furent les jeunes étrangères dans la société desquelles Horace chercha à vingt-cinq ans la liberté, la célébrité, l’amour, seuls devoirs et seules vertus d’Épicure.