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573. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Quoi qu’il en soit et telle qu’on nous la donne, toute mutilée qu’elle nous arrive, cette Correspondance est d’un haut intérêt pour l’explication de l’âme et de l’intelligence de Lamennais. […] Mais bientôt, jusque dans le Lamennais de ce temps-là, nous allons retrouver celui que nous avons connu en dernier lieu, le même caractère exactement, la même âme, une âme excessive, inquiète, haletante, appelant sans cesse et repoussant le repos, enviant la mort etactivant la vie, se croyant une mission d’en haut, unevocation, et tenu d’y obéir : car qui a résisté à Dieu et a eu la paix ? […] En même temps que la forme de son intelligence n’admet que le système absolu, la nature de son âme aussi n’est capable que d’affections extrêmes. […] Que. si, à cette périlleuse disposition d’esprit et d’âme, vous ajoutez une tournure d’imagination mystique, funèbre, apocalyptique, sujette aux terreurs, vous comprendrez qu’il avait en lui les ferments qui produisent aisément le fanatisme. […] C’est, je l’ai dit ailleurs, une âme de colère que Lamennais ; il amasse par tempérament de la bile et des flots d’amertume qu’il a besoin de déverser.

574. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Prêtre austère, âme de génie, il a gardé sous ses cheveux gris tous ses trésors de foi et de jeunesse ; il a dépouillé d’un coup ses préjugés politiques, non inhérents à la vraie foi. […] Sur son passage à Avignon, par exemple, croirait-on qu’un pèlerin croyant eût dit : « Ce passé triste, mais non sans grandeur, remplit d’une émotion profonde l’âme de celui qui traverse ces silencieux débris, pour aller au loin chercher d’autres débris, encore palpitants, de la même puissance ?  […] Rien n’est pire, sachez-le bien, que de provoquer à la foi les âmes et de les laisser là à l’improviste en délogeant. […] Combien j’ai su d’âmes espérantes que vous teniez et portiez avec vous dans votre besace de pèlerin, et qui, le sac jeté à terre, sont demeurées gisantes le long des fossés ! L’opinion et le bruit flatteur, et de nouvelles âmes plus fraîches comme il s’en prend toujours au génie, font beaucoup oublier sans doute et consolent : mais je vous dénonce cet oubli, dût mon cri paraître une plainte !

575. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

De quelle hauteur tombe le dédain sur ces négateurs de l’âme, qui ne sont ni nommés ni même indiqués par allusion, et qui, au dépit de se voir réfutés, ont à ajouter le dépit de se voir omis ! […] Dans le premier homme de Buffon, l’âme découvre tout ce qui n’est pas elle ; elle ne se découvre pas elle-même. […] Les combats dont nous sommes le théâtre sont des combats de l’âme contre elle-même. […] S’agit-il de montrer ce qu’il en coûte à l’âme pour avoir cédé l’empire aux sens, il égale, par la force et la sévérité de ses tableaux, les grands moralistes du dix-septième siècle. […] Il les gourmande ou les loue ; singulière contradiction dans un livre qui explique l’âme des bêtes par un système d’ébranlements organiques de la mécanique animale !

576. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

Notre âme ne serait point l’expression de notre organisme, mais de notre société. […] Seulement il faut les compléter, en disant, à la manière de Leibniz si l’on veut, que tout est social dans l’âme individuelle, excepté son individualité même qui subsiste, qu’il ne faut pas oublier, et qui, dans la pratique, ne permet pas qu’on l’oublie. […] En ce sens il est juste de dire que c’est la Cité qui a fait l’âme. […] Et c’est aussi la combinaison qui résulte de tous ces « nous » installés dans tous les « moi » de leurs actions et de leurs réactions continues, de leur synthèse, qui constitue une sorte d’âme sociale, exprimant la société comme l’âme de chacun exprime l’individu. Et en effet l’esprit social, l’âme collective s’est ingéniée.

577. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

À toutes les qualités qui sont nécessaires à l’orateur, Droz demande que son caractère unisse encore la sensibilité : « Beaucoup de force d’âme au premier coup d’œil, dit-il, paraît l’exclure : mais l’élévation est le point qui les unit. » L’élévation d’âme n’est pas tout encore, si l’orateur n’y joint réellement la vertu ; Droz y insiste, et non point par des lieux communs de morale, mais par des observations pratiques incontestables : « Croyez qu’il n’est chez aucun peuple assez d’immoralité, dit-il, pour que la réputation de celui qui parle soit indifférente à ceux qui l’écoutent. » Lorsque plus tard, historien de la Révolution, il aura à parler de Mirabeau, dont il appréciait si bien la grandeur, combien il aura occasion de vérifier ce côté d’autorité morale si nécessaire, par où il a manqué ! […] C’est un aveu, c’est une confidence ; c’est l’harmonieuse et suave effusion d’une âme sage, d’une âme tranquille, élevée, animée d’un zèle pur, qui a trouvé pour elle-même le secret du bonheur, et qui voudrait le communiquer aux hommes. […] Droz cette bénignité première de l’âme, ne firent que la mûrir et la confirmer en vertu ; la vieillesse ne lui apporta qu’une douceur plus haute et comme fixée en sérénité. […] Cet éloge, qu’il composa presque en entier avec un heureux tissu de phrases choisies dans Montaigne, annonce, par la pensée comme par le ton, un esprit juste, une oreille juste, une âme sensible, noble, élevée. […] L’affaiblissement et le ralentissement graduel de la vie n’avaient rien ôté à la vivacité de ses affections et de son âme.

578. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Dans de pareilles âmes, les dogmes déracinés arrachent et emportent avec eux les parties les plus vives et les plus sensibles du cœur. […] Quinze ans plus tard, son âme se soulevait encore au souvenir de cet orage. […] Les conversions complètes, quand elles se font tard, laissent l’âme à jamais malade ; à vingt ans on est déjà trop vieux pour devenir philosophe ; celui qui quitte sa religion doit la quitter de bonne heure ; après ce moment, on ne peut plus la déraciner sans ébranler tout le sol. […] Ailleurs, comparant les différentes poésies, il n’en trouve qu’une digne de ce nom, la poésie lyrique, parce qu’elle seule exprime les grandes et intimes douleurs de l’âme. […] Aujourd’hui, cette source est visible ; on la découvre60 dans le choix et dans l’énoncé des questions par lesquelles il débutait et qu’il embrassait de toute son âme : à la manière dont elles sont posées, on s’aperçoit qu’elles sont résolues d’avance.

579. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Celui-là est une âme en peine. […] C’est aussi une âme ombrageuse, je le sais. […] Mais le fond de son âme est exquis et rare. […] Mais auparavant je torturerai ton âme. […] On a compris mon âme.

580. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Rien, rien ne remplace l’âme : aucun enseignement ne saurait suppléer chez l’homme à l’inspiration de sa nature. […] L’âme est le devenir individuel, comme Dieu est le devenir universel. […] Cela est si vrai qu’en se plaçant à ce point de vue on ne doit plus faire la science de l’âme, car il y en a de diverses espèces, mais la science des âmes. […] On comprendra alors que la science de l’âme individuelle, c’est l’histoire de l’âme individuelle, et que la science de l’esprit humain, c’est l’histoire de l’esprit humain. […] Leur gloire est d’être en sympathie si profonde avec l’âme incessamment créatrice que tous les battements du grand cœur ont un retentissement sous leur plume.

581. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

Connu déjà par son grand essai de musique sévère et haute, l’auteur, ce me semble, a dû naturellement chercher à ses intimes pensées une expression plus précise et plus voisine encore de l’âme. […] La forme atteste une main habile et presque virile d’artiste ; le fond exprime une âme de femme délicate et ardente, mais qui a beaucoup pensé, et qui ne prend guère l’harmonie des vers comme un jeu. […] Il faut souffrir longtemps pour savoir bien redire L’hymne mystérieux que notre âme soupire ! […] De ces blasphémateurs aux âmes attardées Écartez le glaive de feu ! […] dans ce beau lieu paré De tes plus charmantes étoiles, Cache mon âme ; elle a pleuré ; Couvre-la bien de tes longs voiles !

582. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Nous avions soigneusement enclos dans un coin de notre âme les inquiétudes métaphysiques et les tristesses religieuses, de peur de les mêler à notre vie et qu’elle n’en fût troublée : nous les avions, pour plus de sûreté, résolues en idées et eu actes d’accord avec l’Eglise. […] Cela restait grêle, léger et joli : un rythme vif, sautillant, aimable, merveilleusement apte à recevoir cette mousse de sentiments, qui débordent de l’âme sans l’emplir. […] L’amour contrarié souffre : c’est la révolte de la volonté, qui s’irrite de l’obstacle, plutôt que le cri de l’âme possédée et privée de son bien. […] Mais il est à noter que si l’Infini, réalisé en l’image d’un Dieu personnel, et pourtant conçu en son incompréhensible et inimaginable essence, peut contenter l’âme qui s’y élance et s’y absorbe, il n’en va pas tout à fait de même de l’amour humain. […] Évidemment, ils ne sont pas poètes, ils n’ont pas l’âme lyrique, et les facultés discursives prédominent en eux.

583. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Et l’on sent très clairement que l’âme secrète de cette raillerie n’est point, comme celle d’autres grands railleurs, l’amour du vrai, du juste ou du bien. […] Une âme simple et qui connaîtrait seulement le rôle politique de M.  […] C’est parce qu’il a bon cœur chez lui qu’il souffle la haine dans l’âme obscure des foules. […] Mais au fond, rien de plus uni, de plus cohérent que l’âme d’un sectaire ou d’un forban. […] Rochefort a, je crois, l’une de ces deux âmes avec l’esprit d’un boulevardier.

584. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

. — Pendant tout le dix-septième siècle, cette théorie subsiste encore au fond de toutes les âmes sous forme d’habitude fixe et de respect inné ; on ne la soumet pas à l’examen. […] D’une part, les hommes ont besoin d’elle pour penser l’infini et pour bien vivre ; si elle manquait tout d’un coup, il y aurait dans leur âme un grand vide douloureux et ils se feraient plus de mal les uns aux autres. […] Voilà désormais la raison armée en guerre contre sa devancière, pour lui arracher le gouvernement des âmes et pour substituer au règne du mensonge le règne de la vérité. […] Ce que vous appelez l’âme, c’est le centre nerveux auquel aboutissent tous les filets sensibles. […] » L’homme est libre, capable de choisir entre deux actions, partant créateur de ses actes ; il est donc une cause originale et première, « une substance immatérielle », distincte du corps, une âme que le corps gêne et qui peut survivre au corps  Cette âme immortelle engagée dans la chair a pour voix la conscience. « Conscience !

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