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1910. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Il a loué quelque part les jeunes visages de la Restauration, où l’on sent une âme romantique sous une discipline classique. Dans Du Sang, triomphaient à la fois une âme romantique dont M.  […] Elle a favorisé, contre les sommets de l’âme et de la pensée, les rancunes, la malice, la triste ironie des classes moyennes. […] L’âme littéraire, liée à un corps, à des corps, ne saurait demeurer longtemps en contact avec ces essences. […] Ainsi fait des mystiques l’âme religieuse.

1911. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

Il devait trouver au fond de son âme que c’était un peu trop de pur bon sens, et, sauf le vers qui relève, aussi peu rare que bien des lignes de Nicole. […] Lamartine ne fera que traduire poétiquement le mot de La Bruyère, quand il s’écriera : Objets inanimés, avez-vous donc une âme Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? […] Aujourd’hui que l’Art poétique de Boileau est véritablement abrogé et n’a plus d’usage, la lecture du chapitre des Ouvrages de l’Esprit serait encore chaque matin, pour les esprits critiques, ce que la lecture d’un chapitre de l’Imitation est pour les âmes tendres.

1912. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

L’artiste qui parle à notre intelligence, qui nous démontre scientifiquement, exactement, froidement, le mécanisme de l’âme humaine ne nous satisfait pas : le théâtre n’est pas une école pratique de psychologie. […] N’oublions point surtout que Boileau n’a pas vu dans le vers un ingénieux mécanisme, où l’on assemble les difficultés pour les vaincre, ni l’agréable instrument d’un jeu d’esprit littéraire ; jamais il n’en a perdu de vue la valeur artistique, et toutes les lois auxquelles il l’a soumis ne sont pas à elles-mêmes leur fin, mais sont les moyens de produire la cadence expressive, qui procure à l’oreille un plaisir conforme au sentiment dont les mots saisissent l’âme. […] Nous admettrons que, certaines formes littéraires étant liées à certains états d’âme et à certains moments de la civilisation, il y ait des genres qui naissent, comme il y en a qui périssent ; par exemple, le drame bourgeois est légitimé par la même transformation sociale qui semble avoir mis la tragédie hors d’usage. […] C’est beaucoup pourtant déjà qu’il ait dit que réduire l’ode au langage qu’on appelle communément naturel, lui imposer « un ordre méthodique », et « d’exactes liaisons de sens », ce serait, si le fond nécessite la forme qui l’exprime, « ôter l’âme à la poésie lyrique » : c’est beaucoup d’avoir compris en son temps qu’une ode n’est ni un discours ni une dissertation ni une narration d’histoire, et que ce genre a son ordre, sa clarté propres et d’un caractère tout spécial.

1913. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Pourquoi un des plus beaux génies des temps modernes, Herder, dans ce traité De la Poésie des Hébreux, où il a mis toute son âme, est-il si souvent inexact, faux, chimérique, si ce n’est pour n’avoir point appuyé d’une critique savante l’admirable sens esthétique dont il était doué ? […] Pétrarque, au contraire, qui n’a pas encore lu Homère, mais qui en possède un manuscrit en langue originale et l’adore sans le comprendre 74, a deviné l’antiquité ; il en possède l’esprit aussi éminemment qu’aucun savant des siècles qui ont suivi ; il comprend par son âme ce dont la lettre lui échappe ; il s’enthousiasme pour un idéal qu’il ne peut encore que soupçonner. […] Comte, toutes les belles âmes convoleraient au suicide ; il ne vaudrait pas la peine de perdre son temps à faire aller une aussi insignifiante manivelle. […] Une seule règle peut être donnée pour produire le beau : Élevez votre âme, sentez noblement et dites ce que vous sentez.

1914. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Francke me paraît être le seul musicien contemporain qui ait le véritable sens mystique : les âmes croyantes se complaisent en ses œuvres non moins que les artistes. […] Il insiste et se livre aux plus grands dangers ; mais un génie mystérieux le protège, — c’est le cygne, dans le corps duquel se trouve, l’âme du petit prince, frère de la princesse de Brabant, — péripétie qui se révèle au dénoûment, et qui ne peut être admise que par un public habitué aux légendes de la mythologie septentrionale. […] Jullien, des illustrations à un ouvrage documentaire ; mais d’originaux poëmes, où les harmonieuses joueries des pâles ombres et de lascives blancheurs évoquent, sans même le secours de souvenirs musicaux, une tristesse languide, quelque mystérieuse horreur, ou bien la calme gaîté d’une âme rajeunie. […] Dans les paroles de cette scène, qui sont d’un vague admirable, il voit l’énoncé précis d’un système philosophique ; dans la musique, qui est une révélation inondant de lumière la vie de ces âmes, il voit « une page unique » mais « qui rend tout simplement les mouvements extérieurs des amants et leurs amoureux transport. »[NdA] 4.

1915. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Le poète a vu mourir un être chéri, une femme adorée, et il ne peut se résigner à croire qu’elle soit à jamais ensevelie sous le marbre du tombeau ; il se figure que les éléments de cette âme légère sont dispersés dans la nature, dans les objets les plus vaporeux et les plus riants, et qu’il peut s’en emparer, s’en envelopper encore ; il s’écrie :     Oh ! […] Ils tiennent leur parole, et s’écrivent des lettres pleines d’âme, de vérité, d’effusion de cœur, sans sarcasmes, sans mauvaises plaisanteries. […] Là, en t’apercevant, je croirai retourner aux jours de ma jeunesse… Le pauvre Carlin n’a gardé de manquer au saint rendez-vous, et il ne sait comment exprimer dans sa lettre prochaine les divers sentiments qui se partageaient son âme à ce grand moment : « Quel a été mon trouble à la vue de cette majestueuse solennité ! […] Ce témoignage indulgent d’une femme poète (Mme Desbordes-Valmore) s’accorde bien avec celui de Mme Sand, même pour l’expression : « Cette âme, a dit Mme Sand, n’était ni faible, ni lâche, ni envieuse, elle était navrée, voilà tout. » Ces deux charités de femmes poètes se sont rencontrées dans une même explication adoucie : nous autres hommes, nous sommes plus durs et plus sévères.

1916. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

Nous concluons de l’assimilation superficielle à l’assimilation profonde, de la parenté des corps à la parenté des âmes. — L’influence des ressemblances intérieures est d’ailleurs assez puissante pour contrebalancer au besoin celle des différences extérieures ; ceux qui communient dans une même foi se sentent portés à oublier que la race ou l’habit les séparaient. […] En effet, si nous n’entretenons de relations réglées qu’avec des reflets de nous-mêmes, avec des frères qui nous ressemblent tant par le corps que par l’âme, tant par les manières que par les croyances, c’est à l’ensemble de tous ces caractères que se trouvera liée pour nous l’idée même du droit — nous ne reconnaîtrons d’existence juridique qu’à ceux qui nous représenteront cet ensemble. […] On pourrait dire qu’une seule âme les mène, tant leurs âmes particulières pensent à l’unisson.

1917. (1905) Promenades philosophiques. Première série

— Les facultés très connues de l’âme, sont l’intelligence, la raison, l’imagination, la mémoire, l’appétit, la volonté, etc, . ; mais, dans les doctrines de l’âme, il faut traiter de l’origine des facultés, et d’une manière physique, en tant qu’elles sont innées dans l’âme et qu’elles y sont attachées (50). […] Il n’est pas de créature humaine, si résignée qu’elle soit à la monotonie d’une existence endormie, qui n’espère au fond de son âme on ne sait quel imprévu. […] Les deux premières diffèrent peu ; l’un donne pour principe à la vie, l’âme, la vieille âme classique et métaphysique ; l’autre, une sorte d’âme subalterne, le principe vital. […] Effleurer l’âme. — Raynal. […] Graver dans l’âme. — Massillon.

1918. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

Diderot, dans sa fougue, s’est avisé un jour de la définir : « L’âme de Brutus avec les charmes de Cléopâtre. » Mettons César au lieu de Brutus qui est ridicule. […] Il lui disait un jour, en causant des diverses qualités de l’âme, que sa qualité, à elle, était d’être imperturbable.

1919. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

Et l’autre sœur, qui, plus brave et aventurière, émancipée de bonne heure, s’est ruée dans les hasards du monde, dans le tourbillon et la fange des capitales, qui n’a eu peur ni des goujats des camps, ni des théâtres obscènes, ni des rues dépavées, et qui, le front débarrassé de vergogne et la grosse parole à la bouche, s’est faite honnête homme cynique, n’espérant plus redevenir une vierge accomplie, ne la prenez pas trop au mot non plus, je vous conseille ; ne croyez pas trop qu’elle se plaise à cette corruption dont elle nous fait honte, à cette nausée éructante qu’elle nous jette à la face pour provoquer la pareille en nous, à cette lie de vin bleu dont elle barbouille exprès son vers pour qu’il nous tienne lieu de l’ilote ivre et qu’il nous épouvante ; osez regarder derrière l’hyperbole étalée et échevelée par laquelle, égalant la luxure latine, elle divulgue sans relâche et le plus effrontément la plaie secrète de ce siècle menteur, tout plein en effet de prostitutions et d’adultères ; osez percer au delà de cette monstrueuse orgie qu’elle déchaîne en mille postures devant nous, — et vous sentirez dans l’âme de cette muse une intention scrupuleuse, un effort austère, un excès de dégoût né d’une pudeur trompée, une délicatesse dédaigneuse qui, violée une fois, s’est tournée en satirique invective, une nature de finesse et d’élégance, que l’idéal ravirait aisément et qui ne ferait volontiers qu’un pas de la Curée au monde des anges. […] Si je l’osais dire, je trouverais dans ces comparaisons de l’artiste quelque secret rapport de conformité avec sa propre et intime organisation, avec ses sauvageries bretonnes, sa pureté un peu farouche, et cette ombrageuse vigilance qu’il nous a lui-même si délicatement accusée : J’aime dans tout esprit l’orgueil de la pensée Qui n’accepte aucun frein, aucune loi tracée, Par delà le réel s’élance et cherche à voir, Et de rien ne s’effraye, et sait tout concevoir : Mais avec cet esprit j’aime une âme ingénue, Pleine de bons instincts, de sage retenue, Qui s’ombrage de peu, surveille son honneur, De scrupules sans fin tourmente son bonheur, Suit, même en ses écarts, sa droiture pour guide, Et, pour autrui facile, est pour elle timide.

1920. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Il y en a sans doute à la supériorité des femmes, à celle même des hommes, à l’amour-propre des gens d’esprit, à l’ambition des héros, à l’imprudence des âmes grandes, à l’irritabilité des caractères indépendants, à l’impétuosité du courage, etc. […] Les femmes sentent qu’il y a dans leur nature quelque chose de pur et de délicat, bientôt flétri par les regards même du public : l’esprit, les talents, une âme passionnée, peuvent les faire sortir du nuage qui devrait toujours les environner ; mais sans cesse elles le regrettent comme leur véritable asile.

1921. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

Voilà qui double reflet dramatique du récit, qui prépare l’âme à l’émotion, l’esprit à l’intelligence du fait. […] Tite-Live amenant à la vraisemblance les fables des origines romaines, Voltaire expliquant Mahomet et Jésus-Christ et la Bible, sont plus éloignés de la vérité et de la saine critique, que l’âme simple qui croit et incline, sa raison.

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