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56. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

L’auteur met en tête une note qui le peint lui-même par un de ses travers : « Il nous a semblé convenable, dit-il, d’avertir le lecteur qu’il va se trouver avec des gens de lettres. […] Si quelques événements n’offrent pas dans ses récits le pathétique terrible auquel s’attendait l’imagination du lecteur, on n’en doit pas moins apprécier la finesse impartiale de son esprit. […] En vérité, on dirait par moments que l’historien n’est pas fâché que le lecteur candide ne sente point toute la portée de ce qu’il dit, et que son ambition n’aille à être compris que des plus fins 34. […] Bazin par un mot : il suit sa ligne, il vise au vrai, il fait de son mieux, mais il ne daigne pas se mettre assez à la place du lecteur ordinaire ; son procédé envers lui n’est pas obligeant, ni prévenant. […] Bazin, plus large et plus naturelle, très curieuse de recherches, et laissant dans l’esprit du lecteur une idée plus nette des choses et des personnages.

57. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IV. Des changements survenus dans notre manière d’apprécier et de juger notre littérature nationale » pp. 86-105

Cette observation doit toujours être présente à l’esprit du lecteur : sans cela je pourrais courir le risque de passer pour un homme que la trop grande préoccupation de certaines idées jette dans le paradoxe et dans l’exagération. […] Sans doute j’ai été moins atteint que beaucoup d’autres par ce discrédit de notre littérature, et je suis persuadé que plusieurs de mes lecteurs en auront été moins atteints encore : ceux-là seront déposés à me trouver étrange ; mais je ne puis raisonner sur des exceptions. […] Pour introduire de suite le lecteur dans le sens intime d’une pareille discussion, je vais le mettre aux prises avec le plus grand nom des lettres françaises, avec Bossuet : encore ne prendrons-nous pas Bossuet tout entier. […] Que serait-ce donc si j’embrassais tous les ouvrages de Bossuet ; si je descendais avec lui dans l’arène de cette haute polémique où il consuma une partie de ses forces ; si j’interrogeais avec lui les oracles des anciens jours, afin de m’initier moi-même et d’initier mon lecteur aux secrets de cette Politique sacrée que l’on croirait appartenir à un autre âge, tant pour les princes que pour les peuples ; si je m’élevais sur ses ailes à la contemplation des mystères du christianisme ; si je creusais avec son analyse lumineuse et pénétrante les profondeurs d’un mysticisme exalté où s’égarèrent quelques âmes tendres ? […] Plus d’un lecteur hésitera sans doute à admettre la rigoureuse vérité ; et moi-même qui viens éclairer sur de tels résultats, moi-même je recule devant l’incroyable entraînement de mes propres méditations.

58. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Obscur pour lui-même, comment serait-il clair pour le lecteur ? […] Tous ces détails absorbent sans profit l’attention du lecteur et le tiennent sur le qui-vive. […] Je ne crois pas qu’il se trouve un seul lecteur capable de s’intéresser à ce catalogue d’exclamations. […] Nous croyons sincèrement que tous les lecteurs de bonne foi partageront notre conviction après avoir comparé M.  […] Nous insistons à dessein sur cette distinction, et nous espérons que le lecteur verra pourquoi.

59. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une petite revue ésotérique » pp. 111-116

Elle se piquait si peu d’exactitude qu’un avis aux lecteurs, inséré dans le sixième fascicule, disait : « À dater du prochain numéro, Psyché se propose d’étonner grandement ses indulgents lecteurs en paraissant selon une périodicité à peu près régulière. […] Elle signalait en outre à ses lecteurs la revue de Papus : l’Initiation, dont le siège était 14, rue de Strasbourg, à Paris.

60. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

Tous les obstacles ont été surmontés ; il a su même dérober, aux yeux du Lecteur, les efforts pénibles qu’exigeoient le débrouillement des matieres & l’ingratitude du sujet qu’il avoit à traiter. […] Ses chapitres font autant de petits corps de lumiere, qui, réunis ensemble, forment un Tout, dont l’effet est d’éclairer & de diriger l’esprit du Lecteur sur les objets qu’il doit appercevoir & sentir. […] Autant l’esprit lumineux, méthodique & profond est au dessus de l’esprit superficiel, inconséquent & badin, autant le Législateur des Nations paroîtra au dessus du Peintre Historien de leurs mœurs, qui semble n’en avoir tracé le tableau, que pour amuser & tromper le Lecteur, au lieu de l’instruire.

61. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Quand on écrit ainsi, on doit être un lecteur accompli. […] Quel intérêt pensent-ils que les lecteurs prennent à ces débats ? […] Le lecteur comprendra que cette dernière réflexion n’est pas de M.  […] Pour tout lecteur qui n’est pas de son avis, M.  […] Le critique doit payer les dettes du lecteur.

62. (1799) Jugements sur Rousseau [posth.]

L’auteur a cru sans doute qu’une personne aussi honnête et aussi bien née que Julie, ne devait employer aucune sorte de déguisement ; il n’a pas songé que le lecteur ne pouvait jamais se mettre assez parfaitement à la place de l’amant, pour ne pas blâmer un ton si libre ; c’est peut-être celui du véritable amour ; mais ce ton paraît affaiblir l’amour même dans la bouche d’une femme, dont il faut que l’expression, pour être tendre et vive, ait toujours l’empreinte de la modestie. […] On dit, et peut-être avec raison, qu’il n’y a pas un homme au monde qui ait fait de son esprit le plus grand usage possible ; on peut dire, et peut-être avec encore plus de fondement, qu’il n’y a pas un écrivain qui, dans ses ouvrages, montre à ses lecteurs l’esprit qu’il a : les uns font parade de l’esprit d’autrui, les autres tiennent le leur contraint et captif ; ceux-là n’ont d’avis sur rien, ceux-ci n’osent dire le leur. […] Rousseau ; c’est là, selon l’opinion publique, le caractère distinctif de ses ouvrages, c’est là ce qui en fait le succès, c’est là ce qui le fait préférer par bien des lecteurs à tous nos écrivains, sans en excepter aucun. […] Rousseau a l’avantage de s’être mis à son aise avec ses lecteurs ; car on pourrait dire aux autres écrivains : que n’en faites-vous autant ?

63. (1853) Portraits littéraires. Tome I (3e éd.) pp. 1-363

C’est pourquoi ces notes, confuses ou précises, présenteraient au lecteur un intérêt certain. […] Nous croyons qu’il a bien fait de se fier à la sagacité du lecteur. […] Quant à l’écolier Jehan Frollo, il n’a rien dans son caractère qui égaye le lecteur. […] Pour détourner ainsi l’attention du lecteur du dénouement annoncé par George Bussy, M.  […] Or, cette pensée dominante laisse dans l’âme du lecteur une impression salutaire.

64. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

En voici quelques-unes dont le lecteur jugera. […] C’est cette inattention des lecteurs qui multiplie les livres polémiques. […] Qui ne sent pas comme moi le contre-temps d’amuser le lecteur, lorsque son impatience est la plus vive ? […] Ce n’est pas à lui à réduire en maxime ce qu’il sent ; c’est au lecteur à en tirer ce fruit, s’il s’en avise. […] Le lecteur les qualifiera lui-même.

65. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

L’important c’est le stile, parce que c’est du stile d’un poëme que dépend le plaisir de son lecteur. […] Quant à ces fautes relatives, et qu’on ne démêle qu’en retournant sur ses pas, et en faisant reflexion sur ce qu’on a vû, elles diminuent très peu le plaisir du lecteur et du spectateur, quand même il lit la piece, ou quand il la voit après avoir été informé de ces fautes. […] L’unité d’action y est si mal observée, qu’on a été obligé dans les éditions posterieures d’indiquer, par une note mise à côté de l’endroit où le poete interrompt une histoire, l’endroit du poeme où il la recommence, afin que le lecteur puisse suivre le fil de cette histoire.

66. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » p. 356

Il a beau, dans sa Préface, prévenir le Lecteur sur cette singularité, son aveu ne le met point à l'abri de l'accusation de Plagiat, parce qu'il prend un soin marqué de cacher jusqu'à quel point il l'a poussé. D'ailleurs les morceaux qu'il a empruntés des sources, ne sont pas assez bien adaptés à son style, pour qu'on ne s'apperçoive pas d'une bigarrure qui déplaît à tout Lecteur délicat.

67. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre premier. La critique et la vie littéraire » pp. 1-18

On voudrait pourtant insinuer au lecteur complaisant quelques réflexions, qui sont un peu des doléances, et qu’on intitulerait assez bien « Des malentendus de la critique » ou « Petits déboires professionnels ». […] Cela est sans rapport avec le mérité du livre, mais indique seulement une adaptation de l’ouvrage au lecteur. […] Le plaisir et la rapidité de lecture, qui sont tout pour le lecteur, pour le critique ne sont qu’un signe. […] C’est toujours une conversation avec le lecteur, au sujet de livres. […] Si, à défaut des confrères, ces chroniques littéraires ont trouvé, parmi les lettrés, des lecteurs confiants, c’est à leur indépendance qu’elles le doivent, à leur égal éloignement des flagorneries et des débinages obstinés.

68. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

La critique peut éclairer, les lecteurs. […] Je me résigne à cette nouvelle traite sur la patience du lecteur. […] Je ne pouvais même supposer que mon lecteur fût un lecteur de l’auteur dont je lui parle. […] Stendhal écrivait en 1830 pour des lecteurs de 1880. […] Le rayonnement dans l’espace est réalisé, à l’état presque pur, par le journal, qui s’adresse à un grand nombre de lecteurs simultanés, nullement à des lecteurs successifs.

69. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

J’aurais pu assommer le lecteur avec des mots techniques. […] Mais je ne peux pas, par respect pour le lecteur français, écrire Hannibal et Hamilcar sans h, puisqu’il y a un esprit rude sur l’α, et m’en tenir à Rollin ! […] Mais quelle confusion cela eût fait pour le lecteur ! […] J’avais tout dit ; vous répondez : les lecteurs attentifs jugeront. […] Il n’était guère pour moi qu’un lecteur ; sa modestie lui interdisait presque toute remarque à l’occasion de ce qu’il lisait.

70. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Mais ce sera pour en garder le lecteur, et pour le détourner de donner aux vains écrits marqués de ces caractères, un temps que l’époque où nous vivons nous compte d’une main avare, et qui suffit à peine à nous pourvoir de l’indispensable. […] Faut-il parler de la défiance que doit avoir l’écrivain de cette demi-clarté trompeuse, qui peut lui suffire, mais qui laisse le lecteur dans les ténèbres ? […] La réunion de ces diverses conditions ; une certaine facilité apparente qui cache au lecteur jusqu’à la trace des efforts qu’elle a coûtés, voilà ce qui constitue un bon écrit, ou plutôt une chose écrite en français. […] Le public en saurait tort peu de gré au critique, en Allemagne particulièrement, où le lecteur est toujours plus patient que l’écrivain ne peut être obscur. […] Enfin, à quoi bon s’imposer le travail de la liaison pour un lecteur qui s’accommode de suivre un écrivain marchant au hasard, et qui estime cette incertitude même comme un des plaisirs littéraires les plus piquants ?

71. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

ce n'est pas le Poëte qui raconte : il rapproche les objets, il les rend présens, le Lecteur devient un témoin qui voit & écoute ; l'imagination d'Homere entraîne la sienne, toutes les fois qu'il lui présente de nouveaux tableaux, & ces tableaux varient à l'infini. […] que d’amuser son Lecteur, au lieu de l’instruire ; que de prêter au mensonge des amorces pour la foible crédulité ; que de faire triompher la fiction à l’aide d’une tournure insidieuse ou du sel de l’épigramme ? […] Nous ne parlerons pas de la Princesse de Babylone, Roman plus satirique que moral, plus ordurier qu’ingénieux : le désœuvrement & le libertinage peuvent seuls procurer des Lecteurs à cette Production indécente & médiocre. […] Quel Philosophe, qu’un Auteur qu’on ne peut ni définir ni suivre, qui laisse ses Lecteurs dans un doute perpétuel sur ses vrais sentimens ! […] Qu’on retranche certains de ses Ouvrages, qui sont d’un style de la derniere classe ; toutes les fois qu’il ne s’oublie pas, il sait éblouir le Lecteur & le disposer, par les charmes d’une diction toujours simple & brillante, à adopter ses idées, à approuver ce qu’il approuve, à condamner ce qu’il condamne.

72. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Voilà ce qui dut faire naître d’assez bonne heure l’idée de rapprocher, dans une narration suivie, un certain nombre d’événements & de situations propres à intéresser le Lecteur. […] Il a depuis perdu l’à-propos, &, par la même raison, une partie de ses lecteurs. […] Il tourmente ses lecteurs à force de vouloir les intéresser. […] Il doit promener ses Lecteurs plutôt que paroître les conduire, & eux-mêmes ne doivent point s’appercevoir qu’on les conduit. […] Quant au langage des passions, & à l’expression des sentiments, le Lecteur jugera si je les ai saisis.

73. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

. — Causes et effets Si l’on a un fait à raconter, on tâchera de se le figurer avec toutes ses circonstances, et de se donner, comme aussi au lecteur, l’illusion de la réalité même. […] Elle ne se jette pas dans les exclamations pathétiques : elle ne fait que raconter, et ce sont les faits mêmes qui sont pathétiques et qui émeuvent plus la sensibilité du lecteur que toutes les exclamations. […] Chacun de ces détails enfonce insensiblement l’émotion dans le cœur du lecteur en déterminant l’image vivante du fait. […] Souvent un fait immense tient dans un très court moment de la durée ; souvent, dans un instant indivisible, une action impossible à décomposer s’est produite : ce qui en fera sentir la grandeur, c’est l’opposition fortement marquée entre cette action et les actions qui la précèdent et qui la suivent, les antécédents et les conséquents, que l’on développera parfois jusqu’à la limite extrême de la patience du lecteur.

74. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

Les Lecteurs éclairés sont bien éloignés de penser ainsi, & d'être dupes d'un pareil charlatanisme, qui n'en impose qu'aux petits Esprits. […] Selon ce Juge, aussi éclairé que délicat en matiere d'éloquence, les beautés recherchées, la fausse richesse, le brillant passager du style, bien loin de subjuguer l'ame de l'Auditeur ou du Lecteur, l'éblouissent & l'émoussent par un fade plaisir. […] Le Lecteur est étonné de se trouver sans cesse aux prises avec des expressions scientifiques, toujours déplacées dans des Ouvrages de pure littérature, plus encore dans des Discours. […] Pour vouloir enfin trop régenter son Lecteur, il l'indispose ; & pour vouloir se montrer Philosophe, il s'éloigne du ton de cette noble fierté qui domine : il n'a que celui de l'orgueil qui boude.

75. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 307

Le Lecteur qui aime à s’instruire, y jouit, avec plaisir, du fruit d’une infinité de recherches aussi intéressantes que bien présentées. […] On peut dire enfin, que cet Auteur, enlevé trop tôt aux Lettres, a enrichi la Littérature d’un Ouvrage digne de l’estime des Lecteurs solides & judicieux, pour peu qu’on fasse grace à son style, qui, à notre avis, n’étoit pas encore formé.

76. (1883) Le roman naturaliste

Les lecteurs de M.  […] Zola qui se trompe, ou sa sincérité, si c’est le lecteur que l’on trompe. […] et combien de ses romans un lecteur impartial oserait-il mettre à la suite, si loin que ce soit, de ceux que je viens de citer ? […] Zola, je n’hésite pas à le dire, et j’espère qu’après ce commencement de démonstration le lecteur n’hésitera pas davantage : non ! […] Si l’auteur avait voulu donner au lecteur la sensation d’un homme qui fait un gros effort pour se mettre en haleine, il avait réussi.

77. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 372-373

Les détails qu’ils contiennent, sont très-propres à contenter la curiosité des Lecteurs jaloux de connoître la vie privée des Princes & des hommes célebres de son temps. […] Son Histoire de Marie de Médicis donne des lumieres sur le caractere de cette Princesse, & sur les événemens dont elle a été la cause ; mais elle exige également de la défiance de la part de tout Lecteur qui ne voudra pas être trompé.

78. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 232-233

Il a su donner à chacun de ses sujets, avec autant de jugement que de grace, la vraie tournure du style qui leur convenoit, & le Lecteur délicat ne s’apperçoit pas que ce soient des Productions de Collége. […] L’Histoire de la Conquête d’Angleterre par Guillaume Duc de Normandie, celle de Philippe - Auguste & celle de Charles VIII, satisferont toujours les Lecteurs, pourvu qu’on n’y exige autre chose que tout ce qu’on peut trouver dans les autres Historiens, & qu’on fasse grace à la diffusion du style, en faveur de l’intérêt que l’Auteur a répandu dans sa maniere d’écrire & de présenter les événemens.

79. (1890) Dramaturges et romanciers

Si ce combat a eu lieu, le lecteur n’en voit rien. […] L’intérêt du lecteur suit ardemment le héros dans son voyage à ce vieux château de Bretagne où l’attendent de nouvelles luttes. […] Feuillet ne l’a pas voulu ; la lutte est terminée au moment où l’imagination du lecteur croit qu’elle va commencer sérieusement. […] Ce mot prépare le dénouement du livre, et en donne au lecteur la complète intelligence. […] Feuillet a dérouté son lecteur, toute la puissance de l’imprévu.

80. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 250-251

Comme il importe à tout le monde de savoir raisonner juste, de connoître la nature & les facultés de son ame, la structure de l'Univers & l'Auteur qui l'a créé & le conserve, rien n'étoit plus nécessaire que de donner de justes idées sur tous ces objets, & ce qui n'est pas moins nécessaire, de les mettre à la portée de tous les Lecteurs. […] Nous avouerons qu'il en a besoin ; mais tout Lecteur sage, judicieux, oubliera volontiers l'expression en faveur des questions neuves qu'il discute dans son Ouvrage, & de la solidité avec laquelle il développe les vrais principes.

81. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Je ne le pense pas, et mon avis sera sans doute partagé par la majorité des lecteurs. […] Le juste et l’injuste deviennent, aux yeux du lecteur, adresse et maladresse. […] Le narrateur est si peu ému, que le lecteur ne peut guère s’émouvoir. […] On dirait que l’auteur s’est proposé pour but unique, non pas d’instruire, mais d’effrayer le lecteur. […] Le lecteur qui prend au sérieux le récit commencé ne s’arrête pas volontiers en chemin.

82. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Pourtant, comme la diversité des esprits jusque dans les mêmes genres est infinie, comme la bonne foi et la sincérité en chacun est le grand secret pour tirer de sa nature tout ce qu’elle renferme, il y a moyen toujours, en ne disant que ce qu’on a senti, en n’écrivant que ce qu’on a observé, d’ajouter quelque chose peut-être à ce que les maîtres lumineux et perçants de la vie humaine ont déjà embrassé, ou du moins de faire en sorte que le lecteur soit ramené sur les mêmes chemins et vers les mêmes vues sans fatigue et sans ennui. […] … Le seul livre que j’aie constamment médité est celui qui est ouvert à tous, c’est-à-dire l’homme agissant sous les influences qui le dominent sans cesse, ses intérêts et ses passions ; et si quelquefois j’ai jeté un coup d’œil rapide sur La Bruyère et sur La Rochefoucauld, je ne l’ai fait que pour être certain de ne pas laisser de simples réminiscences se glisser parmi mes propres observations. » De cette manière de composer il est résulté quelquefois, en effet, que le lecteur, familier avec les écrits soit de Sénèque, soit de La Rochefoucauld et de La Bruyère, soit de Massillon, de Montesquieu et du comte de Maistre, sent se réveiller en lui des traces de pensées connues, en lisant tel passage de M. de Latena. […] Je demande pardon au lecteur de revenir ainsi sur un détail qui est de peu d’importance : pourtant, nous autres critiques qui n’avons que notre jugement, nous devons tenir à ne point paraître nous être trompés du tout au tout sur le caractère d’un ouvrage nouveau.

83. (1912) L’art de lire « Chapitre VII. Les mauvais auteurs »

Les premiers forment le contingent des lecteurs de mauvais écrivains, des lecteurs de romans niais, des lecteurs de poètes excentriques, etc.

84. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

Préface [1830] Je réimprime l’Essai sur les Institutions sociales, tel qu’il a été publié en 1818 : seulement je prie le lecteur de vouloir bien se souvenir de la date. […] J’ai préféré m’en rapporter à mes lecteurs. […] Toutefois, pour ceci encore, je renvoie le lecteur aux entretiens suivants.

85. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 428-429

Le seul nom de Cléopatre, de Cassandre, de Pharamond, suffisent aujourd’hui pour faire peur à nos Lecteurs delicats, & pour mettre en jeu les plaisanteries des petits Auteurs. […] Il les a rendus raisonnables, intéressans, les a soumis aux regles de l’intrigue, de l’unité ; s’il ne les eût pas faits si longs, le commun des Lecteurs pourroit s’en accommoder encore, à l’exemple de quelques Poëtes qui y ont puisé tant de fois les situations, les sujets même de leurs Opéra & de leurs Tragédies.

86. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » pp. 405-406

Le premier défaut de cette Collection, est de donner le titre d’illustres à des Ecrivains qui ne l’ont jamais été, & qui ne le seront jamais, parce qu’ils ne méritent pas de l’être ; le second, est d’être écrite avec une inégalité de style, rebutante pour le Lecteur le moins difficile. […] S’ils étoient assez ingrats pour les méconnoître, les Lecteurs instruits seroient en état de les convaincre qu’ils n’ont souvent fait que le copier.

87. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Dans une analyse sincère de ce célèbre Discours de Bossuet, on est aujourd’hui entre deux écueils : ou bien l’on entre absolument dans la vue de l’auteur, on se place à son point de perspective historique surnaturelle, on y abonde avec lui, et l’on choque alors l’esprit de bon sens qui prévaut généralement dans l’histoire et qui a cause gagnée chez la plupart des lecteurs ; ou bien l’on résiste, au nom de ce bon sens, on s’arrête à chaque pas pour relever les hardiesses de crédulité, les intrépidités d’assertion sortant et se succédant d’un air de satisfaction et de triomphe, on se prend à discuter cette série d’explications miraculeuses acceptées sur parole, imposées avec autorité, avec pompe, et l’on se met par là en dehors du plan de l’auteur et des conditions du monument. […] Pour tout lecteur instruit des questions, Richard Simon, ce contemporain étouffé de Bossuet, brille dans le Discours sur l’Histoire universelle par son absence. […] Je ne fatiguerai pas le lecteur à suivre chez lui cette interprétation et cette vue du Messie montré de loin à tous les pas, à tous les degrés et à travers tous les accidents de l’histoire juive : cette vue est capitale chez l’auteur ; il ne peut un seul instant la laisser absente ni s’en distraire. […] Bossuet, dans cet ordre de considérations morales, reprend les avantages et l’ascendant que son symbolisme sacré trop continu aurait pu lui faire perdre sur l’esprit de plus d’un lecteur. […] Je ne crains pas de dire qu’il dépasse en ceci la mesure d’attention d’un lecteur qui serait même mieux doué et préparé que Monseigneur le Dauphin.

88. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 janvier 1887. »

Il ne m’appartient pas ce copier un programme à cette place, mais d’appeler l’attention des lecteurs de la Revue sur cette solennité artistique, afin que toute personne qui sera à même de le faire aille porter au maître le tribut de ses applaudissements. […] A nos lecteurs En commençant la seconde série annuelle de la Revue Wagnérienne, nous avons, il y a un an, exposé à nos lecteurs le plan de la campagne que nous voulions entreprendre. […] Ainsi, sans interrompre aucunement nos travaux théoriques et historiques, nous promettons à nos lecteurs une critique assidue et hautement impartiale des grands faits Wagnériens imminents, en même temps que des manifestations artistiques qui directement ou indirectement relèvent de la rénovation Wagnérienne. […] Il fut également journaliste au Figaro, lecteur français à l’Université de Bonn et auprès de l’Impératrice Augusta, la femme de Guillaume premier.

89. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Monsieur Walckenaer. » pp. 165-181

Walckenaer a rendus à la littérature et à tous les lecteurs amis du Grand Siècle par ses biographies si riches et si abondantes. […] Walckenaer comme biographe du Grand Siècle, c’est de n’avoir point paru soupçonner ces questions-là, et de ne les avoir point laissées se poser et se résoudre aux yeux du lecteur par l’art heureux des citations mêmes. […] Pour moi, je ne puis qu’exprimer un regret qui rentre dans ce que je viens de dire tout à l’heure sur le goût et les urbanités du siècle de Louis XIV, c’est que le biographe, en abordant le siècle d’Auguste, n’ait pas assez senti que le plus grand charme d’une Vie d’Horace, pour le lecteur homme du monde, était l’occasion même de relire le poète peu à peu et sans s’en apercevoir, moyennant des citations bien prises et qui feraient repasser sous les yeux tous ces beaux et bons vers, trésor de sagesse ou de grâce. […] On me dira qu’il ne tient qu’au lecteur d’avoir son Horace ouvert sur sa table, tout à côté des volumes de M.  […] Ne nous plaignons pas de ce trop d’abondance, et profitons, en lecteurs reconnaissants, de cette vaste lecture qui ne nous laisse plus rien ignorer de ce qu’elle traverse et de ce qu’elle rencontre.

90. (1899) Psychologie des titres (article de la Revue des Revues) pp. 595-606

Le titre représente l’ouvrage pour le lecteur, il l’évoque dans notre mémoire : bien plus, il doit le résumer, en donner brièvement l’essence, en indiquer le contenu. […] Que de lecteurs, et surtout de lectrices, jugent, d’après la seule couverture et les quelques mots quelle porte, un ouvrage qui coûta des années de peine à son auteur ! […] Aussi se sont-ils efforcés de piquer autrement la curiosité du lecteur. […] La première condition pour un écrivain qui voulait trouver éditeur et lecteurs était de se mettre à la mode anglaise.

91. (1899) Le roman populaire pp. 77-112

Lorsque de nombreux esprits sont captivés et retenus par un récit, au lieu de s’étonner et de rire de la banalité de l’histoire et de la simplicité des lecteurs, il vaut mieux chercher, comme une leçon, le mérite de l’écrivain. […] Si on ouvre des romans de Flaubert ou de Feuillet, pour ne parler que des morts, on a l’impression que ces écrivains ont eu l’ambition de plaire à des lecteurs instruits, tout au moins à des bacheliers. […] Hugo savait qu’il aurait pour lecteurs et il voulait émouvoir, par un portrait ressemblant, des hommes et des femmes de l’immense famille laborieuse, qui aiment sans doute, qui en souffrent, qui en meurent quelquefois, qui ont leur idylle ou leur tragédie, mais toujours rapide et à peu près muette, enserrée dans une vie de rude labeur, de soif et de faim, de poursuite et d’attente du pain quotidien. […] C’est l’enfance, l’âge mûr, parfois l’existence entière du héros qui passe sous nos yeux, longues périodes où il y a des chances pour que chaque lecteur reconnaisse quelque trait de sa propre histoire. […] L’auteur a l’ambition, très souvent naïve et quelquefois ridicule, d’amuser, ou de flatter une catégorie de lecteurs, par la peinture de leurs mœurs et de leurs défauts.

92. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 193-194

Presque toutes les Préfaces des Ouvrages de Baillet forment autant d’articles dans le Dictionnaire Encyclopédique, sans qu’on ait pris la peine d’en avertir le Lecteur. […] Ménage sur-tout fut offensé de la liberté, ou, pour mieux dire, de la justice avec laquelle il s’étoit expliqué à son sujet ; mais les Lecteurs furent du parti de Baillet, & seront toujours de celui de quiconque, sans humeur & sans partialité, fera connoître les défauts de chaque Ecrivain, sans lui rien dérober de la gloire qu’il mérite pour ce qu’il a composé de bon.

93. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 433-434

De si terribles anathêmes ont effrayé le Lecteur, & c’est apparemment pour ne pas s’exposer à la tentation qu’elle redoutoit si fort, qu’on ne lit plus ses Ouvrages. […] La finesse de ce mot consistoit à faire entendre au Ministre qu’elle conservoit les jours de son Eminence en l’égayant, genre de flatterie plus fait pour plaire à celui qui en étoit l’objet, qu’au Lecteur, qui n’en jugera pas de même.

94. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « La Esmeralda » (1836) »

Au reste, quoique, même en écrivant cet opuscule, l’auteur se soit écarté le moins possible, et seulement quand la musique l’a exigé, de certaines conditions consciencieuses indispensables, selon lui, à toute œuvre, petite ou grande, il n’entend offrir ici aux lecteurs, ou pour mieux dire aux auditeurs, qu’un canevas d’opéra plus ou moins bien disposé pour que l’œuvre musicale s’y superpose heureusement, qu’un libretto pur et simple dont la publication s’explique par un usage impérieux. […] Du reste, il prie instamment le lecteur de ne voir dans les lignes qu’il écrit ici que ce qu’elles contiennent, c’est-à-dire sa pensée personnelle sur ce libretto en particulier, et non un dédain injuste et de mauvais goût pour cette espèce de poëmes en général et pour l’établissement magnifique où ils sont représentés.

95. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 175-177

Dans le Poëme de Psyché, l’agrément & la variété des peintures ; le choix, l’imagination, & la finesse des expressions, se disputent l’avantage de captiver le Lecteur & de l’amuser. […] Cet égoïsme, si fort à la mode parmi les Journalistes & les Auteurs critiques de ce siecle, est d’autant plus déplacé & plus ridicule, qu’il blesse l’amour-propre des Lecteurs, sans tourner au profit de celui des Ecrivains qui se le permettent, puisqu’il ne décele en eux qu’une vanité capable d’affoiblir le mérite de leurs bonnes qualités.

96. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Ami Lecteur, vous voilà bien en peine, Rendons les courts en ne les lisant point. […] Ce tendre ami de Virgile, l’est aussi de tous les lecteurs d’un goût délicat. Les autres chefs-d’œuvre de l’antiquité, peu lus par le commun des lecteurs, se sentent un peu du chagrin qu’on a eu en les apprenant par cœur. […] Dans tous ses écrits il inspire à ses lecteurs le goût du beau, du simple & du naturel ; dans son Art Poétique, il donne des leçons pour avoir ce goût. […] Que faire, lecteur, en cette extrêmité, après l’excommunication qu’il a jettée sur ce pauvre Burlesque disgracié ?

97. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Et, il m’est donné seulement aujourd’hui, de prévenir le lecteur que l’affabulation d’un roman à l’instar de tous les romans, n’est que secondaire dans cette œuvre. […] Nous nous sommes demandé s’il y avait encore pour l’écrivain et pour le lecteur, en ces années d’égalité où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop mal embouchés, des catastrophes d’une terreur trop peu noble. […] Ce livre, j’ai la conscience de l’avoir fait austère et chaste, sans que jamais la page échappée à la nature délicate et brûlante de mon sujet, apporte autre chose à l’esprit de mon lecteur qu’une méditation triste. […] Et je m’adresse à mes lectrices de tous les pays, réclamant d’elles, en ces heures vides de désœuvrement, où le passé remonte en elles, dans de la tristesse ou du bonheur, de mettre sur du papier un peu de leur pensée en train de se ressouvenir, et cela fait, de le jeter anonymement à l’adresse de mon éditeur. […] Que mon lecteur me permette aujourd’hui d’être un peu plus long que d’habitude, cette préface étant la préface de mon dernier livre, une sorte de testament littéraire.

98. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Mais que produiroit une pareille composition dans l’esprit du lecteur ? […] Le poëte y doit compter sur toute l’attention du lecteur ; et tâcher toujours d’exercer son esprit par un grand sens, que la superfluité des mots ne fasse pas languir. […] C’est par-là qu’un traducteur peut être excellent ; c’est par-là qu’un lecteur équitable doit juger de son mérite. […] J’avois intérêt de rapporter cette circonstance ; et je voudrois en effet que le lecteur s’en souvînt à chaque faute qu’il remarquera dans mes odes ; il en seroit plus disposé à me faire grace. […] La seconde chose sur laquelle j’ai à prévenir le lecteur, est mon audace poëtique dans l’ode de l’emulation.

99. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

Un esprit tout critique et chagrin pourrait relever dans ces pages mêmes des redondances, et cette disposition d’Amyot à tout étendre et à tout allonger ; on nage avec lui dans les superfluités sans doute : là où Plutarque ne met que deux mots, il en met trois et quatre, et six ; mais que nous importe si ces mots sont des plus heureux, et de ceux mêmes que le lecteur qui ne sait que le français va d’abord relever avec sourire et avec charme ? […] Dès le temps de Montaigne, quelques lecteurs plus difficiles relevaient les fautes d’Amyot. […] Mais la question pour Amyot n’est pas de ce côté : elle n’est pas avec les Scaliger, les Méziriac et les érudits en us ; elle est avec le public, avec les lecteurs de toutes classes, avec tout le monde. […] Ajoutons enfin que le lecteur moderne prête lui-même au style d’Amyot plus de bonhomie qu’il n’en a en réalité. […] Ainsi de presque tous les lecteurs.

100. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

C’est à peu près en ces termes qu’un homme d’esprit et de plume (M. de Pontmartin) aime depuis lors à me recommander à ses lecteurs. […] Il y avait (je ne parle que des morts) une petite revue littéraire66 très honnête, très honorablement dirigée, qui rendait des services aux jeunes auteurs dont elle accueillait les essais, et aux lecteurs qu’elle entretenait encore de poésie. […] Quoique je n’aie pas cru devoir parler de Daniel, quoique même, pour être franc, j’aie blâmé l’auteur d’y avoir mis l’épigraphe provoquante qu’il y avait attachée, la moralité des livres d’art étant multiple et devant être laissée au gré du lecteur, j’ai estimé que cette étude de Daniel annonçait et donnait déjà en M.  […] le coquin a du talent » ; après Catherine, on pourra dire : « mais il a de l’esprit. » — Les défauts, quoique moindres, sont encore ceux des précédentes études, et je donnerai derechef pour conseil général à l’auteur : éteindre des tons trop bruyants, détendre çà et là des roideurs, assouplir, alléger sa langue dans les intervalles où le pittoresque continu n’est aucunement nécessaire ni même naturel ; se pacifier par places sans se refroidir au cœur ; garder tout son art en écrivant et s’affranchir de tout système ; — ne jamais perdre de vue que, parmi les lecteurs prévenus et à convertir, il y a aussi des malins et des délicats, et ne pas aller donner comme par un fait exprès sur les écueils qu’ils ont notés de l’œil à l’avance et où ils vous attendent.

101. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

À part quelques cas exceptionnels, on ne cherche guère à suggérer des sons ou des groupements de mots, mais des idées et des images, laissant au lecteur le soin de les nommer en sa langue. […] Tout mot, donc, abstrait ou concret, est capable de susciter dans l’esprit d’un lecteur, outre ce qu’il contient par définition, de longues séries de pensées qu’il évoque par association. […] Souvent, par une maladresse ou une étourderie de l’écrivain, une vision importune détourne l’attention du lecteur, et l’arrache à la domination qu’il commençait de subir : quand on le reprend, il ne reste plus en lui trace de l’impression première ; c’est comme s’il avait cédé la place à un autre, qui commencerait de lire au milieu d’une page. […] Là, il faudra prendre garde de bien lancer le lecteur dans l’association qui convient au sujet : il faudra entourer le mot de termes qui l’étranglent et ne laissent passer que le groupe qu’il s’agit d’évoquer, barrant la route à toutes autres impressions.

102. (1895) Histoire de la littérature française « Avant-propos »

Elle donne en effet au lecteur le moyen d’aller au-delà des jugements et des idées qu’on lui offre, de connaître plus amplement, ou plus particulièrement, les choses sur lesquelles on a tâché d’exciter sa curiosité. […] Au contraire, j’ai fait une large place aux ouvrages très récents, qui, en dépit de toutes les annonces de librairie et comptes rendus critiques, échappent souvent pendant longtemps à la foule des lecteurs. […] Poiret, mon ancien collègue au lycée Charlemagne, qui s’est chargé de dresser un index alphabétique, dont tous les lecteurs de cet ouvrage apprécieront l’utilité.    […] Je ne veux point dire par là, comme quelques lecteurs l’ont cru, qu’il faut revenir à la méthode de Sainte-Beuve et constituer une galerie de portraits ; mais que, tous les moyens de déterminer l’œuvre étant épuisés, une fois qu’on a rendu à la race, au milieu, au moment, ce qui leur appartient, une fois qu’on a considéré la continuité de l’évolution du genre, il reste souvent quelque chose que nulle de ces explications n’atteint, que nulle de ces causes ne détermine : et c’est précisément dans ce résidu indéterminé, inexpliqué, qu’est l’originalité supérieure de l’œuvre ; c’est ce résidu qui est l’apport personnel de Corneille et de Hugo, et qui constitue leur individualité littéraire.

103. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Toutes ces chroniques ont les lecteurs qu’elles méritent et auxquels d’ailleurs elles s’adressent. […] Le Figaro, ayant quelque cent mille lecteurs, est condamné, s’il les veut garder, à une certaine médiocrité littéraire. […] Il a toujours su ce qu’il faut à ses lecteurs, la dose exacte et l’espèce de philosophie, de fantaisie et de liberté d’esprit qu’ils peuvent admettre. […] Il sait, lui aussi, ce que demandent et ce qu’attendent ses lecteurs, l’immense multitude des badauds.

104. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

L’auteur commence par le plus grand ton… Un mal qui répand la terreur, etc… C’est qu’il veut remplir l’esprit du lecteur de l’importance de son sujet, et de plus il se prépare un contraste avec le ton qu’il va prendre dix vers plus bas. […] La Fontaine a raison d’arrêter l’attention de son lecteur sur le bon esprit de cette jeune personne, qui a songé à tout ; mais que de grâces dans cette précision : notez ces deux points-ci ! […] Il se met lui-même en scène, car il ne se pique pas d’être plus sage que ses lecteurs ; et voilà un des charmes de sa philosophie. […] Le lecteur croit que La Fontaine va ajouter, parce que cet orateur est l’oracle du barreau.

105. (1925) Comment on devient écrivain

Tâchez que le lecteur soit dupe et qu’il ne remarque pas le procédé. […] Le nombre des lecteurs qu’elle intéresse encore diminue de jour en jour. […] On perd tout crédit à vouloir éblouir le lecteur. […] D’autres découragent les lecteurs par leur cuistrerie fatigante.‌ […] Le lecteur se méfie.

106. (1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

Il se peut néanmoins que quelque morceau important nous ait échappéb ; et dans ce cas nous serions reconnaissant au lecteur qui voudrait bien nous indiquer des lacunes de ce genre relies disparaîtraient dans un dernier volume de Mélanges. […] Nous sommes déjà tout justifié en ce qui est des articles du Globe que nous avons réimprimés ; quant à ceux du National, nous pouvons répondre aux lecteurs qui nous opposeraient le passage ci-dessus, que M.  […] Sainte-Beuve en a posé le premier jalon dans l’étude à laquelle nous venons de renvoyer le lecteur (pages 200 et 201).

107. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

III Maintenant, supposons qu’au lieu de m’appesantir sur ce mot Tuileries et d’évoquer les diverses images qui lui sont attachées, je lise rapidement la phrase que voici : « Il y a beaucoup de jardins publics à Paris, des petits et des grands, les uns étroits comme un salon, les autres larges comme un bois, le Jardin des Plantes, le Luxembourg, le bois de Boulogne, les Tuileries, les Champs-Élysées, les squares, sans compter les nouveaux parcs qu’on arrange, tous fort propres et bien soignés. » Je le demande au lecteur ordinaire qui vient de lire cette énumération avec la vitesse ordinaire : quand ses yeux couraient sur le mot Tuileries, a-t-il aperçu intérieurement comme tout à l’heure quelque, fragment d’image, un pan de ciel bleu entre une colonnade d’arbres, un geste de statue, un vague lointain d’allée, un miroitement d’eau dans un bassin ? […] Cherchons un autre cas où la suppression soit subite et voulue ; le lecteur y verra l’opération plus nette et plus à nu. […] Deux sciences complètes, infiniment fécondes, reposent sur elle et ne sont efficaces que par là. — Que le lecteur me pardonne de l’avoir arrêté sur des remarques si simples.

108. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Déclarons-le bien vite et dès à présent, dans tout ce qu’on vient de lire comme dans tout ce qu’on va lire encore, l’auteur de ce livre, et cela devrait aller sans dire, est aussi loin de songer à lui-même qu’aucun de ses lecteurs. […] Ce qu’il voudrait qu’elle fût, il vient de le dire dans les pages qui précèdent ; ce qu’elle est, le lecteur l’appréciera. […] Plusieurs pièces de ce volume montreront au lecteur que l’auteur n’est pas infidèle à la mission qu’il s’était assignée à lui-même dans le prélude des Voix intérieures : Pierre à pierre, en songeant aux croyances éteintes.

109. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Il n’en a pas été de tous les temps comme il en est du nôtre, où le plus obscur écolier jette une main de papier à la tête du lecteur, en ayant soin de l’avertir que c’est tout simplement un chef-d’œuvre. […] Nous ne voulons nommer personne, mais nous conseillons à un lecteur oisif d’établir une petite statistique, après enquête, des auteurs lettrés et de ceux qui croient découvrir le monde, avant de savoir marcher. […] Mais, si tel qu’il est, il parvient à révéler des noms nouveaux à nos lecteurs, à piquer la curiosité du public, à l’inciter à connaître mieux cette Nouvelle littérature dont on lui parle tant et qu’il ignore, nous serons largement payés de nos peines.

110. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Préface de la première édition du quatrième volume »

Je dois aux lecteurs qui ont bien voulu témoigner quelque impatience de ce retard une courte explication. […] S’il y en a eu d’autres, le lecteur n’a pas à s’en soucier.

111. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préfaces de « Han d’Islande » (1823-1833) — Préface de janvier 1823 »

Ce n’est que tout à l’heure, au moment où, selon l’usage des auteurs de terminer par où le lecteur commence, il allait élaborer une longue préface, qui fût comme le bouclier de son œuvre, et contînt, avec l’exposé des principes moraux et littéraires sur lesquels repose sa conception, un précis plus ou moins rapide des divers événements historiques qu’elle embrasse, et un tableau plus ou moins complet du pays qu’elle parcourt ; ce n’est que tout à l’heure, disons-nous, qu’il s’est aperçu de sa méprise, qu’il a reconnu toute l’insignifiance et toute la frivolité du genre à propos duquel il avait si gravement noirci tant de papier, et qu’il a senti combien il s’était, pour ainsi dire, mystifié lui-même, en se persuadant que ce roman pourrait bien, jusqu’à un certain point, être une production littéraire, et que ces quatre volumes formaient un livre. […] Il n’informera pas même le lecteur de son nom ou de ses prénoms, ni s’il est jeune ou vieux, marié ou célibataire, ni s’il a fait des élégies ou des fables, des odes ou des satires, ni s’il veut faire des tragédies, des drames ou des comédies, ni s’il jouit du patriciat littéraire dans quelque académie, ni s’il a une tribune dans un journal quelconque : toutes choses, cependant, fort intéressantes à savoir.

112. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 328-331

Celui qui a pour titre : l’Incrédulité convaincue par les Prophéties, est un des meilleurs Livres qu’on ait faits en ce genre ; on y trouve une logique pressante, & des raisonnemens aussi clairs que profonds, qui ne laissent rien à désirer au Lecteur. […] Pour mettre nos Lecteurs en état d’en juger, il nous suffira de citer une des réflexions de l’Auteur sur la doctrine désespérante de ceux de nos Philosophes, qui n’offrent, pour toute consolation, à l’humanité souffrante ou malheureuse, que l’attente du néant & la résolution de la hâter par une mort volontaire.

113. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface et poème liminaire des « Contemplations » (1856-1859) — Préface (1859) »

Si un auteur pouvait avoir quelque droit d’influer sur la disposition d’esprit des lecteurs qui ouvrent son livre, l’auteur des Contemplations se bornerait à dire ceci : Ce livre doit être lu comme on lirait le livre d’un mort. […] Ce livre contient, nous le répétons, autant l’individualité du lecteur que celle de l’auteur.

114. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. (Suite.) » pp. 52-72

Quand on est archéologue et antiquaire à ce degré, il ne faut dédaigner rien de ce qui peut aider le lecteur à nous suivre. Il y a même de ces lecteurs ombrageux et susceptibles dans leur ignorance, qui, lorsqu’on ne les aide pas suffisamment, s’imaginent qu’on se plaît à les dérouter. […] C’est là une ironie et une malice qui nous fait plus simples que nous ne le sommes, et qui compte trop sur le béotisme des lecteurs ; c’est aller contre son but ; cela avertirait, si l’on n’y pensait pas, de faire à l’auteur une question à laquelle son détail infini nous provoque sans cesse, et de lui demander : D’où le savez-vous ? […] Je me lasse insensiblement de cette analyse, et sans doute le lecteur aussi, d’autant plus que je n’y peux mettre les traits de talent et d’érudition originale ou bizarre que l’auteur y sème à chaque pas ; car tout ce livre est pavé, non-seulement de belles intentions, mais de cailloux de toute couleur et de pierres précieuses. Un homme de goût, que les questions archéologiques intéressent, me disait en sortant de cette lecture : « C’est plus fatigant qu’ennuyeux. » Le mot me paraît très-bien résumer l’impression des plus sérieux lecteurs.

115. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

J’aime assez cette manière ; mais elle demande bien de la suite, de la consistance, une exacte vérité dans le détail ; car un lecteur à qui l’on prétend tout dire et ne rien dérober est exigeant. […] Déjà, je dois le dire, cela commence à impatienter ; l’amour-propre du lecteur est humilié vraiment de cette dépense de petits miracles inutiles autour de cet enfant prodige, et, parmi les lectrices, bien plus indulgentes, il n’y aura que celles qui croiront ressembler à Sibylle et qui s’adoreront un peu en elle, qui l’aimeront. […] Dès qu’un de ses romans paraît chez son éditeur, il faut voir, nous dit-on, comme son public, à lui, se dessine ; d’élégantes lectrices viennent en foule et elles viennent en personne ; les équipages se succèdent : en général, on ne demande pas un, mais plusieurs exemplaires du roman nouveau. […] Il semble qu’on le distribue comme on ferait du contre-poison, ou du moins que l’on dise à tous ses amis et connaissances : « Prenez de ma main, voilà un de ces romans qu’on peut lire. » Honorable distinction, mais qui impose de certains devoirs, dont le premier est de ne pas trop flatter les faibles de ces délicieuses lectrices !

116. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « I »

Mais on m’a fait remarquer que ce silence pouvait, à la longue, être mal interprété ; qu’il était de mon devoir de ne point laisser ébranler la conviction que nous avions pris la peine de donner à nos lecteurs, et qu’une réponse aux objections pouvait encore faire partie de notre enseignement. […] On prétend que le livre a réussi parce qu’il a trompé l’acheteur et que tous les lecteurs se sont crus capables de devenir bons écrivains. […] Au lieu d’y chercher un résultat qu’il ne pouvait leur donner, les lecteurs ont trouvé dans ce livre le profit qu’ils souhaitaient. […] Albalat ne dissimule pas à ses lecteurs qu’ils devront travailler énormément, et son unique prétention est de guider utilement leurs travaux 5. »‌ « Quand j’ai trouvé sur ma table, dit un autre critique, le livre de M.  […] Et, sans aller jusque-là, voici que moi, simple lecteur de bonne foi, je ne puis, en conscience, quoique M. 

117. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Au plus, entre deux de ces énormes productions qui se succèdent, y a-t-il quelquefois un joint, un interstice par où l’on puisse glisser une nouvelle, intéressante et courte, qui permette au lecteur de respirer un moment. Le lecteur ne se soucie pas de respirer. Ainsi qu’on fait l’éducation de l’imagination publique à peu près comme on fait l’éducation d’un organe, les romans de feuilleton ont créé dans la masse des lecteurs de véritables appétits de Gargantua. […] ou Cyrano de Bergerac, jette des défis à la tète de son lecteur et qui s’en vante jusque sur la couverture de son livre ? […] Les Païens innocents ; Lettres satiriques et critiques, avec un défi, au lecteur (Pays, 17 novembre 1858 ; 8 août 1860).

118. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

Supposons qu’un historien accepte cette idée générale ou toute autre, et la développe, non pas en termes généraux, comme on vient de le faire, mais par des peintures, par un choix de traits de mœurs, par l’interprétation des actions, des pensées et du style, il laissera dans l’esprit du lecteur une idée nette du dix-septième siècle ; ce siècle prendra dans notre souvenir une physionomie distincte ; nous en discernerons le trait dominant, nous verrons pourquoi de ce trait naissent les autres ; nous comprendrons le système des facultés et des passions qui s’y est formé et qui l’a rempli ; nous le connaîtrons, comme on connaît un corps organisé après avoir noté la structure et le mécanisme de toutes ses parties. Au contraire, priez un lecteur ordinaire de lire l’histoire de Mme de Sablé et de Mme de Longueville ; l’expérience est aisée, et je l’ai faite : il n’emportera qu’une impression vague ; il ne pourra dire exactement quel fut l’esprit de cette époque ; il saura seulement que, selon M.  […] « Commençons par celui qui l’a le mieux connue et qui certes ne l’a pas flattée, La Rochefoucauld. » Ne vous méprenez pas, lecteur zélé ; souvenez-vous que « les deux seules bonnes et complètes éditions sont celles de Renouard, 1804 et 1817, et celles de la collection Petitot. […] Après les témoignages graves, viennent les témoignages douteux, et jusqu’à celui du poète Scudéry, le plus grand vantard du monde. — Êtes-vous satisfait, lecteur sceptique ? […] Combien le lecteur doit être touché de la beauté de Mme de Longueville, quand il la voit à travers cette poussière de certificats !

119. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

On conçoit cependant fort bien qu’un livre puisse ne pas aller à des lecteurs, et des livres sans lecteurs ne manquent pas. Mais on ne conçoit guère une critique qui ne vienne pas de lecteurs. […] Le critique absolu ne serait ni auteur ni lecteur, il ne serait donc pas critique. […] Le lecteur de tel journal extrémiste de droite devient au bout de quelque temps un fanatique comme le lecteur de tel journal extrémiste de gauche. […] Montaigne, dans la vie, entre les tablettes qui portent ses livres et le papier blanc qui sur sa table est prêt aux jeux de la plume d’oie, c’est un lecteur, un admirable lecteur, mais nous ne pensons pas, nous Français, que ce soit un critique.

120. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 459-462

La force, la vivacité, la chaleur, la plaisanterie, le raisonnement, y jettent une variété & un intérêt qui soutient l’attention du Lecteur, malgré la longueur & la fréquence des citations. […] Malgré le peu d’ordre qui y regne, il est impossible de n’y pas reconnoître une sublimité, une profondeur, une force & une vérité qui éclairent, saisissent, enlevent le Lecteur.

121. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1823 »

Il peut, aujourd’hui que ses Odes ont subi l’épreuve hasardeuse de la publication, livrer au lecteur la pensée qui les a inspirées, et qu’il a eu la satisfaction de voir déjà, sinon approuvée, du moins comprise en partie. […] La plupart des idées qu’il vient d’énoncer s’appliquent principalement à la première partie de ce recueil ; mais le lecteur pourra, sans que nous nous étendions davantage, remarquer dans le reste le même but littéraire et un semblable système de composition.

122. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Si l’on ôte de beaucoup d’ouvrages de Morale l’Avertissement au Lecteur, l’épître dédicatoire, la préface, la table, les approbations, il reste à peine assez de pages pour mériter le nom de livre. […] Quelques lecteurs croient néanmoins le payer avec usure, s’ils disent magistralement qu’ils ont lu son livre, et qu’il y a de l’esprit ; mais il leur renvoie tous leurs éloges, qu’il n’a pas cherchés par son travail et par ses veilles. […] Tout écrivain, pour écrire nettement, doit se mettre à la place de ses lecteurs, examiner son propre ouvrage comme quelque chose qui lui est nouveau, qu’il lit pour la première fois, où il n’a nulle part, et que l’auteur aurait soumis à sa critique ; et se persuader ensuite qu’on n’est pas entendu seulement à cause que l’on s’entend soi-même, mais parce qu’on est en effet intelligible. […] Si l’on jette quelque profondeur dans certains écrits ; si l’on affecte une finesse de tour, et quelquefois une trop grande délicatesse, ce n’est que par la bonne opinion qu’on a de ses lecteurs. […] La critique souvent n’est pas une science, c’est un métier, où il faut plus de santé que d’esprit, plus de travail que de capacité, plus d’habitude que de génie ; si elle vient d’un homme qui ait moins de discernement que de lecture, et qu’elle s’exerce sur de certains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et l’écrivain.

123. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Et de fait, les traductions de Salel et de Lazare de Baïf préparent les lecteurs de Ronsard et les auditeurs de Jodelle. […] La popularité de son Plutarque ne prouve pas seulement son talent, mais révèle aussi qu’il avait choisi un des auteurs les mieux adaptés au besoin de ses lecteurs. […] Amyot, né à Melun en 1513, fils d’un boucher ou d’un mercier, étudia au collège du cardinal Lemoine, puis sous les lecteurs royaux Toussain et Danès.

124. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

Je parlerai d’un des deux autres tout à l’heure, et mes lecteurs savent bien le troisième, familiers du charme original des Palais nomades, plus parfait des Chansons d’amant. […] Anonyme Sur La Légende ailée de Wieland le Forgeron. — Les lecteurs de-l’Ermitage en eurent la primeur : aussi ne leur apprendrai-je rien en proclamant l’importance particulière de ce « poème ». Car « poème » il y a. — On « en » écrit de moins en moins : le lyrisme quotidien a fragmenté l’inspiration ; le sonnet a donné le goût des petites choses, et la paresse aidant, celle du lecteur comme celle du poète… Oublie-t-on que les grands lyriques de tous les temps, ou presque, d’

125. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

L’auteur des Cantilènes a bien voulu faire accueil à notre placet, dans une lettre pleine de verve, que le lecteur lira ci-après. […] Accorts et neufs, assez, peut-être, à leur apparition, ces articles se sont fanés depuis, — sort commun à ces sortes d’écrits, — et je me souciais peu de les remettre sous les yeux du lecteur. […] Arrivés là, quelques lecteurs inquiets s’arrêteront pour se demander si nous ne sommes pas en train de les mystifier. […] L’accusation d’obscurité lancée contre une telle esthétique par des lecteurs à bâtons rompus n’a rien qui puisse surprendre. […] On connaît Rabelais ; il a un grand nombre d’admirateurs et même quelques lecteurs.

126. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Cladel, Léon (1834-1892) »

Le lecteur est instruit de l’ancienne grandeur morale de Pipabs, et ce même lecteur souffrira lui-même du martyre de cet ancien brave, minaudant, gambadant, rampant, déclamant, marivaudant, pour obtenir de ses jeunes bourreaux… quoi ?

127. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 308-311

L’Auteur a su y placer à propos plusieurs remarques piquantes sur l’origine des Loix, des Usages, sur les Mœurs & la Politique ; en cela, il paroît s’être véritablement proposé l’instruction du Lecteur. […] Il seroit incompréhensible qu’avec un style net, précis, correct, & quelquefois élégant, cet Ecrivain n’eût pas le talent d’intéresser ses Lecteurs, si on ne pouvoit en rejeter la faute sur la froideur, l’uniformité, & le défaut de mouvemens.

128. (1912) L’art de lire « Chapitre I. Lire lentement »

» doit être la question continuelle que le lecteur se fait à lui-même. […] Si vous voulez être un lecteur dilettante et non un chasseur, c’est le contraire même de cette méthode qui doit être la vôtre.

129. (1886) Le naturalisme

Le lecteur curieux va dire que, d’après cela, Zola n’étudie que des cas pathologiques ! […] Le lecteur a-t-il vu parfois des portraits à l’huile peints en se servant d’un verre grossissant ? […] Le roman est l’écho des aspirations du lecteur et joue son rôle religieux, politique et moral. […] Selgas fait au lecteur bien des surprises agréables, quand il ne s’y attend pas. […] Avec le système de prêts qui règne en Espagne, un roman peut avoir trente mille lecteurs et seulement une édition de mille exemplaires.

130. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Lorsqu’un auteur se permet un mot nouveau, le lecteur qui n’y est point accoutumé, s’arrête pour le juger ; et cette distraction nuit à l’effet général et continu du style70. […] Une expression qui ne change rien au fond des idées, mais dont l’application n’est pas naturelle, doit devenir l’objet principal pour la plupart des lecteurs. […] Le lecteur ne s’aperçoit pas d’abord que ce mot est nouveau, tant il lui paraît nécessaire ; et frappé de la justesse de l’expression, de son rapport parfait avec l’idée qu’elle doit rendre, il n’est pas détourné de l’intérêt principal ni du mouvement du style, tandis qu’un mot bizarre distrairait son attention, au lieu de la captiver. […] L’écrivain est d’autant plus parfait, qu’il sait donner à ses lecteurs d’avance une sorte de pressentiment ou de besoin confus des beautés même qui les étonneront.

131. (1904) La foi nouvelle du poète et sa doctrine. L’intégralisme (manifeste de la Revue bleue) pp. 83-87

Nos lecteurs trouveront ci-après, contresigné par les principaux initiateurs de ce mouvement, l’exposé même de la doctrine nouvelle. […] quoi, s’est dit le lecteur, moins philistin sans doute qu’on ne l’affirme entre gens intéressés, eh ! […] Aussi, nous garderons-nous bien d’aggraver la situation en insistant à notre tour sur des questions de détail qui, aux yeux du lecteur ennuyé, se présentent avec tous les caractères de la chinoiserie. […] Le lecteur moderne est ce personnage.

132. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

La description de ses souffrances ainsi idéalisées par le souvenir et la narration de ses impressions personnelles, diluées dans le torrent des sensations contemporaines, parut aux lecteurs semblable à la musique d’opéra dont on écoute l’air sans prêter attention aux paroles. […] Quel lecteur a pu aller jusqu’au bout du roman ? […] Les lecteurs retrouvaient, dans Atala et René, ces animaux sauvages qui les occupaient. […] Une revue, la Bibliothèque britannique, tenait le lecteur au courant des productions littéraires en langue anglaise par de copieux extraits. […] Dans une étude sur la langue française avant et après la Révolution, parue dans l’Ère nouvelle, j’en ai donné de nombreux et curieux échantillons : j’y renvoie le lecteur.

133. (1874) Premiers lundis. Tome II « Achille du Clésieux. L’âme et la solitude. »

Quoi qu’il en soit de nos critiques sincères, ce volume, qui vient de l’âme, et qui est une douce émanation, charmera les lecteurs dispersés de la même famille ; les lecteurs plus artistes et plus difficiles y verront au moins les promesses d’un poète.

134. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 358-361

Il sent tout ce qu’il conçoit ; ce qui donne à sa Dialectique une ame & une vie qui en communiquent toute l’activité, soit à l’Auditeur, soit au Lecteur. […] Si l’on ne recherche dans les Poésies que le grand, le beau, les graces, la délicatesse, on ne fera pas grand cas des siennes ; mais si quelques traits d’esprit, de naturel, d’ingénuité sont capables, comme nous le croyons, de trouver grace aux yeux du Lecteur le plus difficile, la Muse Limonadiere pourra être regardée comme la dixieme, en laissant toutefois un très-grand intervalle entre elle & ses nobles Sœurs.

135. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — J. — article » pp. 540-543

Le Lecteur même un peu éclairé n’y peut méconnoître, en plusieurs endroits, la touche & les idées de l’Historien du Siecle de Louis XIV : c’est sa maniere d’écrire, sa tournure d’esprit, sa façon de penser ; ce qui a fait dire à quelques personnes, qu’il avoit eu grande part à cet Ouvrage. […] Nous nous contentons d’avertir le Lecteur du cas qu’on doit faire de ces Auteurs prétendus impartiaux, qui ne s’occupent jamais que de ceux pour qui ils écrivent, sans réfléchir sur ce qu’ils écrivent.

136. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 555-559

Il ne falloit rien moins que le talent de captiver, d’émouvoir, d’attendrir, porté au plus haut degré, pour rendre la lecture de ses Romans aussi attachante qu’elle l’est pour le commun des Lecteurs, & sur-tout pour les jeunes gens. […] Tout Lecteur honnête & judicieux ne peut qu’être affligé de voir prodiguer tant de richesses, pour donner au vice des couleurs capables de l’excuser, & de forcer à le plaindre, malgré les réclamations de la vertu.

137. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Le lecteur, s’arrêtant court sur des scènes déjà hardies, se demandait : Qu’y aura-t-il au-delà ? […] Mais il a affaire à un lecteur français né malin, et qui met de cette malice partout où il le peut. […] Le lecteur s’y serait prêté et le réclamait presque. […] Pourquoi ne pas avoir mis là un seul personnage qui soit de nature à consoler, à reposer le lecteur par un bon spectacle, ne pas lui avoir ménagé un seul ami ? Pourquoi mériter qu’on vous dise : « Moraliste, vous savez tout, mais vous êtes cruel. » Le livre, certes, a une moralité : l’auteur ne l’a pas cherchée, mais il ne tient qu’au lecteur de la tirer, et même terrible.

138. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Quand je commençais à publier ce fut parmi les étudiants que je trouvai mes premiers lecteurs. Ma revue : la Vogue, avait soixante-quatre fidèles ; — à leur début les jeunes revues n’en ont habituellement guère plus, et l’on pourrait connaître personnellement tous ses lecteurs. […] Mais ne croyez pas que nos soixante-quatre numéros ne représentaient que soixante-quatre lecteurs ! Je n’aurais pu mettre sur une affiche comme tel grand quotidien : La Vogue, un million de lecteurs ! […] Si vous admettez l’inversion vous détruisez le rythme de la strophe qui doit, comme la phrase, donner au lecteur l’ordre des idées.

139. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre I. Le Roman. Dickens. »

Le lecteur est libre de conjecturer le reste ; Dickens le lui apprendra un jour, quand il écrira ses mémoires. […] Si on livre ses œuvres aux lecteurs, on ne leur livre pas sa vie. […] Jamais objets ne sont restés plus visibles et plus présents dans la mémoire du lecteur que ceux qu’il décrit. […] Pour mieux faire voir l’objet qu’il montre, il en crève les yeux du lecteur ; mais le lecteur s’amuse de cette verve déréglée ; la fougue de l’exécution lui fait oublier que la scène est improbable, et il rit de grand cœur en entendant l’entrepreneur des pompes funèbres, M.  […] Nous ne voulons pas que le lecteur s’intéresse à un avare, à un ambitieux, à un débauché.

140. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alphonse Karr. Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre, Geneviève. »

Il ne lui fallait plus qu’un peu de vouloir et ne pas mieux aimer se jouer, à chaque pause, du lecteur et de lui-même. […] Je lui passerais certains chapitres où, rangeant des vers sous air de prose, il s’amuse à les faire filer comme des troupes déguisées et à mystifier le lecteur qui n’y prendrait pas garde ; ces chapitres-là sont une critique lutine du jargon lyrique à la mode : ils valent mieux que notre critique sérieuse.

141. (1887) Discours et conférences « Préface »

L’indulgence du lecteur admettra facilement que de brèves allocutions, parties du cœur sans nul apprêt, à peu d’intervalle les unes des autres offrent des pensées qui se ressemblent. […] Le morceau de ce volume auquel j’attache le plus d’importance et sur lequel je me permets d’appeler l’attention du lecteur, est la conférence : Qu’est-ce qu’une nation ?

142. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 234-238

Des objections en réponses à des objections ; des doutes pour combattre d’autres doutes ; de l’incertitude : voilà le fruit de son savoir, & l’unique présent qu’il fait à son Lecteur. […] Les Chrysostôme, les Augustin, les Cyrille, les Athanase, les Huet, les Abadie, les Bossuet, les Fénélon, les Bourdaloue, les Massillon, un millier d’autres s’en tenoient à quelque chose de fixe, & leur maniere de raisonner supposoit la vérité dans leur esprit, comme elle en communique la conviction à leur Lecteur.

143. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVIII »

Il était essentiel pour moi de ne pas laisser croire à mes lecteurs que je me trouvais à court de raisons. Après tout, ce sont encore des enseignements de style que j’ai dégagés de ce conflit, et l’on daignera remarquer que je soutiens ici la cause de mes lecteurs bien plus que ma propre cause.

144. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Les vers varient leurs hémistiches et leur repos pour laisser respirer le lecteur, ils se relèvent aux derniers vers de la stance pour remettre l’oreille en route et pour dire, comme le coursier de Job : Allons ! […] C’est l’épopée des villageois, c’est la muse de la veillée qu’il invoque… Mais n’allons pas plus avant : nous enlèverions aux lecteurs futurs de ce poète des chaumières l’intérêt qui s’attache à tout dénouement. […] Le succès a été plus grand qu’on n’eût osé l’espérer pour un livre écrit en une langue inconnue de la plupart des lecteurs ; mais Frédéric Mistral, qui sait aussi le français, avait accompagné son texte d’une version excellente et presque tout le charme se conservait comme dans ces Lieder de Henri Heine traduits par lui-même.

145. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Mais ces métaphores éculées ne choquent pas le plus grand nombre des lectrices. […] Marcel Prévost émet abondamment des romans qui amusent les lectrices frivoles, c’est-à-dire toutes les lectrices, moins les insupportables bas-bleus.

146. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IV » pp. 38-47

Desportes lui avait succédé, sous le titre de lecteur. Bertrand, sous celui de secrétaire du cabinet, et ensuite lecteur du roi. […] « Elle était, dit Mademoiselle, révérée, adorée ; c’était un modèle d’honnêteté, de savoir, de sagesse, de douceur… La dévotion que j’ai pour elle fait que je me suis un peu écartée de mon sujet ; mais je me suis assurée que je ne déplairai point à mon lecteur en parlant d’une chose si adorable. » On voit par les lettres de Voiture que la marquise de Rambouillet et Julie, sa fille, écrivaient fort simplement ; ce qui autorise à penser qu’elles parlaient de même.

147. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VII. Des ouvrages périodiques. » pp. 229-243

Peut-être n’agissoit-il ainsi que pour s’attirer un plus grand nombre de lecteurs. […] Tant d’ouvrages périodiques ne peuvent être en vogue, sans une grande multitude de lecteurs. […] Chaque lecteur doit se décider suivant son goût, ou plûtôt suivant le parti qu’il a pris.

148. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Cros, Charles (1842-1888) »

Paul Verlaine Génie, le mot ne semblera pas trop fort à ceux assez nombreux qui ont lu ses pages impressionnantes à tant de titres, et ces lecteurs, je les traite d’assez nombreux en vertu de la clarté, même un peu nette, un peu brutale, et du bon sens parfois aigu, paradoxalement dur, toujours à l’action, qui caractérise sa manière si originale d’ailleurs. De la taille des plus hauts entre les écrivains de premier ordre, il a parfois sur eux ce quasi avantage et cette presque infériorité de se voir compris, mal, à la vérité, dans la plupart des cas, et c’est heureux et honorable, par des lecteurs d’ordinaire rebelles à telles œuvres de valeur exceptionnelle en art et en philosophie.

149. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 100-104

Ce qui a paru de lui dans le Public, se réduit à des Odes au dessous du médiocre, à une Satire sur le Goût, dont les principes sont assez judicieux, & la versification heureuse par intervalles ; à un Poëme intitulé Mon Odyssée, qu'on croiroit avoir été fait pour des Lecteurs tudesques, tant le style en est dur & baroque, tant les rimes en sont bizarres : qu'on ajoute à cela la pauvreté du sujet, & l'on aura l'idée du plus pitoyable Ouvrage qui ait été fait depuis d'Assoucy jusqu'à nous, puisque le Héros de ce Poëme est M. […] Piqué du jugement que nous avons porté de ses Productions, & irrité de ce que nous n'avons pas craint de nous élever contre l'abus déplorable qu'il a fait de ses talens, ce Poëte ne nous a point oubliés dans cette Satire ; mais ce qu'il dit de nous, annonce moins de talent que de haine & de fureur : aussi croyons-nous ne pouvoir mieux nous venger des sarcasmes qu'il nous prodigue, qu'en les mettant sous les yeux de nos Lecteurs.

150. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XX. Des Livres de facéties, des recueils d’anecdotes & de bons mots. » pp. 381-385

C’est cette difficulté de saisir les allusions qui rend notre Satyre menipée un ouvrage si ennuyeux pour les lecteurs médiocrement instruits. […] Ce qu’il y a de pis dans les fatras, dont il a inondé le public, c’est qu’il s’avise de faire le plaisant, & qu’il entretient sans cesse ses lecteurs de ses plates productions & de celles de sa femme.

151. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 34-39

Bossuet, qui se connoissoit en Littérateurs estimables, le plaça auprès de M. le Dauphin, en qualité de Lecteur, & l’Académie Françoise le choisit, peu de temps après, pour un de ses Membres. […] Quand on rapporte tout à une personne, les Lecteurs n’y prennent jamais tant d’intérêt que quand on rapporte tout au Public.

152. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

La critique trouva son enthousiasme dans sa science, et le lecteur ravi à lui-même revécut la vie des aïeux et fut pour un instant contemporain des anciens jours. […] Le journal a changé de langue et de lecteurs. […] Serait-il donc vrai que chaque lecteur ne les admire que dans ce qu’il ignore, et que leur science universelle n’est composée que d’une multitude d’insuffisances ? […] Le lecteur verra l’indulgence dans le ton général de l’examen, et comprendra l’improbation sous la tiédeur de l’éloge. […] L’œil pourra trouver la notation un peu basse ; mais la voix du lecteur rétablira l’intonation.

153. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Il cherchait à élever vers lui les lecteurs et non à s’abaisser jusqu’à eux. […] Il s’est donné beaucoup de mal et on ne peut pas dire qu’il n’en ait donné à ses lecteurs. […] Par exemple, quand vous lisez La Fontaine, lecteur bénévole, vous vous plaisez à voir vivre devant vous cette nature et cette humanité peintes avec tant de franchise et de grâce, vous regardez les hommes, les animaux, les paysages, vous sentez les allusions quand il y en a, et vous ne les cherchez pas, quand il n’y en a point. […] Il vaudrait mieux que les lecteurs allemands ne la lussent point, car ils la lisent mal. […] Quand créera-t-on pour les philosophes une langue inaccessible aux traducteurs de commerce et aux lecteurs d’occasion !

154. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Il s’en moque même à l’occasion, et plus d’une raillerie est à l’adresse de ceux qui se piquent de pénétrer dans l’histoire au-delà de ce que l’historien peut découvrir, et de ce que le lecteur doit savoir. […] Je suppose un lecteur qui connaît en gros les principaux traits de cette époque : l’œuvre de Richelieu attaquée et près de périr ; un parlement qui veut régir l’État et ne rend pas la justice ; un Condé, un Turenne menant les armées étrangères contre la France ; des finances mises au pillage ; un premier réparateur, l’Italien Mazarin, plus Français que les Français de la Fronde, mais qui se paye de ses services par des mains qui prennent tout ; que va-t-il demander à l’historien de cette époque ? […] La même intelligence des besoins du lecteur a inspiré le chapitre des Anecdotes et particularités et le chapitre des Lettres et arts. […] Il ne laisse pas aux lecteurs à conclure, de peur qu’ils ne le prennent trop froidement ; il conclut lui-même. […] Le lecteur qui n’y voulait chercher que des notes sur les mœurs du temps, y rencontre l’éloquence ; il n’y trouve pas du moins la déclamation.

155. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Il y a un moment où, dans son analyse, le plexus véritable et réel finit et où le plexus illusoire commence, et il ne les distingue pas : la plupart de ses lecteurs, et surtout de ses lectrices, les ont confondus comme lui. […] Même lorsque le résultat ne répond pas à l’attention qu’il a paru y donner, il en reste au lecteur l’impression d’avoir été ému. […] Il couvre d’immenses toiles sans fatiguer jamais ni son pinceau ni son lecteur. […] Le mode de publication en feuilletons, qui obligeait, à chaque nouveau chapitre, de frapper un grand coup sur le lecteur, avait poussé les effets et les tons du roman à un diapason extrême, désespérant, et plus longtemps insoutenable.

156. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

S’il détruisait la théorie de Condillac, il gardait son style ; il lui emprunta sa clarté, pour lui prendre ses lecteurs. […] Il mettait de l’acharnement dans l’explication et dans la preuve ; il prenait le lecteur à partie et lui disait : Vous marchez devant moi ; je vous vois ici, et je me souviens que vous étiez là. — La durée qui s’est écoulée entre le moment où vous étiez là et celui où vous êtes ici, c’est ma mémoire qui me la donne, ma mémoire, dis-je, et non la vôtre qui n’est point à mon service. […] Chaque fait révèle celui qui a précédé, prophétise celui qui va suivre… Ce qui est arrivé, arrivera dans les mêmes circonstances : le passé peut être affirmé de l’avenir ; aussi longtemps que la nature sera vivifiée par les mêmes forces, elle sera régie par les mêmes lois qui reproduiront les mêmes connexions… Ainsi l’avenir entre dans la pensée de l’homme, et avec lui, toute prévoyance, toute prudence, toute philosophie. » Le lecteur a déjà distingué le ton dominant de ce style. […] Que le lecteur daigne examiner une idée, celle de triangle, en elle-même, toute seule, sans considérer avec les yeux aucun triangle effectif et réel. […] Le lecteur nous permettra de ne point écrire ici une psychologie ; j’abrège en quelques mots un demi-volume.

157. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Enfin, ne calculant pas la distance à parcourir ni l’effort à donner, il écrira pour lui, non pour le lecteur : il estimera intéressant ce qui l’intéresse, clair ce qu’il comprend, vrai ce qu’il croira, et ainsi il ne saura éviter ni l’ennuyeux, ni l’obscur, ni le faux. Il prodiguera les vues originales, les pensées profondes, les mots d’esprit, les traits touchants : il sèmera dans son œuvre de quoi faire un chef-d’œuvre : et le lecteur, ne sachant pas où on le mène, égaré, rebuté, étourdi, aveuglé, n’y comprendra rien, bâillera, et jettera le volume : car tous les hommes ne sont pas d’humeur à refaire le livre qu’ils lisent. Quelques lecteurs d’élite goûteront ce qu’il y a d’exquis, trouveront que c’est dommage, qu’il y avait là quelque chose, que le public a jugé bien rigoureusement, et deux cents ans après la mort de l’auteur on le réhabilitera, c’est-à-dire qu’on l’éditera une fois, qu’on en parlera quelques jours et qu’on ne le lira guère plus.

158. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

C’en sera la leçon utile d’incliner les lecteurs à s’en défendre désormais. […] Ils ont un côté par où plaire au gros des lecteurs d’élite. […] Hugo, Dumas fils, Sardou, Georges Ohnet, autant de noms pour amorcer les lecteurs.

159. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 387-391

Nous n’exhorterons pas cet Auteur à réparer également toutes ses autres injustices : il seroit obligé de réformer ses jugemens sur presque tous les Gens de Lettres de nos jours qui ont eu des succès dans quelque genre ; mais nous l’inviterons à supprimer, pour son honneur, de la Collection de ses Œuvres [s’il en publie jamais une nouvelle édition], les Avis au Lecteur, les Préfaces, les Avertissemens, les Observations préliminaires, les Lettres apologétiques, & généralement toutes les Pieces qui n’ont d’autre but que de louer ses Productions & d’exalter ses talens, qu’on pourroit soupçonner de foiblesse & de médiocrité, par le soin même qu’il prend d’en relever le mérite. […] Comment n’a-t-il pas craint que ses Lecteurs, le jugeant d’après le mot de Seneque, Qualis vir, talis oratio, ne lui appliquassent à lui-même sa derniere phrase, Misérable que vous êtes !

160. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Préface »

Tandis que Shakespeare et Byron restaient pour les lecteurs français de vagues noms vénérables d’inconnus, Lamartine, Hugo et Musset allaient à la gloire. […] Il faut croire qu’à diverses périodes, ces œuvres, et celles qui en ont été inspirées, ont mieux satisfait les penchants d’un nombre notable de lecteurs français que les œuvres véritablement du terroir ; qu’en d’autres termes la littérature nationale n’a jamais suffi, et aujourd’hui moins que jamais, à exprimer les sentiments dominants de notre société, que celle-ci s’est mieux reconnue et complue dans les productions de certains génies étrangers que dans celles des poètes et des conteurs qu’elle a fait naître.

161. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Comment donner une idée, même vague et lointaine, de cet amas d’immondices à des lecteurs, à des lectrices, que leurs habitudes et leurs goûts maintiennent dans de chastes et salubres atmosphères ? […] Hugo » : Ne soyons pas dupes, et supplions nos lecteurs d’imiter notre exemple. […] Le lecteur peut juger s’ils sont de bon goût. […] Et que nos lecteurs nous pardonnent d’avoir un moment appelé leurs regards sur ces blasphèmes ! […] Non ; j’aime mieux dire ce que répéteront tous ses lecteurs, ou plutôt répéter ce qu’ils ont déjà dit.

162. (1923) Paul Valéry

Le lecteur a peut-être remarqué l’analogie entre ces vues et celles de Matière et Mémoire. […] C’est cette part de terreau originel que des lecteurs appellent obscurité. […] Mais elle est beaucoup moins familière au poète et surtout au lecteur de poèmes. […] Il ne s’agit ni de l’auteur, ni du lecteur, mais de la poésie. […] Il ne s’inquiète pas des difficultés que peut rencontrer le lecteur, à l’existence duquel il ne croit guère.

163. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIII » pp. 332-336

Les dimensions des grands journaux se sont agrandies ; le système des annonces Duveyrier se déploie en long et en large ; les feuilletons nagent au milieu de tout cela comme de minces vaisseaux à travers un Océan, et l’œil du lecteur ne sait plus où se poser. […] Peut-être l’estomac du lecteur français se distendra à l’avenant.

164. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 223-229

un Roman enfin, dont le scandale a fait le succès passager, dont il n’y a que les premiers chapitres qui soient soutenables, & dont tout le reste fait tomber le Livre des mains du Lecteur, tantôt ennuyé, tantôt révolté ! […] Marmontel, & apprendre au Lecteur que le débit de son Epître, intitulée La VOIX DES PAUVRES, vendue à leur profit, a procuré de grands secours à cette portion souffrante de nos Concitoyens.

165. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre IV. Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature. » pp. 216-222

., par l’Abbé du Bos, ont eu beaucoup de lecteurs. […] Ce livre est d’autant plus cher aux lecteurs françois, que presque tous les exemples sont tirés des Ecrivains de la nation.

166. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

George Sand, Indiana (1832) On peut parler d’Indiana, quoiqu’il y ait déjà un certain nombre de semaines que le livre ait produit son effet et qu’il ait recueilli presque partout en abondance son contingent d’articles et d’éloges, son nombre d’acheteurs et de lecteurs, en un mot tout ce qui constitue la vogue.  […] Les deux romans ont en outre cela de commun, d’obéir à une tendance philosophique, de viser à une moralité analogue, plus explicite et tout en dehors chez Mme de Staël, plus sous-entendue et laissée à la sagacité du lecteur dans Indiana ; les divagations métaphysiques à la mode, du temps de Mme de Staël, et dont elle ne s’est pas fait faute dans Delphine, sont remplacées de préférence, dans le roman de 1832, par les hors d’œuvre pittoresques, les descriptions d’intérieur et de boiseries de salon, si à la mode aujourd’hui, et auxquelles l’auteur d’Indiana s’est laissé quelquefois aller un peu complaisamment, mais qui sont après tout assez de mise dans le roman domestique. […] puis sa flamme rapide, son naïf et irrésistible abandon, son attache soudaine et forcenée ; le caractère de Raymon surtout, ce caractère décevant, mis au jour et dévoilé en détail dans son misérable égoïsme, comme jamais homme, fût-il un Raymon, n’eût pu s’en rendre compte et ne l’eût osé dire ; une certaine amertume, une ironie mal déguisée contre la morale sociale et les iniquités de l’opinion, qui laisse entrevoir qu’on n’y a pas échappé ; tout,  selon nous, dans cette production déchirante, justifie le soupçon qui a circulé, et en fait une lecture doublement romanesque, et par l’intérêt du récit en lui-même, et par je ne sais quelle identité mystérieuse et vivante que derrière ce récit le lecteur invinciblement suppose. 

167. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Lélia (1833) »

Mais cette idée, qui, si elle avait été réalisée selon des conditions naturelles d’existence, dans un lieu, dans un encadrement déterminé, et à l’aide de personnages vivant de la vie commune, aurait été admise des lecteurs superficiels et probablement amnistiée, cette même idée venant à se transfigurer en peinture idéale, à se déployer en des régions purement poétiques, et à s’agiter au loin sur le trépied, a dû être l’objet de mille méprises sottes ou méchantes : on n’a jamais tant déraisonné ni calomnié qu’à ce sujet.  […] Si l’on me demande ce que je pense de la moralité de Lélia, dans le seul sens où cette question soit possible, je dirai que, les angoisses et le désespoir d’une telle situation d’âme ayant été admirablement posés, l’auteur n’a pas mené à bon port ses personnages ni ses lecteurs, et que les crises violentes par où l’on passe n’aboutissent point à une solution moralement heureuse. […] Parmi les personnages et portraits charmants déjà en foule échappés à sa plume, nous en savons un dont nous voudrions lui inculquer le souvenir, parce qu’en même temps qu’il est proche parent de Lélia pour les principales circonstances, il a, dans le caractère et dans l’expression, la mesure, la grâce, la nuance qu’on aime et qui attire tout lecteur : ce personnage est celui de Lavinia, que l’auteur a peinte dans une Vieille Histoire.

168. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

Nos écrivains français ayant toujours présent à leur pensée le tribunal de la société, cherchent à obtenir le suffrage de lecteurs qui se fatiguent aisément ; ils veulent attacher le charme des sentiments à l’analyse des idées, et faire ainsi marcher simultanément un plus grand nombre de vérités. […] Quelques auteurs anglais, cependant, Bolingbroke, Shaftesbury, Addison, ont de la réputation comme bons écrivains en prose : néanmoins leur style manque d’originalité, et leurs images de chaleur : le caractère de l’écrivain n’est point empreint dans son style, et le mouvement de l’âme ne se fait point sentir à ses lecteurs. […] Mais il est cependant certain que pour qu’un auteur soit éloquent, il faut qu’il exprime ses propres sentiments ; ce n’est pas son intérêt, mais son émotion ; ce n’est pas son amour-propre, mais son caractère, qui doivent animer ses écrits ; et faire abstraction en écrivant de ce qu’on éprouve soi-même, ce serait aussi faire abstraction de ce qu’éprouve le lecteur.

169. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

— Mon cher lecteur, j’ai fini ma tâche. […] Quand j’écoute avec ravissement une mélodie italienne, et que vous, mon cher lecteur, vous haussez légèrement les épaules avec une expression de quasi-mépris sur les lèvres, je vous plains, et en fait je suis plus favorisé que vous, puisqu’à ce moment-là j’ai un sens qui vous manque. […] Vous voyez, mon cher lecteur, que je ne résous rien, et que je ne me mêle pas de concilier les délicatesses du sentiment littéraire avec la magnifique tolérance de l’esprit historique.

170. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

Jules Simon, des deux cent mille lecteurs qu’en moyenne, M.  […] Jules Simon n’aurait-il pas ses deux cent mille lecteurs, tout comme un autre ? […] Jules Simon, doit trouver, à coup sûr, plus de deux cent mille lecteurs.

171. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Les seuls ouvrages utiles à la science sont ceux auxquels on peut accorder une entière confiance, et dont les auteurs ont acquis, par une longue habitude, sinon le privilège de l’infaillibilité, du moins cette étendue de connaissances qui fait l’assurance de l’écrivain et la sécurité du lecteur. […] Il résulte de là que celui qui fait un travail spécial sur les littératures chinoise, persane, tibétaine, peut espérer d’avoir en Europe une douzaine de lecteurs. Et encore ces lecteurs, étant occupés de leur côté de leurs travaux spéciaux, n’ont pas le temps de s’occuper de ceux des autres et n’y jettent qu’un coup d’œil superficiel, de sorte qu’au résumé dans ces études chacun travaille pour lui seul. […] Eugène Burnouf, s’excusant auprès des savants de donner quelques aperçus généraux, proteste qu’il ne le fait que pour le lecteur français et qu’il n’attache qu’une importance secondaire à un travail qui devra se faire plus tard, et qui, tel qu’il pourrait être fait aujourd’hui, serait nécessairement dépassé et rendu par la suite inutile. […] Et encore ceux qui savent comment se font la plupart de ces recensions sont d’avis que, dans beaucoup de cas, le monographe ne saurait compter sur un seul lecteur.

172. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

L’auteur avait voulu peindre les guerres et discordes des comtes et des prélats d’Alsace, ranimer les cadavres de l’histoire, mettre en actions les légendes ou chroniques qui se rattachaient aux débris des vieux châteaux : ils passeront devant les yeux du lecteur dans leur costume antique, disait-il de ses personnages, ils agiront suivant les mœurs de leur siècle ; en un mot, je copierai fidèlement la nature, même lorsque je suppléerai par la fiction aux faits que le temps a ensevelis dans les ténèbres de l’oubli. […] En s’occupant de la science et en renonçant à la littérature proprement dite, Ramond sentait bien qu’il circonscrivait le cercle de ses lecteurs. […] Ce sujet auquel il m’a convié est trop neuf, il a trop besoin de démonstration et de preuve aux yeux du lecteur pour que je l’étrangle ainsi et que je ne lui accorde pasw, dans un dernier article, tout le degré de développement qui lui est dû. […] [1re éd.] aux yeux des lecteurs pour que je l’étrangle ainsi et que je ne lui accorde pas

173. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

J’allais (tant l’art de l’arrangeur est parfait, et tant il a mis d’attention à se dérober), — j’allais oublier d’avertir que le tout est lié par un récit biographique rapide, par des transitions indispensables, par des fils adroits et légers ; que toutes les explications nécessaires au lecteur lui sont agréablement et brièvement données, qu’elles viennent à propos au devant de lui ; que tous les petits faits, toutes les anecdotes qui se rattachent au cercle de Mme Récamier, celles qu’elle aimait à raconter elle-même, nous sont rendues avec ce tour net et dans cette nuance qui était le ton particulier de son salon ; qu’une fine critique, toujours convenable, corrige et relève, par-ci par-là, le trop de douceur dans les portraits. […] Dans le peu qu’on lit d’elle, il y a une netteté, une finesse, une correction élégante, une urbanité naturelle, qui mettent en goût le lecteur délicat. […] On le voit assez, aujourd’hui encore, à la place qu’il tient dans ces volumes : l’impression des lecteurs les plus favorables est qu’on a un peu trop mis de lui ; il remplit trop de pages de son impérieuse et inévitable personnalité. […] [NdA] C’est ce double sentiment d’admiration persistante pour l’écrivain et de vérité entière sur l’homme, que j’ai essayé de rendre dans mon ouvrage Chateaubriand et son groupe littéraire ; la plupart des critiques n’ont voulu y voir qu’une chose, qui n’y est pas, le désir de rabaisser Chateaubriand ; les lecteurs français sont si pressés et si inattentifs qu’ils n’admettent guère qu’une idée à la fois.

174. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Il faut donc que le lecteur veuille bien examiner et vérifier lui-même les théories présentées ici sur les illusions naturelles de la conscience, sur les signes et la substitution, sur les images et leurs réducteurs, sur les sensations totales et élémentaires, sur les formes rudimentaires de la sensation, sur l’échelonnement des centres sensitifs, sur les lobes cérébraux considérés comme répétiteurs et multiplicateurs, sur le mécanisme cérébral de la persistance, de l’association et de la réviviscence des images, sur la sensation et le mouvement moléculaire des cellules considérés comme un seul événement à double aspect, sur les facultés, les forces et les substances considérées comme des illusions métaphysiques2, sur le mécanisme général de la connaissance, sur la perception extérieure envisagée comme une hallucination véridique, sur la mémoire envisagée comme une illusion véridique, sur la conscience envisagée comme le second moment d’une illusion réprimée, sur la manière dont se forme la notion du moi, sur la construction et l’emploi des cadres préalables, sur la nature et la valeur des axiomes, sur les caractères et la position de l’intermédiaire explicatif, sur la valeur et la portée de l’axiome de raison explicative. — En de pareils sujets, une théorie, surtout lorsqu’elle est fort éloignée des doctrines régnantes, ne devient claire que par des exemples ; je les ai donnés nombreux et détaillés ; que le lecteur prenne la peine de les peser un à un ; peut-être alors ce qu’au premier regard il trouvait obscur et paradoxal lui semblera clair ou même prouvé. […] Le lecteur trouvera tous ces exposants à leur place. […] Pour l’embrasser tout entière, il faudrait à la théorie de l’intelligence ajouter la théorie de la volonté ; si je juge de l’œuvre que je n’ose encore entreprendre par l’œuvre que j’ai essayé d’accomplir, mes forces ne suffiront pas ; tout ce que je me hasarde à souhaiter, c’est que le lecteur accorde à celle-ci son indulgence, en considérant la difficulté du travail et la longueur de l’effort.

/ 2011