Distinctes des sensations musculaires, qui nous font connaître surtout le mouvement et l’effort des muscles, elles se révèlent à nous par le plaisir ou la douleur qu’elles nous causent ; elles sont, affectives le plus souvent. […] Bain en distingue sept espèces : Les sensations dues à l’état des muscles, la douleur ressentie lorsqu’on les coupe, la souffrance causée par une fatigue excessive, les os brisés, les ligaments déchirés, en un mot, tous les dommages violents portés au système musculaire. […] C’était dans cette obscure région des phénomènes primitifs de la vie affective, qu’il fallait chercher les germes des plaisirs, douleurs, passions de toute sorte, que le jeu de la vie féconde, transforme, affine incessamment. […] Le plaisir et la douleur ont été faibles ; et vice versa. […] Bouillier, du Plaisir et de la Douleur.
Mais les mouvements causés par les émotions sont fort différents de ceux causés par la volonté : les premiers agissent sur les muscles souvent exercés, comme ceux de la face et la voix ; les seconds agissent surtout sur ceux qui peuvent augmenter le plaisir ou diminuer la douleur. Nos mouvements spontanés donnent naturellement naissance à un plaisir ou à une douleur. […] Se produit-il une douleur ? la douleur diminuant l’énergie vitale, les mouvements qui ont causé la douleur diminueront aussi, et cette diminution sera un remède. […] C’est par les sensations tactiles qu’on dresse les animaux ; on leur inflige une douleur pour les conduire au but qu’on désire.
Il ne peut être question de bonheur positif obtenu par elle, puisqu’elle ne doit sa naissance qu’à une grande douleur, qu’on croit adoucir en la faisant partager à celui qui l’a causée ; mais il n’est personne qui, dans diverses circonstances de sa vie, n’ait ressenti l’impulsion de la vengeance ; elle dérive immédiatement de la justice, quoique ses effets y soient souvent si contraires : faire aux autres le mal qu’ils vous ont fait, se présente d’abord comme une maxime équitable ; mais ce qu’il y a de naturel dans cette passion ne rend ses conséquences ni plus heureuses, ni moins coupables ; c’est à combattre les mouvements involontaires qui entraînent vers un but condamnable, que la raison est particulièrement destinée ; car la réflexion est autant dans la nature que l’impulsion. Il est certain d’abord qu’on soutient difficilement l’idée de savoir heureux l’objet qui vous a plongé dans le désespoir ; ce tableau vous poursuit, comme, par un mouvement contraire, l’imagination de la pitié offre la peinture des douleurs qu’elle excite à soulager. […] Ce qu’on a le plus de peine aussi à supporter dans l’infortune, c’est l’absorbation, la fixation sur une seule idée, et tout ce qui porte la pensée au-dehors de soi, tout ce qui excite à l’action, trompe le malheur ; il semble qu’en agissant, on va changer la situation de son âme, et le ressentiment, ou l’indignation contre le crime étant d’abord ce qui est le plus apparent dans sa propre douleur, on croit, en satisfaisant ce mouvement, échapper à tout ce qui doit le suivre ; mais en observant un cœur généreux et sensible, on découvre qu’on serait plus malheureux encore après s’être vengé qu’auparavant. L’occupation où l’on est de son ressentiment, l’effort qu’on fait sur soi pour le combattre remplit la pensée de diverses manières ; après s’être vengé, l’on reste seul avec sa douleur, sans autre idée que la souffrance ; vous rendez à votre ennemi, par votre vengeance, une espèce d’égalité avec vous ; vous le sortez de dessous le poids de votre mépris, vous vous sentez rapprochés par l’action même de punir ; si l’effort que vous tenteriez pour vous venger était inutile, votre ennemi aurait sur vous l’avantage qu’on prend toujours sur les volontés impuissantes, quelle qu’en soit la nature et l’objet : tous les genres d’égarement sont excusables dans les véritables douleurs ; mais ce qui démontre cependant combien la vengeance tient à des mouvements condamnables, c’est qu’il est beaucoup plus rare de se venger par sensibilité, que par esprit de parti ou par amour propre.
soit dans la tristesse, voilà, par ce temps d’orgueil qui crie, l’accent profond et surmonté de cette poésie qui n’est pas ivre, même de douleur, quoique la douleur ait été véritablement sa grand’pinte ; tel est le fond de cette poésie qui a parfois peint, à la flamande, les murs du cabaret où la pauvre fille s’est assise et a bu un coup, pour se réconforter un peu et pour oublier cette misère de la vie. […] Brève sera l’histoire, Et je ne te dirai rien que la vérité, Aucun récit banal de douleur. — Dans sa gloire, C’est un noble type arrêté. […] Mais, s’il est sentimental par l’inspiration, — et un sentimental exquis, même quand il est gai, écoutez plutôt : Vous voulez savoir la cause, La cause de ma douleur J’ai frappé chez le bonheur, Et j’ai trouvé porte close. […] Lui, fait pour écrire toujours dans cette nuance que nous avons signalée, lui, le doux des doux, le résigné des résignés, dont la Muse aurait pu toujours ressembler à cette touchante image de Shakespeare, la Patience qui sourit longuement à la Douleur, a mieux aimé entrer à la Grand’Pinte et se verser du vin de cabaret de cette blanche main à laquelle on pardonne, car elle tremble, comme s’il savait que ce vin qu’il se verse n’apaisera rien de ce qui a soif dans son cœur. […] Il fait La Douleur du charretier !
. — La Belle Douleur (1897). […] Georges Rency Charles Bernard, un des nôtres, dont la Belle Douleur m’a charmé, nous donna jadis Et chanta la feuillée, poème exquis, suite de sensations merveilleuses et délicates, qui vivaient pour elles-mêmes, et que n’unissait le lien d’aucune idée. Dans la Belle Douleur, l’horizon s’est élargi, des personnages apparaissent, l’amour palpite, la vie est précisée, sous le même clair de lune hiératique et troublant.
La douleur de ces suivantes est forte. […] Votre Astyanax est de bois : qu’il ait ses deux petits bras étendus vers sa mère, et faites qu’il réponde à sa douleur. […] Renvoyez-moi ces gens-là à l’endroit où notre poète fait dire à un monarque sur le point d’abandonner au couteau d’un prêtre sa propre fille : Encor si je pouvais, libre dans mon malheur, Par des larmes au moins soulager ma douleur ! […] Ce qu’elles ont à faire, c’est de joindre à l’action de leur maîtresse, tout le spectacle de leur douleur.
Problème : Comment la perception de la douleur chez autrui peut-elle devenir agréable dans l’art ? […] Toute société n’est qu’une tendance à l’équilibre des molécules vivantes qui la constituent, et toute douleur, tout plaisir, qui sont des ruptures d’équilibres sur un point, tendent essentiellement à se propager. […] Puisque la perception de la douleur chez autrui est en quelque sorte le prélude d’une douleur chez nous-mêmes, comment cette douleur peut-elle en venir à procurer indirectement quelque plaisir ? […] La douleur d’un individu ne se transmet donc pas nécessairement à un autre sous forme de douleur ; ou, en tout cas le trouble nerveux qui se transmet peut être compensé d’autres causes, agir comme un simple, stimulant, aboutir même dans certains cas à ce qu’on a appelé la volupté de la pitié. […] Si je suis ému par la vue d’une douleur représentée, comme dans le tableau de la Veuve du soldat, c’est que cette parfaite représentation me montre qu’une âme a été comprise et pénétrée par une autre âme, qu’un lien de société morale s’est établi, malgré les barrières physiques, entre le génie et la douleur avec laquelle il sympathise : il y a donc là une union, une société d’âmes réalisée et vivante sous mes yeux, qui m’appelle moi-même à en faire partie, et où j’entre en effet de toutes les forces de ma pensée et de mon cœur.
on ne sait pas ce qu’on donne en sauvant la vie, mais en vous arrachant à la douleur, en renouvelant la source de vos jouissances, on est certain d’être votre bienfaiteur. […] Celui qui par sa faute, ou par le hasard, a beaucoup souffert, cherche à diminuer la chance de ces cruels fléaux, qui ne cessent d’errer sur nos têtes, et son âme, encore ouverte à la douleur, a besoin de s’appuyer par le genre de prière qui lui semble le plus efficace. […] Si l’amour propre est content, Almont l’abandonne, mais s’il est humilié, s’il cause de la douleur, il le replace, il le relève, il en fait l’appui de l’homme que cet amour propre même avait abattu. Si vous rencontrez Almont, quand votre âme est découragée, sa vive attention à vos discours vous persuade que vous êtes dans une situation qui captive l’intérêt, tandis que, fatigué de votre peine, vous étiez convaincu, avant de le voir, de l’ennui qu’elle devait causer aux autres ; vous ne l’écouterez jamais sans que son attendrissement pour vos chagrins, ne vous rende l’émotion dont votre âme desséchée était devenue incapable ; enfin, vous ne causerez point avec lui, sans qu’il ne vous offre un motif de courage, et qu’ôtant à votre douleur ce qu’elle a de fixe, il n’occupe votre imagination par un différent point de vue, par une nouvelle manière de considérer votre destinée ; on peut agir sur soi par la raison, mais c’est d’un autre que vient l’espérance. […] Almont ne s’écarte jamais, en faisant beaucoup de bien, du principe inflexible qui lui défend de se permettre ce qui pourrait nuire à un autre ; en réfléchissant sur la vie, on voit la plupart des êtres se renverser, se déchirer, s’abattre, ou pour leurs intérêts, ou seulement par indifférence pour l’image, pour la pensée de la douleur qu’ils n’éprouvent pas.
La souffrance et la délivrance de la douleur : voilà les deux pôles entre lesquels se développe l’action. Mais la douleur elle-même est complexe ; elle est représentée dans ses différents aspects par différents personnages. […] C’est de nous débarrasser du désir de vivre (des Willens zum Leben) et la douleur nous y pousse. […] A un moment de sa vie il rencontre enfin la Douleur. […] Mais cette impression disparaît et, devant le spectacle de la douleur que lui présente Gurnemanz, il reste ignorant et froid.
Elle a raconté l’histoire de sa captivité et des événements arrivés au Temple depuis le jour où elle y entra jusqu’au jour où y mourut son frère, et elle l’a fait d’un style simple, correct, précis, sans un mot de trop, sans une phrase, comme il sied à un cœur profond et à un esprit juste parlant en toute sincérité des douleurs vraies, de ces douleurs véritablement ineffables et qui surpassent tout ce qu’on en peut dire. […] On fit venir mon médecin… Heureusement, ce mot échappé par mégarde dans cette image de douleur fait un effet étrange et qu’une parole à la Bossuet n’égalerait pas. […] Son honneur est de n’avoir à aucun degré laissé la littérature, le roman, le drame, s’introduire dans le sanctuaire, à jamais voilé, de sa douleur. […] Elle fit preuve d’un grand bon sens jusque dans l’extrême douleur. […] C’est là le cadre de cette destinée de douleur et de sacrifice, sur laquelle l’Antiquité eût versé aussitôt la poésie et l’idéal, mais qui ne nous laisse entrevoir qu’une beauté intérieure, à demi voilée, comme il sied au christianisme.
. — Vous êtes un talent charmant, le talent de femme le plus pénétrant que je connaisse. » Et un seul mot en finissant pour ceux et celles qui trouveraient que j’ai parlé bien longuement des douleurs de Mme Valmore, et qui, se reportant à leurs propres peines, seraient tentés de dire : « Et moi donc, suis-je sur des roses ? » Je leur répondrai : Toutes les douleurs humaines sont sœurs ; à chacun la sienne. Il ne s’agit pas de venir comparer les douleurs ; de rapport exact, de mesure commune entre elles, il n’y en a pas : chacun a tout son poids et tout son aiguillon de celle qu’il porte ; elles n’ont point, hélas ! […] Mais le propre de la douleur en Mme Valmore et ce qui la différencie des autres, c’est qu’elle lui laissait la pleine liberté d’esprit et le mouvement spontané de cœur vers toutes les douleurs environnantes ; c’est qu’elle n’était jamais assez remplie de sa douleur à elle pour ne pas rester ouverte à toutes celles des autres : « … Que de chagrins étrangers à nous se mêlent aux nôtres !
Toutes les consolations l’accompagnent, les haines et les douleurs s’apaisent à sa présence. […] « Amélie, accablée de douleur, était retirée au fond d’une tour, d’où elle entendit retentir, sous les voûtes du château gothique, le chant des prêtres du convoi et les sons de la cloche funèbre. […] Je lui écrivis ; elle me répondit que, sur le point de se consacrer à Dieu, il ne lui était pas permis de donner une pensée au monde ; que, si je l’aimais, j’éviterais de l’accabler de ma douleur. […] En ce moment, je sens renaître mes transports ; ma fureur va éclater, quand Amélie, rappelant son courage, me lance un regard où il y a tant de reproche et de douleur, que j’en suis atterré. […] Je trouvai même une sorte de satisfaction inattendue dans la plénitude de mon chagrin, et je m’aperçus, avec un secret mouvement de joie, que la douleur n’est pas une affection qu’on épuise comme le plaisir.
Mon Dieu, recevez ce que j’en souffre et toutes les douleurs de cette affection. […] Un ecce homo, l’homme de douleur, tous les autres derrière celui-là. […] que je n’aie pas cette douleur à deux tranchants, qui me fendrait l’âme à la mort ! […] La vie est toute coupée de douleurs. […] Les vraies douleurs, comme le vrai attachement, sont au désert.
Souvent leur pensée se réfugie, douleur farouche et qui se cache, dans « le pan maternel de la robe glauque de la mer ». […] Le Chemin de la douleur fait suite au Chemin de l’Irréel. […] Au pied du Christ qui pleura, une femme pleure ; ces deux images de la souffrance passée et de la souffrance actuelle semblent crier l’éternité de la douleur. […] Mais il faut rejeter les douleurs imaginaires et l’humanité doit marcher libre, débarrassée de la croix qui pèse sur elle depuis trop de siècles. […] Bientôt des inquiétudes pénètrent leur bonheur et, comme la mer immense envahit peu à peu une barque frêle, les voix des douleurs arrivent à eux et les troublent.
Le poëte de Thèbes eut il supporter cette douleur, dans la joie publique de la victoire qui suivit bientôt l’immortelle défaite des Thermopyles. […] Quelle ode triomphale surpassa jamais ce témoignage de la bouche des vaincus, ce tribut de douleur et d’effroi ? […] Bien des femmes de leurs faibles mains déchirent leurs voiles, mouillent leur sein de larmes, dans la douleur qu’elles partagent. […] » Que pouvait-il s’ajouter à ce chant de douleur, à ce témoignage des vaincus ? […] sujet de larmes à la nation, je suis né pour le mal de la patrie… » Et ces cris de détresse, ces échos de mutuelle douleur, se continuent, s’entrechoquent, durant une longue scène.
On croirait entendre un de ces myriologues où se plaisait le poétique génie de la Grèce, mais que la mâle douleur d’un guerrier et d’un ami empreint cette fois d’un pathétique plus attendrissant que les larmes. […] Des chefs de parti, des hommes mêlés aux factions de Florence, vainqueurs ou dans l’exil, chantaient les douleurs et les joies d’une passion qu’on pourrait souvent croire imaginaire, tant les expressions en sont discrètes jusqu’à l’obscurité. […] La douleur d’Horace sur la perte d’un ami, son effort pour consoler dans un autre une affliction non moins grande que la sienne, attendrit et charme par la pureté des sentiments et la tristesse mélodieuse des paroles. […] Leurs vêtements sont déchirés ; la douleur, peinte sur leurs visages. […] Le poëte nous ramène à la terre par ses douleurs, comme il nous élève à Dieu par son génie ; mais il est théologien, il argumente, il déclame, il accuse, il est implacable dans le ciel.
Il y a deux choses certaines, et que tout l’effort du pyrrhonisme ne saurait obscurcir : c’est le plaisir et la douleur. — Mais le plaisir et la douleur varient d’homme à homme, selon les tempéraments, de minute à minute, selon les revirements de l’humeur. — Pas tant que cela, si l’on commence par écarter tous les plaisirs et toutes les douleurs d’opinion, qui sont des inventions humaines, et que notre prétendue civilisation attache à des biens imaginaires. […] 3° L’ennemi de la vie, ce n’est pas la mort, c’est la douleur, et c’est elle qu’il faut fuir de toutes les forces que nous prête la nature. « En quelque manière qu’on puisse se mettre à l’abri des coups, fût-ce sous la peau d’un veau, je ne suis pas homme qui y reculât : car il me suffit de passer à mon aise ; et le meilleur jeu que je puisse me donner, je le prends, si peu glorieux au reste et exemplaire que vous voudrez239. » Montaigne est de sa nature plus sensible à la douleur physique qu’à la douleur morale : il nous le dit. Le malheur est que contre la douleur physique le détachement ne sert à rien : il n’y a que la fuite qui vaille. […] C’est alors qu’il faut user d’industrie, ne lâcher à La douleur que les parties de notre être et de notre vie que la nature lui attribue, et faire étude de conserver leur place et leurs moments à tous les plaisirs.
Au milieu de sa flamme et de sa souffrance, un sentiment d’élévation céleste, une idée d’immortalité, disait-il, s’était éveillée en son âme ; les anges de douleur lui avaient parlé, et il avait naturellement songé à celui qui, le premier, avait ouvert ces sources sacrées d’inspiration en notre poésie. […] La muse de M. de Musset aura toujours de ces retours, même à ses moins bons moments, mais nulle part cette fraîcheur naturelle ne se marie heureusement comme ici avec la passion saignante et la douleur sincère. […] Il n’est pire douleur, a dit Dante, que de se rappeler les jours heureux quand on est dans le malheur. […] Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, Que viennent étaler sur leurs amours passées Ceux qui n’ont point aimé ! Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Toute expansion n’est que douleur, car elle doit demeurer stérile. […] Le Moi, nettement distingué du monde sensible et du monde des idées, se précise en l’action — elle est à l’idée ce que l’œuvre est au songe — comme il se prouve, grandit et se perpétue par l’Amour. — Si la vie offre de graves motifs à la Douleur elle en offre aussi à la Joie et, en son résultat, doit toujours être saluée comme glorieuse : elle est le miroir de toute activité, la vallée sans fin où se meut la Geste même de l’homme. […] La Douleur, c’est ce qui t’arrête. Que la vie contienne la Douleur, qu’importe ? […] Vielé-Griffin s’éclaire à la haute flamme de la Joie, mais M. de Régnier s’appuie à la stature de la Douleur que la résignation rend encore plus humaine et si la Fatalité n’est plus, dans ses écrits, le geste pétrifiant qui se tendait soudain sur les héros de la tragédie grecque, sa forme lointaine a gagné en mystère ce qu’elle perdait en majesté.
” lui répondis-je, “combien de douces rêveries, combien d’ardents désirs ont dû mener ces deux âmes à leur dernier pas de douleur ! […] ” » « Et elle à moi : “Il n’y a pas” », soupira-t-elle, de plus grande douleur pour l’âme que de se retracer, dans le jour de son désespoir, les jours de sa félicité. […] « Quand un peu de clarté eut pénétré dans le cachot de douleur, je parcourus de l’œil les quatre visages de mes fils ; j’y retrouvai avec horreur l’image du mien. […] Le beau dans la douleur ; le pathétique, le serrement de cœur par la pitié au spectacle de la douleur d’autrui ; la consonance sublime entre le sanglot d’autrui et notre propre sanglotement intérieur ; la jouissance douloureuse, mais enfin la jouissance morale, de notre sympathie humaine pour la peine d’un être humain comme nous, l’ homo sum, humani nihil a me alienum du poète latin ; cette sympathie désintéressée qui fait à la fois la nature, la vertu et la dignité de l’être humain, sont partout dans cette scène poétique. […] hôtellerie de douleur, navire sans nocher dans la grande tempête, non reine des provinces, mais lieu infâme de prostitution !
Voilà le noviciat de sa douleur. […] J’ai tout donné, je veux qu’on me rende tout, dit le Seigneur, joie et douleur ! […] La philosophie réelle ne défie pas la douleur, elle ne la nie pas : elle s’y plonge comme dans un feu d’expiation, de régénération ou d’épreuve. Elle s’enveloppe de sa douleur même, en la sentant avec la chair, mais en la surmontant avec l’esprit, et en y voyant le titre de sa félicité future. […] Tant que nous portons ce corps fragile, nous ne pouvons être sans péché, ni sans ennui, ni sans douleur.
Il reçut donc une lettre de Madame, datée de Saint-Cloud le 10 juin 1669, qui portait : Dans la douleur que vous devez avoir des injustices qu’on vous fait, il y en aurait beaucoup que vos amis ne songeassent pas aux consolations qui peuvent vous aider à supporter vos disgrâces. […] Cette lettre renferme encore l’expression d’une douleur bien sensible pour une mère. […] Contentez-vous d’aimer les personnes qui en sont aussi reconnaissantes que je le suis, et qui ressentent aussi vivement que je fais la douleur de ne se pas voir en état de vous tirer de celui où vous êtes. C’est trois jours après cette lettre écrite, que le 29 juin, sur le soir, vers cinq heures, Madame étant à Saint-Cloud, demanda un verre d’eau de chicorée à la glace ; elle le prit, et neuf ou dix heures après, à deux heures et demie du matin, le 30, elle expira dans toutes les douleurs de la plus violente colique. […] Puisqu’il y a eu des personnes qui sont mortes de douleur, il m’est honteux d’avoir pu survivre à la mienne.
Est-il donc, ô douleur, deux axes dans les cieux, Deux âmes dans mon sein, dans Jéhovah deux dieux ? […] » Il répondit : « C’est pour t’affliger et te punir. » Ce pessimisme aboutit au stoïcisme. « Il est mauvais et lâche de chercher à se dissiper d’une noble douleur pour ne pas souffrir autant. […] — Une mélancolique et piteuse chanson, Respirant la douleur, l’amour et la tristesse. […] Le seul moyen par lequel nous puissions nous arracher un moment à ce inonde, la seule attestation suprême de l’au-delà, c’est encore la douleur et les larmes ; pleurer, n’est-ce pas sentir sa misère et ainsi s’élever au-dessus d’elle ? […] La profondeur de l’amour, pour Musset, se mesure à la douleur même que l’amour produit et laisse en nous : aimer, c’est souffrir ; mais souffrir, c’est savoir.
— en ce que la première de ces émotions, tout en conservant intact l’élément excitation, laisse à son minimum d’intensité l’élément, éveil des images de douleur ou de plaisir qui s’associent ordinairement à cette excitation, mais qui demeurent inertes parce qu’elles sont fictives, mensongères, innocentes. […] Spencer, d’après laquelle les plaisirs sont des sentiments modérés, et les douleurs des sentiments extrêmes, on apercevra aussitôt la raison pour laquelle les œuvres les plus émouvantes et les plus estimées expriment des spectacles ou des idées tristes. C’est que dans celles-ci l’émotion causée par des images fictives douloureuses sera extrême ; et dans celles-ci également l’émotion, étant de l’ordre factice, fictif, esthétique, ne sera extrême que comme excitation, et non comme douleur. L’Hamlet, la Divine Comédie, la symphonie en ut dièse mineur, une cathédrale gothique, le Bon Samaritain de Rembrandt, sont des œuvres excitantes à un haut degré parce qu’elles sont tristes, et dénuées cependant de tristesse, parce qu’elles n’ont de la douleur que le choc et non la blessure. Les mots « sensation du beau » sembleront donc désigner cette situation d’esprit : excitation intense d’un ou plusieurs sentiments ordinaires ; absence des images positivement c’est-à-dire personnellement douloureuses, qui accompagnent et timbrent d’habitude cette excitation intense ; en d’autres termes, le transport, le heurt de la douleur, sans son amertume ou sa terreur.
Il est étrange de songer que ce cerveau, en qui la réalité avait reflété des images si nettes, qui avait su interpréter, ramasser, coordonner ces images avec une vigueur et dans des directions si décidées, et nous les renvoyer, plus riches de sens, à l’aide de signes si fortement ourdis, n’ait plus, à partir d’un certain moment, reçu du monde extérieur que des impressions confuses, incohérentes, éparses, aussi rudimentaires et aussi peu liées que celles des animaux, et pleines, en outre, d’épouvante et de douleur, à cause des vagues ressouvenirs d’une vie plus complète ; et que l’auteur de Boule-de-Suif, de Pierre et Jean, de Notre Coeur, soit entré, vivant, dans l’éternelle nuit. […] Il me semble que, lorsqu’on est en somme parmi les privilégiés de ce monde, lorsqu’on ne souffre ni continuellement, ni trop violemment dans son corps, et qu’on est préservé des extrêmes douleurs morales par la littérature et l’analyse (lesquelles, soyez-en sûrs, nous sauvent de plus de maux qu’elles ne nous interdisent de joies), une sorte de pudeur devrait vous empêcher de répéter trop longuement des plaintes déjà développées par d’autres. […] Au reste, le naturalisme a deux grandes ennemies : la douleur et la mort. […] Pour que la philosophie du Cas de Mme Luneau ou même de Marroca fût le vrai, il faudrait que la douleur fût absente du monde, et qu’on pût ne jamais songer à la mort.
La première différence que l’être animé saisisse, c’est celle du malaise et de l’aise ; le premier éveil de l’intelligence, c’est la douleur. Or, la différence qui se produit dans le passage du plaisir à la douleur est une résistance, une action contrariée. […] La douleur est pour lui la différence instructive par excellence. […] Supposez donc dans la conscience : 1° un changement de plaisir en douleur ; 2° un changement en sens opposé, un retour de la douleur au plaisir, dont l’image avait subsisté pendant la douleur même : ce nouvel état sensitif coïncidera avec l’image de l’ancien. […] Plus tard, par le progrès de la conscience, l’animal arrive, indépendamment du plaisir et de la douleur, à distinguer du changement l’absence de changement, de la différence la non-différence.
Le mercredi 27 avril283 au matin, le roi, étant à Trianon de la veille, se sentit incommodé de douleurs de tête, de frissons et de courbature. […] Il n’en fut guère soulagé, et quoiqu’il ne mangeât rien à souper, et qu’il se couchât de fort bonne heure, il fut plus tourmenté pendant la nuit des douleurs qu’il avait ressenties pendant le jour, et auxquelles se joignirent des maux de reins. […] Il voyait avec les mêmes yeux les douleurs dont le roi se plaignait, et en rabattait dans son esprit les trois quarts, toujours par le même calcul. […] Cependant la fièvre se soutint dans la nuit avec assez de force, il y eut même de l’augmentation ; les douleurs de tête devinrent plus fortes, et nous apprîmes à huit heures du matin qu’on allait saigner le roi. […] Son affaissement continuait ; il se plaignait de douleurs sourdes de tête, et l’agitation était excessive malgré l’abattement.
… Cette fin de l’ode sort du lieu commun, et le poëte pénitent, tout en se ressouvenant des grandes douleurs et infortunes bibliques, trouve en lui-même son inspiration la plus émue, des jets de véritable éloquence : Pour moi, soit que son bras m’élève ou m’humilie, Je ferai de mon âme une lyre au Seigneur… Il dénombre ses douleurs comme Job, mais il n’en fait pas de reproche à Dieu ; il est prêt à recommencer même, s’il le faut, et à repasser par le cercle rigoureux des épreuves, si c’est la volonté du Maître : Tu m’as jeté sept ans sur la rive étrangère, Et j’ai mangé sept ans le pain des pèlerins. […] Ce volume est tout entier inspiré par les douleurs de l’exil, par les joies du retour, joies si mêlées et si altérées encore. […] qui jamais a su ta douleur tout entière, L’amertume des pleurs tombés de ta paupière, L’ampleur de la blessure en ton cœur ulcéré, Ô Job de la pensée, ô grand désespéré ! […] Ma mère sous leurs coups est morte de douleur, Son martyre a duré trente ans ! […] Mais eux, avec l’entrain de la force qui crée, Affrontent la fumée et le four éclatant : Le travail fait les cœurs ; cette douleur sacrée Donne un si mâle espoir qu’on la souffre en chantant !
Aussi, malgré ses souffrances des derniers temps, malgré les douleurs si légitimes et si inconsolables qu’il laisse en des cœurs fidèles, pourrait-on se risquer à trouver que cette fin même est heureuse, et que sa destinée tranchée avant l’heure a pourtant été complète, si un père octogénaire ne lui survivait : les funérailles des fils, on l’a dit, sont toujours contre la nature quand les parents y assistent. […] Il n’accusait que ses yeux, dont l’état de douleur s’aggravait et ne laissait pas de l’alarmer. […] Les horribles douleurs qu’il endurait n’altéraient en rien son égalité d’humeur, et, entre deux plaintes sur ce qu’il souffrait, il laissait échapper une de ces adorables saillies qui en faisaient un homme tout à fait à part. » La fin du séjour à Vichy fut triste, le retour fut lamentable : après quelques jours pourtant, il sembla que le mal avait un peu cédé, et l’ardeur du malade pour le travail aurait pu même donner à croire qu’il était guéri. […] Avant de partir, il eut la douleur de voir mourir sa mère. […] M. de Maistre, qui vit à cette heure en Russie et qui s’y défend de son mieux, dit-il, contre l’âge et le climat, octogénaire comme le père de Topffer, aura eu la douleur, lui aussi, de voir disparaître ce filial héritier.
Tels sont les vers adressés par Alfred de Musset à Ulric Guttinger, poète jeune, tendre et pathétique alors comme Musset lui-même, mais déjà touché au cœur par cette pointe salutaire de la première douleur, qui guérit ceux qu’elle blesse. […] un baiser, c’est moi qui te le donne ; L’herbe que je voulais arracher de ce lieu, C’est ton oisiveté : ta douleur est à Dieu. […] L’homme est un apprenti, la douleur est son maître, Et nul ne se connaît, tant qu’il n’a pas souffert. […] J’étendis mes bras en croix sur le gazon, pleurant, appelant, rêvant, priant, invoquant, dans le sentiment d’une union surnaturelle qui ne laissait plus à mon âme la crainte de la séparation ou la douleur de l’absence. […] J’arracherais ensuite avec douleur, mais avec une douleur sans pitié, la moitié des pages de tes deux volumes en vers !
Je crie vers lui mes douleurs. […] — « Douleur ! douleur ! […] » — « Douleur ! douleur !
Il est pour un grand peintre une infinité de joïes et de douleurs differentes qu’il sçait varier encore par les âges, par les temperamens, par les caracteres des nations et des particuliers, et par mille autres moïens. […] Le bon larron regarde le ciel avec une confiance fondée sur les paroles de Jesus-Christ, et qui se fait remarquer à travers les douleurs du supplice. […] Le mauvais larron s’est donc soulevé sur son gibet, et dans cet effort que la douleur lui a fait faire, il vient d’arracher la jambe qui a reçu le coup en forçant la tête du cloud, qui tenoit le pied attaché au poteau funeste.
Le chant du pâtre, les voix de la famille assise un moment dans le sillon, tout ce qui a le son de la vie, répond en lui à des places secrètes, et le provoque à dire les joies ou les douleurs des mortels. […] Toutes ces félicités embellies de presbytère ou de chaumière, il ne les a trouvées nulle part ; mais partout des vices, partout des douleurs : depuis le déluge, dit-il, Auburn ni Éden n’existent plus. […] Jocelyn guéri a vécu de longues années encore, et il s’est tu, ou du moins il n’a plus repassé ses douleurs. […] Mais quand il la revoit si changée, quelle douleur est la sienne, mêlée de funèbre pressentiment ! […] lisez pour vous, lisez aux autres ; baignez-vous, baignez-les dans ces salutaires et abondantes douleurs !
Pour me souvenir de tel mal de dents, il faut que je me représente les dents où j’ai localisé jadis la douleur, puis le mot douleur même, qui sert de signe ; mais comment arriver à me représenter ce mal en lui-même ? Pour cela il faut que je reproduise incomplètement la douleur. […] Je fais l’expérience : je fixe fortement ma pensée sur une des molaires de droite, je localise d’avance la douleur que je vais essayer d’évoquer ; puis j’attends. Ce qui se renouvelle d’abord, c’est un certain état vague et général de la conscience qui est commun à toutes les sensations pénibles et qui doit correspondre à la réaction générale provoquée par la douleur. […] Puis je me représente un certain mouvement qui s’accomplit d’un point à l’autre de la dent ou de la gencive, comme quand quelque chose de lancinant traverse de part en part un organe ; c’est le trajet de la douleur.
Tel fut l’effet produit sur les êtres sensibles quand le Lépreux de la cité d’Aoste parut, — l’évangile de la douleur. — Il lui manquait une page que Job lui-même n’avait pas écrite : la suprême douleur de l’isolement dans le martyre. […] Ce n’est pas un homme qui a écrit le Lépreux, c’est la douleur faite homme. […] Je marchais une nuit à grands pas dans ma cellule, tourmenté de douleurs affreuses. […] Mes larmes, retenues jusqu’alors par la douleur, s’échappèrent en torrents : tous mes funestes projets s’évanouirent à l’instant. […] Le Lépreux, à la fin de ce récit, couvrit son visage de ses mains ; la douleur ôtait la voix au voyageur.
non ; depuis que j’existe je n’ai cherché, je n’ai voulu de bonheur que dans le sentiment, et c’est par mes blessures que j’ai trop appris à compter ses douleurs. Un jour heureux, un être distingué rattachent à ces illusions, et vingt fois on revient à cette espérance après l’avoir vingt fois perdue ; peut-être à l’instant où je parle, je crois, je veux encore être aimée, je laisse encore ma destinée dépendre toute entière des affections de mon cœur ; mais celui qui n’a pu vaincre sa sensibilité, n’est pas celui qu’il faut moins croire sur les raisons d’y résister ; une sorte de philosophie dans l’esprit, indépendante de la nature même du caractère, permet de se juger comme un étranger, sans que les lumières influent sur les résolutions, de se regarder souffrir, sans que sa douleur soit allégée par le don de l’observer en soi-même, et la justesse des méditations n’est point altérée par la faiblesse de cœur, qui ne permet pas de se dérober à la peine : d’ailleurs, les idées générales cesseraient d’avoir une application universelle, si l’on y mêlait l’impression détaillée des situations particulières. […] Si deux amis peuvent réussir à confondre leurs existences, à transporter l’un dans l’autre ce qu’il y a d’ardent dans la personnalité ; si chacun d’eux n’éprouve le bonheur ou la peine que par la destinée de son ami ; si se confiant mutuellement dans leurs sentiments réciproques, ils goûtent le repos que donne la certitude, et le charme des affections abandonnées, ils sont heureux ; mais que de douleurs peuvent naître de la poursuite de tels biens ! […] l’être qui fut, ou serait aussi malheureux que vous, peut seul porter du secours au plus intime, au plus amer de la douleur.
Il faut voir comme il est coiffé et drapé ; comme sa main est naturellement posée sur sa baguette ; comme il regarde la douleur d’Esther ; comme il en est pénétré. […] La belle douleur que celle d’Esther ! […] Il s’agit bien de toucher de son sceptre une femme charmante, adorée et qui se meurt de douleur !
Elle s’écrierait comme Sapho dans l’ode célèbre : « Immortelle Aphrodite au trône d’or, fille avisée du roi des dieux, je t’invoque, épargne-moi, ne me dompte point par trop d’amères douleurs, ô déesse vénérée ! […] Elle eut la douleur de voir mourir sous ses yeux ses deux filles, la plus jeune, Inès, en décembre 1846, à peine âgée de vingt ans : sa fille aînée, Ondine, celle même que j’indiquais tout à l’heure en finissant, comme tenant de sa mère le don de poésie, mourut à trente ans, le 12 février 1853. […] Martin (du Nord), que je suis saisie de douleur par celle de Mlle Mars, cette bien-aimée de toute ma vie. […] Je ne sais, après tant de douleurs, ce qui pouvait me toucher davantage. […] J’ai eu la douleur de le voir fort malade de chagrin.
C’est avec ce cortège de douleurs qu’on avance vers la mort sans aucun courage ni pour vivre ni pour mourir. […] Une vive douleur, la perte d’un frère tué à Silistrie, affligeait cette jeune amie : Ne faites pas comme à Genève, ne vous faites pas valoir par la douleur, mais rappelez-vous que la vie est un combat, qu’il faut y vaincre ses ennemis et non les adorer. Le culte de la douleur n’est qu’un amour-propre travesti ; c’est la faiblesse couronnée. […] Il me dit : Un grand remède aux douleurs de l’âme, c’est d’enseigner ; rien ne donne plus d’activité à l’esprit. […] Voilà la voûte du cachot rompue, et un beau rayon vient briller sur les douleurs qui tenaient votre âme captive.
Voilà ce que c’est que de vivre : on n’y gagne que la douleur d’enterrer ses plus chers parents. […] Mais après quelques jours (le 9 juin), il revenait sur cette douleur par une lettre trop belle, trop à l’honneur de sa sensibilité pour ne pas être donnée tout entière : Mon cher frère, vous avez bien de la bonté de participer au chagrin qui me ronge. […] Tout cela, mon cher frère, n’éteint point la douleur. […] Il est faible, il est vague, il est enflé ; lui si sincèrement ému, il donne l’idée de l’affectation de la douleur. […] Mais la vraie oraison funèbre, la page immortelle (autant qu’une page humaine peut l’être), c’est cette lettre qu’on vient de lire, écrite dans l’effusion de la douleur par un roi qui ne veut être qu’un homme, un homme affligé, et avec des expressions non cherchées et naïves, dignes par leur tendresse de la jeune et aimable figure qui a disparu.
Je ne me suis arrêté qu’au moment où je ne sais quelle violente douleur vint m’avertir que j’avais pris la route du désespoir, et que j’allais toucher à ses premières limites. Au commencement de ma vie, je me trouvai, comme Dante au milieu de la sienne, dans une forêt obscure où mon droit chemin était perdu… « Cependant si dur qu’ait été pour moi l’enseignement de la vie, si lourde la nécessité qui m’a fait marcher par les plus âpres sentiers de l’expérience, je n’accuse pas les événements et les douleurs qui m’ont enfin rendu à moi-même. […] La douleur élague du cœur tout ce qui est chétif et petit, toutes les plantes parasites ; elle ne laisse vivre que les hautes passions, les sentiments sublimes. […] Il me semblait que je pleurais avec un ami dont la douleur était la même, et que nos sanglots éclataient sous le poids d’une commune destinée ; tant il est vrai que la nature même, ce poëme de l’Éternel, n’a qu’un chant de désolation pour l’âme qui s’est une fois éloignée de son divin Auteur ! […] Cependant, au milieu de ces nouvelles douleurs dont quelques-unes furent poignantes, les hautes consolations ne lui manquèrent pas.
L’homme vertueux ne fait de grands sacrifices que pour fuir la peine du remord, et s’assurer des récompenses au-dedans de lui : enfin, la félicité de l’homme lui est plus nécessaire que sa vie, puisqu’il se tue pour échapper à la douleur. […] Comme il n’y a jamais rien de suffisant dans les plaisirs de la gloire, l’âme ne peut être remplie que par leur attente, ceux qu’elle obtient ne servent qu’à la rapprocher de ceux qu’elle désire ; et si l’on était parvenu au faîte de la grandeur, une circonstance inaperçue, un obscur hommage refusé, deviendraient l’objet de la douleur et de l’envie. […] Toutes les passions, sans doute, ont des caractères communs, mais aucune ne laisse après elle autant de douleurs que les revers de la gloire ; il n’y a rien d’absolu pour l’homme dans la nature, il ne juge que parce qu’il compare ; la douleur physique même est soumise à cette loi : ce qu’il y a de plus violent dans le plaisir ou dans la douleur est donc causé par le contraste ; et quelle opposition plus terrible que la possession ou la perte de la gloire ! […] L’un des caractères de ce long malheur est de finir par s’accuser soi-même : tant qu’on en est encore aux reproches que méritent les autres, l’âme peut sortir d’elle-même, mais le repentir concentre toutes les pensées, et dans ce genre de douleur, le volcan se referme pour consumer en dedans.
Une douleur capable de ce projet extrême est muette, tranquille, silencieuse, presque sans mouvement, et n’en est que plus profonde. […] la douleur. du même. […] Je dis moi, contre le sentiment général, que cette douleur n’est que celle d’une vierge au pied de la croix ; qu’elle est unie, monotone, sans inégalités, sans passages ; que c’est une vessie soufflée, que, si l’on appliquait un peu fortement les mains sur ces joues, elles feraient la plus belle explosion. La douleur donne de la bouffissure, mais non jusques là.
En s’étudiant soi-même, l’on verra que, dans toutes les douleurs de la vie, on est porté à croire les autres plus que ses propres réflexions, à chercher les motifs de ses craintes et de ses espérances ailleurs que dans sa raison. […] Cette résignation peut seule faire servir la douleur même aux plus sublimes effets du talent. […] Ils ont toutes les qualités nécessaires pour exciter le développement de l’esprit humain ; mais on n’éprouve point, en les voyant disparaître de l’histoire, la même douleur qu’inspire la perte du nom et du caractère des Romains. […] L’amour de la réputation était le principe de toutes les actions des Grecs ; ils étudiaient, pour être admirés ; ils supportaient la douleur, pour exciter l’intérêt ; ils adoptaient des opinions, pour avoir des disciples ; ils défendaient leur patrie, pour la gouverner21.
Chaque fleur semble Frémir de souffrance, et une secrète douleur Vibre dans les trilles du rossignol. […] Ce partage de la sensibilité entre les deux affections contraires les plus puissantes, cet acharnement d’une lutte où chaque coup porté ensanglante deux poitrines, fait des ironies du poète allemand quelque chose de tragique et d’insensé ; ces éclats de rire stridents qui partent au bout des pièces les plus calmement rêveuses, avec une dissonance accrue par la traîtrise des débuts pacifiques, ce passage d’un état d’âme paisible à une subite crispation de douleur, la révulsion nerveuse qui s’est opérée tout à coup dans l’esprit de l’amant accusent devant le lecteur comme un commencement de démence, une sorte de spasme hystérique, un excès de douleur morale que l’âme ne peut souffrir sans être arrachée de ses gonds. […] Le poète raconte la joie des premières adorations, un cœur débordant prenant à témoin de sa félicité le printemps et le monde ; des doutes arrêtent cet essor passionné ; la bien-aimée est plus belle que bonne ; ses perfidies détruisent une à une toutes les promesses de ses yeux ; l’amant, abîmé de douleur, ne pouvant être aussi oublieux que sa maîtresse, se plaît à aigrir sa souffrance par ces éternelles plaintes qu’échangent les amants déçus. […] Trop de temps s’était écoulé depuis le Pœan de Salamine, le sang de sa race était trop pénétré d’une religion de douleur, pour que Heine pût librement revenir aux Anthestéries et aux Penathénées. […] Et il jeta sa croix sur la haute table des dieux ; les coupes d’or tintèrent ; les dieux se turent, pâlirent, pâlirent toujours plus, s’effacèrent et s’évanouirent. » Les jours de douleur étaient venus.
À chaque pas de cette même route où s’étaient dissipées en venant ma douleur et mes noires pensées, je les retrouvai au retour plus poignantes. Vaincu par la douleur, je composai peu de vers et ne fis que pleurer jusqu’à Sienne, où j’arrivai dans les premiers jours de novembre. […] Ne penser qu’à une seule et même chose, et n’avoir à se défendre ni des distractions du plaisir, ni de celles de la douleur, rien n’abrège autant les heures et ne les multiplie davantage. […] Mais, dans la nuit du 5 au 6, il fut repris de très vives douleurs d’entrailles. […] On lui fit prendre de l’opium, qui calma les douleurs et lui fit passer une nuit assez tranquille.
… Souvent un rien, la vue de l’objet le plus trivial, d’un bas, d’une jarretière, tout cela me rend le passé vivant, et m’accable de toute la douleur du présent… Oh ! […] … Je suis fou de douleur, mon désespoir surpasse mes forces… J’ai fait une découverte en moi, c’est que je ne suis réellement point malheureux pour telle ou telle chose, mais j’ai en moi une douleur permanente qui prend différentes formes. […] J’ose à peine vous le dire, tant il est fou ; mais je vous en supplie, ne voyez là-dedans qu’une forme de la douleur… ; voyez le mal et non pas son objet. […] … Souvent j’anatomise mes douleurs, je les contemple froidement. […] Alchimie de la douleur.
En fréquentant le monde, j’aurais la douleur de sentir empirer mes idées sur le genre humain, et n’ayant pas la force de devenir méchant ni le courage d’être meilleur, je serais comme les damnés que l’impuissance du mal et le désespoir du bien tourmentent également. » On ne saurait mieux décrire sa misère, ni mieux analyser son propre martyre. […] » Et confondant un moment ses douleurs avec celles du maître, mêlant ses larmes aux siennes à l’occasion de la mort de M. de Luxembourg : « Soyons hommes et point philosophes, lui disait-il, malheureux même s’il le faut, pour être plus humains ! […] Mais un grand malheur vient atteindre Ducis ; il est frappé par le côté le plus sensible, il perd une de ses filles, et sous le coup qui l’accable, il écrit à Deleyre une de ces lettres abreuvées d’amertume, où le cœur déborde, et plus faite peut-être que toutes les consolations précédentes pour le guérir par le spectacle de ce que c’est qu’une vraie et réelle douleur : « 4 mai 1783. […] J’ai lutté avec quelque courage contre l’adversité, mais je n’ai point de force contre les douleurs de la nature. […] Le grand artiste, le grand tragique, au contraire, l’homme « au front de marbre et aux mains en feu », dominera même les douleurs ; s’il doit les ressentir pour son compte, il est fait encore plus pour les couler dans son génie, pour les rendre ensuite, transposées et transformées, aux yeux de tous, et les étaler avec des attitudes apitoyantes ou terribles.
« Il veut savoir le mot de toutes les énigmes qu’on se pose sur le tombeau de ceux qui ne sont plus, et qui reviennent si souvent dans le cours de la vie, à l’heure de la douleur, de l’injustice, de la maladie, en présence de la nature, dans l’obscurité des nuits sans sommeil, et jusque dans les rêves. […] Bien plus, apercevant les choses par des vues générales, il découvre en l’homme cent mille misères que le vulgaire n’aperçoit pas : l’immensité de notre ignorance, l’incertitude de notre science, la brièveté de notre vie, la lenteur de notre progrès, l’impuissance de notre force, le ridicule de nos passions, l’hypocrisie de notre vertu, les injustices de notre société, les douleurs sans nombre de notre histoire. […] Ailleurs, comparant les différentes poésies, il n’en trouve qu’une digne de ce nom, la poésie lyrique, parce qu’elle seule exprime les grandes et intimes douleurs de l’âme. […] Il achevait son cours d’esthétique par l’aveu du même sentiment : « À la vue d’un arbre sur la montagne battu par les vents, nous ne pouvons pas rester insensibles : ce spectacle nous rappelle l’homme, les douleurs de sa condition, une foule d’idées tristes56. » À vous, peut-être ; mais combien d’hommes n’y verront rien de semblable, et combien d’artistes n’y verront qu’un sujet de tableau ! — Poursuivi par une douleur fixe, il l’épanchait jusque dans une distribution de prix.
Cette mère se meurt de douleur dans le Carrache, et chez vous aussi. Cette douleur attache toute l’action des autres personnages du Carrache, et des vôtres. […] Le Carrache a placé sur le fond une Ste Anne qui s’élance vers sa fille, en poussant les cris les plus aigus, avec un visage où les traces de la longue douleur se confondent avec celles du désespoir ; vous avez mis sur le fond du vôtre un homme qui fait à peu près le même effet.
Lorsqu’on subit à ce degré le poids de la douleur présente, monotone, effective, on sent trop fort pour pouvoir beaucoup chanter. […] Il a été fait à cette préface craintive une réponse en vers que nous donnons ici, malgré tout ce qu’il y a de périlleux à rien produire sur un sujet touché par M. de Lamartine ; mais il sera le premier à nous pardonner en faveur du sentiment commun qui nous attire vers la même noble douleur. […] L’âme du moins y gagne en douleurs infinies ; Du trésor invisible elle sent mieux le poids. […] Elles sont courtes, parce que la douleur trop vraie n’a qu’un cri, parce qu’une aile saignante, à peine élancée, retombe, parce qu’il a fallu les quitter vite pour les pages monotones et laborieuses, un moment disparues sous une larme. […] Nous devons dire pourtant, de peur de ne rien exagérer, que ce cri de douleur se trouve imité ou même traduit de la pièce de Shelley, intitulée A Lament, qui commence par ces mots : Oh, world !
Comme elles aperçoivent en dedans un monde supérieur plus grand, plus beau, plus varié ; comme elles ont peuplé leur conscience des souvenirs d’une vie imaginaire ; comme elles comparent incessamment le spectacle de leurs journées au spectacle de leurs rêveries, le dédain et l’impertinence ne sont chez elles qu’une forme particulière de la douleur. […] Elle était jeune et ne savait pas le nombre de ses années, et voici qu’elle a vieilli en un jour ; elle avait l’œil splendide et superbe, et sur son front rayonnaient, en caractères éclatants, ses pensées heureuses et sereines, et voici que son regard s’est voilé, que les rides anguleuses ont inscrit sur son front sa plainte et sa douleur. […] Quand ces douleurs et ces larmes sont venues, l’amour s’éteint et se réduit en cendres. […] Si, face à face avec l’horrible vérité, il retient sur ses lèvres l’aveu près de lui échapper ; si sa voix, suffoquée par les sanglots, balbutie une bénédiction impuissante, elle s’emporte, elle implore sa colère : elle s’irrite de cette douleur si peu virile, et lui souhaiterait de l’orgueil, afin de le combattre. […] Si elle eût pleuré, il était sauvé ; mais elle a vu sa douleur sans la partager, elle l’a jugé, elle a mesuré sa force : il est perdu.
Elvire meurt : De son pieux espoir son front gardait la trace, Et sur ses traits frappés d’une auguste beauté La douleur fugitive avait empreint sa grâce, La mort sa majesté. […] La dernière comparaison entre cette prose accomplie et cette poésie imparfaite, mais naturelle, donne un caractère à part à l’égarement de Velléda : « Jamais, seigneurs, je n’ai éprouvé une douleur pareille. […] Sainte-Beuve appelle céleste, et qui n’était que le retentissement harmonieux et déjà lointain d’une douleur vraie. […] La définition de l’univers, c’est la douleur d’être né, qui contient la douleur de mourir. Ajoutez-y la douleur de vivre sur cet océan d’ignorance et d’incertitude, sur cet infini du doute, qui est le supplice de la vie.
Je m’aperçois très bien que, dans la douleur, mon effort est limité, contrarié, contraint. […] Par exemple, lorsque je presse ma main gauche avec ma main droite jusqu’à éprouver une sensation douloureuse, je distingue l’effort musculaire dans la main qui presse, la résistance dans la main pressée, la pression et la douleur éprouvées dans cette main et qui varient selon que l’autre main appuie plus ou moins fort. Si je serre la main d’une autre personne au lieu de la mienne, j’éprouve encore le sentiment d’effort musculaire et de résistance, mais je ne sens plus la pression et la douleur. J’arrive ainsi à distinguer mon corps de tout autre et à supposer dans les autres corps tantôt volonté et douleur, tantôt simplement activité, pression, résistance, impénétrabilité, force motrice.
Les passions qui dégradent l’homme, en resserrant son égoïsme dans ses sensations, ne produisent pas, sans doute, ces bouleversements de l’âme où l’homme éprouve toutes les douleurs que ses facultés lui permettent de ressentir ; mais il ne reste aux peines, causées par des penchants méprisables, aucun genre de consolation ; le dégoût qu’elles inspirent aux autres, passe jusqu’à celui qui les éprouve ; il n’y a rien de plus amer dans l’adversité que de ne pas pouvoir s’intéresser à soi : l’on est malheureux sans trouver même de l’attendrissement dans son âme ; il y a quelque chose de desséché dans tout votre être, un sentiment d’isolement si profond, qu’aucune idée ne peut se joindre à l’impression de la douleur ; il n’y a rien dans le passé, il n’y a rien dans l’avenir, il n’y a rien autour de soi, on souffre à sa place, mais sans pouvoir s’aider de sa pensée, sans oser méditer sur les différentes causes de son infortune, sans se relever par de grands souvenirs où la douleur puisse s’attacher.
On dit que les grandes douleurs sont muettes. […] Des lettres intimes sont parvenues jusqu’à nous, où nous trouvons exprimée, avec la plus déchirante éloquence, la douleur d’un père dont la fille est morte, d’une mère que sa fille a quittée. Mais ce père est Cicéron, cette mère est Mme de Sévigné, et c’est pour cela que leur douleur est immortelle.
. — La Douleur d’aimer (1893). — Le Satanisme et la Magie (1895). — Prières (1895). — L’Ève nouvelle (1896). — La Femme inquiète (1897). — Une Nouvelle Douleur (1899).
On y sent un cœur ému et, lorsqu’il nous parle de ses douleurs, qui ont été grandes, il excite notre intérêt et notre sympathie. […] Auguste Barbier Ses vingt chants du Dante que personne n’a surpassés, comme expression du style et du caractère poétique du grand maître, quelques paysages italiens vrais et colorés, trois ou quatre vigoureuses satires politiques et surtout ses élégies, cris de souffrances pendant des heures de maladie, et qu’on a si bien nommées un requiem de la douleur, laisseront certainement trace dans la mémoire des vrais lettrés.
Inversement, la douleur décroissante coïncide peu à peu avec la perception de sa cause et s’extériorise, pour ainsi dire, en représentation. […] Or la première est intimement liée à mon existence personnelle : que serait, en effet, une douleur détachée du sujet qui la ressent ? […] Mais quelques remarques préliminaires sont indispensables sur la signification réelle de la douleur. […] Toute douleur doit donc consister dans un effort, et dans un effort impuissant. […] C’est aussi parce que l’effort est local que la douleur est absolument disproportionnée au danger couru par l’être vivant : le danger peut être mortel et la douleur légère ; la douleur peut être insupportable (comme celle d’un mal de dents) et le péril insignifiant.
Qu’est-ce donc que le plaisir et la douleur ? […] La douleur est suivant lui le fait positif, primitif. […] Or ce manque est douloureux : le plaisir sort donc de la douleur. […] Mais le plaisir compense-t-il même exactement la douleur ? […] La douleur s’est pourtant produite, a été perçue, mais inconsciemment.
Humiliée, anéantie, pitoyable dans tous les sens du mot et charitable, sévère à elle-même, indulgente aux autres, cette âme a pour ses compagnes en douleur des conseils pleins d’une douceur infinie et d’une résignation toute persuasive : Crois-moi Si ta vie obscure et charmée Coule à l’ombre de quelques fleurs, Âme orageuse mais calmée, Dans ce rêve pur et sans pleurs, Sur les biens que le ciel te donne, Crois-moi, Pour que le sort te les pardonne, Tais-toi ! […] Quant à elle-même, portant et cachant son mal, ce mal, dit-elle, dont on n’ose souffrir, dont on n’ose ni vivre ni mourir, elle découvre tout au fond de son cœur, un jour, qu’il n’y a qu’un remède, un consolateur ; et comme elle a en elle de cette flamme et de cette tendresse qui transportait les Thérèse et les Madeleine, comme elle a sucé la croyance avec le lait, elle regarde enfin là où il faut regarder, et elle s’écriera dans des stances qui se peuvent lire, ce me semble, après certain sermon de Massillon : La couronne effeuillée J’irai, j’irai porter ma couronne effeuillée Au jardin de mon père où revit toute fleur ; J’y répandrai longtemps mon âme agenouillée : Mon père a des secrets pour vaincre la douleur. […] et presque heureuse, Colombe aux plumes d’or, femme aux tendres douleurs ; Elle meurt tout à coup d’elle-même peureuse, Et, douce, elle s’enferme au linceul de ses fleurs. […] Mère, elle aurait pu goûter toutes les satisfactions et tous les orgueils, si elle n’avait pressenti, même avant de les épuiser, toutes les douleurs.
Ici Fléchier, comme on l’a dit souvent, paraît au-dessus de lui-même ; il semble que la douleur publique ait donné plus de mouvement et d’activité à son âme ; son style s’échauffe, son imagination s’élève, ses images prennent une teinte de grandeur ; partout son caractère devient imposant. […] L’oraison funèbre de Turenne n’en est pas moins un des monuments de l’éloquence française ; l’exorde sera éternellement cité pour son harmonie, pour son caractère majestueux et sombre, et pour l’espèce de douleur auguste qui y règne. […] « Turenne meurt, tout se confond, la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s’éloigne, le courage des troupes est abattu par la douleur et ranimé par la vengeance ; tout le camp demeure immobile ; les blessés pensent à la perte qu’ils ont faite et non aux blessures qu’ils ont reçues ; les pères mourants envoient leurs fils pleurer sur leur général mort, etc. » Cependant, malgré l’éloquence générale et les beautés de cette oraison funèbre, peut-être n’y trouve-t-on point encore assez le grand homme que l’on cherche ; peut-être que les figures et l’appareil même de l’éloquence le cachent un peu, au lieu de le montrer ; car il en est quelquefois de ces sortes de discours comme des cérémonies d’éclat, ou un grand homme est éclipsé par la pompe même dont on l’environne. […] Ne pouvant encore s’autoriser contre l’usage, il fit connaître à ses amis qu’il allait à l’armée faire sa cour qu’il lui coûtait moins d’exposer sa vie que de dissimuler ses sentiments, et qu’il n’achèterait jamais ni de faveurs, ni de fortune aux dépens de sa probité. » Je pourrais encore citer d’autres endroits qui ont une beauté réelle ; mais le discours en général est au-dessous de son sujet ; on y trouve plus d’esprit que de force et de mouvement ; on s’attendait du moins à trouver quelques idées vraiment éloquentes sur l’éducation d’un dauphin, sur la nécessité de former une âme d’où peut naître un jour le bonheur et la gloire d’une nation ; sur l’art d’y faire germer les passions utiles, d’y étouffer les passions dangereuses, de lui inspirer de la sensibilité sans faiblesse, de la justice sans dureté, de l’élévation sans orgueil, de tirer parti de l’orgueil même quand il est né, et d’en faire un instrument de grandeur ; sur l’art de créer une morale à un jeune prince et de lui apprendre à rougir ; sur l’art de graver dans son cœur ces trois mots, Dieu, l’univers et la postérité, pour que ces mots lui servent de frein quand il aura le malheur de pouvoir tout ; sur l’art de faire disparaître l’intervalle qui est entre les hommes ; de lui montrer à côté de l’inégalité de pouvoir, l’humiliante égalité d’imperfection et de faiblesse ; de l’instruire par ses erreurs, par ses besoins, par ses douleurs même ; de lui faire sentir la main de la nature qui le rabaisse et le tire vers les autres hommes, tandis que l’orgueil fait effort pour le relever et l’agrandir ; sur l’art de le rendre compatissant au milieu de tout ce qui étouffe la pitié, de transporter dans son âme des maux que ses sens n’éprouveront point, de suppléer au malheur qu’il aura de ne jamais sentir l’infortune ; de l’accoutumer à lier toujours ensemble l’idée du faste qui se montre, avec l’idée de la misère et de la honte qui sont au-delà et qui se cachent ; enfin, sur l’art plus difficile encore de fortifier toutes ces leçons contre le spectacle habituel de la grandeur, contre les hommages et des serviteurs et des courtisans, c’est-à-dire contre la bassesse muette et la bassesse plus dangereuse encore qui flatte.
Qu’il y ait des faits psychiques impossibles à définir et d’autant plus clairs qu’ils brillent de leur clarté propre, c’est chose incontestable : tel est le fait de la pensée, tel est le fait du plaisir ou de la douleur ; tel est même le fait du vouloir, au sens le plus général du mot, comme réaction ou appétition provoquée par le plaisir ou la douleur. […] Une douleur rendue originale par la manière dont elle est subie, comme un rayon curieusement réfracté par la nacre ou l’opale, devient-elle libre en vertu de son caractère individuel ? […] Le plus bas degré de cette détermination, celui où la contrainte est encore le plus manifeste, c’est l’impulsion résultant d’une sensation, par exemple d’une douleur intense. […] Il faut d’ailleurs remarquer que, dans le cas qui nous occupe, le mode de l’action contraignante exercée par la douleur échappe à la conscience. Il y a des raisons organiques qui font que la douleur produit des vagues de mouvements réflexes et de mouvements expressifs, sans le concours de notre volonté ; la conscience constate ici et subit le résultat, sans apercevoir les intermédiaires entre la douleur antécédente et l’impulsion conséquente.
Ne vous a-t-il pas ouvert, par sa mort, la porte d’un séjour d’où la douleur sera bannie, et où tous seront rétribués suivant leur mérite et pour leurs souffrances mêmes ? […] Ô douleur de l’âme humaine, souillée d’abord des superstitions du passé, à l’âge où elle est tendre et naïve, et ensuite détrompée et abandonnée ! […] Et quel est celui qui a pu parcourir vos cimetières sans essuyer la sueur de son front dévoré par la douleur et le doute ? […] Il y a alors une crise de douleur et d’enfantement, de misère morale et physique excessive, de pleurs et de grincements de dents. […] que faisons-nous dans nos fautes et dans nos douleurs ?
Les douleurs de nos puissances infernales sont donc un moyen de plus pour l’imagination, et conséquemment un avantage poétique de notre enfer sur l’enfer des anciens. […] Ni le Dante, ni le Tasse, ni Milton, ne sont parfaits dans la peinture des lieux de douleur.
ô douleur ! […] Alors l’homme-lige de Gunther connaîtra enfin la douleur. […] J’imagine que de vos blessures vous souffrez grande douleur. […] Sa douleur était poignante. […] Une assez grande douleur m’afflige, moi guerrier exilé.
Nul enfantement n’a lieu sans douleur. […] « Si, disions-nous, la poésie ne faisait pas entendre aujourd’hui ce concert de douleur qui annonce le besoin d’une régénération sociale ; si elle ne jetait pas ainsi, dans toutes les âmes capables de la sentir, le premier germe de cette régénération ; si elle ne versait pas dans ces âmes, avec la douleur de ce qui est, le désir de ce qui doit être, elle ne serait pas, ce qu’elle a toujours été, prophétique. » Poursuivant partout ce caractère de la poésie de notre temps, nous le montrions jusque chez les écrivains qui alors affectaient le calme d’artistes heureux, satisfaits du présent et des dons accordés par le ciel à leur génie, ou qui se rattachaient à un passé qui a été grand, mais qui ne peut plus être. […] Werther et Faust, Childe-Harold et don Juan suivent l’ombre d’Hamlet, suivis eux-mêmes d’une foule de fantômes désolés qui me peignent toutes les douleurs, et qui semblent tous avoir lu la terrible devise de l’enfer : Lasciate ogni speranza . […] Goethe, dans ses Mémoires, s’est attaché avec un soin minutieux à expliquer comment il fit Werther avec sa propre vie, avec ses amours, avec ses douleurs, avec son sang pour ainsi dire. […] Ce n’est pas avec des débris de vieilles idoles, ce n’est pas non plus en aplatissant nos âmes et en vulgarisant nos intelligences, qu’ils résoudront ce problème d’une poésie qui, au lieu de nous porter au suicide, nous soutienne dans nos douleurs.
L’élément primordial du développement volontaire, sans lequel la sélection naturelle n’aurait pas où s’exercer, est donc l’appétition spontanée par laquelle, étant donné un plaisir, l’être réagit pour le retenir, étant donnée une douleur, l’être réagit pour l’écarter, sans avoir besoin ni de concevoir plusieurs partis possibles, ni d’opposer la représentation à la peine présente ou au plaisir présent. […] Quand un être vivant, sous l’influence de la douleur, fait des mouvements en tous sens et réagit énergiquement, il lui est inutile de concevoir la suppression future de la douleur ; il n’a besoin que de sentir la douleur actuelle, obstacle à son bien-être également senti ; la douleur entraîne le besoin de changement, donc de mouvement ; ce besoin est la volonté de changer, et le mouvement du corps en tous sens est la manifestation de cette volonté. […] Il ne devient tel que quand il y a quelque obstacle qui tend à le détruire, c’est-à-dire à nous détruire nous-mêmes et à changer le plaisir en douleur. […] Le plaisir et la douleur, par cela même, sont ramenés à une intensité extrêmement faible ; l’appétition, d’autre part, prend la forme instantanée et à peine consciente. […] William James et Delbœuf, la volonté semble « suivre la ligne de la plus grande résistance », par exemple de la plus grande douleur : la bombe de canon qui s’enfonce dans une muraille, au lieu de se détourner, suit une ligne résistante, mais c’est que la puissance emmagasinée dans la bombe lui impose cette ligne.
Devoir le seul à des époques où l’animalité sensitive et sentimentale s’émerveilla d’exprimer son âme mélodique, où sur les sommets païens les divinités s’entendaient des passions et des émotions humaines les plastiques et lumineuses Apparences, — tandis que la noire et violâtre volupté de la douleur s’était étendue sous l’envergure morte de l’Homme-dieu en la vallée des larmes, — quand l’Amour qu’il apportait, lui-même entraînait le poids de la douleur et du renoncement. […] En vain par le doute et ses désespoirs et de hautains appels à sonder le néant des Révélations, avait-on ainsi que rendu tressaillantes les sphères ouraniennes de l’Intellect : en vain, parce que le doute et la négation participent davantage de l’erreur ou du rêve d’où ils naissent, que de la vérité à laquelle ils aspirent sans pouvoir la produire… Et pourtant, au présent immédiat et là de nos poétiques Fastes, — alors que la science des Origines a environné nos têtes ainsi que de la tornade stellaire dont éternellement devient l’éternelle Fluence : voilà que, sans savoir que les apports de la sensation ne sont que les matériaux de l’Idée pour que de ses ondes intelligentes elle tente, en le plus d’unité-sciente, de reproduire en soi l’Univers et ses Rythmes, — la presque généralité des poètes n’est que la survie dégénérée des rapsodes du plaisir et de la douleur, et des philosophes qui ne peuvent se passer d’Eden ! […] À travers les hésitations et le mieux des générations : lorsque l’être s’éleva inquiet de sa dualité et de sa géniture et de l’heur et de la douleur : la Matière devint sentimentale. […] De même qu’entre le geste muet et l’émotion l’analogie se dénonce, de même les sensations de douleur, de plaisir, de stupeur, de quiétude, se traduiront en la sorte de geste sonore qu’est, en première parole, le son guttural. […] Volupté, amour, passion, douleur.
Feydeau n’est qu’un moraliste sensible, il n’a attaqué l’adultère que par l’adultère, et ne l’a fait descendre que sous les deux poids qu’il traîne à sa suite, l’humiliation et la douleur. […] Quand le génie manque, quelquefois la douleur travaille, mais elle ne peut pas le remplacer ! […] … On ne sait pas, de manière à n’en pas douter, même le sens que la douleur donne ici à sa plainte, et l’on se dit : Est-ce une vengeance et un pamphlet que ce livre ? […] Or, il est pleinement dans son sujet, et n’a jamais plus de puissance que quand il nous peint, non plus les meubles de Boule et les fauteuils capitonnés de l’intimité, mais cet affreux tu à toi de l’adultère où, de douleur en douleur, de pudeur en pudeur, et de honte en honte, les deux amants descendent jusqu’au déshonneur le plus complet, et à l’infamie, car l’homme y devient insensé et abject, sans pouvoir reprendre une part de soi à la passion qui le dévore, et la femme, à son tour, y devient menteuse et infidèle ; elle l’était déjà, mais, entendons-nous ! […] Si le mariage est une alcôve, c’est bien peu, et les douleurs de l’adultère méritent plus de mépris que de pitié ; mais si c’est un sacrement, prenons garde !
Si ce volume, qui ne doit pas contenir moins de six mille vers, tombait aux mains de lecteurs qui aiment peu les vers, et ceux d’amour en particulier ; si, d’après la façon austère et assez farouche qui essaye de s’introduire, on se mettait aussitôt à morigéner l’auteur sur cet emploi de sa vie et de ses heures, à lui demander compte, au nom de l’humanité entière, des huit ou dix ans de passion et de souffrance personnelle que résument ces poëmes, et à lui reprocher tout ce qu’il n’a pas fait, durant ce temps, en philosophie sociale, en polémique quotidienne, en projets de révolution ou de révélation future, l’auteur aurait à répondre d’un mot : qu’attaché sincèrement à la cause nationale, à celle des peuples immolés, il l’a servie sans doute bien moins qu’il ne l’aurait voulu ; que des études diverses, des passions impérieuses, l’ont jeté et tenu en dehors de ce grand travail où la majorité des esprits actifs se pousse aujourd’hui ; qu’il s’est borné d’abord à des chants pour l’Italie, pour la Grèce ; mais qu’enfin, grâce à ces passions mêmes qu’on accuse d’égoïsme, et puisant de la force dans ses douleurs, en un moment où tant de voix parlaient et pleuraient pour la Pologne, lui, il y est allé ; qu’il s’y est battu et fait distinguer par son courage ; que, s’il n’y a pas trouvé la mort, la faute n’en est pas à lui ; qu’ainsi donc il a payé une portion de sa dette à la cause de tous, assez du moins pour ne pas être chicané sur l’utilité ou l’inutilité sociale de ses vers. […] Mais lorsque le poëte, s’enfonçant fatalement dans une passion qui lui devient un supplice et une colère, ne se borne plus à reproduire par son procédé métaphysique des sentiments assez éprouvés de tous, lorsqu’il en vient aux invectives et à ce qu’il intitule ses agonies, alors, au lieu d’un simple regret et d’une fatigue, le lecteur qui persiste se soumet à la violence la plus pénible ; ce n’est pas une douleur enveloppée de chants, ce n’est pas même une blessure vivement entr’ouverte qu’il a devant lui ; c’est une plaie toute livide, un râle d’agonisant, quelque chose qui ressemble aux symptômes d’un empoisonnement physique. […] Je trouve encore l’escarre du chagrin, l’anévrisme des larmes, un culte qu’on galvaude, égruger le reste de mes jours ; la ration de fiel dont vous gorges mes jours ; un nom perdu, trahi, trimballé dans la boue ; toutes les limites de la langue, du goût, de l’art, et de la douleur exprimable, sont franchies. […] J’ignore si ce peut être un adoucissement pour les défaites du poëte ; mais je sais qu’en le lisant on se console de ne pas obtenir la gloire dans les arts, lorsqu’on voit combien ont souvent de génie enfoui et rebelle, combien de laborieuses douleurs subissent ceux même qu’elle ne devra pas couronner.
Verlaine ne fut pas harmonieux à cause de ses douleurs ; il fut harmonieux malgré ses douleurs. […] est moins belle et plus banale que son âme : il a subi passivement tous les honneurs conventionnels, ceux-là même qui peuvent entraîner les faibles à des compromissions et à des hontes ; il n’a aucune force de résistance et nous avons eu la douleur de voir cet homme, en qui pourtant vit quelque noblesse, manquer un jour de courage civique. Séduit par son charme timide, par ses douleurs presque vaillantes et par ses tremblantes inquiétudes vers le vrai, l’avenir oubliera ses défaillances.
Elle l’est, du moins, par la certitude de son impiété et la douleur de sa pensée. […] La douleur de l’athée est sublime dans les Poésies de madame Ackermann. […] Ces cruelles et sacrilèges Poésies, qui insultent Dieu et le nient, et le bravent, rappellent involontairement les plus grandes douleurs de l’orgueil humain, et on y retrouve comme un grandiose souvenir des yeux convulsés de la Niobé antique, des poignets rompus du Crotoniate et de la cécité de Samson dans l’entre-deux de ses piliers, — cette terrible cécité, qui renverse quand elle tâtonne ! Elle aussi, la femme aveuglément athée, renverse tout dans sa douleur d’être sans Dieu, et elle périt comme raison, cette philosophe, sur son athéisme écrasé.
Il semble que la douleur s’use dans les détails. […] Cependant Bossuet, à travers ces idées générales, revient toujours à la princesse, et tous ses retours sont des cris de douleur. […] « Jetez les yeux de toutes parts : voilà tout ce qu’a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros ; des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n’est plus, des figures qui semblent pleurer autour d’un tombeau, et de fragiles images d’une douleur que le temps emporte avec le reste ; des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu’au ciel le magnifique témoignage de notre néant, et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les rend. […] Il n’y a pas jusqu’à l’harmonie de ce morceau qui n’ajoute au sentiment, et n’invite l’âme à se recueillir, et à se reposer sur sa douleur.
Mais il n’imagine cet état heureux et parfait qu’en attribuant à ce qui est privé de mouvement, à ce qu’il formule éternellement semblable à soi-même, les propriétés et les passions de ce qui est en mouvement incessant sous l’aiguillon d’un désir inassouvi et qui ne se peut procurer de la joie que par l’intermédiaire de la douleur et de la privation. […] Chaque individu perd de vue la valeur représentative de ses actes et de ses passions pour ne s’attacher qu’au bonheur ou à la douleur qu’il en retire. C’est cet espoir d’un bonheur à conquérir pour sa propre personne ou d’une douleur à s’épargner, qui donne à tout son jeu cette sincérité, cette variété et cette ardeur par où le spectacle s’anime d’un intérêt si fort.
La sensibilité violente est la moitié du génie ; pour arracher les hommes à leurs affaires, pour leur imposer ses douleurs et ses joies, il faut une surabondance de douleur et de joie. […] Saint-Simon a des fureurs de haine, des ricanements de vengeance ; des transports de joie, des folies d’amour, des abattements de douleur, des tressaillements d’horreur que nul, sauf Shakespeare, n’a surpassés. […] L’artiste est une machine électrique chargée de foudres, qui illumine et couvre toute laideur et toute mesquinerie sous le pétillement de ses éclairs ; sa grandeur consiste dans la grandeur de sa charge ; plus ses nerfs peuvent porter, plus il peut faire ; sa capacité de douleur et de joie mesure le degré de sa force. […] Quiconque a la moindre habitude du style y sent non seulement un cœur brisé, une âme suffoquée sous l’inondation d’un désespoir sans issue, mais le roidissement des muscles crispés et l’agonie de la machine physique qui, sans s’affaisser, meurt debout : « La douleur de sa perte pénétra jusque dans ses plus intimes moelles. […] « L’après-dînée nous nous assemblâmes ; M. de Guéménée rêva à la Suisse, à son ordinaire, M. de Lesdiguières, tout neuf encore, écoutait fort étonné ; M. de Chaulnes raisonnait en ambassadeur avec le froid et l’accablement d’un courage étouffé par la douleur de son échange dont il ne put jamais revenir.
Voici la suite : « Enfant par la foi, vieillard par l’expérience, homme par le cerveau, femme par le cœur, géant par l’espérance, mère par la douleur et poëte par les rêves ; à toi qui es encore la Beauté, cet ouvrage où ton amour et ta fantaisie, ta foi, ton expérience, ta douleur, ton espoir et tes rêves sont comme les chaînes qui soutiennent une trame moins brillante que la poésie de la pensée, que le poëme gardé dans ton âme, semblable à l’hymne d’un langage perdu dont les caractères irritent la curiosité des savants. »
La douleur fut domptée et non pas assouvie. […] Caïn devient pour lui le symbole de l’humanité ; le dieu qui l’a faite pour la douleur et pour le mal est le véritable auteur du mal comme de la douleur : c’est lui qui est le vrai meurtrier d’Abel. […] Caïn est vraiment l’enfant de la douleur, celui qui salue la vie d’un long gémissement. […] Là, que de joies et que de douleurs avec lesquelles le poète, comme le philosophe, peut entrer en sympathie ! […] Son Prométhée déclame trop, mais il a parfois des accents qui touchent : Celui qui pouvait tout a voulu la douleur !
« Toutes les misères, toutes les douleurs s’adressent à toi ; tous te supplient. […] Mais l’art n’était pas l’objet du poëte : il épanchait ses craintes, ses douleurs, ses méditations chrétiennes de chaque jour, et s’inquiétait peu des fréquentes répétitions, qui n’étaient que l’écho de sa foi. […] Le contrecoup de tant de luttes et comme le long souvenir de ces vives douleurs se retrouve aussi dans ses poésies, langage familier de son âme, non moins naturel pour lui que la prédication ou la prière. […] Je voulais que de là mon âme, pure de passions, dégagée de désirs, reposée de fatigues, délivrée de douleurs, ayant rejeté loin d’elle la colère, la contention, tous ces maux intérieurs, acquittât d’une bouche innocente et d’un cœur sanctifié l’hymne d’amour qu’elle te doit. […] une vie fermée, nuit et jour, à la douleur.
Elle le redira plus vivement un jour, et après avoir bu à la coupe de douleur : « Car, voyez-vous, je n’aime pas pour ce monde, ce n’est pas la peine ; c’est le ciel le lieu de l’amour. » Le moindre incident, le moindre mouvement, dans cette vie tranquille, produit des jeux d’une fantaisie ou d’une affection pleine de grâce. […] Mais ces grâces vont cesser ; la mort est venue : la douleur de Mlle de Guérin va prendre un caractère d’élévation et de constance qui ne lui permettra plus le sourire. Elle est au Cayla, toute à sa douleur religieuse, la mûrissant du côté du ciel et n’admettant rien qui l’en puisse distraire. […] Cela ne passe pas, au contraire : les douleurs profondes sont comme la mer, avancent, creusent toujours davantage. […] Cette femme, cette berceuse qui t’a veillé et tenu un an malade sur ses genoux, m’a porté plus de douleur que n’eût fait un drap mortuaire.
Enfin celle qui personnifie la mère douloureuse et voilée de ces drames, la créature souillée et candide qui répand sa douleur en pitié, on sait sa physionomie, le détail de sa chambre, les pièces de son costume ; celle qui restaura la paix dans l’âme défaite du criminel et lui rendit, par quelques paroles tremblantes, la joie de posséder des frères, est une pâle petite fille à la figure menue, dont les yeux, sous des cheveux blonds de lin, sont purs. […] Les protagonistes, les acteurs d’Humiliés et offensés, la galerie secondaire de Crime ; cette singulière foule d’êtres infirmes et sains, détraqués, réjouis, aimants, canailles, nobles, subtilement pervers et pauvrement angéliques, les Rogojine, Muichkine, Vastasia, Philippovna de L’Idiot, donnent tous l’impression de cette chose rare dans les livres, la chair, la chair tactile, saignante, molle, rose ou sale, cette chose la plus humaine, couverte de sa peau, traversée de vaisseaux, de nerfs, de glandes, et portant dans le rapide tourbillon des liquides nourriciers, des lymphes et des hématies entre ces cellules épuisées ou turgescentes, tout l’essor des instincts, des ruts, des violences, des désirs et des douleurs, qui, sous la mince surface des phénomènes spirituels conscients, constituent comme les muscles et le squelette de l’âme humaine. […] Il n’est pas, dans tout le livre, de crise plus tragique et plus mystérieuse que la nuit précédant ce suicide, coupée de rêves obscènes, bruyante du souffle lourd du vent dans les arbres, et du lointain murmure du fleuve se gonflant ; ces longues heures, qui sont le raccourci de son trouble, de ses crimes et du puissant amour qui l’exalta à le rendre miséricordieux et désespéré, sont celles d’un demi-monstre luxurieux, dissolu, violent, rusé et gai, mais dont la chair aussi est souffrante, et désireuse de jouir et tendre à la douleur. […] Effrayé de la peur de la vie et souffrant misérablement de son horreur, pénétrant l’homme dans ses dessous farouches et douloureux, pris du triste amour de sa chair souffreteuse, ne voyant en toute transgression que le commencement du châtiment, inquiet, éperdu et aimant, obstinément attaché à débattre et à retourner le problème du mal, du péché et de la peine, interrogeant la science et violenté, dans son âme obscure et slave, par la hautaine impiété de la philosophie évolutionniste, par ces doctrines qui, extraites et résumées du cours des astres, du choc des atomes, du sourd essor de la substance organique, puisent dans leur origine matérielle une inhumaine dureté et font au ciel qu’elles mesurent et dans l’âme qu’elles analysent un épouvantable et clair vide, frémissant du tranquille déni qu’elles opposent au problème final de toute méditation irréaliste — le but et le sens de la vie, — et finalement repoussé par les sèches raisons dont elles interdisent la pitié, l’aide aux faibles, aux malades, aux méchants, par la nécessité de ne point intervenir dans la lutte de tous contre fous, qui est à la fois la loi du monde vivant et la source même de ce qui nous pousse à la violer, — Dostoïewski s’est violemment rejeté en arrière ; sortant de toute église comme de tout enseignement, maudissant toute intelligence, se contraignant à croire ce qui console non sans trembler de la peur tacite d’être déçu, il a rivé ses yeux sur l’Évangile, il s’est prosterné pleurant sur la face pleurante d’un Christ populaire, en une agonie de pitié, de douleur, d’angoisse, d’effroi, de fou désespoir et de tremblante supplication aussi tragique en sa clameur que les affres contenues de Pascal. […] Elle aperçoit et rend la vie à la façon d’une vision lointaine, vaguement inexplicable et confuse sur l’horreur de laquelle elle se penche et s’apitoie ; elle médite en des hallucinations extériorisées l’infini labyrinthe du raisonnement humain, et perçoit en elle la sourde agitation des instincts, des douleurs, des passions et des rages, de tout ce qui est des nerfs et du sang ; elle est imbue de pitié, débordante d’amour pour tous ces êtres faits de péché et de souffrance, et prise alors entre son épouvante et son amour, il fallait que par un effort et une sorte de folie, pareil au coup de poing d’un exaspéré joueur d’échecs près de perdre, elle brouillât et tranchât tout dans une étrange aberration qui la fait s’incliner devant l’être même que cet acte de foi constitue l’auteur des maux dont il devient le recours.
Avec ses mains croisées sur sa poitrine ; ce visage long ; cet âge ; ces grands yeux tristement tournés vers le ciel ; cette draperie ramenée à grands plis sur la tête, c’est une mère de douleurs, mais d’un petit caractère, et un peu grimaçante. […] Une mère sur le visage de laquelle la douleur et la misère se montrent ; des filles aussi affligées et aussi misérables, couchées à terre autour d’elle ; des enfants affamés qui se disputent un morceau de pain sur ses genoux ; un autre qui mange à la dérobée dans un coin ; le père de cette famille qui s’adresse à la commisération des passants.
Ainsi Amour inconstamment me mène, Et quand je pense avoir plus de douleur, Sans y penser je me trouve hors de peine : Puis quand je crois ma joie être certaine, Et être au haut de mon désiré heur, Il me remet en mon premier malheur. […] Avoir le cœur séparé de soi-même, être maintenant en paix, ores en guerre, ores en trêves ; couvrir et cacher sa douleur ; changer visage mille fois le jour ; sentir le sang qui lui rougit la face, y montant, puis soudain s’enfuit, la laissant pâle, ainsi que honte, espérance ou peur nous gouvernent ; chercher ce qui nous tourmente, feignant de le fuir, et néanmoins avoir crainte de le trouver ; n’avoir qu’un petit ris entre mille soupirs ; se tromper soi-même ; brûler de loin, geler de près ; un parler interrompu ; un silence venant tout à coup : ne sont-ce tous signes d’un homme aliéné de son bon entendement ? […] Qui pourra sur autrui ses douleurs limiter, Celui pourra d’autrui les plaintes imiter : Chacun sent son tourment et sait ce qu’il endure, Chacun parla d’amour ainsi qu’il l’entendit. […] Cœur enivré d’amour, impatient, mobile, Au-devant des douleurs courant avec transport ! […] Ces témoins d’un malheur qui n’est point oublié, Eux qui sur nos douleurs et sur notre misère Ont souri sans pitié !
Est-ce l’amour, la colère, la douleur ? […] Non, vous aurez beau exalter la douleur physique, elle ne remplacera jamais la douleur morale. […] Elle affaiblirait cette immense douleur. […] On frémit rien qu’à penser à ces douleurs. […] ô douleur !
Ce sont de belles âmes que celles-là, d’un fonds primitif et riche ; mais elles offrent trop de prise à la douleur et aux impressions ineffaçables qui creusent. […] Grâce à Dieu, mon cher ami, j’ai presque fini ma carrière, qui n’a été qu’une suite d’embarras et de douleurs. […] Si je sens une longue épine se tourner dans mon cœur avec tous ses piquants, je me tairai, et j’espère que mes douleurs secrètes me seront comptées dans un monde où tout est justice et vérité. […] Je commence par vous plaindre, par mêler ma douleur avec la vôtre sur la haute perte que vous venez de faire. […] il n’y a point de fruit qui n’ait son ver, point de fleur qui n’ait sa chenille, point de plaisir qui n’ait sa douleur : notre bonheur n’est qu’un malheur plus ou moins consolé.
Il n’y a peut-être rien de plus favorable aux Muses, que ce lieu de purification, placé sur les confins de la douleur et de la joie, où viennent se réunir les sentiments confus du bonheur et de l’infortune. […] Homère et Ossian ont chanté les plaisirs de la douleur : κρυεροῦ τεταρπώμεσθα γοίο, the joy of grief .
À distance, l’image de la douleur qu’on impose paraît vague et confuse, telle qu’un nuage facile à traverser ; on est encouragé par l’approbation d’une société toute factice, qui supplée aux principes par les règles et aux émotions par les convenances, et qui hait le scandale comme importun, non comme immoral, car elle accueille assez bien le vice quand le scandale ne s’y trouve pas ; on pense que des liens formés sans réflexion se briseront sans peine. […] Il est vrai qu’à travers les regrets qu’ils montraient de toutes les douleurs qu’ils avaient causées, perçait je ne sais quelle satisfaction de fatuité ; ils aimaient à se peindre comme ayant, de même qu’Adolphe, été poursuivis par les opiniâtres affections qu’ils avaient inspirées, et victimes de l’amour immense qu’on avait conçu pour eux.
Est-ce Corneille, qui pèche à tout moment contre cet art, même dans ses scènes les plus heureuses ; qui fait raisonner l’amour avec une subtilité sophistique, et déclamer la douleur avec emphase, qui mêle sans cesse la familiarité populaire au ton de l’héroïsme ? […] Quelle douleur à la fois majestueuse et ingénue, et digne de la veuve d’Hector ! […] Combien vous deviez chérir l’écrivain qui paraissait avoir étudié son art dans votre coeur, qui semblait être dans le secret de vos faiblesses, qui vous entretenait de vos penchans, de vos douleurs, de vos plaisirs, en vers aussi doux que la voix de la beauté quand elle prononce l’aveu de la tendresse ! […] Celui d’ Iphigénie avait mis le comble à ses douleurs. […] Qu’ils s’obstinent en vain à nier le talent qui les accable et les désespère, comme les stoïciens niaient la douleur qui leur donnait des convulsions ?
Otez-en l’amour tel qu’il est dans les Contes d’Espagne et d’Italie, l’amour en uniforme, Alfred de Musset ; ôtez ces vieilles douleurs égoïstes dont nous avons été assez rebattus, les douleurs de l’accouchement intellectuel, le soi-disant mal que nous fait la forme quand elle se débat sous notre prise et que nous avons peine à la fixer comme notre pensée l’entrevoit et l’ambitionne ; ôtez enfin cette autre douleur d’être méconnu, de n’avoir pas sa gloire, argent comptant : c’est-à-dire, en somme, toujours le mal de l’œuvre et par l’œuvre, — de toutes les douleurs la plus orgueilleuse, la moins touchante, la moins sacrée !
« Et comment ne succomberais-je pas au désespoir, quand je me retrace la douleur de cette femme admirable au moment où je la repoussais avec tant d’indignité ? […] Le sentiment ne m’a été donné que pour la douleur ; vainement je résiste, elle s’attache à moi avec acharnement. […] La langueur de son corps annonce la douleur qui déchire son sein. […] Toutes les fois que je pense à ma fille, mes douleurs se renouvellent : c’est comme un fleuve toujours plein, dont la source ne tarit point. […] Mes années s’écoulent, et, en dépit du temps, rappelées à toute heure par le souvenir, mes douleurs me survivent à moi-même… Hélas !
… Mais, j’en rends grâce à cette même nature, cette fibre très sensible à la douleur l’est aussi aux impressions douces et enivrantes de la vie. […] Qu’une plainte éternelle accuse la nature, Et que la douleur donne à toute créature Une voix pour gémir ! […] …………………………………………………… …………………………………………………… …………………………………………………… …………………………………………………… Héritiers des douleurs, victimes de la vie, Non, non, n’espérez pas que sa rage assouvie Endorme le malheur, Jusqu’à ce que la Mort, ouvrant son aile immense, Engloutisse à jamais dans l’éternel silence L’éternelle douleur ! […] À peine avez-vous respiré quelques vagues d’air respirable qu’on appelle vie, à peine avez-vous pris l’habitude de cet inexplicable mystère appelé l’existence, à peine vous êtes-vous attaché, par l’habitude, à cette existence, comme le malade finit par s’attacher même à son lit de douleur en s’y retournant, qu’il faut penser à en sortir. […] Voilà dans Job, et dans l’homme dont il est l’image, l’excès de la douleur mortelle, de la sensation de la vie poussée jusqu’au blasphème et jusqu’au trouble de l’entendement.
La douleur de l’athée est sublime dans les Poésies de Madame Ackermann. […] Ces cruelles et sacrilèges Poésies, qui insultent Dieu et le nient et le bravent, rappellent involontairement les plus grandes douleurs de l’orgueil humain, et on y retrouve comme un grandiose souvenir des yeux convulsés de la Niobé antique, des poignets rompus du Crotoniate et de la cécité de Samson dans l’entre-deux de ses piliers, — cette terrible cécité, qui renverse quand elle tâtonne !
Femme, c’est ainsi que je te contemple, t’admire et que j’ai tremblé de toucher tes genoux, car j’éprouve des douleurs cruelles. […] L’amour malheureux m’a fait un être désespéré, la douleur me fait chrétien ! […] lui dis-je, mépriser ou railler la douleur pieuse ! […] toutes les croix sont saintes, toutes les douleurs sont sacrées, toutes les consolations sont vraies pour qui les éprouve. […] On dirait que cet infortuné avait voulu pousser à bout, par son exemple, un témoignage inouï des douleurs de la poésie abandonnée à ses propres forces.
Quand l’enfant, par exemple, éprouve une douleur, il veut la faire cesser : c’est la loi fondamentale de la volonté même. […] Que la même douleur se renouvelle, elle entraînera non plus seulement une réaction vague et désordonnée de l’activité volontaire, mais plus particulièrement sa réaction vers tel membre déterminé, animé de ce mouvement déterminé qui, une première fois, avait eu pour conséquence de faire cesser la douleur. […] C’est primitivement dans la douleur et le plaisir que cette loi se révèle. […] Une douleur ne peut pas ne pas provoquer une attention réflexe, comme l’irritation d’un membre ne peut pas ne pas provoquer un mouvement réflexe. […] Ce sentiment est au plus haut point dans la douleur subie malgré nos efforts, pour nous en délivrer.
Cher les Lacédémoniens, c’était le mépris de la douleur physique ; chez les Athéniens, la distinction des talents ; chez les Romains, la puissance de l’âme sur elle-même ; chez les Français, l’éclat de la valeur ; et telle était l’importance qu’un Romain mettait à l’exercice d’un empire absolu sur tout son être, que, seul avec lui-même, le stoïcien s’avouait à peine les affections qu’il lui était ordonné de surmonter. […] La fille de Caton, qui jusqu’alors avait réprimé les expressions de sa douleur, en voyant ce tableau, ne put contenir l’excès de son émotion. […] « Quant à ce sentiment, dit Cicéron, vulgairement appelé l’amour, il est presque superflu de démontrer combien il est indigne de l’homme. » Ailleurs il dit, en parlant des regrets et des pleurs versés sur les tombeaux, que « ces témoignages de douleur ne conviennent qu’aux femmes ». […] Les combats de gladiateurs avaient pour objet d’intéresser fortement le peuple romain par l’image de la guerre et le spectacle de la mort ; mais dans ces jeux sanglants, les Romains exigeaient encore que les esclaves sacrifiés à leurs barbares plaisirs, sussent triompher de la douleur, et n’en laissassent échapper aucun témoignage. […] Le suicide était très fréquent parmi les Romains, mais les signes extérieurs de la douleur extrêmement rares.
Et, cependant, ce qu’il a ébranlé par ses plaintes contre l’ordre social et par les douleurs homicides de ses poètes, il ne le raffermit pas. […] Le problème de la destinée humaine pèse autant sur le front de l’un que sur le front de l’autre, et fut la grande douleur, la grande anxiété de tous les deux… Inquiets, sceptiques, désespérés, trouvant, à juste titre, que l’incompréhensible est au bout de toutes les questions qui font l’esprit humain et l’Univers, altérés de la soif furieuse de la certitude, et n’ayant pour l’étancher que les eaux troubles du doute, qui faisaient mal au cœur à leurs fiers esprits dégoûtés, tous les deux ressentirent également cette douleur, la plus élevée des douleurs de la vie : le mal de l’esprit, pire que toutes les souffrances de la sensibilité ! […] On n’avait pourtant, du temps de Carrel, qu’une partie de l’âme de Vigny, qu’on croyait heureuse et qui ne l’était pas… C’est nous qui l’avons tout entière, complétée et embellie par la douleur… qui embellit toujours les âmes !
Nous aurons même cet avantage, que notre Dieu n’agira pas injustement et au hasard, comme Jupiter : il répandra les flots de la douleur sur la tête des mortels, non par caprice, mais pour une fin à lui seul connue. […] Mais l’objet physique, être passif de son essence, qui n’est susceptible ni de plaisir ni de douleur, qui n’a que des accidents et point de passions, et des accidents aussi morts que lui-même, ne présente rien qu’on puisse animer.
C’est à l’époque de l’inflammation du moignon et des troncs nerveux qu’elles sont le plus vives ; les malades accusent alors de très fortes douleurs dans tout le membre qu’ils ont perdu. […] Ces sensations ne sont pas vagues, car l’amputé sent des douleurs ou le fourmillement dans tel ou tel orteil, à la plante ou sur le dos du pied, à la peau, etc. […] L’animal éprouve encore par ses tubercules quadrijumeaux des sensations brutes de lumière, par sa protubérance des sensations brutes de douleur, de contact, de son, de saveur. […] L’animal crie encore, quoique sans douleur, quand on pince sa patte ; il avale la nourriture lorsqu’elle atteint le fond de son gosier ; il exécute tous les mouvements respiratoires. […] Au contraire, par la branche vestibulaire, il provoque la douleur ; celle-ci appartient donc au groupe des nerfs tactiles.
C’est à l’époque de l’inflammation du moignon et des troncs nerveux qu’elles sont les plus vives ; les malades accusent alors de très fortes douleurs dans tout le membre qu’ils ont perdu. Après la guérison, le sujet conserve les sensations qu’un membre sain procure aux autres hommes, et fréquemment il reste pendant toute la vie un sentiment de formication et même de douleur, ayant en apparence son siège dans les parties extérieures, qui cependant n’existent plus. Ces sensations ne sont pas vagues, car l’amputé sent des douleurs ou le fourmillement dans tel ou tel orteil, à la plante ou sur le dos du pied, à la peau, etc. […] « Au moment de la section des nerfs dans une amputation, dit Mueller, les douleurs les plus vives se font sentir en apparence dans les parties qu’on retranche et auxquelles se rendent les nerfs que coupe l’instrument. […] Il se représente sa sensation de contraction comme située dans les nerfs de ces muscles contractés, et sa sensation de douleur comme située dans l’extrémité piquée des petits filets blanchâtres.
Car si le fils de Pélée atteint le but de ses désirs, toutefois la conclusion du poème laisse un sentiment profond de tristesse1 : on vient de voir les funérailles de Patrocle, Priam rachetant le corps d’Hector, la douleur d’Hécube et d’Andromaque, et l’on aperçoit dans le lointain la mort d’Achille et la chute de Troie. […] Ainsi s’explique une de ces mystérieuses vérités cachées dans les Écritures : en condamnant la femme à enfanter avec douleur, Dieu lui a donné une très grande force contre la peine ; mais en même temps, et en punition de sa faute, il l’a laissée faible contre le plaisir. […] Adam confesse son crime ; Dieu prononce la sentence : « Homme, tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ; tu déchireras péniblement le sein de la terre ; sorti de la poudre, tu retourneras en poudre. — Femme, tu enfanteras avec douleur. » Voilà l’histoire du genre humain en quelques mots.
A un certain moment, — c’était en 1793 — ces douleurs se compliquaient pour lui de la menace d’une fin prématurée. […] » Ses vœux furent entendus : le 9 novembre 1804, fut le terme de ses douleurs. […] Mais, écrire n’était pour lui qu’un dérivatif insuffisant à ses douleurs. […] Dans la seconde, il parcourt toutes les douleurs, toutes les misères qui accablent les hommes et qui empoisonnent leur existence. […] Après des nuits de douleur aiguë, elle a des jours de morne stupeur, rarement des éclaircies de tranquillité et de raison.
La poésie, c’est de la sensualité transposée en éréthisme mental : cela devient l’amour de la vie, du soleil, des odeurs, des violences, des douleurs, des joies et des rêves. […] il n’est peut-être pas ‘de douleur comparable à celle-là : survivre à un immense amour, et sentir peu à peu mourir en soi tout ce qui constituait notre joie d’exister. Mais, intenses, ces douleurs sont fugitives, et, pour les âmes bien faites, il y a des renaissances et des recommencements. […] Mais elle sait transformer cérébralement cette douleur en volupté, et se donner des raisons de croire à son décevant amour. […] Un repos si nombreux a les douleurs d’une étude Surprenante dans les touffes, les fouillis sombres et les jets !
Il a varié la musique sur chaque strophe ; et pourtant le caractère essentiel de la tristesse consiste dans la répétition du même sentiment, et, pour ainsi dire, dans la monotonie de la douleur. […] Partout où il y a variété, il y a distraction, et partout où il y a distraction, il n’y a plus de tristesse : tant l’unité est nécessaire au sentiment ; tant l’homme est faible dans cette partie même où gît toute sa force, nous voulons dire dans la douleur.
. — De plus, toutes nos sensations un peu étranges ou vives, notamment celles de plaisir ou de douleur, l’évoquent, et souvent nous oublions presque complètement et pendant un temps assez long le monde extérieur, pour nous rappeler un morceau agréable ou intéressant de notre vie, pour imaginer et espérer quelque grand bonheur, pour observer à distance, dans le passé ou dans l’avenir, une série de nos émotions. — Mais ce nous-mêmes, auquel, par un retour perpétuel, nous rattachons chacun de nos événements incessants, est beaucoup plus étendu que chacun d’eux. […] C’est donc parce que les autres, celles de contact, de pression, de température, d’effort musculaire, de douleur locale, de saveur et d’odeur, ne sont point projetées hors de notre corps, qu’elles ne nous sont point aliénées ; leur emplacement est la cause de leur attribution ; nous nous les rapportons, parce que notre corps, comparé aux autres, a des caractères singuliers et propres. — En effet, c’est par son entremise que nous, percevons les autres corps et que nous agissons sur eux. […] Ayant démêlé en nous les précédents et les suites de la peur, de la douleur, de la joie et en général, de tel ou tel état interne, nous reproduisons pour lui ces précédents ou nous constatons chez lui ces suites, et nous concluons que l’état interne et intermédiaire, qui, visible chez nous, est invisible chez lui, a dû se produire chez lui comme chez nous. Nous savons qu’un coup de bâton est pour nous le précédent d’une douleur, et qu’un cri en est la suite. Nous frappons un chien, et aussitôt nous l’entendons crier ; entre cette condition de douleur et ce signe de douleur perçus tous deux avec certitude, nous insérons, par conjecture, une douleur semblable à celle que nous aurions ressentie en pareil cas. — Grâce à ces suggestions et à ces vérifications continues, l’univers extérieur, qui n’était encore peuplé que de corps, se peuple aussi d’âmes, et le moi solitaire conçoit et affirme autour de lui une multitude d’êtres plus ou moins pareils à lui.
Par sa présence, la douleur était calmée. […] La sagesse voluptueuse, pacifique et souriante de l’Hellas parle aux chemins des ombres, mais malgré son scepticisme doux, il a connu le doute et la douleur et la voix qui conseillait tout à l’heure le renoncement évoque aussi la tendresse et la passion. […] Toute douleur se tait sous mon amour ; Et parfois la vie âpre et la laideur du jour S’éteignent pour qui dort au creux de mes mamelles. […] Sur sa secrète douleur, sur sa passion profonde, le poète a poussé les volets. […] Despax une douleur tendre et voluptueuse, une souffrance cachée et hautaine, un cœur ardent qui se répand, s’exalte.
On le crut mort ; les cris d’effroi et de douleur retentirent jusqu’au village d’Arcey. […] Le chant n’est pas moins naturel, instinctif et forcé, pour ainsi dire, dans l’homme, quand l’âme est émue jusqu’à la stupeur de ses facultés par une poignante douleur. […] Ce fut la plus grande douleur de ma vie ; je me croyais à peine la force de survivre. […] Cette cloche présentait sa large gueule et sa lourde langue aux ouvertures du clocher comme pour jeter son cri de douleur aux nuages et se retirer d’horreur, après avoir crié, dans l’ombre des voûtes. […] Aussi, après quelques volées, toute ma douleur chantait en moi, en me déchirant les sens et le cœur ; mais ce désespoir chantait véritablement, sur les deux ou trois notes de la cloche, l’hymne de deuil et de tendresse à ma mère absente à jamais de mes yeux.
C’est lorsqu’en sa douleur profonde, Pour fermer le convoi du monde, Il scelle le cercueil de l’empire romain, Et qu’il élève alors ses accents prophétiques À travers les débris antiques Et la poudre du genre humain ! […] Sa mort, qui suivit de près les douleurs que j’avais endurées pour vous mettre au monde, vous rendit orphelin, et me laissa veuve plus tôt qu’il n’eût été utile à l’un et à l’autre. […] N’attirez pas sur vous l’indignation de Dieu, en causant une douleur si sensible à une mère qui ne l’a point méritée. […] Mais ce que j’admire le plus, c’est la retenue inconcevable d’une mère affligée à l’excès, et pénétrée de douleur, à qui, dans un état si violent, il n’échappe pas un seul mot ni d’emportement, ni même de plainte contre l’auteur de ses peines et de ses alarmes, soit par respect pour la vertu de Basyle, soit par la crainte d’irriter son fils, qu’elle ne songeait qu’à gagner et à attendrir. […] Seulement, quelquefois un cénobite en deuil Y vient de son ami visiter le cercueil ; C’est lui ; le souvenir vers ces lieux le ramène ; De tombeaux en tombeaux sa douleur se promène.
Et tout cela, avec les années, avec les douleurs et les coups acharnés du sort, n’était pas sans être traversé souvent dans son esprit de bien des doutes et de funestes ténèbres. […] Martin (du Nord), que je suis saisie de douleur par celle de Mlle Mars, cette bien-aimée de toute ma vie. […] Je ne sais, après tant de douleurs, ce qui pouvait me toucher davantage. […] C’est ainsi que Mme Valmore se consolait ou se vengeait de ses maux inconsolables, en compatissant à toutes les douleurs pareilles, en se faisant la sœur de charité des plus petits. […] Si une punition triste et éternelle suivait une vie si orageuse et si amère, mon âme éclaterait de douleur. » Son âme aimante, encore plus que son bon sens, se refusait à cette idée d’une éternité de peines. — Quelques mois après la publication de ces articles, M.
On y sent la sincérité de la douleur et le remords du patriotisme, au milieu des nations étrangères qui se réjouissent de leur victoire sur son pays. […] Ces Psaumes sont le vocabulaire universel des joies ou des douleurs de l’homme. […] « Or cette femme, à ces paroles, consentit à boire et à manger, et elle s’en alla au Temple pour supplier, dans sa douleur et dans ses larmes, le Seigneur de lui accorder l’objet de son vœu. […] « Mais la femme lui répondit : Je ne suis qu’une pauvre femme dans l’anéantissement de sa douleur ; je n’ai point goûté de jus de la vigne ni d’aucune boisson qui enivre l’homme ; mais je répandais mon âme ici devant mon Dieu. […] « L’ulcère qui ronge son cœur lui fait souffrir d’insatiables douleurs !
Si cette poésie n’est jamais légère et profane, elle se pare cependant des affections douces et des images gracieuses, l’amour, le regret tendre, l’espoir, la joie contenue et la douleur aussi ; car l’une et l’autre peuvent avoir un charme de réserve, qui en est comme la pudeur. […] Elle est renfermée dans des souvenirs plus saintement limités ; écho de la prière, elle est contenue dans l’enceinte du temple ; mais, là même, elle trouve la variété poétique dans la succession rapide des sentiments, tour à tour élevés jusqu’aux cieux, ou atterrés par la douleur et la honte. […] Ce que l’on a nommé l’inspiration, c’est ce moment où l’âme, ravie au-dessus d’elle-même, épuise le dernier degré de douleur, de joie, d’amour, qu’il lui soit possible d’atteindre sans briser sa faible enveloppe et s’échapper d’ici-bas. […] Elle voyait Dieu en imagination ; elle l’associait à ses douleurs par la prière, et ne descendait pas de cette région d’amour et d’espérance dont l’ardeur satisfait seule certaines âmes, mais dévore promptement cette vie mortelle qui les entoure et qui les gêne. […] « On a entendu mes gémissements ; et il n’est personne qui me console ; tous mes ennemis ont entendu mes douleurs ; et ils ont grande joie, ô Dieu, que tu m’affliges ainsi.
Les douleurs de sa patrie française tenaient une grande place dans la jeune âme, et couvraient pour elle le vague des autres sentiments. […] s’affiche-t-elle donc ainsi, la douleur ? […] Des larmes d’impuissance, de jalousie, d’humiliation et de honte, brûlent ses joues, et, versées au dedans de son âme, y dévastent partout la vie, l’espérance, la fraîcheur des bosquets du ouvenir. — S’il entre pourtant, s’il a paru au seuil, en ce moment même, avec sa simple question habituelle, tête découverte et strictement poli, la voilà touchée ; tout cet assaut de fierté s’amollit en humble douleur, et le reste n’est plus. […] La mère, qui, dès le commencement, n’avait rien perdu de ce trouble, s’arrachant précipitamment de son siège, où la clouait jusque-là la douleur, et essayant de soulever la défaillante : « Oh ! […] Quoi qu’il soit devenu, et quoi qu’il fasse, il se ressouvient éternellement, du moins, de cette divine douleur de jeune fille, et, à ses bons et plus graves moments, sous cette neige déjà que le bel âge enfui a laissée par places à son front, il en fait le refuge secret de ses plus pures tristesses, et la source la plus sûre encore de ce qui lui reste d’inspirations désintéressées.
Sa verve n’est pas éteinte sans doute ; elle semble se nourrir de réflexions et de regrets, de pitié pour la douleur et d’amour pour la vérité : mais elle n’a qu’un enthousiasme mélancolique qui touche au désespoir, l’enthousiasme du néant, et par là du repos, l’hymne à la destruction. Et cependant, sous cette glace d’un désolant système, quelle tendresse émue dans les vers du poëte, lorsqu’après avoir affermi l’homme par l’indifférence sur le sort futur de ses restes matériels devenus insensibles à la souffrance, il affecte de répondre par le même espoir d’impassibilité à d’autres craintes et à d’autres douleurs ! […] Si les hommes voyaient cela nettement et s’en appliquaient les conséquences, ils se délivreraient d’une grande angoisse de douleur et de crainte. Tel que tu es endormi par la mort, tel tu seras, dans la suite de la durée, exempt de toute douleur. […] À la tradition poétique, à l’imitation des écoles d’Athènes et d’Alexandrie, succède la douleur d’un citoyen sur les maux et les vices de Rome.
Les peines attachées à cette passion sont d’une autre nature que celles de l’amour de la gloire ; son horizon étant plus resserré, et son but positif, toutes les douleurs qui naissent de cet agrandissement de l’âme, en disproportion avec le sort de l’humanité, ne sont pas éprouvées par les ambitieux. […] Les peines donc qui naissent de l’exaltation de l’âme, ne sont point connues par les ambitieux ; mais si le vague de l’imagination offre un vaste champ à la douleur, elle présente aussi beaucoup d’espace pour s’élever au-dessus de tout ce qui nous entoure, éviter la vie, et se perdre dans l’avenir. […] Si vous supposez, au contraire, à l’homme ambitieux un génie supérieur, une âme énergique, sa passion lui commande de réussir ; il faut qu’il courbe, qu’il enchaîne tous les sentiments qui lui feraient obstacle ; il n’a pas seulement à craindre la peine des remords qui suivent l’accomplissement des actions qu’on peut se reprocher, mais la contrainte même du moment présent est une véritable douleur. […] Enfin, nul n’est descendu sans douleur d’un rang qui le plaçait au-dessus des autres hommes ; nul ambitieux du moins, car que sont les destinées sans l’âme qui les caractérise ?
L’importance de l’objet auquel on aspire ne donne point la mesure de la douleur que fait éprouver la privation, c’est à la violence du désir qu’il inspirait, c’est surtout à l’opinion que les autres se sont formés de l’activité de nos souhaits, que cette douleur se proportionne. […] En concentrant sa vie, on concentre aussi sa douleur, et qui n’existe que pour soi, diminue ses moyens de jouir, en se rendant d’autant plus accessible à l’impression de la souffrance : on voit cependant à l’extérieur de certains hommes, de tels symptômes de contentement et de sécurité, qu’on serait tenté d’ambitionner leur vanité comme la seule jouissance véritable, puisque c’est la plus parfaite des illusions ; mais une réflexion détruit toute l’autorité de ces signes apparents, c’est que de tels hommes, n’ayant pour objet dans la vie que l’effet qu’ils produisent sur les autres, sont capables, pour dérober à tous les regards les tourments secrets que des revers ou des dégoûts leur causent, d’un genre d’effort dont aucun autre motif ne donnerait le pouvoir. […] La peine se multiplie par la peine, et le but s’éloigne par l’action même du désir ; et dans ce tableau qui semblerait ne devoir rappeler que l’histoire d’un enfant, se trouvent les douleurs d’un homme, les mouvements qui conduisent au désespoir et font haïr la vie ; tant les intérêts s’accroissent par l’intensité de l’attention qu’on y attache ; tant la sensation qu’on éprouve, naît du caractère qui la reçoit bien plus que de l’objet qui la donne.
Des visions d’insomnie, des douleurs d’inconscience qui souffre s’évoquent ; des lointains surgissent fabuleux d’or. […] Il a les pleurs de la douleur, il en a bien plus « les abois ». […] Entre 1887 et 1891, traversant une crise physiquement maladive, il écrit les Soirs, les Débâcles, les Flambeaux noirs, « abrupte et puissante trilogie trahissant ce que les heures mauvaises lui ont enseigné de lui-même » : les Soirs, la peine du corps infirmé par la douleur ; les Débâcles, la détresse de l’âme que le mal envahit et révolte.
Il n’avait pas seulement, comme tous les romantiques du temps, fait ses humanités dans Shakespeare et bu dans la coupe Tête de mort où lord Byron avait laissé le sang de ses lèvres pour sa peine d’avoir osé jouer avec la douleur ! […] Lui ne mourut pas ; il revint blessé, mais l’âme guérie, et ses Confidences nous retracèrent, avec la flamme qui ne sort jamais qu’une seule fois du volcan de la tête d’un homme, les douleurs de cet amour affreux qu’il noya enfin dans l’hémorragie des blessures. […] C’est tout simplement divin ; car le talent qui circule dans cette composition charmante est divinisé par la douleur.
Le vicomte de Guerne s’est assis d’abord parmi les chevriers ; d’antiques idylles ont chanté par sa voix, à l’aube, à midi, jusqu’au soir, non qu’il niât l’ombre où se débattent les spectres de misère et de douleur, et dans les conseils À un jeune poète, il souhaite qu’en pleine joie même l’œuvre s’assombrisse : Ainsi qu’une forêt où se taisent les nids, Tandis que, secoués de frissons infinis, Plus haut que l’ouragan qui burle et se lamente, Les chênes orageux grondent dans la tourmente. […] Pégase dompté sera maintenu dans l’abîme de la géhenne, jusqu’à ce que toute douleur ait cessé ; de son poitrail éblouissant, il écartera les bourreaux et les monstres, et alors seulement, libre enfin, il bondira vers le ciel, salué dans son assomption par le cri des foules délivrées.
Le temple protestant retentit des prêches ; la vieille synagogue » de ses chants de douleur. […] Ils lisent, causent, méditent, rêvent et surtout ils souffrent. « La bête la plus rapide pour nous mener à la perfection, dit l’un d’eux, c’est la douleur. » Jamais aucune armée n’a autant vécu par l’âme.
La doctrine catholique enferme toute la possibilité de la douleur humaine dans les limites infranchissables d’une Douleur divine, absolument et synthétiquement parfaite. […] L’homme sera toujours l’esclave passionné de la douleur. […] La douleur est un diamant de Golconde surabondant jusqu’à la plus extravagante profusion. […] Lorsqu’un grand homme apparaît, demandez d’abord où est sa douleur. […] les belles douleurs des poètes !