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891. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

L’éditeur ou l’introducteur de ces Mémoires est un jeune écrivain qui s’est fait remarquer depuis quelques années par son zèle, son feu, son talent. […] De tous les écrits déjà nombreux de M. de Lescure, ceux qui sont le plus à mon gré et dont je louerais le plus volontiers la direction, sont ses articles sur la littérature française pendant l’émigration et sur quelques-uns des écrivains distingués de cette période, Rivarol, Sénac de Meilhan. […] Il est tel homme de lettres des plus célèbres en ce temps-ci, tel éloquent écrivain et historien qui bien souvent pourtant a heurté mon goût, froissé mes habitudes, et que j’ai été tenté mainte fois de reprendre assez vivement. […] Bayle, le grand précurseur de Voltaire, mais un Voltaire à la hollandaise et le moins parisien des écrivains, est devenu assez difficile à sentir et à goûter ; il l’était même du temps de Mathieu Marais. […] Il y a plus de mérite à un écrivain d’observer cette même loi du fond de son cabinet, et c’est en cela que Marais a fait un heureux et délicat détournement du sens.

892. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Voilà un beau trio à la Bastille : Mme de Tencin, l’abbé Margon (un fou satirique), et Voltaire. » Telle était alors la condition des écrivains un peu libres ; ils pouvaient avoir des torts et payer trop volontiers tribut au malin ; mais que dire de la brutalité lâche qui se vengeait sur eux par surprise et en se dérobant ensuite à toute réparation légitime ? Les écrivains, les poètes et les journalistes, relevés de cette sorte de dégradation civile qui n’admettait pas la partie égale entre eux et leurs adversaires, devraient bien, en se ressouvenant du passé, en tirer du moins cette morale, que c’est leur devoir, aujourd’hui que tout le monde les respecte ou est disposé à le faire, de se respecter également entre eux, de ne point renouveler les uns contre les autres ces dégradantes attaques qui ne sont autre chose que des bastonnades au moral et qui ont même introduit un infâme et odieux mot dans l’usage littéraire. […] Rollin, quoique bien critiqué en plusieurs endroits, mais qui est composé de grâces et de choses qui plaisent, l’emportera toujours sur la critique de son adversaire qui tient du collège et qui a un peu trop orgueilleusement raison. » Mais surtout les auteurs favoris de Marais sont les grands écrivains du siècle précédent ; il ne s’en tient pas à Boileau, son oracle ; à ses moments perdus, il se complaît et s’adonne à La Fontaine, dont le premier il s’avisa de composer une sorte de Vie puisée aux originaux et dans les ouvrages mêmes du poète, devançant ainsi le genre et la méthode des Walckenaer, pour la biographie littéraire. […] À toutes les attaques, en partie justes et fondées, dirigées contre votre tour d’esprit et votre manière, écrivains de tous les temps, à quelque genre que vous apparteniez, vous n’avez qu’une réponse à faire : renouvelez de mérite, fortifiez-vous dans la partie déjà forte de votre talent. […]   Ce n’était pas un sectateur du style raffiné ni un écrivain néologique que Massillon, un des beaux noms littéraires de la Régence.

893. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

C’est surtout quand la finesse de l’esprit est en jeu, que l’écrivain réussit. […] Il embrassait plus comme écrivain ; il avait plus que Royer-Collard le talent d’écrire, cette faculté que M.  […] Les qualités du lendemain, celles que l’écrivain conserve et déploie dans ses livres, il les possédait, et c’est en cela seulement qu’il a l’avantage. […] Vous vous êtes éprouvé comme penseur et comme écrivain, vous vous ignorez comme orateur, et il faut à l’orateur bien autre chose que du talent. […] Royer-Collard, baissant un peu le ton dans l’une des lettres suivantes, était plus dans le vrai lorsqu’il insistait sur l’action utile et prolongée de l’écrivain, sur cette vocation qui n’avait pas été la sienne, à lui, et qui était de nature moins viagère ; on ne saurait définir d’une manière plus noble toute l’ambition permise à une littérature élevée, toute sa portée dans l’avenir, en même temps que ses difficultés, ses arrêts et ses limites : « … Vous, monsieur, il vous est donné de marquer autrement votre passage sur la terre et d’y tracer votre sillon ; vous l’avez commencé ; vous le suivrez sans l’achever jamais ; car aucun homme n’a jamais rien fini.

894. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

C’est là, dans cette vallée qu’ont chantée les poètes, au milieu de la société d’amis de son choix, qu’il se recueillit de nouveau, fit son examen de conscience et se dit sans doute qu’il avait assez et trop dépensé de sa vie à des efforts infructueux, à des collaborations politiques sans résultat et sans issue : il résolut de redevenir une dernière fois ce que la nature l’avait surtout prédestiné à être, un observateur historique et un écrivain. […] Thiers ; le public vous sait rarement gré de ces tentatives ; et, quand deux écrivains prennent le même sujet, il est naturellement porté à croire que le dernier n’a plus rien à lui apprendre. […] On pourra trouver que, plus indulgent en apparence pour beaucoup d’autres écrivains d’un mérite moindre, j’ai bien tenu ici à marquer mes réserves, quand il s’agissait d’apprécier un esprit d’un ordre aussi élevé. […] C’est que, tout en distribuant çà et là le blâme à un livre, où d’autres ne voyaient guère qu’à admirer, vous étiez le seul qui eussiez réellement compris Tocqueville comme écrivain et jugé son style. […] C’est cependant ce que n’admettrait pas et ne discuterait seulement pas non-seulement la masse des lecteurs, mais encore l’élite des aristarques qui décernent aux écrivains l’approbation ou le blâme… N’est-ce pas cependant un côté par lequel il y aurait à examiner les OEuvres de Tocqueville, qui jusqu’à présent a été plutôt étudié pour le fond de ses idées que pour la forme même qu’il leur a donnée ?

895. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Mais, indépendamment de ces monuments écrits qui marquent, il y a la société d’alentour, dans laquelle se retrouve plus ou moins la même langue, et qui compte des gens d’esprit non écrivains de profession, et maîtres pourtant dans leur genre, maîtres à leur manière, sans y viser et sans le paraître. […] Ils ont tous (et ceux que je viens de nommer, et les autres qu’ils représentent, moins en vue et plus effacés aujourd’hui), ils ont tous ce point commun d’être gens du monde, de qualité, avant d’être écrivains. […] Les exilés, gens d’esprit, écrivains, qui sortent de leur pays pour n’y plus rentrer et qui vivent encore longtemps, représentent parfaitement l’état du goût et la façon, le ton de société ou de littérature qui régnaient au moment de leur sortie. […] Je demande, très-humblement, à un grand écrivain la permission de courir un moment ici sur ses terres, et d’y recueillir, s’il se peut, quelques épaves échappées de ses mains, dans le voyage charmant où il convie ses lecteurs, à travers le xviie  siècle. […] Saint-Évremond est l’écrivain de son temps qui a le mieux parlé en prose (car on avait Corneille en vers) de ces choses générales de l’Antiquité, et qui a porté les meilleurs jugements sur Alexandre, César, Pyrrhus, Annibal.

896. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

C’était bien par là le seul écrivain raisonnable de notre langue, et voilà pourquoi Boileau mettait ce moderne-là au-dessus de tous les anciens. Et ces grands écrivains que Boileau groupait autour de lui après 1660, ces hommes de génie si dissemblable ont tous ceci de commun, qu’ils respectent la nature, l’expriment comme ils la sentent et la voient, en eux et hors d’eux, que jamais ils ne la refont ni ne la contrefont : sincères et simples comme Pascal, et grands d’une semblable grandeur. […] , cette imagination m’irrite plus qu’elle ne m’attire… Voyez nos grands romanciers contemporains : leur talent ne vient pas de ce qu’ils imaginent, mais de ce qu’ils rendent la nature avec intensité… Tous les efforts de l’écrivain tendent à cacher l’imaginaire sous le réel… Vous peignez la vie : voyez-la avant tout telle qu’elle est, et donnez-en l’impression. […] Car enfin la durée et l’universalité de la réputation d’un écrivain sont des effets, qui ont une cause suffisante : et c’est cette cause qu’il faut trouver, et chercher au besoin avec patience et humilité, jusqu’à ce qu’on la trouve, au lieu de croire facilement qu’on a soi seul plus d’esprit que tout le monde. […] Pourquoi cette peur de la rusticité, chez un écrivain que la trivialité, même répugnante, n’a pas toujours dégoûté ?

897. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Parmi tant d’écrits sortis de la plume de Calvin, un seul subsiste et le place au rang de nos plus grands écrivains : c’est l’Institution chrétienne. […] Il faut comprendre dans ce mot la science des rapports de l’homme avec Dieu dans la religion, de l’homme avec son semblable dans la société chrétienne ; l’étude des sources mêmes de cette science, les livres saints, pénétrés par le plus subtil des docteurs, et interprétés par le plus clair des écrivains ; tant d’explications si hautes de la parole de Dieu, de ses prophètes, de la doctrine des Pères ; toute l’antiquité chrétienne rendue familière à tout le monde, dans son histoire que Calvin raconte avec un détail plein d’intérêt, dans sa morale dont il sonde la profondeur ; enfin, la suite de l’histoire de l’Église, d’après les autorités, toujours bien connues, lors même qu’elles sont interprétées faussement ; et toutes ces critiques, souvent éloquentes, toujours vives et précises, des abus de l’Église d’alors, que Calvin étale sans charité, mais qu’il sait exagérer sans déclamation. […] Calvin traite en grand écrivain toutes les questions de la philosophie chrétienne, la conscience, la liberté chrétienne, la Providence divine, les traditions humaines, le renoncement à soi. […] Il sentait son avantage sur les écrivains scolastiques et sur Luther lui-même, auquel il fait allusion quand il dit « que la matière a été jusqu’ici démenée confusément, sans nul ordre de droit, et par une ardeur impétueuse, plutost que par une modération et gravité judiciaire. » Dans cette phrase expressive, Calvin peint à la fois la manière de Luther et la sienne. […] Voilà ce qui fait vivre Calvin, comme écrivain français ; voilà les beaux côtés de cet esprit, auxquels répondent, dans le caractère, cette fermeté, ce courage, ces vertus privées, ce sacrifice de la chair à la vie de l’esprit, qui l’ont rendu digne de gouverner les hommes.

898. (1864) Le roman contemporain

Un volume, deux volumes au plus, c’est tout ce que comporte la fécondité des écrivains ou tout ce que supporte la curiosité des lecteurs. […] les écrivains de nos jours, selon une énergique expression de M.  […] Ce premier pas ne permettait pas de présager le succès obtenu peu d’années après par le jeune écrivain. […] En outre, il est plutôt poète rêveur, écrivain humoriste et fantaisiste que romancier proprement dit. […] L’éclatant succès de deux romans publiés par des écrivains tout à fait nouveaux dans les lettre, M. 

899. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Je ne veux décrire aujourd’hui que ce penseur et cet écrivain ; je laisse la vie, je prends ses livres et d’abord ses Essais. […] Cet amour de la justice devient une passion quand il s’agit de la liberté politique ; c’est là le point sensible, et quand on la touche, on touche l’écrivain au cœur. […] La seule ressource de l’écrivain est d’employer des mots qui mettent les choses devant les yeux. […] Quand il plaisante, il reste grave, ainsi que font presque tous les écrivains de son pays. […] Ce spectacle avait fait quitter à Reynold le chevalet qui nous a conservé les fronts pensifs de tant d’écrivains et d’hommes d’État, et les doux sourires de tant de nobles dames.

900. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Eh bien, le talent de Diderot mérite-t-il cette illustration des « œuvres complètes », qui est comme la statue en pied des grands écrivains ? […] Les écrivains de cette époque affolée de destruction et de changements font le sinistre effet d’aveugles qui balaient la place où vont s’élever tout à l’heure les échafauds qu’ils ne prévoyaient pas, — car le récit de la prédiction de Cazotte est un conte inventé par La Harpe, et M.  […] Personne, pour être pénétré de part en part par la Critique, comme il faut que tout écrivain le soit, dans la triple personnalité de son talent, de son tempérament et de son caractère, n’eut besoin moins que Diderot du mystère dévoilé et des cachets rompus d’une correspondance. […] Nul écrivain ne fut mieux d’un seul jet que cet écrivain, qui ne fut lui-même qu’un jet toute sa vie. […] Quoi d’étonnant que le bout d’oreille du bourgeois, et même toute l’oreille, y soit davantage, puisque la peau de lion de l’écrivain y est moins !

901. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Mais c’est comme écrivain, comme romancier, que nous l’a livré M. de Maistre ; aux éditeurs friands qui lui demandaient encore un Lépreux ou quelque Prisonnier du Caucase, il répondait : Prenez du Töpffer. […] C’est une étrange situation, et à laquelle nous ne pensons guère, nous qui ne pensons volontiers qu’à nous-mêmes, que celle de ces écrivains qui, sans être Français, écrivent en français au même titre que nous, du droit de naissance, du droit de leur nourrice et de leurs aïeux. […] Ces restes de richesses, piquantes à retrouver sur les lieux, et qui sont comme des fleurs de plus qui les embaument, n’ont guère d’ailleurs d’application littéraire, et les écrivains du pays en profitent trop peu. […] Qu’on se figure bien la difficulté pour un écrivain de la Suisse française, qui tiendrait à la fois à rester Suisse et à écrire en français, comme on l’entend et comme on l’exige ici. […] Mais c’est particulièrement chez des écrivains distingués et secondaires, tels que M.

902. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Où sont donc les écrivains ? […] Les écrivains de nos jours ressemblent à ces pianistes qui exécutent des impossibilités incompréhensibles, mais qui sont hors d’état d’inventer une mélodie, une ariette, une note. […] Il était trop écrivain pour faire un livre de savant, et trop savant pour faire un livre d’écrivain. […] Dans le temps, fort peu regrettable, où il y avait en France des grands seigneurs, il était d’usage que l’écrivain se choisît un patron auquel il faisait de ronflantes dédicaces. […] Cela est vrai, surtout de la vie littéraire ; l’écrivain qui ne se sent pas à la fois apôtre et soldat fera bien de se taire, il est inutile.

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