/ 3617
1708. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

Zola : Je pense — dit Pommageot en s’animant — que toutes les vieilles blagues du romantisme sont finies ; je pense que le public en a assez, des phrases en sucre filé ; je pense que la poésie est un borborygme ; je pense que les amoureux de mots et les aligneurs d’épithètes corrompent la moelle nationale ; je pense que le vrai, le vrai tout cru et tout nu est l’art ; je pense que les portraits au daguerréotype ressemblent… — C’est un paradoxe ! […] La sensation, l’intuition du contemporain, du spectacle qui vous coudoie, du présent dans lequel vous sentez frémir vos passions et quelque chose de vous…, tout est là pour l’artiste… Un siècle qui a tant souffert, le grand siècle de l’inquiétude des sciences et de l’anxiété du vrai…, un siècle comme cela, ardent, tourmenté, saignant, avec sa beauté de malade, ses visages de lièvre, comment veux-tu qu’il ne trouve pas une forme pour s’exprimer ? […] Tout cela peut se dire exactement des deux frères, et le dernier trait n’est pas moins vrai que le reste. […] Il n’en est pas moins vrai que ce coup de tête est fort inattendu, qu’il y a là je ne sais quoi qui ressemble à une lâcheté et qui s’accorde mal avec le caractère de Renée tel que nous l’avions cru saisir. […] Anatole est une des plus divertissantes figures de MM. de Goncourt, et des plus vraies.

1709. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Il ne serait pas plus vrai de lui en donner la louange, que de lui contester toute influence sur les auteurs. […] Je veux bien que ce portrait soit vrai de Chapelain prosateur et académicien, pourvu qu’au chapitre sur Boileau, le titre d’excuseur de toutes les fautes, que je vois percer sous ce portrait, soit vrai de Chapelain poète. […] Si, par des artifices de composition, ou des ornements de langage, l’auteur voulait se persuader à lui-même ou faire croire aux autres qu’il a inventé ces vérités, on l’accuserait soit d’avoir ignoré ce que tout le monde savait, soit d’aimer moins le vrai que l’honneur qu’il s’est fait en l’exprimant. […] Aussi tout est-il vrai dans ces pages où l’auteur n’est que l’interprète de l’homme et du chrétien. […] A partir de cette époque, il fut d’obligation, dans les ouvrages de l’esprit, d’être vrai, solide, naturel ; de chercher la vérité ; de donner le dessus à la raison sur l’imagination, à l’homme sur l’individu.

1710. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Si, à l’origine, elles furent empiriques, ce qui est très probable, du moins elles ne tardèrent pas à s’élever jusqu’aux notions abstraites qui leur servent de base et à trouver leur vraie méthode. […] Il n’y a point une physique française opposée à une physique anglaise : ce qui était vrai pour Galilée l’était aussi pour Ampère et Faraday. […] La vraie noblesse de l’intelligence humaine est moins dans les résultats qu’elle obtient que dans le but qu’elle se propose, et dans les efforts qu’elle ose tenter pour l’atteindre. […] Mais est-il vrai que l’observation intérieure est la méthode unique de la psychologie ? […] Elle prendra son vrai caractère : l’impersonnalité.

1711. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Il eût pu inventer, comme et mieux que tout le monde ; mais il n’a voulu qu’être vrai. […] c’est très bon à déguster, mais ça ne vaut pas le vrai vin d’autrefois. […] Faire impitoyablement vrai, grouper une suite de scènes écrites d’après nature, voilà le mérite ou le défaut de M.  […] » il lui semble déjà n’être plus assez vrai. […] Il y avait foule sur les rives ; c’était un vrai supplice !

1712. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre III. Le lien des caractères généraux ou la raison explicative des choses » pp. 387-464

. — Selon que l’une ou l’autre de ces hypothèses est vraie, l’explication a des limites ou n’en a pas. […] Ainsi, quand un corps se refroidit, le rapport entre les variations élémentaires de la chaleur et du temps est la vraie raison du rapport qui s’établit entre les variations de ces mêmes grandeurs quand elles ont acquis des valeurs finies. Ce dernier rapport, il est vrai, est le seul qui puisse tomber directement sous notre observation, et, lorsque nous définissons le premier par le second en faisant intervenir l’idée de limite, nous nous conformons aux conditions de notre logique humaine. […] Soit un couple quelconque de données quelconques ; sitôt qu’elles sont effectivement liées, il y a une raison, un parce que, un intermédiaire qui explique, démontre et nécessite leur liaison. — Cela est vrai pour les cas ou couples de données particulières, comme pour les lois proprement dites ou couples de données générales ; il y a une raison pour la chute de cette feuille qui vient de tomber tout à l’heure et pour la gravitation de toutes les planètes vers le soleil, pour la rosée de cette nuit et pour la liquéfaction de toute vapeur, pour le battement de pouls que je constate sur mon poignet en ce moment même et pour la présence d’une fonction ou d’un appareil quelconque dans un être vivant quelconque. — Cela est vrai pour les lois dans lesquelles la première donnée est un composé plus complexe, comme pour les lois dans lesquelles la première donnée est un composé plus simple ; il y a une raison pour les actions totales d’une société humaine et pour les actions individuelles de ses membres, pour les propriétés d’un composé chimique et pour les propriétés de ses substances constituantes, pour les effets d’une machine et pour les effets de ses rouages. — Cela est aussi vrai pour les lois qui concernent les composés mentaux que pour les lois qui concernent les composés réels ; il y a une raison pour les propriétés de l’ellipse ou du cylindre comme pour les propriétés de l’eau ou du granit. — Cela est aussi vrai pour les lois qui régissent la formation d’un composé que pour celles qui lui rattachent ses caractères ; il y a une raison pour la formation comme pour les propriétés d’une planète ou d’une espèce. — Mais le point le plus remarquable, c’est que cela est aussi vrai pour les lois dont l’explication nous manque que pour celles dont nous avons aujourd’hui l’explication. […] Nous n’avions fait que le supposer vrai, provisoirement et par analogie ; nous avions admis que, parmi les accompagnements et précédents d’un caractère, il y en a qui, par leur présence, entraînent sa présence, que, dès qu’ils sont donnés, il est donné, qu’à son endroit ils sont influents et efficaces.

1713. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

» Là-dessus le baron, prenant à bras-le-corps, Lafontaine, le porte presque dehors, en lui disant : « Mon cher, avec votre chance, c’est vous qui êtes la vraie curiosité d’ici !  […] Oui, maintenant j’ai une espèce d’horreur de l’œuvre imaginée, je n’aime plus que la lecture de l’histoire des mémoires, et je trouve même que dans le roman, bâti avec du vrai, la vérité est déformée par la composition. […] — Tiens, c’est vrai, fait la femme au téléphone, en riant, il faut que j’interroge mon confesseur ? […] Le docteur Blanche ajoutait : « Il ne me reconnaît plus, il m’appelle docteur, mais pour lui, je suis le docteur n’importe qui, je ne suis plus le docteur Blanche. » Et il faisait un triste portrait de sa tête, disant qu’à l’heure présente, il y a la physionomie du vrai fou, avec le regard hagard et la bouche sans ressort. […] Et nous trouvons, avec Koning, ou plutôt Koning trouve une fin d’acte de vrai carcassier.

1714. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IV. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire. » pp. 87-211

Quelques personnes le regardent comme très-véridique, mais toutes les horreurs qu’il raconte ne sont guéres croyables, quoiqu’elles puissent être vraies. […] Il est vrai que cet auteur est aujourd’hui peu intelligible à cause des changemens arrivés à notre langue & à nos usages. […] On y trouve des choses vraies, quelques-unes de fausses, & beaucoup de hazardées ; ils sont écrits dans un style trop familier. […] Il est vrai que c’est plûtôt un panégyrique qu’une histoire ; il ne montre son héros que par les beaux côtés, il l’excuse en tout & il en fait presque un saint. […] Il n’a pas manqué d’y insérer tout ce qu’il y a de vrai & d’intéressant dans l’histoire du Japon, par Kœmpfer.

1715. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [Note de l’auteur] » pp. 422-425

Il est bien vrai que M.  […] philosophe spiritualiste, champion désintéressé de la morale du devoir, éloquent apôtre du Beau, du Bien et du Vrai, je te prends la main dans le sac ; quand ta passion favorite est enjeu, tu ne te gênes pas plus que cela !

1716. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Andrieux »

C’était en général à la diction que se bornait cette surveillance de l’aimable et fin aristarque ; on n’abordait pas dans ce temps les questions plus élevées et plus fondamentales de l’art, comme on dit ; quelques maximes générales, quelques préceptes de tradition suffisaient ; mais on savait alors en diction, en fait de vrai et légitime langage, mille particularités et nuances qui vont se perdant et s’oubliant chaque jour dans une confusion, inévitable peut-être, mais certainement fâcheuse. […] Cette image piquante nous offre le critique respectueux et minutieux dans ses proportions vraies, et le doux air d’espièglerie qui s’y mêle n’y messied pas.

1717. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

Qu’il y ait eu de l’arrangement et de la symétrie jusque dans le désordonné des peintures ; que les paysages soient tout composites, et ne se retrouvent nulle part, avec tout cet assemblage imaginatif, dans la nature même et dans la réalité ; qu’à côté de ces impossibilités d’histoire naturelle, il y ait des anachronismes non moins visibles dans les sentiments ; qu’il y ait des effets forcés et voulus ; que, sous prétexte d’innovation, l’auteur moderne ait sans cesse des réminiscences de l’Antiquité ; qu’il parodie souvent Homère et Théocrite en les déguisant à la sauvage, tout cela est vrai ; et il est vrai encore que les caractères de ses deux personnages principaux ne sont pas consistants et qu’ils assemblent des qualités contraires, inconciliables, tenant à des âges de civilisation très différents.

1718. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre I »

Et c’est vraiment pitié de voir que, sous prétexte de le maintenir pur de tout alliage, on ait voulu lui retirer ce qui fait sa véritable grandeur. » 12 ⁂ Jusqu’à présent nous avons constaté dans la marche vers le vrai des professionnels d’une part, des artistes de l’autre, un grand parallélisme. […] C’est que cette recherche du vrai, but et seul but de la science, n’est, pour les littérateurs, qu’un moyen artistique.

1719. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Ne les confondez pas avec les saints pouilleux ou loqueteux : être sale pour l’amour de Dieu ne demande pas d’esprit, il est vrai ; mais il en faut, et du meilleur, pour fonder, sans argent parfois et sans appui, des écoles, des hospices et des refuges. […] Elle n’est pas plus vraie, plus forte, plus naturelle, pour être exprimée gauchement, puérilement, par des images étranges, par des symboles ridicules, mêlés de niaiseries inattendues et de plats coq-à-l’âne.

1720. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Un grand voyageur de commerce »

Ils prétendaient conquérir à la vraie religion de nouveaux domaines. […] Car alors ils ne seraient pas seulement vrais : ils auraient l’air de l’être, ce qui est un grand point.

1721. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

Là, nulle trace de réminiscence, nulle trace des influences d’alentour ; forme et fond, tout y est bien elle et rien qu’elle, le cœur à nu, l’âme palpitante sous le coup de foudre de la passion… l’élégie était le vrai domaine lyrique de Mme Valmore, le champ d’inspirations où son expansif et doux génie se donnait carrière. […] Comte Robert de Montesquiou-Fezensac La vraie Valmore à édifier et déifier est une Valmore de vers, de ses vers groupés à l’entour de son nom en la délicate élite et la délicieuse prédilection d’une dédicace réversible… Telles pièces sont plus parfaites, plus délibérément réussies, mais qu’on n’oserait guère déclarer plus que d’autres adéquates à leur visée, mieux moulées sur nature.

1722. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VII. Le théâtre français contemporain des Gelosi » pp. 119-127

La forme était rudimentaire, il est vrai, mais la pensée, l’observation, la gaieté auraient parfois trouvé mieux leur compte dans ces grossières parades que dans les intrigues des Italiens. […] Il est vrai qu’en même temps on jouait La Nouvelle tragi-comique du capitaine Lasphrise (1597), l’immense pastorale des Chastes et loyales amours de Théagène et Chariclée, de Hardy (1601), la Lucelle de Le Jars, en prose, ou de Du Hamel, en vers (1604), ou encore la tragi-comédie de Bradamante, par Robert Garnier, qui datait de 1582, mais dont la vogue était bien loin d’être épuisée, puisqu’elle ne l’était pas encore au temps de Scarron.

1723. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Cependant ce n’était pas une témérité bien grande, s’il est vrai que quelques années plus tard, « madame de Sévigné », comme le dit son cousin Bussy-Rabutin, « ne tenait pas ses bras trop chers ». […] Mais il n’est pas vrai que en France l’honnêteté des mœurs puisse se passer de la décence du langage.

1724. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

Toutes les fables, quand elles sont bien faites, doivent être dans le même cas, et cacher un sens vrai sous le récit d’une action inventée. […] Cela est vrai ; mais s’il est ainsi, à quoi sert la morale en général, et où est la morale de cette fable en particulier ?

1725. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

Il est vrai que ce barbare était un grand homme : c’est le célèbre Théodoric, contemporain de notre Clovis, et roi des Goths. […] Il serait à souhaiter, pour le bonheur du genre humain, que cette histoire fût vraie, et qu’après les grands crimes, des spectres vengeurs poursuivissent du moins ceux qui, par leur place et leur pouvoir, sont au-dessus des lois.

1726. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

En le lisant, ceux qui ont vécu diront : Dieu, que c’est vrai ! […] — Oui, c’est vrai ! […] c’est vrai qu’il devait être godiche au lit, cet animal ! […] Je vous écoutais, Madame, avec un peu d’étonnement, il est vrai. […] — Il est vrai, me répondit-elle en souriant.

1727. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Il est donc vrai de dire que la souveraineté est en Dieu seul. […] Comment juger si une théorie philosophique de la perception est vraie ou fausse, en quoi elle est vraie ou fausse ? […] S’il est vrai de dire qu’on peut expliquer les hommes par les livres, il est vrai aussi de dire que, pour comprendre les livres, il faut connaître les hommes qui les ont écrits : or depuis la publication des Considérationssur la révolution française, c’est-à-dire depuis 1796, jusqu’à la restauration M. de Maistre a presque complétement disparu. […] Et ils disaient vrai, elle était morte dans leurs âmes, morte en eux et autour d’eux. […] Mais ce sont là des ivresses d’un moment qui font bientôt place, dans ce cœur chrétien, à un sentiment plus épuré et plus vrai.

1728. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Et c’est un vrai style, et c’est à lui que Stendhal doit de conserver sa vogue. […] Il est vrai que je suis tout seul. […] — C’est vrai ! C’est vrai ! […] Il est vrai que sa mère est fille de la patronne ; mais d’un premier lit.

1729. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Ce jaloux est un vrai type de comédie. […] Or, ce qui est vrai aussi pour les individus est vrai aussi pour les peuples et aussi pour les foules. […] Je crois que c’est Bonald qui a dit que le vrai naturel, c’est le surnaturel. […] Le vrai guide des Alpes ne connaît pas seulement sa montagne ; il connaît la montagne. […] les vraies Alpes ne seront bientôt plus, elles aussi, que des Alpes à remontoir.

1730. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Dans ce fait, que je sais absolument vrai, M.  […] Il est vrai que ce qu’elle en a appris avec moi ne la gênera pas plus tard ! […] celui-là vrai ! […] Je ne dis pas que tout soit vrai dans Racheté, mais tout ce qui n’y est pas vrai y est certainement vraisemblable. […] Il est vrai que, dans cette histoire, l’homme n’est plus très jeune et que la femme l’est un peu trop.

1731. (1896) Écrivains étrangers. Première série

« Et la chose est vraie, même en ce qui touche Spinoza. […] Vous la lirez dans le numéro de mars du Contemporain, C’est un vrai chef-d’œuvre !  […] Et nous découvrons ailleurs que le vrai fondement de la morale est dans la volonté de Dieu, et le vrai bien dans une aveugle obéissance à cette volonté surnaturelle. […] Je ne crois pas, notamment, qu’une traduction puisse nous faire apprécier à leur vraie valeur les romans de M.  […] Oui, elle avait dit vrai : c’était en effet du poison.

1732. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

D’où vient que, cette génération épuisée, la vraie poésie a fini en Angleterre, comme la vraie peinture en Italie et en Flandre ? […] Ils refont une chevalerie, mais ce n’est point une chevalerie vraie. […] Il y a ici des tableaux tout faits, des tableaux vrais et complets, composés avec des sensations de peintre, avec un choix de couleurs et de lignes : les yeux ont du plaisir. […] Ce bon sens, cette espèce de divination naturelle, cet équilibre stable d’un esprit qui gravite incessamment vers le vrai, comme l’aiguille vers le nord, Bacon le possède au plus haut degré. […] Il y a là un vrai talent.

1733. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Les amis politiques, les plus vrais de Mme de Staël, à cette époque, doivent se chercher dans le groupe éclairé et modéré où figurent Lanjuinais, Boissy-d’Anglas, Cabanis, Garat, Daunou, Tracy, Chénier. […] Les nombreux aperçus sur la littérature grecque, très-contestables par la légèreté des détails, aboutissent à un point de vue général qui reste vrai à travers les erreurs ou les insuffisances. […] Mais nous reviendrons au long sur les rapports vrais de ces deux contemporains illustres. […] Mme de Staël avait un goût singulier pour Mme de Duras qu’elle trouvait, comme elle-même l’était également, une personne vraie dans un cercle factice. […] Mais, sauf quelques correctifs de détail que nous pourrions apporter à notre première idée, les traits essentiels et principaux de l’Étude qu’on vient de lire restent vrais pour nous aujourd’hui comme il y a trente ans.

1734. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

L’homme juge ses opinions non-seulement vraies, mais sacrées. […] Et à parler vrai, il fait de cet homme sa religion. […] Sans cette liberté, quelle preuve sincère eussent-ils pu donner de leur vraie obéissance, de leur constante foi, de leur amour, si l’on n’avait vu d’eux que des actions forcées et point d’actions voulues ? […] Pour la mesurer, relisez un vrai poëme chrétien, l’Apocalypse. […] Le mot anglais est plus vrai et plus frappant : peasantly regard.

1735. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

« — Il est vrai, dit M. de Thou, qui, s’adressant à M. le Grand, lui dit : — Vous êtes le plus généreux, vous voulez bien me montrer le chemin de la gloire du ciel ? […] le vrai Poème qu’elle portait dans son sein. […] Mais je n’en ai pas de remords ; l’impression d’un mot vrai ne dure pas plus que le temps de le dire ; c’est l’affaire d’un moment. […] S’il n’était vrai, docteur, que vous êtes mon ami depuis vingt ans, et que vous avez sauvé un de mes enfants, je ne vous reverrais jamais. […] — C’est là le vrai dans la vie !

1736. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

L’intendant me dévorera, vrai. […] C’est la misère, Foma Kousmitch ; c’est la misère, aussi vrai que j’existe. […] Il est vrai que cette famill… — Ce sont probablement des gens sans cœur ? […] Un de ses essais les plus naïfs et les plus vrais est intitulé le Chanteur. […] La voilà enfin, la vraie steppe, immense, sans limites !

1737. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Une éducation ambitieuse égara, il est vrai, sa jeunesse ; mais ce fut en lui proposant un but sublime et d’honorables travaux. […] Tous deux veulent, il est vrai, vivre au sein de la nature ; mais le premier dans un désert, et le second dans un village et au milieu de sa famille. […] Il y avait bien quelque chose de vrai dans cette accusation. […] Il est vrai que mon âme est jeune et que mon imagination est malheureusement passée toute fervente dans mon cœur. […] Vous vous y êtes opposé, il est vrai ; mais qui n’eût pas cru que le voyage de Virginie devait se terminer par son bonheur et par le vôtre ?

1738. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Il se passera en effet encore bien du temps avant que le mot vrai ne tue le canaille du mot noble. […] Jamais on n’a plus menti ni plus cherché le vrai. […] Et peut-être que les deux portraits sont vrais. […] Mais notre vraie et intime impression : c’est le dégoût, c’est le mépris. […] Car où est l’opinion faite de la vérité vraie ?

1739. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Enfin du vrai bonheur Nous porterons les signes. […] « Tous, attelés au char de la puissance, « Du vrai bonheur vous quittez le chemin. […] Une telle contradiction entre le nom d’un prince du sang et son rôle de roi révolutionnaire faisait du duc d’Orléans un instrument de parti, votre complice, mais n’en faisait pas un vrai roi. […] Ce fut alors que j’appris à connaître le vrai caractère de ce grand homme de cœur et les vraies opinions de ce grand homme de sens. […] Appelons nos plus illustres sculpteurs pour tailler dans le marbre penthélique de ce tombeau du pauvre grand homme les bas-reliefs d’une immense frise commémoratoire de ses chants, de sa vie, et surtout de sa vieillesse, la vraie gloire pure de sa vie.

1740. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

Voilà le vrai. […] Leur Égérie est flattée, cela est vrai ; j’ai glissé sur le mélange d’intrigue et d’emphase qui composait le génie à la fois féminin et romain de cette femme. […] Je devais, pour être vrai, la blâmer ; par complaisance pour la popularité, je l’ai exaltée. […] Ce sentiment vrai en moi contre ces tribuns féminins de la république ou de la royauté perçait déjà malgré moi dans l’apothéose affectée que je faisais de madame Roland. […] Cette partie de l’Histoire des Girondins est la plus ténébreuse ; les conjectures y suppléent aux documents vrais, tant les survivants, parmi les assassins, ont eu intérêt à déchirer les pages de ce mois néfaste.

1741. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Par-dessus les rondeaux simples ou doubles, par-dessus les virelais et chants royaux, il admire la ballade « équivoque et rétrograde », où la dernière syllabe de chaque vers donne le premier mot du vers suivant : vrai tour de force en effet, et acrobatie poétique. […] Même il est vrai que Villehardouin était plus près de la véritable histoire : pour toutes les qualités solides et essentielles, la Chronique de Froissart est un recul plutôt qu’un progrès. […] Cela est vrai de la forme de ses vers : du reste il lui ressemble aussi peu que possible. […] Ailleurs il use de l’allégorie : il arme les apôtres en chevaliers, avec « l’écu de ferme créance », et « l’épée de vraie sapience » : ou bien il construit le temple interne de l’homme. […] Il a la foi et la charité : vraies sources de toute éloquence, dès que les lumières ne sont pas trop courtes.

1742. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Il est très vrai que la plus belle poésie est faite d’images, mais d’images expliquées. […] Verlaine est un vrai poète. […] La mienne, il est vrai, me rend peut-être plus sensible que de raison à ces insuffisances et à ces ridicules.     […] Le poète pense humblement et docilement, ce qui est le vrai signe du bon catholique. […] Tant il est vrai qu’il n’y a qu’un amour !

1743. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

Mardi 12 février On parlait, ce soir, de la finesse de Victor-Emmanuel ; le général X… s’écrie : « Fin, pas si fin que cela, mais le plus grand hâbleur de l’Italie, un vrai Gascon ! […] Il y a entre autres des grues d’une calligraphie baroque sur un fond rose groseille, une vraie joie des yeux. […] C’est Pagans chantant une romance d’amour du xviie  siècle, une vraie romance des chansons de La Borde, puis une vieille chanson d’amour arabe, finissant par une plainte, une espèce d’ululement, qui vous met un petit frisson derrière la nuque, et fait paraître la pauvre plainte amoureuse française, d’une sentimentalité bien bêtote. […] Un vrai Gavarni. […] Le notaire s’est mis à lire, d’une voix bredouillante, un long acte très peu clair et soulevant un tas d’objections : « Bon, me suis-je dit, il va se présenter quelque difficulté, et le payement sera rejeté à quelque calende, qu’on ne verra jamais. » Non, tout s’est pacifié, arrangé, au moyen d’un contrat de mariage qu’on a été chercher incontinent, et à ma stupéfaction, mon notaire m’a remis entre les mains soixante-quinze vrais billets de mille francs.

1744. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Mais il leur resta l’intelligence ; une intelligence sans passion, il est vrai, mais qui semblait se conserver dans sa propre glace quand tout se putréfiait en eux. […] Rien n’est plus vrai. […] « Les grands esprits, — a dit le grave de Maistre, ce français du Piémont ; — les grands esprits qui n’ont pas le petit mot pour rire, ne sont pas vraiment de grands esprits. » Et le mot, parfaitement vrai en France, serait faux ailleurs. […] … Doré, qui est un artiste vrai, a pensé, lui, à bien autre chose qu’à daguerréotyper tout le mobilier d’une époque, armes et bagages, et il s’est mis à peindre, en pied et en esprit, les divers personnages des Contes, puis, s’inspirant des différentes scènes de ce drame multiple, à composer des tableaux. […] Un en a dit beaucoup de choses, il est vrai.

1745. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Habituellement, et quand il a la plume à la mainj, il est vrai de dire que ce genre d’émotion et d’inspiration lui est étranger. […] Il fait voir que la connaissance véritable de l’Antiquité est le résultat d’un ensemble très varié, très détaillé, sans lequel on ne fait qu’entrevoir les beautés des grands classiques : « La connaissance de l’Antiquité, voilà notre vrai commentaire ; mais ce qui est plus nécessaire encore, c’est un certain esprit qui en est le résultat ; esprit qui non seulement nous fait connaître les choses, mais qui nous familiarise avec elles et nous donne à leur égard les yeux des anciens. » Il cite des exemples tirés de la fameuse querelle des anciens et des modernes, et qui prouvent à quel point, faute de cette connaissance générale et antérieure, des gens d’esprit comme Perrault ont décidé en aveugles de ce qu’ils n’entendaient pas. — Il y a, chemin faisant, des vues neuves et qui sentent l’historien. […] Il s’est peint, au reste, au vrai et sans flatterie dans son Journal, à cet âge de vingt-cinq ans (mai 1762) : honnête de caractère, vertueux même, incapable d’une action basse, et formé peut-être pour les généreuses ; mais fier, roide, ayant à faire pour être agréable en société ; travaillant sur lui-même avec constance. […] [NdA] Je crains toujours dans ces portraits de pousser à la caricature, ce qui pour quelques-uns des personnages serait facile, mais ce qui est plein d’inconvénients et ce qui dérange pour le lecteur la vraie proportion des choses.

1746. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Il ne faut pas croire pourtant que Bourdaloue fût d’un naturel froid : tous ceux qui l’ont connu parlent, il est vrai, de sa douceur, mais c’est d’une douceur « qui devait lui coûter, du tempérament dont il était ». […] La foi avec tous ses motifs n’y ferait plus rien : dégagés que nous serions de ce souvenir de la mort, qui, comme un maître sévère, nous retient dans l’ordre, nous nous ferions un point de sagesse de vivre au gré de nos désirs, nous compterions pour réel et pour vrai tout ce que le monde a de faux et de brillant ; et notre raison, prenant parti contre nous-même, commencerait à s’accorder et à être d’intelligence avec la passion. […] Bourdaloue même y a peut-être l’avantage par un côté : il y reste plus réel et plus vrai, plus d’accord en tout avec la chaire chrétienne. […] xi) fait donner par quelqu’un à En-nius : « Ennio delector quod non discedit a communi more verborum. » L’éloge est plus vrai encore pour un orateur que pour un poète.

1747. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Cette princesse pleine de mérite et d’esprit, l’aînée de Frédéric et sa vraie sœur par la pensée et par l’âme, mariée au prince héréditaire de Bareith, et peu à sa place dans cette petite cour, se mit un jour, pour se désennuyer, à écrire toutes les peines, toutes les persécutions domestiques qu’elle avait éprouvées avant et même depuis son mariage. […] Les lettres suivantes, choisies par l’éditeur dans un nombre fort considérable, sont de peu d’intérêt et, à dire le vrai, un peu enfantines ou un peu écolières ; ils font tous deux leur apprentissage de langue et d’esprit ; ils achèvent leur rhétorique par lettres. […] Il est vrai que vous mériteriez de trouver toujours des cœurs semblables au vôtre ; mais ils sont rares, ma chère sœur… À partir de ce moment, toute trace des premiers dissentiments entre eux a disparu ; leur amitié renaît de ses cendres plus brillante et plus vive ; elle reprend ses liens, plus étroite que jamais, et désormais indissoluble : frère et sœur ne cesseront plus « de faire une âme en deux corps ». […] Je ne sais s’il est bien vrai, comme il le dit, qu’il se sent esclave d’être roi et que c’est un métier qu’il ne fait que par pure nécessité et parce que sa naissance l’y condamne : « La plupart du monde ambitionne de s’élever ; pour moi, je voudrais descendre, si pour prix de ce sacrifice, qui n’en serait pas un parce qu’il ne me coûterait rien, j’obtenais la liberté. » Cette liberté, s’il l’avait eue entière, aurait bien pu l’embarrasser, de l’ambition dont il était, et avec son activité ardente.

1748. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

C’est, il est vrai, une thèse de doctorat en Sorbonne ; M.  […] De même qu’il aurait certainement beaucoup à nous apprendre s’il nous était donné de le revoir, et que nous serions ramenés au vrai sur bien des questions où nous allons au-delà, on pourrait, je le crois, lui apprendre sur lui, à lui-même, quelque chose de nouveau. […] Eh bien, hier j’ai ressenti un vrai plaisir ; on suit l’âpre échine de la montagne sous la maigre couche de terre qu’elle bosselle de ses vertèbres ; le gazon pauvre et dru, battu du vent, brûlé du soleil, forme un tapis serré de fils tenaces ; les mousses demi séchées, les bruyères noueuses enfoncent leurs tiges résistantes entre les fentes du roc ; les sapins rabougris rampent en tordant leurs tiges horizontales. […] Je n’ai donné que la partie purement pittoresque : les pages qui suivent et où l’auteur s’emparant des notions géologiques, expose et ressuscite les révolutions de ces contrées durant les âges antérieurs à l’homme, sont d’une extrême élévation et d’une vraie beauté ; la conclusion est d’une humilité mélancolique, mêlée d’un sourire, pour la race humaine éphémère.

1749. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance inédite de Mme du Deffand, précédée d’une notice, par M. le marquis de Sainte-Aulaire. » pp. 218-237

L’abbé Barthélemy, l’hôte des Choiseul, l’ami qui s’est donné une fois pour toutes et que le charme a irrévocablement touché, y gagne aussi et se dessine dans toutes les nuances de son caractère, le plus poli des savants, aimable et estimable, gai et tempéré, bon garçon, tout à tous, vrai trésor de société, ayant des heures pourtant où il regrette sourdement l’indépendance du cabinet et les libres délices de l’étude. […] Quelle illusion dans cette gloire qu’on prétend éterniser, dans ce bâtiment de quarante mille écus élevé à l’une des extrémités de la pièce d’eau, vraie pagode où se lisaient gravés sur le marbre tous les noms des visiteurs en ces quatre années, avec cette inscription de la façon de l’abbé Barthélemy : « Étienne-François, duc de Choiseul, pénétré des témoignages d’amitié, de bonté, d’attention dont il fut honoré pendant son exil par un grand nombre de personnes empressées à se rendre en ces lieux, a fait élever ce monument pour éterniser sa reconnaissance. » Que cet obélisque ministériel, inauguré dix ans avant la Révolution française, à quelques pas du volcan qui va engloutir la monarchie, est petit, vu de loin, et qu’il manque son effet dans la perspective ! […] Un sentiment vrai, conçu de bonne heure et qu’il nourrira pendant trente ans, l’enchaînait aux pieds de sa noble amie, Mme de Choiseul : je ne sais si, comme Walpole, il l’avait prise d’abord pour la reine d’une allégorie ; mais il était certainement très patient ; il ne paraît pas avoir jamais désiré que le nuage doré se dissipât ni que l’allégorie s’évanouît. […] Mme du Deffand, au milieu des impatiences ou des sourires que font naître ses plaintes continuelles, a, en général, un mérite : elle est vraie.

1750. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Mais le vrai voyage, et qui lui permit de s’écrier : Enfin j’ai vu l’océan, ne se fît que le 11 avril. […] Elle est appuyée contre un mamelon et tourne le dos à la mer, en vraie solitaire qui ne veut qu’entendre le bruit des choses d’en bas. […] Tous ces menus détails de la vie intime, dont l’enchaînement constitue la journée, sont pour moi autant de nuances d’un charme continu qui va se développant d’un bout de journée à l’autre : — le salut du matin qui renouvelle en quelque sorte le plaisir de la première arrivée, car la formule avec laquelle on s’aborde est à peu près la même, et d’ailleurs la séparation de la nuit imite assez bien les séparations plus longues, comme elles étant pleine de dangers et d’incertitude ; — le déjeuner, repas dans lequel on fête immédiatement le bonheur de s’être retrouvés ; — la promenade qui suit, sorte de salut et d’adoration que nous allons rendre à la nature, car à mon avis, après avoir adoré Dieu directement dans la prière du matin, il est bon d’aller plier un genou devant cette puissance mystérieuse qu’il a livrée aux adorations secrètes de quelques hommes ; — notre rentrée et notre clôture dans une chambre toute lambrissée à l’antique, donnant sur la mer, inaccessible au bruit du ménage ; en un mot, vrai sanctuaire de travail ; — le dîner qui s’annonce non par le son de la cloche qui sent trop le collège ou la grande maison, mais par une voix douce qui nous appelle d’en bas ; la gaieté, les vives plaisanteries, les conversations brisées en mille pièces qui flottent sans cesse sur la table durant ce repas : le feu pétillant de branches sèches autour duquel nous pressons nos chaises après ce signe de croix qui porte au ciel nos actions de grâces ; les douces choses qui se disent à la chaleur, du feu qui bruit tandis que nous causons ; — et, s’il fait soleil, la promenade au bord de la mer qui voit venir à elle une mère portant son enfant dans ses bras, le père de cet enfant et un étranger, ces deux-ci un bâton à la main ; les petites lèvres de la petite fille qui parle en même temps que les flots, quelquefois les larmes qu’elle verse, et les cris de la douleur enfantine sur le rivage de la mer ; nos pensées à nous, en voyant la mère et l’enfant qui se sourient ou l’enfant qui pleure et la mère qui lâche de l’apaiser avec la douceur de ses caresses et de sa voix, et l’océan qui va toujours roulant son train de vagues et de bruits ; les branches mortes que nous coupons dans le taillis pour nous allumer au retour un feu vif et prompt ; ce petit travail de bûcheron qui nous rapproche de la nature par un contact immédiat et me rappelle l’ardeur de M.  […] Il continuait, il est vrai, d’écrire dans son journal qu’il ne se croyait pas de talent ; il se le démontrait de son mieux dans des pages subtiles et charmantes, et qui prouvaient ce talent même.

1751. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Étienne donne un démenti formel à cette première satire d’Horace : il n’envie personne, il n’a jamais aspiré à un autre sort que le sien ; il est vrai qu’il n’a jamais eu proprement de profession (hormis pour un temps très court), et que de bonne heure une fortune suffisante lui a permis de lire, d’étudier à son aise et de se livrer à l’heureuse modération de ses penchants. […] Je ne sais pas de preuve plus sûre qu’on n’est pas fait pour être un vrai critique, que d’aller préférer d’instinct, dans cequ’on a sous les yeux, un demi-talent à un talent et, qui pis est, à un génie. […] d’idées et de phrases convenues : « Je regarde Dussault, disait-il, comme le Fiévée du classicisme, le meilleur avocat d’une vieille platitude. » Il appelait de tous ses vœux un digne adversaire et un vrai contradicteur : « Prions Dieu que quelque homme de talent prenne ici la défense du classicisme, et force ainsi les romantiques à faire usage de tout leur esprit, et à ne laisser aucune erreur dans leur théorie. » Il écrivait cela de Milan en 1819, et en vue du romantisme italien de Manzoni. […] Delécluze ouÉtienne, qui a passé sa vie à se croire classique et à défendre plus ou moins l’orthodoxie en littérature ou en art, serait, à cette heure-ci, rejeté de tous les classiques, s’il y en avait encore, et au nom même de ce qu’il a professé : je ne lui vois d’asile et de refuge à espérer que in partibus infidelium, parmi ceux qu’il a tant conspués, et qui l’accueillent volontiers, qui lui font place, en faveur d’un joli roman naturel, de quelques dessins vrais et frappants, de quelques descriptions fidèles et qui ont le cachet de leur date : Mademoiselle de Liron, son chef-d’œuvre, l’Atelier de David, et quelques pages et portraits des Souvenirs.

1752. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Il a fait des découvertes réelles, bien qu’il les ait un peu exagérées dans le principe ; mais à lui tout est permis, et il a, par son talent d’écrivain et par ses retouches successives, des manières de compenser ou de réparer, et, une fois averti, des empressements à rentier dans le vrai, qui ne retirent rien aux effets d’un premier éclat. […] Il est vrai qu’il se masque souvent, à ne pas le reconnaître. […] Il n’est que trop vrai qu’en tout le premier mouvement est de juger les autres d’après soi et de les rapporter directement à son image. […] La marquise de Sablé étant allée, un jour, se loger tout à côté du monastère de Port-Royal, et étant devenue l’une des amies des patronnes et des protectrices, si l’on veut, ou des affiliées de la sainte abbaye, j’ai cherché à déterminer le vrai caractère de ces rapports.

1753. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’Audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. »

Il ne s’est pas trompé en consultant un tel régulateur : il est bien vrai qu’en s’en tenant au fait et à ce qui a prévalu dans la langue du xviie  siècle et même du xviiie , c’est bien, comme il l’indique et le prévoit, un certain caractère de choix, de noblesse et de distinction qui a pris le dessus. […] Or, écoutons à son tour Vaugelas ; son accent ici s’élève, car il a en lui, sur ces matières qui semblent un peu sèches ou légères, une chaleur vraie, un foyer d’ardeur et de conviction : « Je réponds, et j’avoue, dit-il, que c’est la destinée de toutes les langues vivantes d’être sujettes au changement ; mais ce changement n’arrive pas si à coup et n’est pas si notable que les auteurs qui excellent aujourd’hui en la langue ne soient encore infiniment estimés d’ici à vingt-cinq ou trente ans, comme nous en avons un exemple illustre en M.  […] Quelle obligation ne lui a point notre langue, n’y ayant jamais eu personne qui en ait mieux su le génie et le caractère que lui, ni qui ait usé de mots ni de phrases si naturellement françaises, sans aucun mélange des façons de parler des provinces, qui corrompent tous les jours la pureté du vrai langage français ! […] Il sera toujours vrai aussi que les règles que je donne pour la netteté du langage ou du style subsisteront sans jamais recevoir de changement. » Encore une fois, il est évident qu’à cette date il s’est passé un grand fait sensible et manifeste à tous ; que tous ceux qui étudiaient et pratiquaient la langue ont eu conscience de sa formation définitive, de son entrée dans l’âge adulte et de sa pleine virilité.

1754. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

M. de Noirmont est un personnage bien vrai, et qui nous rappelle plus d’un profil connu : « Né avant 89, d’une ancienne maison, mais abandonné à lui-même dès l’enfance, libre par conséquent de préjugés traditionnels, il a assisté avec indifférence, presque avec joie, à la chute de la vieille société. […] Noirmont cependant a tout vu et tout deviné ; avant de laisser son ami, il le gronde et lui fait honte de toutes ces duplicités ; et quand Herman s’étonne de cette sévérité de langage à laquelle un tel mentor ne l’avait pas accoutumé jusque-là, Noirmont lui explique ses principes, car il en a, et qui se réduisent presque à un seul sentiment bien arrêté, la haine de l’hypocrisie : « Il est vrai, lui dit-il, je suis en guerre ouverte avec les salons ; je scandalise un monde corrompu à qui je refuse la satisfaction des apparences. […] As-tu oublié ma honte et ma douleur premières à ces fatals soupers où tu réunissais, au milieu des bacchantes, artistes, écrivains, compositeurs, poëtes, où chacun excellait en quelque chose, les uns types modernes de la beauté an’ique, les autres étincelants de saillies, servant aux convives leur esprit toujours présent, celui-ci sa verve satirique, celui-là son intarissable gaîté de sublime bohème ; saturnales du génie, vrai paradis du vice ! […] Je ne marche en ceci que d’accord avec tous les vrais moralistes : « La durée de nos passions, a dit le plus grand, ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie. » Ce même moraliste (La Rochefoucauld) a dit encore : « Il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est toujours l’établissement d’une autre… On pourrait dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie, comme des hôtes chez lesquels il faut successivement loger. » Or ceci me devient une lumière, et je la propose humblement au comte Herman, afin de mieux assurer son bonheur et de fortifier sa constance ; car, comme tous les Almavivas convertis, il me paraît de sa nature un peu fragile.

1755. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Il est vrai qu’elle est plus rare chez Mme Roland que chez Rousseau. […] Chloé nous est présentée comme une personne d’une raison précoce, « d’un naturel docile mais pénétrant, cultivé par une éducation aisée et prudente, d’un esprit juste mais gai », d’une humeur enjouée et vive, sur qui les amorces qui s’adressent à la vanité ne prennent pas, mais dont le cœur peut se laisser gagner au vrai mérite et au charme d’un entretien spirituel et instructif ; une conversation « gaiement sensée ou finement badine » a des chances de lui plaire. […] Sur quoi Bussy-Rabutin lui répondait assez agréablement : « En amour il n’est pas vrai, mon Révérend Père, qu’on ne tutoie jamais sa maîtresse ; mais vous n’êtes pas obligé de savoir cela. » Ici c’est la femme qui aime, qui tutoie son ami, et elle n’est pas sa maîtresse. […] Dans une seconde lettre de Buzot, du 3 juillet, Mme Roland revient sur la même idée d’un contentement austère au sein de la captivité, et elle l’exprime avec une rare noblesse : « Mon ami, ne nous égarons pas jusqu’à frapper le sein de notre mère en disant du mal de cette vertu qu’on achète, il est vrai, par de cruels sacrifices, mais qui les paye, à son tour, par des dédommagements d’un si grand prix.

1756. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La comédie de J. de La Bruyère : par M. Édouard Fournier. »

Cela est surtout vrai en littérature. […] Cela est vrai. […] Il a tellement pris soin, d’ailleurs, de les joindre et de les entrelacer à ses documents et à ses textes, et de morceler ces derniers, qu’il est difficile de démêler les uns d’avec les autres : c’est une vraie pelote d’aiguilles très-fines. […] Vous avez, il est vrai, une interprétation bien à vous, et qui me paraît des plus cherchées et des plus tirées : il y a longtemps que j’ai donné la mienne, toute différente et bien plate assurément.

1757. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Il suffit d’ouvrir, de feuilleter, de lire çà et là ces volumes, pour prendre aussitôt du vieux Colletet une idée plus complète, plus vraie ; on ne le connaît qu’alors dans toute sa bonhomie et toute sa culture gauloise. […] Par malheur, il est trop vrai que, de nos jours, plus d’un jeune auteur s’est accoutumé à tout mettre dans la chaleur du sang et dans la fougue du désir ; leur talent a passé de bonne heure dans le tempérament, et s’y est comme fixé. […] Saint-Amant, à le bien voir, est un poëte rabelaisien fort réjoui et de bon cru ; « il avait assez de génie pour les ouvrages de débauche et de satire outrée, » c’est Boileau qui lui accorde cet éloge, et qui lui reconnaît aussi des boutades heureuses dans le sérieux : ce jugement reste vrai et irréfragable. […] Nombre de pages qu’il y a semées et qui me reviennent à la fois, par exemple, sur Ronsard pédant et poëte, sur le paganisme d’art au xvie  siècle, sur ce que les Français ne sont pas une nation poétique, sur ce que les poëtes ne sont que rarement musiciens et réciproquement, etc., toutes ces pages se lisent avec plaisir et se retiennent ; elles sont suffisamment vraies ou auraient peu à faire pour le devenir.

1758. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

Elle était plus forte, plus grande, plus passionnément douée que ce premier aspect ne la montre ; il y avait de puissants ressorts, de nobles tumultes dans cette nature, que toutes les affections vraies et toutes les questions sérieuses saisissaient vivement ; comme l’époque qu’elle représente pour sa part et qu’elle décore, elle cachait sous le brillant de la surface, sous l’adoucissement des nuances, plus d’une lutte et d’un orage. […] Le couvent chez Mme de Duras est un vrai cloître, rude, austère, pénitent ; le prêtre est redevenu un vrai confesseur, et, comme dit Ourika, un vieux matelot qui connaît les tempêtes des âmes. […] Le pardon de Jésus-Christ est le vrai pardon chrétien : « Ils ne savent ce qu’ils font. » Il y a, dans ces touchantes paroles, l’excuse de l’offenseur et la consolation de l’offensé, la seule consolation possible de ces douleurs morales, où le mal qu’on nous a fait n’est, pour ainsi dire, que secondaire.

1759. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Dans des conditions artificielles, dans un cadre irréel, il place un élément naturel, un sentiment vrai, qu’il oblige à découvrir son essence et ses propriétés par des réactions caractéristiques. […] Ce que Racine a fait pour l’amour tragique, principe de folie, de crime et de mort, Marivaux le fait pour l’amour qui n’est ni tragique ni ridicule, principe de souffrance intime ou de joie sans tapage, pour l’amour simplement vrai, profond, tendre. […] Dans les vives polémiques qui s’engagèrent, les partisans du nouveau genre et ses ennemis ne le comparaient pas ordinairement à la comédie pure, mais à la tragédie : de La Chaussée à Beaumarchais, le grand argument qu’on fait valoir en sa faveur, c’est qu’il est plus vrai, et plus moral que la tragédie, parce qu’il peint des personnages pareils à nous, dans des situations pareilles à celles où nous nous trouvons tous les jours. […] Diderot a l’idée d’un jeu plus vrai que n’était le jeu des comédiens français en son temps ; et c’est ce qu’il a traduit par sa théorie des tableaux.

1760. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Pourtant, quand il vit sa santé détruite, ses espérances ruinées par là non moins que par les froideurs d’une Cour insensible au vrai mérite, il sentit que la seule ressource pour un esprit noblement ambitieux, c’était encore de se tourner du côté de « la gloire la moins empruntée et la plus à nous qu’on connaisse ». […] Son impartialité de vue l’élève au-dessus des souffrances partielles, même personnelles, et des accidents : « Si l’ordre domine après tout dans le genre humain, c’est une preuve, se dit-il, que la raison et la vertu y sont les plus fortes. » La vraie biographie de Vauvenargues, l’histoire de son âme est toute dans ses écrits ; c’est un plaisir de l’en dégager et de se dire avec certitude, en soulignant au crayon tel ou tel passage : Ici c’est bien lui qui parle, c’est de lui-même qu’il a voulu parler. […] En l’écrivant, Vauvenargues ne songeait certes pas à faire son portrait ; mais il se retraçait et se proposait son plein idéal à lui-même : Quand je trouve dans un ouvrage une grande imagination avec une grande sagesse, un jugement net et profond, des passions très hautes, mais vraies, nul effort pour paraître grand, une extrême sincérité, beaucoup d’éloquence, et point d’art que celui qui vient du génie, alors je respecte l’auteur : je l’estime autant que les sages ou que les héros qu’il a peints. […] Les esprits pesants, les sophistes ne reconnaissent pas la philosophie lorsque l’éloquence la rend populaire, et qu’elle ose peindre le vrai avec des traits fiers et hardis.

1761. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Mais, pour bien étudier un tel exemple et en tirer toute la leçon qu’il renferme, il faut oser introduire dans l’idée de ce caractère de d’Aguesseau tous les vrais éléments tels que les donnent les témoins les plus clairvoyants et les plus sagaces. […] Les dix Méditations sur les vraies ou les fausses idées de la justice sont une belle lecture. […] Le christianisme ajoute et confirme : mais, antérieurement au christianisme, selon eux, il y a une vraie et large base à la loi dans l’âme humaine. […] Et ce même chancelier pourtant, séduit par le plan que lui déroula Diderot, et par le pur amour des sciences, accorda en dernier lieu le privilège de l’Encyclopédie, dont les premiers volumes ne parurent, il est vrai, qu’après sa mort.

1762. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Il ne voyait pas de vrai et entier grand homme de son temps, qui était cependant celui des L’Hôpital, des Coligny, des Guises. […] Le peuple surtout, le vrai peuple, celui qui est victime et non pillard, les paysans de ses environs le touchent par la manière dont ils supportent les mêmes maux que lui et pis encore. […] » Combien cela est vrai de Montaigne ! […] Tout son livre, a dit Étienne Pasquier, est un vrai séminaire de belles et notables sentences ; et elles entrent d’autant mieux qu’elles courent et se pressent, et ne s’affichent pas ; il y en a pour tous les âges et pour toutes les heures de la vie ; on ne le peut lire quelque temps sans en avoir l’âme toute remplie et comme tapissée, ou, pour mieux dire, tout armée et toute revêtue.

1763. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

Perrault expose au long et il établit la vraie part qu’eut son frère le médecin au bâtiment de l’Observatoire et à la façade du Louvre. […] Et sans plus de réponse, je me borne à citer l’aimable anecdote suivante qui nous montre au vrai le caractère sincère et ingénu de Perrault, et je laisse l’impression s’en faire d’elle-même sur le lecteur : Quand le jardin des Tuileries fut achevé de replanter, et mis dans l’état où vous le voyez : « Allons aux Tuileries, me dit M.  […] Perrault, comme Desmarets de Saint-Sorlin et comme d’autres adversaires de Boileau, pensait que la religion chrétienne est de nature à prêter à la poésie, et qu’elle fournit même son vrai fonds à l’imagination moderne. […] En le lisant, à chaque page, le vrai, le faux et l’incomplet se mêlent.

1764. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Mme des Ursins, toujours en train et en goût de représentation actuelle et de puissance, rêvera, pour sa retraite dernière, une position de souveraine dans un petit État indépendant où elle puisse, à ses heures de loisir, gouverner une bonne fois en son propre nom et se déployer en plein soleil : car ce fut là son pot-au-lait final et son vrai château en Espagne. […] Mme des Ursins ne laisse pas tomber ce mot : « On dit pourtant, remarque-t-elle, que c’est plutôt le peuple qui en a été irrité, que la plupart des seigneurs. » On conçoit par une telle disposition de cœur combien, dans de si périlleuses conjonctures, Mme des Ursins dut être utile alors à Madrid pour y soutenir et y fortifier les résolutions royales ; car ce fut là l’honneur de cette maison de Bourbon à son avènement en Espagne, ce fut son vrai sacre, pour ainsi dire, de ne jamais désespérer au plus fort de la crise, de sentir la main de Louis XIV prête à se retirer et presque à se retourner contre elle, sans se laisser abattre : « Le roi est tout occupé du soin de se défendre seul, au cas que le roi, son grand-père, lui retire les secours dont il l’a assisté », écrivait Mme des Ursins. […] Comme M. d’Amezaga hésitait, la reine lui demanda s’il n’avait pas un ordre particulier du roi d’Espagne de lui obéir en tout et sans réserve ; ce qui était vrai. […] Toute étude faite, je n’en ai pas le courage : elle rendit, en effet, de vrais services, et, en ce qui est de l’habileté dans les conjonctures difficiles, on est trop heureux de la prendre où elle se rencontre.

1765. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Mais il y a un autre point de vue, plus vrai, plus naturel et plus humain, qui, tout en laissant subsister les parties supérieures et de première trempe, permet de voir les défauts, d’entrevoir les motifs, de noter les altérations, et qui, sans rien violer du respect qu’on doit à une noble mémoire, restitue à l’observation morale tous ses droits. […] Mais ce qui est vrai peut-être, c’est que l’humeur de Carrel était alors plus ombrageuse et plus difficultueuse que ses principes mêmes. […] ce qu’il dit là contre le suicide ne pourrait-on pas en partie le dire aussi contre le duel, qui n’est souvent qu’une autre forme de suicide, comme cela fut trop vrai de lui qui écrit et de son cas suprême ? […] C’est un bel article, sombre, fier, tendre sans faiblesse, moral sans déclamation, et comme avait seul le droit de l’écrire un homme qui avait sondé la vie et vu plus d’une fois en face la mort. — J’ai suivi jusqu’à présent Carrel un peu au hasard, et je me suis essayé comme lui : j’ai hâte de me recueillir à son sujet et de rejoindre sa vraie ligne, comme il fit bientôt en devenant tout à fait lui-même.

1766. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

L’amitié de Frédéric pour ce pur littérateur et cet honnête homme simple a quelque chose qui rentre tout à fait dans l’ordre des amitiés vraies entre particuliers. […] Quand il le sait malade, il lui envoie son médecin Cothenius pour lui indiquer les vrais remèdes. […] Ôtez de devant mes yeux cette épée qui m’éblouit et me blesse. » Frédéric ne se choque point, et à l’étrange boutade du philosophe sauvage il n’oppose que ces mots : « Il veut que je fasse la paix ; le bonhomme ne sait pas la difficulté qu’il y a d’y parvenir, et, s’il connaissait les politiques avec lesquels j’ai affaire, il les trouverait bien autrement intraitables que les philosophes avec lesquels il s’est brouillé. » Aussitôt la paix conclue, Frédéric se fait une joie de revoir son ami le Milord Maréchal, et, quand celui-ci l’a quitté pour retourner en Écosse, il essaye de le rappeler à Postdam par ces paroles où perce cette fois un sourire et un vrai parfum de poésie : « Je finis ma lettre en vous apprenant, mon cher Milord, que mon chèvrefeuille est sorti, que mon sureau va débourgeonner, et que les oies sauvages sont déjà de retour. […] Je me suis attaché à démontrer un côté que je crois bien vrai et bien essentiel en Frédéric ; quiconque abordera sans prévention la lecture de ses lettres en sera frappé.

1767. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre III. L’art et la science »

  S’il était permis de mêler le contingent à l’éternel, ce serait plutôt le contraire qui serait vrai. […] La locomotion, pour aller du char antique de Laïus au railway, en passant par la patache, le coche, la turgotine, la diligence et la malle-poste, a fait du chemin ; le temps n’est plus du fameux voyage de Dijon à Paris durant un mois, et nous ne pourrions plus comprendre aujourd’hui l’ébahissement de Henri IV demandant à Joseph Scaliger : Est-il vrai, monsieur l’Escale, que vous avez été de Paris à Dijon sans aller à la selle ? […] On étonnerait fort Solon, fils d’Exécestidas, Zenon le Stoïcien, Antipater, Eudoxe, Lysis de Tarente, Cébès, Ménédème, Platon, Épicure, Aristote et Epiménide, si l’on disait à Solon que Ce n’est pas la lune qui règle l’année ; à Zenon, qu’il n’est point prouvé que l’âme soit divisée en huit parties ; à Antipater, que le ciel n’est point formé de cinq cercles ; à Eudoxe, qu’il n’est pas certain qu’entre les Égyptiens embaumant les morts, les Romains les brûlant et les Pæoniens les jetant dans les étangs, ce soient les Pæoniens qui aient raison ; à Lysis de Tarente, qu’il n’est pas exact que la vue soit une vapeur chaude ; à Cébès, qu’il est faux que le principe des éléments soit le triangle oblong et le triangle isocèle ; à Ménédème, qu’il n’est point vrai que, pour connaître les mauvaises intentions secrètes des hommes, il suffise d’avoir sur la tête un chapeau arcadien portant les douze signes du zodiaque ; à Platon, que l’eau de mer ne guérit pas toutes les maladies ; à Épicure, que la matière est divisible à l’infini ; à Aristote, que le cinquième élément n’a pas de mouvement orbiculaire, par la raison qu’il n’y a pas de cinquième élément ; à Epiménide, qu’on ne détruit pas infailliblement la peste en laissant des brebis noires et blanches aller à l’aventure, et en sacrifiant aux dieux inconnus cachés dans les endroits où elles s’arrêtent. […] Elle procède par épreuves superposées l’une à l’autre et dont l’obscur épaississement monte lentement au niveau du vrai.

1768. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 38, que les peintres du temps de Raphaël n’avoient point d’avantage sur ceux d’aujourd’hui. Des peintres de l’antiquité » pp. 351-386

Il est vrai que depuis deux siecles on en a déterrez un bien plus grand nombre, soit dans Rome, soit dans d’autres endroits de l’Italie ; mais je ne sçai par quelle fatalité, la plûpart de ces peintures sont peries, et il ne nous en est demeuré que les desseins. […] La peinture et la sculpture, il est vrai, sont deux soeurs, mais elles ne sont pas dans une union si parfaite, que toutes leurs destinées leur soient communes. […] Il est vrai que ce tableau devoit surpasser pour les graces de l’invention et pour l’élegance des allegories, ce que L’Albane a fait de plus riant dans le genre des compositions galantes. […] Quoique son air de tête soit naïf, quoique son maintien paroisse ingénu, on devine à son sourire malin, qui n’est pas entierement formé, parce que le respect le contraint, comme au mouvement de ses yeux sensiblement gêné, que cet enfant veut paroître vrai, mais qu’il n’est pas sincere.

1769. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens Mais ces grands hommes, dira-t-on, ne sont-ils pas exposez eux-mêmes à être dégradez. […] Il est vrai, repondrai-je, que les sciences naturelles dont on ne sçauroit faire un trop grand cas, et dont on ne sçauroit trop honorer les dépositaires, sont plus parfaites aujourd’hui qu’elles ne l’étoient du temps d’Auguste et de Leon X mais cela ne vient point de ce que nous aïons plus de justesse dans l’esprit, ni que nous sçachions mieux raisonner que les hommes qui vivoient alors. […] Il est vrai que tous ceux qui sont persuadez maintenant de la circulation du sang ne l’ont point vûë de leurs propres yeux, mais ils sçavent que ce n’est plus par des raisonnemens qu’on la prouve, et que c’est en la faisant voir qu’on la démontre. […] Enfin, s’il étoit vrai que l’art de raisonner fut aujourd’hui plus parfait qu’il ne l’étoit dans l’antiquité, nos philosophes seroient mieux d’accord entr’eux que ne l’étoient les philosophes anciens.

1770. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Pratique et morale, sa philosophie a pour but non le vrai, mais la règle. […] Si elles sont vraies en psychologie, elles sont vraies en géologie, en astronomie, en histoire naturelle. […] La perception extérieure est une hallucination vraie.

1771. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXIII. »

Rien de moins vrai que d’imputer à ce facile génie, à cet esprit si juste et si naturel, les torts de l’affectation et de la subtilité. […] Et ce n’est pas là toutefois, malgré la passion du poëte, que parut sa vraie grandeur. […] Peut-être cette première inspiration lui convenait mieux, était plus vraie pour lui que celle qui suivit ; mais l’une et l’autre en ont fait un poëte qu’on ne peut oublier. […] Si le chasseur de là-bas nous a dit vrai, au loin, dans le désert marécageux et sauvage, le tigre a établi sa solitude ; et averti, à son récent dommage, d’éviter la foudre des fusils anglais, de ses rares, mais cruelles attaques, il ne revient plus ensanglanter le hameau.

1772. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Dans ces nombreux recueils que j’ai sous les yeux, il y en a qui, à mesure que j’y entre davantage, me font entrevoir tout un monde, un ordre de sentiments, d’amitiés, d’idées, dans lequel le poëte habite, où il a vécu, et qui mériterait sans doute d’être étudié d’un peu plus près ; car il n’y a rien de plus distinct et de moins fait pour être confondu avec un autre qu’un talent, même secondaire, de vrai poëte. […] Abel Jeandet (de Verdun), prend soin de nous expliquer dans une introduction avec le zèle et la sympathie d’un compatriote ; je parcours le recueil : c’est tout un monde bourguignon, des souvenirs du cru, des amitiés d’enfance, des paysages naturels, de riches aspects qu’anime la Saône ; puis le combat, la lutte et la mêlée, la souffrance, bien des amertumes, des injustices même éprouvées ou commises, le fouet de la satire qui siffle, et finalement une sorte de tristesse grave et de découragement austère ; — toute une vie, enfin, de quinze années qui se reflète dans des vers inégaux, rudes parfois, vrais toujours et sincères, et dont quelques-uns attestent une force poétique incontestable. […] Dans ses Études d’après nature 45, il a donné de bons portraits rustiques copiés sur modèle, vrais, consciencieux, honnêtes.

1773. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Celui-ci avait laissé le jeune abbé en train de fortes études et de thèses théologiques ; il se le figurait toujours sous cet aspect : « Vous avez trop bonne opinion de ma vocation à l’état ecclésiastique, lui écrivait Rancé : pourvu qu’elle ait été agréable à Dieu, c’est tout ce que je désire… » On a beau relire et presser les lettres de cette date, on y trouve de bons et respectueux sentiments pour son ancien précepteur, un vrai ton de modestie quand il parle de lui-même et de ses débuts dans l’école ou dans la chaire, de la gravité, de la convenance, mais pas le plus petit bout d’oreille de l’amant de Mme de Montbazon. […] Cela est vrai de l’aveu de Rancé lui-même, et il nous l’exprime à sa manière, quand il dit (lettre du 3 octobre 1675) : « Puisque vous voulez savoir des nouvelles de notre affaire, je vous dirai, quelque juste qu’elle fût, qu’elle a été jugée entièrement contre nous ; et, pour vous parler franchement, ma pensée est que l’Ordre de Cîteaux est rejeté de Dieu ; qu’étant arrivé au comble de l’iniquité, il n’étoit pas digne du bien que nous prétendions y faire, et que nous-mêmes, qui voulions en procurer le rétablissement, ne méritions pas que Dieu protégeât nos desseins ni qu’il les fît réussir. » Il revient en plusieurs endroits sur cette idée désespérée ; son jugement sur son Ordre est décisif : les ruines mêmes , s’écrie-t-il, en sont irréparables . […] Voilà, Monsieur, la pensée la plus naturelle et la plus utile que puisse nous donner la vue du plus superbe de tous les tombeaux. » Sur quoi l’abbé Nicaise, en vrai littérateur qu’il est, s’empare des paroles mêmes de Rancé pour en faire un nouvel enrichissement à son tombeau et à sa dissertation ; il n’a garde de laisser tomber de si magnifiques pensées sans en profiter comme auteur, sinon comme homme.

1774. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Par lui, l’antiquité sort de l’abstraction : on la voit, un peu molle et sensible, vraie pourtant et surtout réalisée dans des formes plastiques qui en représentent bien le caractère le plus original, et le moins considéré jusque-là par les littérateurs. […] Dans ses élégies, il se découvre encore le vrai fils de son siècle. […] A son origine, sans doute, il doit ce caractère unique chez nous d’être plus Hellène que Latin : réfractaire même au génie proprement romain, et dans la poésie romaine incapable de saisir autre chose que les reflets de son aimable Grèce, la vraie patrie de son esprit : ses auteurs préférés, avec les purs Grecs, sont les poètes de l’alexandrinisme latin.

1775. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Si Vénus, sans rien perdre de sa beauté, savait détacher un coup de pied comme Deburau, elle serait la vraie Muse, la Muse pindaricomique des Odes funambulesques. […] Par quel prodige, au milieu de ce siècle de critique et tout en subissant comme un autre les misères de ce siècle, dans ce pays de censure et d’académie, un homme de ce temps et de ce lieu a-t-il pu se ressouvenir de la vraie, pure, originelle et joyeuse nature humaine se dresser contre le flot de la routine implacable et non pas écrire ou parler, mais « chanter » comme un de ces bardes qui accompagnèrent au siège de Troie l’armée grecque pour l’exciter avant le combat et ensuite la reposer, — toutefois, en chantant, ne point sembler (pour ne blesser personne) faire autre chose qu’écrire ou parler comme tout le monde, et, avec une langue composée de vocables caducs, usés comme de vieilles médailles, sous des doigts immobiles depuis deux siècles, donner l’illusion bienfaisante d’un intarissable fleuve de pierreries nouvelles ? […] Théodore de Banville a été un des premiers poètes de ce temps qui aient suivi les traces de Chénier aux pentes fleuries de l’Hymette où Béranger n’éveilla pas les abeilles, un des premiers à faire sur des sujets antiques des vers nouveaux, ce qui fut la gloire vraie de Chénier.

1776. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Si vous faites tant que de prendre les mots grecs, prenez-les en leur vraie forme et dites : Azis, qui est, à peu de chose près, la vraie prononciation ! […] C’est là certainement une vraie conception de génie qui se poursuit et se définit sans cesse, avec un triomphe de plus en plus convaincu.

1777. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Premières tentatives sur Jérusalem. »

Le service du culte entraînait une foule de détails assez repoussants, surtout des opérations mercantiles, par suite desquelles de vraies boutiques s’étaient établies dans l’enceinte sacrée. […] Les vrais hommes nouveaux eurent en aversion cet antique lieu sacré. […] Le haut sacerdoce de Jérusalem tenait, il est vrai, un rang fort élevé dans la nation ; mais il n’était nullement à la tête du mouvement religieux.

1778. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Elle est vraie de tous les phénomènes mentaux et n’est réductible à aucune autre loi mentale. Mais les phénomènes de l’esprit ne sont qu’une partie des phénomènes de la vie et la loi d’association n’est qu’un cas particulier, quoique très important d’une loi qui est vraie de tous les phénomènes de la vie, — la loi d’habitude. » Il considère aussi les concepts de temps et d’espace, comme les résultats de l’expérience, mais de l’expérience de la race et non de l’expérience individuelle. […] Il est vrai que ces formes se trouvent au fond de nos connaissances puisqu’on peut les en tirer ; mais comment s’y trouvent-elles ?

1779. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Il va chercher jusqu’en Égypte le type de la vraie société ; et il pardonne à ce pays sa fausse religion en faveur de sa bonne constitution politique. […] Entre M. de Bonald et M. de Chateaubriand, ces deux termes extrêmes de l’école royaliste, se placent Joseph de Maistre et M. de Montlosier, personnages aussi originaux l’un que l’autre, l’un grand écrivain et penseur supérieur, l’autre publiciste incorrect, mais éloquent et vigoureux, tous deux énergiques et fiers, pleins d’honneur et de courage, de vraie souche aristocratique, et qui en d’autres temps auraient pu sauver leur caste, si elle eût produit beaucoup d’hommes semblables à eux. […] Il a une vraie admiration pour les institutions anglaises, et, sans être, comme on l’a dit récemment, un libéral, il aime à faire remarquer dans l’ancienne constitution de la France les éléments de résistance qu’elle opposait au pouvoir absolu.

1780. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 15, le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations » pp. 252-276

Il est vrai que ces peuples étrangers ont aboli l’ancienne langue. […] Ce que Tacite dit des repas des germains, est vrai des repas du commun des allemands d’aujourd’hui. […] Il est vrai que les animaux ne tiennent point au sol de la terre comme les arbres et comme les plantes ; mais d’autant que c’est l’air qui fait vivre les animaux, et que c’est la terre qui les nourrit, leurs qualitez ne sont gueres moins dépendantes des lieux où ils sont élevez, que les qualitez des arbres et des plantes sont dépendantes du païs où ils croissent.

1781. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

Non pas un être qu’on adore par mouvement du cœur et élan de l’instinct, mais une doctrine que d’autres doctrines ont amené peu à peu à croire vraie ; Dieu pour Platon est une conclusion ; la foi de Platon est une logique. […] » — Il y a du vrai, beaucoup de vrai.

1782. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « IX »

Albalat voit des intentions de poète, Bossuet n’avait que des intentions de théologien. » Il est très vrai que le souci d’exactitude théologique explique certaines ratures de Bossuet ; j’accorderais même, si l’on y tient, qu’aucune de mes citations n’est probante. […] C’était pourtant la meilleure façon de bien montrer que l’antithèse était le procédé instinctif de Pascal, sa méthode d’esprit, sa façon habituelle de penser. « Mais, dit-on, le vrai Pascal émet une telle lumière que l’antithèse y est noyée, invisible. » Oui et non. […] Nous ajoutions, il est vrai, et c’est ce qu’on ne nous pardonne pas, que Stendhal est, en général, mauvais écrivain.

1783. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Consentons à être vrais et conséquents ; nos dénégations d’ailleurs ne peuvent changer rien à l’état des choses. […] Ces choses ne peuvent, il est vrai, supporter l’analyse et la discussion : elles disparaissent comme le diamant dans le creuset de Lavoisier ; mais cela ne prouve ni contre ces idées, ni contre le diamant. […] Pour avoir sur cet objet des idées justes et vraies, ne faudrait-il pas rétablir, par la pensée, les idées qui dominaient à l’époque où Eschyle, Euripide et Sophocle régnaient sur la scène tragique ?

1784. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

La pureté, la grandeur de leur intention, l’absence complète d’orgueil et de pédantisme (car le pédantisme est de l’orgueil, sous sa plus laide forme, il est vrai), le désintéressement de tout ce qui n’est pas la gloire de Dieu et son triomphe, voilà ce qui rompt et assouplit le prêtre catholique, et fait de lui cette merveilleuse organisation domptée qui se ploie aisément à toutes les coutumes et le rend propre à toutes les fonctions. […] Les mandarins les plus fins et les plus fûtes, comme les fonctionnaires les moins sagaces, furent parfaitement dupes de cette excellente mascarade, dont le récit a la grâce d’une ironie pleine de gaîté et dans lequel Huc prend tour à tour les deux voix, — la voix du masque qui fait illusion et la voix vraie qui se moque de l’illusion faite, — et se félicite, avec une bonne humeur si communicative, d’avoir réussi. […] Bien des esprits plus fanatiques que ce prêtre, transformé en observateur, n’en proclameront pas moins la supériorité de la Chine et croiront à la force de sa vie, parce qu’ils verront dans le livre même de Huc ces mouvements d’un peuple rusé, vénal, mercantile, actif, fripon, et par-dessus tout spirituel, qui survivent à la vraie vie éteinte, la vie morale, la vie de la conscience et du cœur.

1785. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

À des yeux catholiques, Léon XIII, fût-il de facultés médiocres, n’aurait pas besoin pour être dans l’avenir un grand pape d’être prédit par une biographie qui serait une promesse d’histoire, mais il n’est pas moins vrai que sa biographie, telle que la voici, en est une pour ceux qui ne sont pas chrétiens. […] Il vit, comme Grégoire XVI, au premier regard, la supériorité de Mgr Pecci, et dans la circonstance surchargée et prodigieusement difficile d’un royaume nouvellement fondé, il eut souvent recours aux conseils de ce jeune nonce, qui, avant d’être diplomate, avait glorieusement prouvé qu’il était surtout un homme de gouvernement effectif, et dont la force, comme la vraie force, avait toujours été assez grande pour être moelleuse. […] Jamais temps plus noir pour l’Église n’avait assombri l’horizon… La papauté, dépossédée de son pouvoir temporel et mutilée de la moitié d’elle-même, avait payé cruellement les premières illusions de Pie IX, chez qui le Pape, il est vrai, avait racheté les fautes du prince.

1786. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

si les gens du monde, endoctrinés par les faux docteurs du cœur humain, ont vu la passion suprême dans les pages frelatées d’une religieuse de fantaisie, inventée plus ou moins pour les besoins d’un parti ou les intérêts de la vanité d’un homme, ils pourront du moins apprendre aussi dans ces œuvres de sainte Térèse, traduites pour eux, ce que c’est qu’une vraie religieuse, et ils en pourront étudier le merveilleux idéal. […] Nous nous soucions fort peu, il est vrai, de l’Espagne de saint Isidore de Séville, de saint Ignace de Loyola, de la terre catholique d’Isabelle et de Ximenès ; mais, en revanche, nous raffolons depuis trente ans de l’Espagne moresque, de l’Espagne des boléros, des fandangos, des basquines et des castagnettes, et c’est, ma foi ! […] C’est avoir profité que de savoir s’y plaire, a dit un poète de la lecture d’un autre poète ; mais c’est bien plus vrai de la lecture de sainte Térèse.

1787. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VII. »

Telle est l’ardeur calme et vraie de cette poésie guerrière. […] Et vous, jeunes vélites, çà et là tressaillant sous vos boucliers, combattez, lancez de forts cailloux ; et, dardant vos flèches légères, restez près du bataillon de vos hommes d’armes. » Vraie poésie lyrique du patriotisme et du courage, qu’un grand écrivain de nos jours compare à la Marseillaise ! […] Stésichore cependant s’était toujours montré peu docile à ce pouvoir suprême, personnifié de son temps, il est vrai, par un odieux oppresseur dont les crimes et le nom semblent fabuleux, tant ils font horreur !

1788. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

A la première représentation du Camp des Croisés, il y a quelques années, voyant entrer dans la loge (où il était) Alexandre Dumas, il lui dit brusquement et familièrement : « Il y aura les deux Dumas, comme il y a eu les deux Corneille. » Le vrai Dumas trouva cela un peu leste pour commencer ; il sourit pourtant et causa comme si de rien n’était. […] Il y a du vrai, et les gens du monde qui admirent la poésie à tort et à travers, avertis cette fois, proclament beau ce qu’ils n’auraient jamais aperçu dans d’humbles volumes silencieux.

1789. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Note »

Note Tels sont ces articles sur Chateaubriand qui m’ont valu, par la suite, tant d’injures, et au nom desquels on m’a contesté le droit d’étudier plus à froid et de juger Chateaubriand mort à un point de vue toujours admiratif, mais moralement plus vrai et plus réel. Je dirai de plus que le caractère de mes relations avec M. de Chateaubriand a été tout à fait méconnu et défiguré à plaisir par des critiques, venus depuis et qui ne se sont pas rendu compte des vrais rapports naturels entre une ardente jeunesse qui s’élève et une gloire déclinante qui vieillit. — Je ne désirai jamais être présenté à M. de Chateaubriand : ce fut M.

1790. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « Mme DESBORDES-VALMORE. (Pauvres Fleurs, poésies.) » pp. 115-123

Voilà le cadre à la fois composé et vrai, où depuis qu’elle a laissé sa première manière d’élégie libre, pour se soucier de plus d’art, Mme Valmore nous semble réussir le mieux. […] Les autres métaphores, si hardies qu’elles soient, y sont vraies, sensibles à la pensée subsistantes à la réflexion.

1791. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Mais à côté, en dehors de ces grands rôles, il y en a d’autres qu’il ne faut pas cesser de revendiquer et de maintenir, parce qu’ils sont modestes, qu’ils sont vrais, qu’ils réfléchissent des nuances précieuses dont les autres ne tiennent pas compte, et parce qu’ils expriment, avec plus de distinction et de curiosité attentive, des sentiments et des délicatesses, pourtant éternelles, de l’âme humaine civilisée. […] Au milieu de l’espèce de lac, il y avait un grand courant, un Rhône qui traversait, qui ébranlait la masse et qui finit par la précipiter ; sur ce courant du milieu, s’agitaient des orateurs, des guerriers, la jeunesse à la nage, le peuple, un poëte libéral, un seul vrai, Béranger avec sa lyre !

1792. (1875) Premiers lundis. Tome III «  La Diana  »

Mais quelques-uns, cela est trop vrai pourtant, se sont accoutumés à croire que ce dont ils ont la garde est à eux ; ils se proposent toujours d’en faire pour leur propre compte une publication qui ne vient jamais ; vrais eunuques du sérail, Ne faisant rien, nuisant à qui veut faire.

1793. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Et Lamartine ? »

J’ajoutais, il est vrai, qu’il est peut-être temps de ne lui tenir compte que de son œuvre et de le remettre à son rang  qui est le premier. […] « En peignant ainsi la nature à grands traits et par masses, en s’attachant aux vastes bruits, aux grandes herbes, aux larges feuillages, et en jetant au milieu de cette scène indéfinie et sous ces horizons immenses tout ce qu’il y a de plus vrai, de plus tendre et de plus religieux dans la mélancolie humaine, Lamartine a obtenu du premier coup des effets d’une simplicité sublime, et a fait, une fois pour toutes, ce qui n’était qu’une seule fois possible. » Loué soit-il à jamais !

1794. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

C’est le vrai mystique, le seul mystique d’aujourd’hui. […] La vraie figure à qui fait songer M. 

1795. (1863) Molière et la comédie italienne « Préface » pp. -

Personne ne voulut céder, et on lutta à qui se moquerait le mieux ; les reparties devinrent plus aigres ; aux plaisanteries succédèrent les cris et les huées : ce fut une vraie bataille. […] D’autres comiques suivirent l’exemple, et bientôt le masque de Polecenella se répandit dans tous les théâtres d’Italie et d’Europe2. » Au fond, c’est là probablement la vraie histoire du seigneur Polichinelle et de plus d’un type de la commedia dell’arte ; seulement les uns prétendent qu’il faudrait peut-être la transporter dans l’antiquité, les autres qu’elle ne doit pas être reculée au-delà de l’âge moderne.

1796. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VII. L’Histoire de la Physique mathématique. »

C’est aussi une machine beaucoup plus compliquée que toutes celles de l’industrie, et dont presque toutes les parties nous sont profondément cachées ; mais en observant le mouvement de celles que nous pouvons voir, nous pouvons, en nous aidant de ce principe, tirer des conclusions qui resteront vraies quels que soient les détails du mécanisme invisible qui les anime. […] L’hypothèse des forces centrales contenait tous les principes ; elle les entraînait comme des conséquences nécessaires ; elle entraînait et la conservation de l’énergie, et celle des masses, et l’égalité de l’action et de la réaction, et la loi de moindre action, qui apparaissaient, il est vrai, non comme des vérités expérimentales, mais comme des théorèmes ; et dont l’énoncé avait en même temps je ne sais quoi de plus précis et de moins général que sous leur forme actuelle.

1797. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau et M. de Voltaire. » pp. 47-58

Il n’est rien sorti de ses mains qui ne respire l’amour du vrai & de l’humanité, une philosophie lumineuse, les graces du stile, le bon goût, une grande connoissance du cœur humain. […] Ces beautés sans nombre dont la Henriade est remplie ; caractères vrais & soutenus ; tableaux frappans des discordes civiles présentés sans partialité ; amour du bien public recommandé sans cesse ; ressors des passions humaines développés habilement ; intérêt croissant de chant en chant ; magie des vers poussée aussi loin que l’imagination peut aller : tout cela parut un crime aux yeux de Rousseau.

1798. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »

Cela n’est pas vrai, et cette méthode ne produit rien de bon.. […] Il s’agit d’un prêtre d’Apollon, par conséquent d’un fourbe, d’un payen incrédule, par conséquent d’un homme de bon sens ; et La Fontaine se fâche et parle comme s’il s’agissait du vrai dieu, d’un prêtre du dieu suprême.

1799. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 18, que nos voisins disent que nos poëtes mettent trop d’amour dans leurs tragedies » pp. 132-142

Mais il est vrai que les bons poëtes françois ne nous amusent point avec ces passions subites. […] Il n’en est pas de même des peintures de l’amour qui sont dans les écrits des anciens : elles touchent tous les peuples ; elles ont touché tous les siecles, parce que le vrai fait son effet dans tous les tems et dans tous les païs.

1800. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 27, que les sujets ne sont pas épuisez pour les poëtes, qu’on peut encore trouver de nouveaux caracteres dans la comedie » pp. 227-236

Il est vrai, me dira-t-on, que les sujets ne sçauroient manquer aux poëtes tragiques, qui peuvent faire entrer dans une action des personnages ausquels ils donnent des caracteres faits à plaisir, et qui peuvent encore orner leur fable par des incidens extraordinaires inventez à leur gré. […] Nous nous mocquons des caracteres qu’il donne à ses personnages, si nous ne reconnoissons pas ces caracteres pour être dans la nature, et Moliere, et quelques-uns de ses successeurs se sont saisis de tous les caracteres vrais et naturels.

1801. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 2, du génie qui fait les peintres et les poëtes » pp. 14-24

Tantôt rampant, et tantôt dans les nuës, il n’est dans le vrai que durant quelques instans, parce qu’il n’y est que par hazard. Tels ont été parmi nous l’auteur du poëme de la Magdeleine et celui du poëme de saint Louis, deux esprits pleins de verves, mais qui n’ont jamais peint la nature, parce qu’ils l’ont copiée d’après les vains phantômes que leur imagination brûlée en avoit formez : tous deux se sont également éloignez du vrai, quoiqu’ils s’en soient écartez par des routes differentes.

1802. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

Ce joujou bruyant et dont on ne fait rien qu’un indécent usage, la libre pensée, qu’on nous donne pour une philosophie et qui n’est le plus souvent qu’une lassitude anticipée d’une réflexion éteinte, la libre pensée, cette ennemie de la pensée vraie, qu’elle repousse parce que la pensée vraie oblige, comme la noblesse, et dont elle se débarrasse dans le sérail des sept péchés capitaux, voilà surtout l’œuvre de Voltaire : Hæc facit otia Voltarius !

1803. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Il n’en est pas qui doive mieux trouver la grande fibre humaine et loger plus aisément dans le cœur l’idée vraie avec un accent plus irrésistible. […] La discussion avec Guizot, par exemple, est un vrai chef-d’œuvre de logique et de politesse chrétienne.

1804. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paria Korigan » pp. 341-349

Il a réussi, comme réussiront toujours les livres vrais dans les sociétés décadentes qui meurent de leurs mensonges, chez qui la langue littéraire est usée à force d’avoir servi, et où les esprits, brûlés par les piments d’une littérature à ses dernières cartouches et à ses dernières balles mâchées, reviennent aux livres qui apportent la sensation rafraîchissante du naturel, du primitif et du simple… Bien avant Cladel, madame George Sand avait eu l’idée de cette littérature de terroir ; mais elle ne pouvait y entrer que comme un bas-bleu qu’elle était, un bas-bleu armé de toutes pièces prises à l’arsenal de toutes les bêtises philosophiques, philanthropiques et démocratiques de ce temps, et gâtant tout de son bas-bleuisme et de ses préfaces explicatives. […] Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, et les Récits de la Luçotte, qui exprime, elle, des sentiments vrais comme le sang des veines et l’eau des sources, dans un patois d’une couleur ravissante, plein de fautes de grammaire française, mais exquis !

1805. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

Il est vrai que du temps de Rousseau, nous avions Prévost et Lesage. […] Excepté la Delphine de Mme de Staël, qui est un vrai roman, d’un développement très-étendu, de caractères très-variés et de passion très-scrutée, nous n’eûmes, jusque dans les commencements du xixe  siècle, que la très-petite monnaie de Mme de Lafayette, les Genlis, les Souza, les Montolieu, les Duras.

1806. (1929) Amiel ou la part du rêve

Il y avait dans Scherer comme dans Amiel un élément qui se refusait à la nature française, un vrai protestantisme de la culture. […] Si la superstition pieuse et traditionnelle dont on entoure l’institution laissait dire la vérité vraie sur les choses, quel compte elle aurait à régler ! […] La conversation manque, il est vrai, d’intellectualité, d’élévation, et Amiel s’en inquiète. […] L’occasion de posséder en Philine, à ses risques et périls, une vraie femme, a passé. […] » C’est vrai en tout cas du canton de Genève, dont les dimensions ne dépassent pas celles du canton de Tournus.

1807. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Cette réflexion n’est pas vraie. […] Si cette gazette est vraie, il est à croire que toutes les vérités n’y sont pas. […] Presque tout ce qu’il raconte sur la foi des étrangers est fabuleux : mais tout ce qu’il a vû est vrai. […] Polybe contemporain n’en auroit-il pas parlé, si elle avoit été vraie ? […] Il est vrai que chez les Juifs Jephté sacrifia sa fille, & que Saül fut prêt d’immoler son fils.

1808. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

La question, assurément, est délicate ; mais elle revient à celle-ci : Jusqu’à quel point l’enfant qui joue de tout son cœur et l’acteur tout à son rôle se trompent-ils eux-mêmes et perdent-ils la notion de leur vraie personnalité ? […] Le monologue n’est pas une convention dramatique, mais un des éléments vrais du drame. […] Encore les apartés vrais sont-ils toujours dits à mi-voix, entre les dents ; on prend soin que la parole soit inaudible ; même avec ces précautions, ils supposent quelque passion, une passion puérile ou sénile. […] 227 » Ces méditatifs agités sont rares, et ils sont vraiment ridicules, car leur étrange allure n’a pas pour excuse une vraie passion humaine. […] Il reste donc vrai que la parole intérieure animée est la transition ordinaire de la parole intérieure calme à la parole extérieure, et de celle-ci à la parole intérieure calme.

1809. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Il est vrai qu’une dernière question se pose, celle de savoir comment se conservent ces représentations et quels rapports elles entretiennent avec les mécanismes moteurs. […] Il est vrai que l’exemple d’une leçon apprise par cœur est assez artificiel. […] Quelques-uns, il est vrai, s’attachent davantage à l’aspect conscient de l’opération et voudraient y voir autre chose qu’un épiphénomène. […] Il est vrai qu’il s’agit ici d’images photographiées sur l’objet même, et de souvenirs immédiatement consécutifs à la perception dont ils ne sont que l’écho. […] On suppose, il est vrai, que les souvenirs auditifs des mots, accumulés dans la mémoire, répondent ici à l’appel des impressions sonores et viennent en renforcer l’effet.

1810. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

. — Un vrai militaire français. […] mais la vraie guerre contre des masses, contre du canon, contre des manœuvres, rien qui y ressemble, vu de si loin, qu’il faut une lunette pour y reconnaître quelque chose. […] Il n’était pas auprès du maréchal lorsque se livre la bataille d’Isly, « une vraie et savante bataille », qui donne idée de ce que le maréchal pouvait faire dans une grande guerre. […] le vrai temple de Dieu, c’est la nature. […] Nous avons eu de longues conférences, et dimanche je communierai comme un vrai chrétien.

1811. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Ses aventures, vraies ou imaginaires, avaient eu en Angleterre le retentissement du roman et l’étrangeté du mystère. […] — Cela est vrai, dit-elle à Ballanche, M. de Chateaubriand est mon ami, mais de Lamartine est mon….. » La convenance plus que la modestie m’empêche d’écrire le mot qui sortit de ses lèvres ; le mot était trop adulateur pour qu’il puisse sortir de ma plume. […] Ce vrai mot était personnalité du génie ; il voulait être en règle avec le passé par la religion, avec le présent par l’aristocratie du faubourg Saint-Germain, avec l’avenir démocratique par ses pressentiments de république. […] Toute coterie est petite et fausse ; le monde seul est vrai, parce qu’il est grand. […] Quel est donc, entre nous, le motif vrai qui vous porte à décliner de si hautes avances, et qu’attendez-vous donc de mieux ?

1812. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

» Il y a dans la gravité laborieuse de ces vers, dans ces distinctions subtiles peut-être, qui sont comme les degrés d’une réflexion plus profonde, il y a dans ce travail de méditation un accent vrai d’enthousiasme, une ardeur et une souffrance de foi qui persuade. […] jusqu’à ce que j’aie achevé la route suprême et commune, et que j’arrive à la demeure, terme des souffrances pour les vrais adorateurs ! […] Quelle justice qu’un autre charme sa pensée du spectacle de mes souffrances, en montant lui-même au trône pontifical, qu’il occupe sans droit, et où j’avais été promu par Dieu et les vrais serviteurs de Dieu ! […] De là, les accents de vraie poésie élégiaque, admirés dans Grégoire de Nazianze, mais qui ne devaient pas nous faire oublier son génie lyrique. […] Partout la pensée semble subtile, les distinctions presque insaisissables ; et pourtant le sentiment est vrai, l’émotion, intime et profonde : le philosophe naguère attaché à la terre, y souhaitant, y croyant trouver encore la gloire et la paix, n’aspire plus qu’aux béatitudes éternelles.

1813. (1900) La culture des idées

Il n’y a pas des idées vraies et des idées fausses. […] En Grèce, la vraie religion était la religion des temples. En France, la vraie religion est la religion des clochers. […] La vraie religion est matière à croyance et non à controverses. […] L’homme n’est rien, c’est vrai ; et il est tout, étant la condition même de l’existence du monde.

1814. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

Gandara tout en étant simple, naturel, est un monsieur distingué, qu’on sent en rapport avec les gens du vrai monde. […] Pichot parle de la représentation sur le théâtre d’Orange, où, dit-il, le remuement dans le feuillage des vrais arbres du théâtre, amené par le mistral, rendait la scène vivante. […] Ce que j’ai dit pour les gros ouvrages de la terre, devient tous les jours, plus vrai. […] Le curieux, c’est que les Chandon, avec une composition de même nature, que celle de la montagne (pyrites sulfureuses et fumier), n’ont pu, à un kilomètre de là, propager la vigne donnant le vrai champagne. […] Dans une pièce, où l’actrice avait à dire d’une fille, qui s’était mal conduite, qu’elle n’avait plus de fille, il la voyait soudain, sans souci du public, faire un signe de croix à sa ceinture, et envoyer un baiser à la cantonade, — un baiser à sa vraie fille, qu’elle adore.

1815. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Entre nous, l’aspect des désordres de l’église lui avait-il déjà fait présumer qu’on la pouvait railler sans blesser la piété naturelle et vraie ? […] ingénieuse allégorie, dans laquelle se confondent le merveilleux et le vrai, qui se prêtent tous deux une force mutuelle ! […] Il démontre avec chaleur que le plus remarquable principe des hautes inspirations de Camoëns, fut l’amour brûlant de la patrie et de la vraie gloire. […] L’autre sait, au contraire, élever noblement le pathétique de cette scène, vrai chef-d’œuvre en dialogue. […] Ici reparaît le génie du vrai sage, qui ne montre dans les débats homicides que ce qu’ils ont de désastreux et de coupable.

1816. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Je vous l’écrivais de Bâle : je serai chaque jour plus abattu et plus triste ; et cela est vrai. […] Je conviendrai de tout ce qu’il y aura de vrai, et je ne vous fatiguerai pas d’une longue justification sur ce qu’il y aura de faux. […] Il est vrai qu’il ne se rendait pas trop compte de la manière de l’opérer. […] Ils sont plus instruits, plus impartiaux, plus exacts, un peu trop diffus, mais presque toujours justes, vrais, courageux et modérés. Vous sentez que je ne parle que des écrivains de la première classe. » Mais ce qui est plus vrai que tout, c’est qu’il n’aime la poésie en aucune langue.

1817. (1932) Le clavecin de Diderot

De même, réalisme, individualisme, idéalisme étaient les trois têtes de l’auto-amour, de l’amour-propre, qu’ils disent, comme si l’autre, le vrai, l’unique, était sale. […] La Judée de Jésus, la conquête romaine, l’avait, il est vrai, quelque peu désorientalisée. […] Les ouragans d’alors, aimaient, il est vrai, surtout jouer avec les chevelures. […] Une vraie bête en rut, on connaît ces comparaisons. […] Ce n’est pas l’humanité et la nature qui se modèlent sur ces principes, mais les principes ne sont vrais que dans la mesure où ils concordent avec la nature et l’histoire.

1818. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite et fin). »

Je ne voudrais pas qu’on se méprît sur ma pensée, ni qu’on crût le moins du monde que j’exclus l’artiste des vraies, sincères et profondes affections de la vie ; tellement que ce qu’il gagne du côté de la tendresse, il le perde du côté de l’art, et que, pour arrondir le domaine de l’un, il faille nécessairement circonscrire l’autre. […] Il n’en est pas moins vrai que, pour occuper les premiers rangs dans l’ordre de l’art, la condition est un certain équilibre et une ordonnance entre les éléments humains, une volonté supérieure qui en dispose, tout en les déchaînant, une élévation qui, au sommet, triomphe des orages eux-mêmes et se rit des déchirements au sein d’une sereine clarté. […] Prenons-les en eux-mêmes, à la source, et non chez ceux qui s’en sont fait une arme de guerre ; laissons au refus son vrai caractère primitif, qui est moins d’opposition que de nature et de tempérament, et qui respire la plus saine énergie morale. […] Gérusez a publiée, et dans laquelle, en justifiant son ami et en restituant à son refus son vrai caractère, en s’autorisant pour cela de la précédente lettre, « à la fois, disait-il, touchante et sublime », il témoignait qu’il ne partageait point tout à fait ses idées, qu’il eût accepté au contraire la dignité refusée par Ducis, et il se rabattait pour lui-même à quelque demande un peu humble de pension. […] Quand il parle, sa figure s’anime, et il peint par son geste tout ce que lui représente son imagination… Il est toujours animé de l’enthousiasme qui caractérise les vrais poètes, et la sensibilité la plus vive et la plus aimable règne dans tout ce qu’il dit.

1819. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Avant de reprocher à la philosophie de n’avoir pas compris le vrai et durable christianisme, l’intime et réelle doctrine catholique, il convient de se souvenir que le dépôt en était alors confié, d’une part aux jésuites intrigants et mondains, de l’autre aux jansénistes farouches et sombres ; que ceux-ci, retranchés dans les parlements, pratiquaient dès ici-bas leur fatale et lugubre doctrine sur la grâce, moyennant leurs bourreaux, leur question, leurs tortures, et qu’ils réalisaient pour les hérétiques, dans les culs de basse-fosse des cachots, l’abîme effrayant de Pascal. […] J’aime qu’il reproche à La Mettrie de n’avoir pas les premières idées des vrais fondements de la morale, « de cet arbre immense dont la tête touche aux cieux, et dont les racines pénètrent jusqu’aux enfers, où tout est lié, où la pudeur, la décence, la politesse, les vertus les plus légères, s’il en est de telles, sont attachées comme la feuille au rameau, qu’on déshonore en l’en dépouillant. » Ceci me rappelle une querelle qu’il eut un jour sur la vertu avec Helvétius et Saurin ; il en fait à mademoiselle Voland un récit charmant, qui est un miroir en raccourci de l’inconséquence du siècle. […] quelle chaude poursuite du vrai, du bon, de ce qui sort du cœur ! […] cela est plus vrai de Malebranche que de Leibnitz. […] On était dans un siècle d’analyse et de destruction, on s’inquiétait bien moins d’opposer aux idées en décadence des systèmes complets, réfléchis, désintéressés, dans lesquels les idées nouvelles de philosophie, de religion, de morale et de politique s’édifiassent selon l’ordre le plus général et le plus vrai, que de combattre et de renverser ce dont on ne voulait plus, ce à quoi on ne croyait plus, et ce qui pourtant subsistait toujours.

1820. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

La tombe, comme le lever du vrai jour, rendra à M. de Marcellus toute la justice que l’ignorance ou le préjugé des partis lui a fait attendre. […] Véritable fidélité à son propre honneur, cela est vrai ; mais fidélité aux Bourbons qui ne se révèle tout à coup qu’après la chute de Napoléon. […] Ici, le vrai sentiment de M. de Marcellus se dévoile, comme à son insu, dans un jugement de trois lignes, en marge dans ces lettres. […] Ajoutons pour être vrai : Comme pour la moitié au moins de l’autre demi-quart !  […] C’est le caractère vrai des traductions de M. de Marcellus.

1821. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Hier il a ouvert son secrétaire devant des amis, leur a montré quinze cents vrais billets de cent francs, les a feuilletés plusieurs fois, a soupiré… et les a fait rentrer dans le tiroir où ils étaient, en disant : « Je sais que je vous dois à tous de l’argent, mais c’est une drôle de chose, ça m’ennuie de vous le rendre ! […] Il nous montre ses Chardin et ses Prud’hon, — et nous qui avons fait le vœu de ne jamais acheter de tableaux, — nous revenons amoureux de deux tableaux, il est vrai que ce sont deux esquisses : l’esquisse des Tours de cartes de Chardin, une merveille de couleur gaie et papillotante qu’on ne rencontre pas d’ordinaire chez lui, et le portrait de Mlle Mayer par Prud’hon, le portrait que le peintre eut jusqu’à sa mort dans son alcôve, — un portrait où l’on dirait le sourire de la Joconde dans l’ovale ramassé d’une nymphe de Clodion. […] Villemessant blaguant l’appétit de celui-ci, les fours de celui-là, criant à sa femme : « Bois du bordeaux, ça te fera vivre quinze jours de plus », appelant « Fouyou » sa fille, qu’il traite en vrai gamin, et nous disant : « On m’a demandé à Blois qui vous êtes, j’ai répondu que vous étiez les frères Lionnet, des chanteurs de chansonnettes, et que vous alliez chanter quelque chose aux fêtes. » Il y a parmi les convives un dur à cuire de 76 ans, qui en paraît 40, et qui est en pantalon blanc, en redingote de lasting, en chaussettes de soie dans fins escarpins. […] * * * — Dans cette concurrence des falsifications, on arrivera, peut-être avant cent ans, à désigner du doigt dans la société un homme qui aura mangé, une fois dans sa vie, de la viande, de la vraie viande venant d’un vrai bœuf.

1822. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Et même quand le trumeau pécherait par l’art, — l’art chétif, rabougri, ratatiné, Chinois, qu’ils admirent et qu’ils préfèrent, dans l’horreur fade de son joli, aux lignes simples et grandes de la vraie beauté, — il n’en serait que mieux compris et plus goûté peut-être, — le rayonnement probable de toute œuvre d’art ou de littérature étant bien plus souvent en raison de l’abaissement du génie, qui l’a produite, que de sa hauteur. […] On y verrait si on ne l’a pas ressuscitée autant qu’on l’a pu, cette société morte ; si on ne l’a pas exaltée comme un idéal fini, il est vrai, mais charmant et toujours délicieux à contempler dans les petits trumeaux de placage qu’on lui a dressés de toutes parts ! […] Oui, nous admirions dans cet esprit méridional, vibrant et sensible, dupe de la couleur et de la surface, amoureux de la forme ; comme un Phocéen, — mais ne la réalisant pas comme un Grec, — cette pérennité d’une idée vraie, cette impersonnalité du point de vue, qui est peut-être toute l’impartialité permise à nos chétifs esprits d’un jour ! […] Capefigue a ajouté, il est vrai, à cette masse compacte de calomnies, l’injure abjecte de Fouquier-Tinville dans un de ces rapports où il éructait le sang qu’il avait bu ; mais cette injure, pour sortir de cette bouche basse et atroce, était-elle moins pour cela une vérité ! […] Capefigue, si ce n’en était pas la folie : à plus d’une page de son histoire, l’historien de Madame la comtesse Du Barry a, en tremblant plus que jamais, il est vrai, et ici il y avait de quoi !

1823. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

Assurément je comprends le brusque et sincère mouvement de cet homme écœuré des mensonges de la convention : mais il n’en est pas moins vrai qu’il se trompe, et je lui préfère de beaucoup celui qui portera instinctivement son intérêt à l’arbre entier, à l’écorce rude comme aux fleurs subtiles, aux racines noueuses aussi bien qu’aux feuilles légères, à la branche comme au fruit.‌ […] J’entends par là qu’il se contente trop souvent d’un réalisme de superficie, qu’il n’atteint pas la réalité dans sa racine, dans l’être de son être, que celle qu’il nous présente n’est pas toujours assez large pour être vraie, assez profonde pour être universelle. […] Il est vrai, que si nous jetons les yeux à la page suivante, nous sentons chez l’auteur un certain regret — inexplicable — de s’être abandonné à de telles « folies » : « La passion de la nature nous a souvent emportés, et nous avons donné de mauvais exemples, par notre exubérance, par nos griseries du grand air. […] Je crois à une peinture de la vérité plus large, plus complexe, à une ouverture plus grande sur l’humanité 19 » Il y a peut-être là l’intuition du vrai. […] Il n’est pas vrai, que j’aie voulu corrompre et décourager les esprits, et, si cette opinion me laisse indifférent à cette heure, c’est que je ne crois pas à sa durée.

1824. (1886) Le roman russe pp. -351

Dès que les personnages sont pris sur les sommets sociaux, ils perdent un peu de leur vérité ; Mme de Maufrigneuse et la duchesse de Langeais sont vraies en tant que femmes, elles sont moins vraies en tant qu’exemplaires de la société où elles figurent. […] Mais le roman russe a trouvé son vrai public dans la jeunesse studieuse de toute condition. […] N’est-il pas vrai qu’à la longue l’esprit se modèle sur le relief des lieux où il vit ? […] Plus tard, quand la Russie enfantera de vrais poètes, ils n’auront qu’à puiser à ces vieilles sources pour emplir leur écrin. […] Pour la première fois, Gogol a su mettre une vraie puissance de terreur dans la lutte du pauvre clerc contre le fantôme.

1825. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Quant au Midi, Verlaine le trouvait trop cuit, et d’un mieux ennemi peut-être du bien vrai. […] Elle disait : — Je suis vraie sans être franche. […] C’est ainsi que le dessinait Célestin Nanteuil dans ses meilleurs moments, un vrai cou romantique ! […] C’est vrai ; mais on risque à trancher net. […] Il est vrai qu’il se faisait traiter de singe.

1826. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Des écrivains nous livrent une vraie carrière : un Bossuet, un Voltaire, un Balzac, un Hugo. […] Un titre, qui ne se révèle qu’au vrai lecteur, ouvre un livre que l’on n’aborde pas sans savoir lire. […] Le vrai mystificateur cherche à ne pas le paraître, mais à l’être. […] A vrai dire le reproche ne tombe qu’à demi sur Mallarmé, tout au moins il l’effleure. […] C’est vrai.

/ 3617