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961. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Mais le plus touchant et le plus inimitable endroit est celui où il raconte sa découverte, et les sensations inouïes qui l’agitèrent sitôt que le mercure brilla fixé en or sous ses yeux : « Que ma joie fut vive et grande !

962. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

La lecture de Bayle, pour parler un moment son style, est comme la collation légère des après-disnées reposées et déclinantes, la nourriture ou plutôt le dessert de ces heures médiocrement animées que l’étude désintéressée colore, et qui, si l’on mesurait le bonheur moins par l’intensité et l’éclat que par la durée, l’innocence et la sûreté des sensations, pourraient se dire les meilleures de la vie135.

963. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Les arts peuvent distraire l’esprit par les plaisirs de chaque jour, de toute pensée dominante ; ils ramènent les hommes vers les sensations ; et ils inspirent à l’âme une philosophie voluptueuse, une insouciance raisonnée, un amour du présent, un oubli de l’avenir très favorable à la tyrannie.

964. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

À cette affreuse image tous les mouvements de l’âme se renouvellent, on frissonne, on s’enflamme, on veut combattre, on souhaite de mourir, mais la pensée ne peut se saisir encore d’aucun de ces souvenirs ; les sensations qu’ils font naître absorbent toute autre faculté.

965. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Nous cherchons des sensations où Voltaire ne nous donne guère que des notions.

966. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Et c’est un mérite qui est devenu rare en ce temps de pédants qui ont l’air d’en dire plus qu’ils n’en savent et de nerveux qui affectent, au contraire, d’avoir plus de « sensations » qu’ils n’en peuvent traduire.

967. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Il verse dans le pessimisme outré, la recherche du rare et de l’inédit, sinon dans les mots, du moins dans les sensations.

968. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

On n’a point trompété d’avance qu’un soufflet à grande sensation serait donné, à dix heures et demie, au quatrième acte.

969. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

C’était tout à la fois une mélodie lointaine et proche, s’élevant, montant, mourant parmi nos sensations et nos pensées encore endormies, et qui nous berçait comme dans le rêve d’une musique flottante, aérienne, amoureusement divine et vague, à la façon de la lumière d’une apparition en train de disparaître.

970. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

* * * — La douce sensation d’avoir, le matin, en entrant dans son cabinet de travail, la perspective de douze heures de travail, sans sortie, sans visites, sans dérangement, dans la jouissance parfaite et l’exaltation intérieure de la solitude.

971. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Il n’y pas, je crois, d’homme d’État qui dût voir avec indifférence que la métaphysique dominante dans le monde savant prît son point de départ dans la sensation ou en dehors decelle-là, car les idées abstraites qui se rapportent à l’homme finissent toujours par s’infiltrer, je ne sais comment, jusque dans les mœurs de la foule. » Quelque peu métaphysicien qu’il fût, il avait bien pénétré le sens de certaines doctrines, en particulier du panthéisme, et il expliquait parfaitement le secret de son empire dans le siècle où nous vivons.

972. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Il est homme de lettres aussi, celui que le feu de son imagination porte sans cesse vers des sujets nouveaux ; qui, doué de verve et de fécondité naturelle, n’a pas plutôt fini d’une œuvre qu’il en recommence une autre ; qui se sent jeune encore pour la production à soixante ans comme à trente ; qui veut jouir tant qu’il le peut de cette noble sensation créatrice et mener la vie active de l’intelligence dans toutes les saisons.

973. (1913) La Fontaine « III. Éducation de son esprit. Sa philosophie  Sa morale. »

L’âme sensitive dont je parlais plus haut et intelligente ; âme de sensation et âme d’intelligence.

974. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Mais il faut ajouter que, si cette mesure du temps par le mouvement est possible, c’est surtout parce que nous sommes capables d’accomplir des mouvements nous-mêmes et que ces mouvements ont alors un double aspect : comme sensation musculaire, ils font partie du courant de notre vie consciente, ils durent ; comme perception visuelle, ils décrivent une trajectoire, ils se donnent un espace.

975. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre III. »

Un philosophe éloquent du dernier siècle a voulu surprendre et décrire l’entrée du premier homme dans la vie, son action instinctive, l’éveil de ses sensations, et ce qu’il nomme les plaisirs de sa grande et noble existence.

976. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

C’est qu’il n’apportait qu’une sensation nouvelle, mais non point une nouvelle « formule ». […] Il apporte, lui, comme je l’indiquais, une sensation nouvelle, celle de la terreur à son paroxysme. […] Et maintenant je te permets de vivre, car je viens de te ménager une petite sensation que tu n’oublieras certainement plus. » Mais Thyeste se tue, et Atrée termine la fête par ce vers : Je vais jouir en paix du fruit de mes forfaits. […] Il a paru au prophète que ce qui nous avait perdus, et, en général, ce qui perd les peuples, c’étaient la luxure et l’argent, c’est-à-dire les deux formes principales de la recherche des sensations égoïstes. […] Ils sont tout chauds d’un prurit d’encanaillement et tout tortillés d’un besoin de sensations brutales.

977. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

. — « Sensations d’Italie » (1 vol.) […] Paul Bourget, les sensations mêmes sont intellectuelles. Il serait intéressant de comparer ces impressions ou sensations d’un moderne à celles qu’un homme du dix-septième siècle ou du dix-huitième reçut des mêmes lieux, et de rechercher si les mêmes monuments de l’art, si les mêmes aspects de la nature ont ému de la même façon le président de Brosses, par exemple, et l’auteur de Crime d’amour. […] Il y a une philosophie dans tout ce qu’écrit l’auteur du Disciple, et les Sensations d’Italie donnent, à l’insu de l’auteur, plus d’un précepte de bienveillance et de sagesse. […] C’est pourquoi on pourra toujours parler des mêmes belles choses et toujours écrire des Sensations d’Italie.

978. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Mme Sylvain (Iphigénie) est véritablement poétique ; et les attitudes et les beaux cris de Mme Tessandier ont fait sensation dans le rôle de Clytemnestre. […] Il en résulte une sensation de ralentissement. […] Mounet-Sully à la même époque, ne m’a donné une sensation d’art pareille. […] Il ne manque absolument que la dernière partie de la grande scène « du sac », là où il doit faire la voix et le personnage de quatre ou cinq spadassins au moins et donne la sensation d’une foule. […] On a la sensation d’assister à un vaudeville solennel.

979. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1867 » pp. 99-182

Et le soir, après avoir passé en revue tous ces types de beauté éclatante ou sauvage, que montrent la rue, le Pincio, le Corso, je trouve qu’il n’y a qu’une Anglaise ou une Allemande qui vous donne la sensation aimante, le remuement tendre. […] Le Torse, le seul morceau d’art au monde qui nous ait donné la sensation complète et absolue du chef-d’œuvre.

980. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

« Vous n’avez eu de plus chère ambition que de savoir et de voir ; vous n’avez connu de plus exquises jouissances que celles des idées, des lignes et des couleurs ; et les sensations que vous avez aimées, vous les avez voulu rendre avec l’effort de signes nouveaux, et le frémissement de notations personnelles. […] Mais tout en se déchargeant sur moi de la composition de nos livres, mon frère était resté un passionné de style, et j’ai raconté dans une lettre à Zola, écrite au lendemain de sa mort, le soin amoureux qu’il mettait à l’élaboration de la forme, à la ciselure des phrases, au choix des mots, reprenant des morceaux écrits en commun, et qui nous avaient satisfaits tout d’abord, les retravaillant des heures, des demi-journées, avec une opiniâtreté presque colère, ici, changeant une épithète, là, faisant entrer dans une période, un rythme, plus loin, refaçonnant un tour de phrase, fatiguant, usant sa cervelle, à la poursuite de cette perfection, si difficile, parfois impossible à la langue française, dans l’ expression des sensations modernes… et après ce labeur restant de longs moments, brisé sur un canapé, silencieux, dans la fumée d’un cigare opiacé.

981. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Troisième partie. Dictionnaire » pp. 243-306

. — Les Sensations, poésies, Paris, Vanier, 1897. — Un Mariage manqué, conte, Paris, Éd. de la Tradition, 1900. […] Œuvres. — Sensations coloniales J. 

982. (1921) Esquisses critiques. Première série

Hors du royaume des arts, la société cultivée témoignait de nouvelles aspirations et poursuivait éperdument la recherche de sensations raffinées dans une production artistique extrêmement intellectuelle. […] Il recherche éperdument les sensations, surtout rares, surtout extrêmes. […] Elles naissent comme celle-ci de sensations extrêmement vives que traduit un travail intellectuel vigoureusement conduit. L’art de M. de Montesquiou, issu de la sensation, s’efforce beaucoup moins à la provoquer qu’à faire comprendre ce qui la suscite.

983. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Après tout, peut-être dans la grande loi du changement des choses d’ici-bas, pour les sociétés modernes, les ouvriers sont-ils, comme je l’ai déjà dit, dans Idées et sensations, ce qu’ont été les barbares, pour les sociétés anciennes, de convulsifs agents de destruction et de dissolution. […] Soudain, le boulevard retentit de cette nouvelle à sensation, jetée à tous les échos de Paris, par les aboyeurs du « Journal de la Montagne » : Prise du Mont-Valérien. […] Bientôt un orage terrible se mêle au bombardement, et les déchirements de la foudre et des obus, me donnent, au fond de ma cave, la sensation d’une fin du monde. […] Les engouffrements du vent rabattaient le bouquet d’épines sur ma tête, et la lumière écliptique, et le paysage ardu, et l’électricité de l’air, et la tourmente de ces branches égratignantes, me donnaient comme la sensation d’un monde inconnu, d’un monde primitif, d’un monde, semblable à ce monde d’avant le déluge, dont les lectures de ces jours-ci m’avaient rempli la tête.

984. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

Cet ouvrage fit une immense sensation, et fut attaqué par les critiques timorés qui y virent avec raison toute une poétique nouvelle. […] « Je n’en connais point, dit-elle, qui renferme une peinture plus frappante et plus vraie des égarements de l’enthousiasme, une vue plus perçante dans le malheur, dans cet abîme de la nature où toutes les vérités se découvrent à l’œil qui sait les y chercher. » À l’époque où elle écrivait, Mme de Staël ne se trompait pas, car Werther produisait alors une sensation immense dans toute l’Europe, et était destiné à accomplir une véritable révolution dans la littérature du roman et même dans la poésie. […] Taine lui-même, quoiqu’il se vante d’être un disciple de Voltaire, ne peut refuser son admiration au grand génie germanique qui a illustré notre siècle et a porté le plus loin, depuis que le monde existe, la profondeur des vues et la hardiesse des investigations : « J’ai lu Hegel, tous les jours, pendant une année entière, en province ; il est probable que je ne retrouverai jamais des sensations égales à celles qu’il m’a données. […] Laissons-le continuer : « Le vers de Victor Hugo sait traduire pour l’âme humaine non-seulement les plaisirs les plus directs qu’elle tire de la nature visible, mais aussi les sensations les plus fugitives, les plus compliquées, les plus morales (je dis exprès sensations morales) qui nous sont transmises par l’être visible, par la nature inanimée ou dite inanimée ; non-seulement la figure d’un être extérieur à l’homme, végétal ou minéral, mais aussi sa physionomie, son regard, sa tristesse, sa douceur, sa joie éclatante, sa haine répulsive, son enchantement ou son horreur ; enfin, en d’autres termes, tout ce qu’il y a d’humain dans n’importe quoi, et aussi tout ce qu’il y a de divin, de sacré ou de diabolique. » Ces lignes écrites d’hier auraient pu l’être aux débuts de romantisme de Victor Hugo, tant elles expriment tout ce qu’on découvrait alors dans le kaléidoscope du maître. […] Schlegel qui avait paru en 1807 sous le titre de Comparaison de la Phèdre de Racine avec la Phèdre d’Euripide avait produit une immense sensation, mais tout d’abord elle avait excité plus de colère que de sympathie.

985. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Voulez-vous que je dise ma sensation ? […] C’est de la plus violente sensation que jaillit le plus de beauté. […] Sensations et opinions d’un Nietzschéen, par M.  […] Avec son extrême sensibilité intellectuelle, il a dû se faire tout un magasin et tout un répertoire de sensations, d’impressions et aussi d’idées générales toutes nouvelles et que ni lui n’était, il y a sept ans, habitué à contenir en lui, ni nous accoutumés à trouver dans ses œuvres. […] Tout ce qu’elle a dit d’Octave Gréard est très juste, a été très bien vu et observé avec finesse ; mais, encore, une lumière moins uniforme donnerait mieux la sensation de la vie.

986. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Cette douce sensation lui fit mal, la navra comme une ironie. […] Mais une contagion ébranlait sa tête plus solide, il perdit la sensation juste du réel. […] Duroy lui-même commençait à s’assoupir quand il eut la sensation que quelque chose survenait. […] Une sensation de tendresse flottante, d’amour bestial épandu, alourdissait l’air, le rendait plus étouffant. […] Commençons par le roman à sensation que M. 

987. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

En 1783, il eut l’idée de faire quelques changements à Werther : « J’ai repris dans des heures calmes mon Werther, et, sans toucher aux parties qui ont fait tant de sensation, je pense le hausser de quelques degrés.

988. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

. — Sensations perverties, conceptions délirantes, ce seraient là pour un médecin des symptômes d’aliénation mentale ; et nous ne sommes encore qu’aux premiers mois de 1789   Dans des têtes si excitables et tellement surexcitées, la magie souveraine des mots va créer des fantômes, les uns hideux, l’aristocrate et le tyran, les autres adorables, l’ami du peuple et le patriote incorruptible, figures démesurées et forgées par le rêve, mais qui prendront la place des figures réelles et que l’halluciné va combler de ses hommages ou poursuivre de ses fureurs.

989. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Ni Démosthène, ni Cicéron, ni Machiavel, ni Bossuet, ni Fénelon, ni Mirabeau, ni les premiers des écrivains ou des orateurs dans toutes les langues antiques ou modernes, qui ont essayé d’atteindre à cette perfection du langage humain, n’ont jamais pu y parvenir ; ils n’ont laissé après eux dans leurs œuvres que des débris de leurs tentatives, témoignage aussi de leur impuissance ; cela est plus remarquable encore dans les orateurs qui semblent se rapprocher davantage encore des poëtes par la force et par la soudaineté de la sensation ; aucun d’eux n’a pu dérober une strophe à Pindare ou dix vers à Homère, à Virgile, à Pétrarque, à Racine, à Hugo ; il semble qu’ils vont y atteindre ; mais, au dernier effort, la force leur manque, ils échouent, ils restent en arrière, ils ne peuvent pas, le pied leur glisse, ils se rejettent dans la prose, ils se sentent vaincus.

990. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Ils prennent l’impression pour la beauté définitive, préfèrent l’abondance au choix, la vivacité des sensations à la sûreté du goût.

991. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

Poète en ses drames que gonfle un souffle énorme (l’épopée ; poète en ses études de critique, où il dit l’âme et le prodigieux génie de Wagner ; poète en ses fantaisies légères d’au jour le jour, harmonieuses et composées ainsi que des sonnets, en ses contes galants où, sous les fleurs de perversité et les voluptés féeriques et précieuses des boudoirs, percent parfois le piquant d’une ironie et l’amer d’un désenchantement ; poète en ses romans, surtout avec Zohar, aux baisers maudits ; même avec la Première maîtresse, et qui ne craint pas de descendre jusque dans le sombre enfer contemporain de nos avilissements d’amour, tout arrive à son cerveau en sensations, en visions de poète ; tout, sous sa plume ; se transforme en images de poète, exorbitées et glorieuses, la nature, l’homme, aussi bien que la légende et que le rêve.

992. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

La Fontaine décrit à grands traits, avec la fidélité d’une sensation renouvelée plutôt qu’avec l’exactitude d’un calque.

993. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Cette littérature, fondamentalement Wagnérienne, est née, où réellement vit une pleine sensation de l’être, — où, dans les mots, des visions tout plastiques éclatent, ces musiques sonnent, — où, obsédé d’images, obsédé de sonorités, et décrivant littérairement, le poète a senti son idée vue, et en a oui les harmoniques accordances, — où flottent, étrangement, à travers les rayonnements et les enchantements des phrases, les paysages et les mélodies que le Wagner de l’avenir aurait dites en dessins et en orchestrations : une littérature Wagnérienne, cette littérature, absolument suggestive, — moins simple, moins précise, moins large, moins grandiose que l’art de Wagner, — plus hermétique !

994. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Après les privations, il était maintenant « avide de jouissances » ; les sensations, les aspirations, l’ambition, « l’ardent désir d’amour », emplissaient son cœur ; il était dans un état d’excitation voluptueuse et dévorante, qui mettait sang et nerfs dans des transports fiévreux » ; son « être entier s’était consumé dans cette création », à tel point, que « l’idée qu’une mort subite le surprendrait » et l’empêcherait de terminer cette œuvre « puisée dans son cœur même », s’empara de lui et le fit poursuivre son achèvement avec une ardeur redoublée (IV, 342-348 ; et Glasenapp, Biogr. : I, 194).

995. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Cet intérêt, fruit de l'art & du génie ; cet heureux tissu de fictions ; ces combinaisons d'incidens qui saisissent & captivent l'ame du Lecteur, la tiennent dans un enchantement continuel, & la conduisent au dénouement, à travers une inépuisable variété de sensations ; où les trouve-t-on dans M. de Voltaire ?

996. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Rien de pareil chez Salammbô ; pas un éclair de la vie morale, tout se passe dans le domaine obscur de la sensation.

997. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Des choses autour de moi, que je connais, que j’ai vues et revues cent fois, me vient une insupportable sensation d’insipidité.

998. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

Cependant il s’agit du mot latin lacertus, lequel veut dire lézard, et que les poètes ont maintes fois employé pour désigner le bras d’un héros ou d’un athlète.  » Mais s’il est surprenant déjà qu’une telle image ait été formée une fois, car elle est très étrange, quoi que très juste, et elle aurait pu, certes, ne jamais sortir du réservoir profond des sensations, quel étonnement de la voir périodiquement retrouvée, qu’il s’agisse de lézard ou de souris, au cours des siècles et des langues !

999. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Si on disait qu’un tel ouvrage est ennuyeux, malgré les noms célèbres qui étoilent faiblement d’une lueur d’intérêt, bientôt éteinte, les pages sans relief qui s’y multiplient, on aurait l’air de ne traduire qu’une sensation personnelle, et on dirait une vérité.

1000. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Il l’a avertie que ce n’était pas tout l’art et toute l’humanité que la Cité-Dorée, la Boule-Noire ou la rue de la Goutte-d’Or, qu’il y avait autre chose dans Paris que Belleville ou le quartier Mouffetard, et que le roman contemporain n’aurait vraiment donné sa mesure que lorsqu’il aurait su représenter une Parisienne de nos jours avec toute l’élégance de sa vie et toute la délicatesse de ses sensations.

1001. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1888 » pp. 231-328

Alors nous avions une vigne, aux environs de Nîmes, où nous allions manger des salades de romaine, des fruits… Ah, quand on allait là, c’étaient des joies de vacances… Eh bien, je m’attarde quelquefois à vouloir retrouver ce bruit, dont j’ai eu la sensation, la première fois, que j’ai ouvert cette porte. » Mardi 26 juin On cause collège, et de la férocité des pensums d’autrefois. […] Et ce qu’il y a de particulier dans ces cauchemars, c’est toute cette humanité de rêve que j’y rencontre : ces visages de vieillards, d’hommes faits, d’enfants, si sournois, si impitoyablement gouailleurs, si méchamment fermés, ces visages diplomatiques, d’un machiavélisme que montrent seulement les plus mauvaises figures de la vraie humanité, et qui vous laissent la sensation d’une intimidation, douloureusement indéfinissable, — des figures que je voudrais décrire, le matin, si le rêve ne vous laissait pas des êtres qu’il fabrique, des impressions, si effacées, si délavées.

1002. (1888) Poètes et romanciers

Les genres les plus variés, les sujets les plus divers excitent chez lui cette curiosité d’un artiste délicat, que chaque sensation nouvelle attire, que chaque inspiration tente tour à tour, mais qui ne se satisfait que dans l’exquis et n’épuise jamais le sujet ou le genre le plus aimé. […] Je parcours, la plume à la main et sans beaucoup d’ordre, l’édition nouvelle qui vient de nous rendre une des plus agréables sensations de la vingtième année, et je voudrais inviter à cette calme et saine lecture quelques-unes de ces intelligences fatiguées outre mesure ou révoltées enfin par les niaises violences du réalisme agonisant. […] la musique (celle de Sébastien Bach, par exemple, de Haendel, de Haydn, de Mozart), n’a-t-elle pas été consacrée, ne peut-elle pas être encore consacrée aux cultes spiritualistes, comme on conçoit que la peinture puisse être abaissée à l’idolâtrie de la sensation ? […] Ce mouvement naturiste ou naturaliste que trahissent tant de symptômes, j’irai en chercher la preuve dans le caractère commun de tous les arts qui inclinent plus ou moins à flatter les sensations, tous en proie au même travail intérieur de décomposition ou de décadence. […] L’artiste alors, sans autre guide, sans autre appui que sa pensée, son inspiration personnelle, est lui-même le type idéal qu’il s’efforce de reproduire, type au moins imparfait, toujours obscur, incompréhensible souvent, et qui, ne correspondant à aucune conception générale des choses, à aucune foi vivante dans les âmes, n’y remue rien de profond. » La recherche de la sensation ou la fantaisie individuelle, voilà l’alternative dans laquelle se débat l’art contemporain.

1003. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

C’est bien de l’extérieur que tout lui est venu ; seulement ce n’est pas la sensation, comme le croyait Condillac, qui l’a lentement instruit et pourvu ; c’est Dieu qui l’a pourvu tout d’un coup. […] Toute sensation courte et violente, secouant tous les nerfs à les rompre, lui était chère. […] C’est un don Juan, c’est-à-dire un homme qui met dans sa vie le plus possible de sensations fortes et vives, et diverses, et qui ne peut se résoudre à en sacrifier quelqu’une à une autre, ou au devoir, ou au bon sens. […] Il n’a pas assez d’imagination et a trop le goût de l’action pour cela ; d’où il suit que de ses sensations multiples il n’a que la jouissance rapide, et le dégoût. […] D’autre part, s’interdisant, ce qui est à son honneur, de nous donner l’Ellénore vraie, il n’a pas su en construire une qui, grâce à une vigoureuse concentration de réflexion unie à une riche faculté créatrice, nous donnât la pleine sensation du réel.

1004. (1922) Gustave Flaubert

« Aucun changement ne pouvait survenir, et son malheur à elle était irréparable. » Et pourtant, merveille de la conscience et de la vérité, cette existence donne l’impression du réel et du plein, autant que celles d’Emma et de Frédéric nous laissent la sensation du faux et du vide, elle nous la donne Rien qu’à simplifier avec gloire la femme. […] Mais cette sensation est plus nette et plus pénible, à lire la Tentation de saint Antoine que tout autre ouvrage de notre auteur109 ».

1005. (1886) Le roman russe pp. -351

Même préoccupation chez le psychologue qui étudie les secrets de l’âme ; la personnalité humaine lui apparaît comme la résultante d’une longue série de sensations et d’actes accumulés, comme un instrument sensible et variable, toujours influencé par le milieu. […] Ce que je ressentais, ce n’était pas cette sensation confuse, éprouvée naguère, des aspirations infinies, quand l’âme s’élargit et vibre, quand il lui semble qu’elle va tout comprendre et tout aimer… Non !

1006. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Je me trompe ; il y a une langue qui correspond à la langue des sons : c’est la langue obscure et puissante que parle le corps, cet admirable instrument, divinement organisé pour l’épreuve en même temps que pour l’appui de l’âme, cette langue dont les mots sont des sensations et dont les phrases sont des voluptés et des souffrances. […] S’il était possible de rendre visibles et intelligibles aux yeux et d’ajouter les unes aux autres toutes les fines nuances de nos sensations, on aurait la seule traduction véritable des œuvres musicales, car ce n’est ni par des pensées ni même par des images qu’on peut espérer d’interpréter le langage des sons. […] Explique-t-il les effets de la musique, ou raconte-t-il les phases successives d’une sensation voluptueuse ? […] Il n’y a pas une pensée, si abstraite soit-elle en apparence, de Dante et de Goethe, d’où ne résulte pour le lecteur une sensation poétique ; il n’y a pas une image de Dante ou de Goethe qui ne découvre une pensée ; le mot qui chez eux veut enseigner enchante, et la parole qui veut séduire arrête la réflexion au passage et sert de point de départ à la méditation. […] Les sensations, se confondant par leur multiplicité même, égarent et troublent notre jugement, si bien que nous ne savons plus rapporter aucune de nos actions à son véritable principe.

1007. (1894) La bataille littéraire. Sixième série (1891-1892) pp. 1-368

Sensations d’Italie. — 1891. […] Paul Bourget vient de publier sous le titre fort exact de : Sensations d’Italie. […] J’ai trouvé pour ma part un grand charme dans cette conception qui incessamment ouvre l’esprit sur un nouvel aspect des choses par une comparaison inattendue, une analyse des sensations les plus ténues, et qui nous fait faire le tour du monde des idées humaines en trois cents pages. […] Quand on a fermé celui-ci, on reste longtemps sous l’impression reçue, et de sa lecture résulte pour l’esprit tout un réveil d’images et de sensations qui n’en est pas le moindre mérite. […] Maurice Barrès n’a d’ailleurs pas voulu emprisonner ses idées, ses sensations dans un plan, un scénario aux limites bien arrêtées.

1008. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Sa principale caractéristique est la démesure, car : 1° il met tout au superlatif et ne tient compte que de l’excès, dans toutes les catégories et dans tous les genres ; 2° il donne la prédominance au sentiment sur la pensée, à la sensation sur le sentiment, à l’expression verbale et syntaxique sur l’une et l’autre. […] Cherchez (parmi les plus célèbres) les auteurs d’oïl du siècle des lumières, qui vous donnent une telle sensation. […] Le style manquait de cette expressivité qui prouve et témoigne que la sensation, le sentiment, ou la pensée ont saisi, arraché le mot unique, ou le tour de phrase unique, entre la grappe des synonymes. […] Baudelaire est un aristo de la pensée, de l’inspiration, forte et courte (selon la juste remarque de Maurras) et de la sensation. […] Je m’explique : le conditionnement imposé de l’esprit, quel qu’il soit, d’origine kantienne, ou déterministe, ou comtiste, ou darwinienne, ou renanienne, procure très rapidement à l’esprit une sensation de pesanteur et de captivité, amène en lui un besoin de délivrance.

1009. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

L’article sur la reine Nantechild, publié dans la Revue (15 juillet 1832), fit sensation et presque événement par les vues neuves qui vêtaient exposées pour la première fois avec ensemble sur l’art du Moyen-Age, sur les diverses époques bien distinctes et les phases qu’il avait traversées.

1010. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Rossini chante des sensations et des ivresses ; il a plus de verve que de sensibilité : c’est le Boccace de la musique.

1011. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Et maintenant j’ai vu, écrit et parlé sans émotion, de sang-froid et sans plaisir, ou que bien peu, celui de la curiosité3, le moindre, le dernier dans l’échelle des sensations.

1012. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

La musique est la plus immaculée et la plus pure des sensations humaines.

1013. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Despréaux, avec une adresse perfide, se fait prier et supplier par un Père Jésuite de lui nommer l’unique moderne qui surpasse à son gré les anciens ; à ce nom de Pascal, si malignement retenu et brusquement lâché, stupeur du bon Père, qui gratifie d’une épithète injurieuse l’auteur des Provinciales ; là-dessus, voilà notre poète hors de lui, qui oublie son artificieuse ironie, et s’emballe à fond, criant, trépignant, et courant d’un bout de la chambre à l’autre, sans plus vouloir approcher d’un homme capable de trouver Pascal faux : cette merveilleuse page, dont je ne puis reproduire la couleur et la vie, donne la sensation de l’homme même : c’est bien lui, avec sa malice railleuse et sa sincérité passionnée, et toujours prenant trop au sérieux les idées pour s’en jouer avec la grâce indifférente de l’homme du monde, qui sacrifie sans hésiter n’importe quelle opinion à la moindre des bienséances.

1014. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série «  Leconte de Lisle  »

Sauf de rares exceptions, les épithètes appartiennent à l’ordre physique, rappellent des sensations, expriment des contours et des couleurs.

1015. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Tandis que l’homme de la sensation et de l’activité se satisfait de ce monde misérablement ébauché qu’il a devant les yeux, et que l’homme de l’intelligence cherche à le perfectionner, le poète s’indigne des lenteurs, et finit par n’avoir plus que des paroles d’ironie et des chants de désespoir.

1016. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

Le monde moral et le monde physique se confondent ; les sentiments sont des sensations ; les idées ont des contours ; l’abstrait prend un corps, et l’invisible même veut qu’on le voie.

1017. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Il y avait dans tout son corps, où régnaient les nerfs, une électricité que chaque sensation renouvelait et qui se communiquait à ses auditeurs.

1018. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Si nous considérons chez maints modernes compositeurs allemands, le désordre sans bornes, le gâchis des formes, par lesquelles si souvent ils nous gâtent la joie de beaucoup de beautés isolées, nous désirerions bien voir ces pelotes enchevêtrées mises en ordre par cette forme italienne fixe ; et en effet, si elle est, avec tous ses sentiments et sensations, entièrement coordonnée et saisie d’un ferme trait en une claire et convenante mélodie, l’instantanée et simple compréhension de toute une passion sera de beaucoup plus facile, que lorsque, par mille petits commentaires, par telle ou telle autre, nuance d’harmonie, par le timbre de tel instrument ou de tel autre elle aura été cachée et à la fin tout à fait subtilisée.

1019. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

* * * — L’amour dans le rêve qui est toujours charnel et toujours produit par un contact, un attouchement, a cela de curieux que, si vous prenez le sein d’une femme, c’est comme si votre cœur la pelotait et que dans la sensation sensuelle apportée par un songe aux gens, se mêle une idéalité d’une douceur, d’un céleste, d’un au-delà des sens physiques, d’un ravissement ineffablement spirituel.

1020. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Mardi 10 avril Le nez de Zola est un nez très particulier, c’est un nez qui interroge, qui approuve, qui condamne, un nez qui est gai, un nez qui est triste, un nez dans lequel réside la physionomie de son maître ; un vrai nez de chien de chasse, dont les impressions, les sensations, les appétences divisent le bout, en deux petits lobes, qu’on dirait, par moments, frétillants.

1021. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Sensation nouvelle et tonique, quand on est affadi depuis si longtemps par la bouillie tiède des publications modérées !

1022. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre III. De la logique poétique » pp. 125-167

La première méthode d’une philosophie grossière encore fut l’αὐτοψία, ou évidence des sens ; nous avons vu, dans l’origine de la poésie, quelle vivacité avaient les sensations dans les âges poétiques.

1023. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

L’expression toute fraîche des sensations originales affleure à la surface de cette science et ne perd rien à venir de si loin. […] Ennemi des analyses compliquées et subtiles, il assène sur l’amant d’Isabelle, d’Anna, de Tisbé, de Charlotte, de Mathurine, d’Elvire, un jugement considérable dont voici le principal chapitre : Quand on étudie bien le personnage, on reconnaît que c’est un naïf, un innocent, pour un peu je dirais un imbécile, car il faut être d’une naïveté plus qu’élémentaire, pour croire à la durée du plaisir… Quelques-uns se sont plu à voir en lui un idéaliste à la recherche de l’amour vrai, et commettant, de bonne foi, l’erreur de le chercher dans la sensation. […] On s’abandonne « à une sensation de solitude où se mêlent des souvenirs de Grande Armée ; une hallucination de crépuscule fait entrevoir des bataillons défilant sous la pluie oblique… » Tout en roulant, cahoté dans du foin, au fond d’un tarentass dont les roues sillonnent la poussière molle, on voit, « le long des prés, des moujiks en chemise rouge, par troupes de cent à cent cinquante, fauchant l’herbe, en se balançant tous ensemble d’une jambe sur l’autre… ». […] La sensation prochaine a guidé la main et le crayon sur les feuillets du carnet de voyage. […] Lui qui, en face des chefs-d’œuvre, éprouve des sensations si vives, si fines, il s’efforce méthodiquement de dissimuler ses impressions d’artiste.

1024. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

C’est un homme pâle, chétif, avec des yeux qui clignotent à la lumière, et dont l’aspect, d’une douceur féline, vous cause je ne sais quelle sensation de froid et de tombe ; au demeurant, de mœurs douces et polies, et assez instruit pour savoir que, en dehors de l’antre qu’il habite, il existe de l’air, de la chaleur et de la lumière. […] L’élégance, le charme, la fraîcheur des motifs pénètrent la sensation de l’auditeur, mais ne la remuent pas ; or, le talent de Verdi est avant tout essentiellement dramatique ; donc mettre sur le premier plan les qualités tempérées de l’œuvre, c’est déplacer adroitement le succès. […] On aura beau faire et béait écrire le jugement en matière d’art est dominé par la sensation ; il l’explique, la coordonne et ne la supplée en aucun cas.

1025. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Il me semblait que la mort menaçait mon père, mes enfants, mes amis, et ce sont des sensations de ce genre qui doivent préparer le désordre des facultés morales. […] « Je ne résisterai point à deux lettres de vous, et je tâcherai d’oublier celle qui en effet a produit sur moi la plus vive sensation que j’aie éprouvée de ma vie. — Je ne vous avais point accusé de n’être pas venu me voir : quand vous vous y étiez refusé, je ne croyais pas au nouveau paroxysme de persécution que j’ai souffert.

1026. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

Penser que c’est la réunion des esprits les plus libres de la France, et cependant en dépit de l’originalité de leur talent, quelle misère d’idées bien à eux, d’opinions faites avec leurs nerfs, avec leurs sensations propres, et quelle absence de personnalité, de tempérament ! […] De temps en temps le tournoiement du lustre descendu et le souffle du lampiste dans les verres, donnant la sensation de la sonnerie d’un collier de petit chien.

1027. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome I

Nous touchons avec la main les deux côtés de la face et les deux oreilles du lapin, et nous jugeons avec la plus grande évidence, par la simple sensation, que, loin d’être abaissée, la température s’est au contraire considérablement accrue à gauche, du côté où nous avons coupé le nerf sympathique. […] Et vous voyez que chez ce lapin, où nous l’injectons, il ne se produit aucun mouvement ni aucun cri indiquant une sensation douloureuse. […] Il a vu aussitôt après l’opération les animaux manifester les mêmes signes de dégoût que si la substance eût été mise directement sur la muqueuse buccale ; et, de même, si l’on injecte du bouillon dans les veines d’un chien, on le voit aussitôt se lécher les lèvres avec une sensation agréable. […] Il serait intéressant de savoir si les diabétiques qui ont du sucre dans la salive sont précisément ceux qui accusent une sensation sucrée dans la bouche.

1028. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Et ceci n’est-il pas curieux : De 1796 à 1804, l’Arioste ne me faisait pas sa sensation propre. […] C’est peut-être qu’il y a rencontré la plus vive sensation de dépaysement, dans les conditions les moins onéreuses, j’entends aux portes de l’Europe, chez une race moins différente de la nôtre et civilisée aussi à sa manière.

1029. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

La moderne philosophie, c’est-à-dire, la profession ouverte d’incrédulité pour toute révélation, pour tout espoir d’une autre vie, a dû nécessairement relâcher les liens de tous les devoirs de la société actuelle, réduire le catéchisme des gens comme il faut à leur bien-être personnel, et substituer au sentiment moral des sensations physiques. […] Quoique j’eusse alors vingt et un ans, et que, d’après les études que j’avais faites, je ne fusse pas tout à fait incapable de juger, je ne jugeai point ; je m’abandonnai aveuglément aux sensations que j’éprouvais.

1030. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Elle n’était pas vive, preste et courante ; elle a une certaine lenteur ; les incises, les parenthèses et les car trop répétés, sans donner la sensation du traînant, font longueur pourtant, et sentent jusqu’à un certain point la négligence. […] Elle est celle qui « d’une tremblante horreur fait hérisser la peau » ; et, certes, cette sensation, chez Villon comme chez Gautier, peut être inspiratrice de très beau vers pittoresques, patibulaires et macabres. […] Dieu a affolé la sagesse humaine pour confondre la gloire des sages. » Il ne suffit pas de concevoir l’infini, et de tirer de cette pensée la conviction que nons ne sommes pas libres ; il faut s’y perdre avec joie et sentir alors qu’on n’est que goutte d’eau dans l’océan, et cette sensation devient aussi habituelle en nous que l’était celle de tou. à l’heure qui nous persuadait que nous étions une force.

1031. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Pour varier ses propres sensations et celles du lecteur, il pose de curieux problèmes : Que deviendraient la Claudie de George Sand et ses paysans idéalisés entre les mains de M. de Maupassant ? […] Ils concentraient toute leur attention sur les pensées et les sentiments de l’homme ; donc n’essayez pas de rendre ses sensations et croyez fermement que la psychologie est le tout d’un romancier ou d’un poète dramatique, à condition que cette psychologie soit conforme à la formule de Descartes, Racine et Cie. […] Ainsi encore Baudelaire le charme par la subtilité avec laquelle ce voluptueux mystique a su analyser ses sensations ; ne dites pas à M.  […] Ce penseur, ce philosophe, est une vraie sensitive, un être délicat, gourmet de sensations fines comme de sentiments rares et subtils.

1032. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Rousseau, ainsi que plusieurs opuscules de cette première adolescence de mademoiselle Necker, n’eurent pas besoin de l’indulgence due à son âge et de la courtisanerie des familiers de son père pour faire sensation dans le monde lettré à Paris.

1033. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

Telle était la femme que l’enthousiasme pour ses œuvres rapprocha de Michel-Ange à l’âge où l’amour, qui se retire du cœur, laisse un vide qui ne peut être rempli que par ces dernières amitiés, presque aussi divines que nos premières sensations.

1034. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

« Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives que j’éprouvais dans mes promenades ?

1035. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

Et le nouveau, c’est la nouveauté extérieure, c’est la sensation nouvelle, l’apparence encore non rencontrée : ce public ne creuse pas, ne prolonge pas ses impressions par ses pensées : il ne voit pas au-delà de la forme particulière et sensible.

1036. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

« Aujourd’hui comme hier, il y a des gens capables de lire et de comprendre, mais à condition qu’on leur offre des idées véritablement nouvelles et des sensations d’art originales.

1037. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Progrès inconscient peut-être, mais naturel : l’enjambement n’a sa raison d’être qu’avec la mesure syllabique dont il cherche à combattre la monotonie ; il ne peut que nuire aux rythmes, — hors des cas particuliers pour lesquels, encore une fois, la sensation ainsi exprimée justifie l’exception ; — car, au développement naturel des mouvements qu’elle contient doit s’allier le développement naturel de la période.

1038. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Nous sommes les gardiens de ces demeures remplies d’or : le roi Xerxès, notre seigneur, nous a confié la garde de son royaume, les autres Perses étant partis pour attaquer la terre de l’Hellade. » Ce sont bien, en effet, les custodes d’un empire vide ; une sensation lugubre d’isolement attriste leur chant : on les voit errer par la ville déserte, comme dans le lit d’un fleuve desséché.

1039. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Si vous avez jamais eu pitié de l’agonie d’une fleur ou de l’évaporation d’un parfum, si la matière, languissante et blessée sous une forme exquise, a parfois éveillé en vous une de ces vagues sympathies qui ferait croire à des affinités inconnues, vous comprendrez peut-être l’étrangeté de cette sensation confuse.

1040. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Première leçon »

D’un côté, on vous recommande de vous isoler, autant que possible, de toute sensation extérieure, il faut surtout vous interdire tout travail intellectuel ; car, si vous étiez seulement occupés à faire le calcul le plus simple, que deviendrait l’observation intérieure ?

1041. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

Pour sentir combien ce besoin est profond et impérieux, il suffit de penser un instant aux effets physiologiques de l’étonnement, et de considérer que la sensation la plus terrible que nous puissions éprouver est celle qui se produit toutes les fois qu’un phénomène nous semble s’accomplir contradictoirement aux lois naturelles qui nous sont familières.

1042. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Mais, en outre, cette élaboration elle-même n’est pas sans analogies avec celle qui se produit dans chaque conscience individuelle et qui transforme progressivement les éléments primaires (sensations, réflexes, instincts) dont elle est originellement constituée.

1043. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

La philosophie de la sensation, qui commence par le nez dans le Traité de Condillac, cette prise de tabac philosophique, a fait éternuer trop voluptueusement M. 

1044. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Comme ce sentiment est inconscient et rapide, il est de ceux que Loti a le mieux éprouvés ; son âme mobile, peu capable d’impressions durables, est sans cesse agitée par de petits frissons, et c’est là encore une cause de mélancolie, que cette infinité de sensations courtes et heurtées comme ces petites lames dures que craignent les marins. […] Tenez, ce que je vais dire est à peu près inintelligible ; je le dirai tout de même parce que cela répond à une sensation vraie. […] Je pourrais me plaindre amèrement d’un écrivain qui veut m’éblouir par les scintillements perpétuels d’un style à facettes et qui m’agace les nerfs en voulant me procurer sans trêve ni repos des sensations neuves, d’une excessive ténuité. […] Cette déchéance à laquelle, ne craignons point de le dire, la philosophie et la science modernes consentent avec une grave mélancolie, n’est-il pas singulier de l’entendre proclamer par ces artistes épris de vérité et tout frémissants de sensations vives, de perceptions nettes, de visions immédiates, enfin ivres, furieux et frénétiques de naturel, renversant le sentimentalisme séculaire.

1045. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

» Berendsen m’apporte aujourd’hui, traduit en danois, le volume d’Idées et sensations. […] La montée en ascenseur : la sensation d’un bâtiment qui prend la mer ; mais rien de vertigineux.

1046. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre III. L’Âge moderne (1801-1875) » pp. 388-524

Quelques grands vers de Leconte de Lisle : Le vent respectueux, parmi leurs tresses sombres, Sur leur nuque de marbre errait en frémissant, Tandis que les parois des rocs couleur de sang, Comme de grands miroirs suspendus dans les ombres, De la pourpre du soir baignaient leur dos puissant, … quelques pages de Flaubert, — le Comice agricole d’Yonville-l’Abbaye, dans Madame Bovary, la description de la forêt de Fontainebleau dans L’Éducation sentimentale ; — quelques pages de Taine ou de Renan, entre lesquelles on n’aurait que l’embarras du choix, nous ont rendu la sensation du « définitif » et de l’« achevé ». […] Ernest Daudet, La Police et les Chouans sous l’Empire] ; — si les soudards de la Restauration se montrent quelque part à nous, c’est dans un Un ménage de garçon ; — et pour voir revivre à nos yeux les bourgeois censitaires du temps de Louis-Philippe, nous n’avons qu’à rouvrir César Birotteau ou La Cousine Bette. — Il convient d’ajouter que les moyens dont il a usé, sont encore ceux de Walter Scott ; — « états des lieux », inventaires, descriptions précises, minutieuses et pittoresques des mobiliers et des costumes ; — « localisation » des mœurs provinciales et des milieux parisiens ; — « généalogie », physiologie, psychologie détaillée de ses moindres personnages ; — « rattachement », par brèves indications, de leur histoire particulière à l’histoire générale de leur temps ; — et généralement tout ce qui manque, à cet égard, — dans Volupté ; dans Valentine ou dans Indiana ; — dans Adolphe. — C’est le premier mérite de Balzac, et déjà un mérite unique. — Il a été non seulement le « peintre », mais « l’historien » des mœurs de son temps ; — dont il a non seulement saisi la physionomie, — mais fixé la succession ou le mouvement même. — Et, tandis que Walter Scott a besoin, pour nous donner la sensation de la diversité des temps, — d’en être lui-même séparé par d’assez longs intervalles, — Balzac nous a rendu les traits distinctifs des trois ou quatre générations d’hommes que l’on peut fréquenter dans le cours d’une seule vie. […] L’Épopée du Ver ; — Pleurs dans la nuit ; — La Trompette du jugement], le poète trouve alors des images et des accents inconnus ; — il rejoint les Eschyle ou les Isaïe ; — et de son obscurité même se fait un moyen d’action. — Seulement, c’est là que l’on voit la vérité de la parole célèbre que : — « du sublime au ridicule il n’y a qu’un pas » ; — et ce pas, Hugo le franchit dans Le Pape ; — L’Âne ; — Religions et Religion ; 1878-1880 ; autant d’œuvres illisibles ; — qui n’ont même plus pour elles cette obscurité sous laquelle on cherchait un sens ; — qui ne nous procurent plus seulement la sensation de l’énorme ou du gigantesque ; — mais celle du vide ; — et dont l’unique originalité, si c’en est une, est d’être « frénétiquement banales ». — On en verra la raison tout à l’heure ; — et quand on aura vu d’abord combien la banalité de quelques-unes des idées d’Hugo a contribué à sa popularité. — Il faut d’ailleurs faire attention que ce qu’il y a de successif dans ces trois manières, — ne l’est que relativement ; — et que, s’il se retrouve jusque dans L’Âne des restes du poète des Orientales, — il y avait déjà, dans l’auteur des Feuilles d’automne, — des commencements de celui de Religions et Religion. […] 2º Le rôle de Baudelaire ; — et qu’il est tout à fait posthume. — Les Fleurs du mal elles-mêmes auraient passé presque inaperçues, — sans l’espèce de condamnation qui leur valut dans leur nouveauté une popularité de mauvais aloi. — Mais sa mort, en 1867, ayant ramené l’attention sur Baudelaire, — et levé le scrupule que beaucoup de gens eussent eu de son vivant à se dire son admirateur ou son disciple, — c’est à partir de ce moment qu’il a exercé, — et qu’il exerce encore une influence réelle, — dont on peut réduire l’action à trois points. — Il a réalisé cette poésie morbide, — qu’avait rêvée Sainte-Beuve au temps de sa jeunesse, — et dont le principe est l’orgueil d’avoir quelque maladie plus rare ou plus monstrueuse. — Il a découvert ainsi et exprimé quelques rapports, — dont le caractère maladif est relevé par l’acuité des sensations qu’ils procurent ; — et aussi par la brutalité même des mots dont on a besoin pour les exprimer. — Et enfin, en s’attachant à l’expression de ces rapports, — il a inauguré le symbolisme contemporain ; — si ce symbolisme consiste essentiellement dans le mélange confus du mysticisme et de la sensualité. — La question qui se pose d’ailleurs sur ces « innovations » — est de savoir jusqu’à quel point l’auteur en fut sincère — et si toute une école n’a pas été la dupe d’un dangereux mystificateur.

1047. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Ne vous étonnez pas, messieurs, que la pétition et le rapport dont elle a été l’objet aient produit une sensation profonde.

1048. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Quelle plus vile profession de foi d’un matérialisme absolu, réduisant toute la sociabilité, même celle de l’amour, de la génération et du sang, à la grossière sensation de la peine, du plaisir, ou des besoins physiques dans le père, dans la mère, dans l’enfant, blasphème qui donne pour toute moralité à cette trinité sainte de la famille, quoi ?

1049. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Il se sentit soulagé de la confusion de ses idées et de l’incertitude de ses jugements par ce mode de dialogue ; et, bien qu’il soit resté sensible, et qu’il soit devenu homme d’esprit par la longueur de ses détentions, et par ses pensées retournées en dedans à force de rêveries, il fut heureux de n’avoir pas à faire lui-même le triage formidable de sensations et de raisonnements dont il avait eu peur à ma première proposition, et il me dit : « Parlez, Monsieur ; je ne saurais pas parler, mais je saurai peut-être répondre. » « — Eh bien !

1050. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

Avec des sens plus délicats, plus impressionnables, plus raffinés ; avec des sensations plus vives et plus pénétrantes ; avec un goût plus délicat, que tous les objets dont il est entouré blesseraient ou ne pourraient satisfaire ; obligé de vivre toujours dans une sphère qui répugnerait à la perfection de ses organes, il vivrait de souffrance, ou périrait de désir ».

1051. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Il a su transmuter la substance de tout en substance poétique, ce qui est la condition expresse et première de l’art, l’unique moyen d’échapper au didactisme rimé, cette négation absolue de toute poésie ; il a forgé, soixante années durant, des vers d’or sur une enclume d’airain ; sa vie entière a été un chant multiple et sonore où toutes les passions, toutes les tendresses, toutes les sensations, toutes les colères généreuses qui ont agité, ému, traversé l’âme humaine dans le cours de ce siècle, ont trouvé une expression souveraine.

1052. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Il y donne la même définition de la philosophie, et y comprend de même les sciences ; il distingue, dans nos sensations, les phénomènes de l’esprit et ceux du corps ; il assigne la même origine à nos idées, et trouve dans l’entendement des idées supérieures aux idées sensibles ; il donne la même preuve de l’existence de Dieu ; il reconnaît, comme Descartes, la souveraineté de la raison dans toutes les opérations de l’esprit, dans l’appréciation du vrai et du faux, dans la conduite de la vie.

1053. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Cette vision des gestes désordonnés de Klingsor, de cette forme immobile et bleuâtre, de ces vapeurs sur ce fond noir, suffit à imprimer au spectateur une sensation d’horreur et de trouble.

1054. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IV »

Or, les sensations intimes, les émotions vraies, les croyances, nous les gardons imo in pectore.

1055. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

On voit double et triple en le contemplant, il se multiplie dans la vapeur d’ivresse qui l’entoure ; toutes les sensations diverses qu’il inspire, enthousiasme ou fureur, délire ou effroi, le suscitent sous un aspect différent.

1056. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1876 » pp. 252-303

En remontant la rue de Clichy, il nous parle de plusieurs projets de nouvelles, dont l’une serait les sensations dans la steppe, d’un vieux cheval ayant de l’herbe jusqu’au milieu de la poitrine.

1057. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Nanine fait la même sensation au théâtre, que Pamela dans le roman de son nom.

1058. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre II. La poésie lyrique » pp. 81-134

Peu de poètes ont atteint comme elle aux limites exaspérées du songe et de la sensation.

1059. (1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Petit glossaire »

. — Qui fait éprouver des sensations de froid, l.

1060. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Il n’y a que les blasés du xviiie  siècle, les écœurés de plaisir de ce temps libertin, qui aient pu donner du génie à Rousseau, à ce déclamateur qui parlait parmi eux de vertu comme Diogène ou Antisthène chez Laïs, et par reconnaissance d’une sensation nouvelle qui leur paraissait piquante.

1061. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Une philosophie nouvelle, celle de Locke et de Condillac, la philosophie de la sensation, comme on l’appelle d’ailleurs assez improprement, aurait alors suscité une nouvelle littérature : celle de Voltaire et de Montesquieu, de Diderot et de Rousseau, de d’Alembert et de Condorcet. […] ou la théorie de la sensation transformée à celle des idées innées ?

1062. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Tous leurs sentiments, toutes leurs idées, toutes leurs sensations aboutissent au livre. […] Edmond de Goncourt se reconnaît justement, et cette notation minutieuse des sensations qui est le caractère le plus saillant de l’œuvre des deux frères. […] Elle sent profondément la poésie d’Homère. « Personne, il me semble, ne peut, dit-elle, échapper à cette adoration des anciens… Aucun drame moderne, aucun roman, aucune comédie à sensation de Dumas ou de George Sand ne m’a laissé un souvenir aussi net et une impression aussi profonde, aussi naturelle que la description de la prise de Troie.

1063. (1874) Histoire du romantisme pp. -399

En causant avec lui, on avait la sensation de feuilleter les Songes drolatiques de Rabelais. […] Entre autres paradoxes, il prétendait qu’il faut arroser les langues latines avec du vin et les langues anglo-saxonnes avec de la bière, et il assurait que, pour sa part, il devait au stout et à l’extra-stout des progrès étonnants, cette boisson, si foncièrement anglaise, le faisant entrer dans l’intimité du pays, lui causant des sensations, lui suggérant des idées inconnues aux Français et lui révélant des nuances d’interprétation insaisissables pour tout autre. […] La couleur s’entasse à l’endroit qui est le point central de l’action, car, avant tout, Delacroix veut donner la sensation de la chose qu’il représente dans son essence même, et non dans sa réalité photographique. Le but de l’art, on l’a trop oublié de nos jours, n’est pas la reproduction exacte de la nature, mais bien la création, au moyen des formes et des couleurs qu’elle nous livre, d’un microcosme où puissent habiter et se produire les rêves, les sensations et les idées que nous inspire l’aspect du monde.

1064. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Il est sensuel, curieux et avide de mettre dans sa vie le plus de sensations neuves possible, et c’est déjà le libertin, mais le libertin jeune dont le libertinage ne vient pas de la méchanceté, ou dont la méchanceté est encore à l’état latent : « Quoi ? […] Ce qui le prouve, c’est et son émotion et qu’il n’y cède pas ; son émotion, il est bien loin de ce qu’il était quand tout amour satisfait était pour lui enterré à jamais ; — qu’il n’y cède pas, son cœur est assez desséché pour qu’à la fois il ne soit plus touché que par choc en retour du passé et pour que, en présence d’une sensation nouvelle, il ne bondisse pas sur elle, comme il faisait autrefois, et dise : « A quoi bon ? 

1065. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Il en résulte une sensation de ralentissement. […] Mounet-Sully à la même époque, ne m’a donné une sensation d’art pareille. […] Romain Coolus L’Enfant Malade C’est ennuyeux de vieillir : on n’a pas de sensations nouvelles. Les sensations d’aujourd’hui ne sont jamais qu’un rappel, comme disent les distributions des Concours régionaux, des sensations les plus anciennes de votre existence. […] Et il a fallu que, lisant l’Enfant malade, j’eusse, bon gré mal gré, des sensations de 1834.

1066. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

Cousin, pour désigner l’école adverse du xviiie  siècle qui rattachait les idées aux sensations, l’a dénommée l’école sensualiste. […] Produire ses idées avec tout un appareil brillant et sonore, et les voir à l’instant courir le monde, c’est encore plus enivrant que de penser tout seul dans son cabinet ; Lamartine s’excite donc et s’enivre, chaque matin, de cette improvisation facile et brillante qui lui donne la sensation de sa fécondité inépuisable et lui rend l’illusion de la jeunesse.

1067. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Depuis l’Amibe, qui lance au hasard ses pseudopodes pour saisir les matières organiques éparses dans une goutte d’eau, jusqu’aux animaux supérieurs qui possèdent des organes sensoriels pour reconnaître leur proie, des organes locomoteurs pour aller la saisir, un système nerveux pour coordonner leurs mouvements à leurs sensations, la vie animale est caractérisée, dans sa direction générale, par la mobilité dans l’espace. […] Or, un système nerveux étant, avant tout, un mécanisme qui sert d’intermédiaire entre des sensations et des volitions, le véritable « système nerveux » de la plante nous paraît être le mécanisme ou plutôt le chimisme sui generis qui sert d’intermédiaire entre l’impressionnabilité de sa chlorophylle à la lumière et la production de l’amidon.

1068. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Il imagine et emploie, pour traduire une idée dramatique, les jeux de scène et les sensations visuelles concurremment avec les mots, et cela sans effort. […] Oui, on dirait parfois que les personnages du drame romantique ont des sensations d’enfants de trois ans, et qu’ils découvrent, stupéfaits et charmés, la civilisation où ils vivent. […] Georges Rodenbach est le poète qui s’est appliqué à saisir et à fixer le plus de « correspondances » entre les sensations de l’ouïe et celles de la vue et à prêter aux choses, surtout aux humbles et aux vieilles choses, la vie la plus minutieusement humaine (cela va communément chez lui jusqu’à une sorte d’hallucination, un peu laborieuse). […] Il procède directement de Baudelaire ; mais c’est un baudelairien chaste et sans perversité ; il n’a emprunté au poète des Fleurs du mal que sa piété, — et l’art d’établir des échanges entre les divers ordres de sensations. […] Pascal dit : « On est tout étonné et ravi quand, « s’attendant de voir un auteur, on trouve un « homme. » Ainsi, je m’étais attendu à voir des comédiens plus ou moins habiles, et j’avais tout à coup la sensation délicieuse de reconnaître des gens de mon monde, des amis et des petites camarades que j’avais perdus de vue, et que la police me rendait.

1069. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

» Aujourd’hui, de juges compétents ou non, il y en a moins, il est vrai, que du temps de Chénier ; peut-être même n’y en a-t-il plus du tout, chacun s’en rapportant à son goût, à son instinct, et se souciant très peu d’exprimer sa sensation sous la forme d’un jugement pour l’imposer aux autres ; mais les auteurs, à quel point ne se sont-ils pas multipliés ! […] La multitude a soif d’émotions et cherche avidement dans tout ce qui est neuf une sensation qu’elle n’ait pas encore éprouvée ; par la force même des choses, l’art s’est transformé en une industrie, la première et la plus noble de toutes par son objet. […] Son premier volume, intitulé les Cariatides, porte la date de 1841, et fit sensation. […] Chaque tableau donne la sensation vivante, profonde et colorée d’une époque disparue.

1070. (1888) Portraits de maîtres

Réserves faites pour La Fontaine, dans une période d’ailleurs si riche et si grande, aucun poète, aucun prosateur ne témoigne le sentiment des beautés visibles de l’univers, des monts où des traces divines et primitives semblent encore imprimées, des flots qui suggèrent une image de l’infini, des bois d’où Tacite rapportait l’impression d’un secret et la sensation d’un mystère, des deux qui, selon la parole du psalmiste, racontent la gloire de Dieu. […] Son discours sur le retour des cendres de Napoléon Ier ne donne pas seulement les sensations d’un chef-d’œuvre oratoire, mais une expression souveraine de la justice historique et de la clairvoyance du patriote. […] Ici avec une hardiesse d’invention que le panthéisme d’Alexandrie eût enviée, et qui avait eu seulement ses promoteurs dans le Lamartine de la Chute d’un Ange et le Quinet d’Ahasvérus, Laprade associait un chœur invisible à toutes les émotions, à toutes les sensations de Psyché. […] Les jeunes enthousiastes souffrirent cruellement de ces coups d’épingle plus redoutables parfois que des coups d’épée ; ils durent tout emporter de haute lutte, mais après avoir au début joué forcément ce rôle d’incompris qui laisse parfois des ressouvenirs amers et de cruelles cicatrices, Edgar Quinet, comme beaucoup de ses contemporains, éprouva d’abord cette sensation pénible et se reconnut isolé même dans les maisons où on l’accueillait en parent et en ami.

1071. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Dans un projet de sermon sur le péché d’habitude, Bossuet l’a dit magnifiquement : « Il faut remédier à toutes les plaies de l’âme par la douleur et, par conséquent, tout connaître. » Le livre premier du Traité de l’Oraison par Nicole a pour titre : « Que les pensées seules ne sont point oraison. » De quel regard des gens de cette formation eussent-ils considéré un des leurs qui fût venu leur raconter : « Chaque soir je me mets à ma table pour anatomiser par le menu mes moindres sensations de la journée. […] Quand on demandait à Wellington ses souvenirs de Waterloo, il répondait : « C’est la journée de ma vie où j’ai le plus regardé ma montre. » Mot qui fait, dans l’ordre grandiose, pendant à celui de l’aviateur qui venait de traverser la Manche : « Quelles sensations vous avez dû éprouver, perdu entre l’infini du ciel et celui de la mer !  […] Cette loi de 1845 est la preuve qu’à cette date, le goût des « paradis artificiels », comme disait Baudelaire, ne dépassait pas un très petit cercle de chercheurs de sensations rares. […] Courtois-Suffit dénonce très finement cette analogie : « Sans pourtant établir un parallèle péremptoire entre l’abus des stupéfiants dans un certain monde artistique et les productions plus ou moins étranges qu’il nous a été donné d’apprécier, tant en peinture qu’en musique, on peut se demander, en considérant d’une part les manifestations d’art d’une fantaisie spéciale, si la recherche des sensations inédites par l’emploi de la morphine et de la cocaïne n’a pas produit dans le milieu des artistes une déformation spéciale de la conception, une aberration générale des sens et plus particulièrement de la vision et de l’ouïe… » En effet tous les dilettantismes s’apparentent.

1072. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

C’est le point de départ des mathématiques qu’il donne aux sciences morales, lorsqu’il pose que la sensation est un mouvement interne causé par un choc extérieur, le désir un mouvement interne, dirigé vers un corps extérieur, et lorsqu’il fabrique avec ces deux notions combinées tout le monde moral. C’est la méthode des mathématiques qu’il donne aux sciences morales, lorsqu’il démêle comme les géomètres deux idées simples qu’il transforme par degrés en idées plus complexes, et qu’avec la sensation et le désir il compose les passions, les droits et les institutions humaines, comme les géomètres avec la ligne courbe et la ligne droite composent les polyèdres les plus compliqués. […] Il réduisait les jugements à « l’addition de deux noms », les idées à des états du cerveau, les sensations à des mouvements corporels, les lois générales à de simples mots, toute substance au corps, toute science à la connaissance des corps sensibles, tout l’être humain à un corps capable de mouvement reçu ou rendu562, en sorte que l’homme, n’apercevant lui-même et la nature que par la face méprisée, et rabattu dans sa conception de lui-même et du monde, pût ployer sous le faix de l’autorité nécessaire et subir enfin le joug que sa nature rebelle refuse et doit porter.

1073. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Qu’on juge des sensations que l’amant d’Éléonore dut éprouver lorsqu’après douze ans de silence, il reçut ce message, au moment de son départ, par cette négresse !

1074. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Attendez la saison d’hiver où un livre est une société toujours bienvenue au coin du feu ; attendez surtout la saison d’été, où un compagnon est agréable pour répercuter en vous les douces sensations du soleil, de l’ombre des bois, des eaux, de la montagne, de la mer ; achetez cette délicieuse miniature d’Horace illustrée par les Didot ; asseyez-vous à la lisière de vos bois au bord du ruisseau, sous les saules où les oiseaux gazouillent à l’envi de l’onde, et lisez, et prenez les heures comme elles viennent, et dites, comme Horace : Carpe diem, saisissez le jour, tout est pour le mieux, pourvu qu’on ait les pieds au soleil et la tête à l’ombre !

1075. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIIIe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (2e partie). Littérature de l’Allemagne. » pp. 289-364

Souvent ce vieillard, autrefois énergique, brillant et laborieux, se laissa aller à de sérieuses contemplations qui prirent chez lui la douceur d’émouvantes sensations.

1076. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Je revois sans cesse les mêmes objets, et c’est une sensation d’horreur qui surpasse tous mes autres maux.

1077. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

La délicatesse est dans le mécanisme intellectuel et à la surface des manières : le tempérament reste robuste, ardent, grossier, largement, rudement jovial, d’une gaieté sans mièvrerie, où la sensation physique et même animale a encore une forte part.

1078. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Ou l’homme exprimera directement, mais très imparfaitement, par le langage abstrait, le résultat de sa vie intérieure ; Ou il ira puiser dans le monde extérieur, à la source commune des impressions, dans l’océan de vie où tous nous sommes plongés, des images capables de donner par elles-mêmes les sensations, les sentiments, et jusqu’aux jugements qu’il veut exprimer.

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