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754. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Cette propriété, cette équivalence exacte de la pensée et de l’expression, font qu’on ne conçoit point que l’écrivain, pensant ainsi, eût pu s’exprimer différemment, et qu’il semble à tous que, le fond étant tel, la forme devait être telle aussi par une inévitable conséquence.

755. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Mais on conçoit sans peine que la société cléricale, en vertu du principe qui régit son activité et lui fixe son objet, ne lasse œuvre de littérature que par exception, ou par accident ; elle a autre chose à faire eu général, que de réaliser la beauté pour le plaisir de l’esprit.

756. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Chirurgie. » pp. 215-222

On conçoit, en voyant faire l’opérateur, un ordre d’activité qui vous est complètement étranger, — aussi étranger que celui du grand compositeur ou du grand mathématicien.

757. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Desbordes-Valmore, Marceline (1786-1859) »

Goût de l’amour dès l’enfance, avant même de se douter de ce qu’est l’amour ; sentiment un peu sanglotant de la nature ; aspiration à se dévouer sans relâche, avec un secret contentement de souffrir pour son dévouement ; félicité de la meurtrissure sentimentale, optimisme extraordinairement vivace, abrité du scepticisme comme par une ouate de mélancolie douce… Ajoutez à ces dons naturels la vie la plus romanesque, romanesque jusqu’à l’invraisemblable, une gageure du destin tenue et gagnée contre les caprices de l’imagination : l’héritage sacrifié à la foi religieuse, les voyages tragiques, la guerre, la tempête, la séduction, l’abandon, le théâtre avec le succès d’abord, et bientôt la perte de la voix, la misère, la mort de l’enfant adoré, de quoi défrayer vingt romans conçus avec quelque économie.

758. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Il la recommande aux Romains ; la politesse exquise de son esprit en avait conçu les lois : mais la chose était hors des mœurs générales ; le mot décence n’existait même pas ; pour l’en tenir lieu, Cicéron emploie cette locution : quod decet .

759. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

Le crime étant presque toujours conçu par la nuit, dont il est souvent appelé le fils dans le langage primitif, c’est l’Aurore qui le dénonce, qui fait paraître à terre le sang répandu, qui allonge son flambeau céleste sur le cadavre étendu au bord du chemin.

760. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

Mais on conçoit très bien, et il y a une phonétique pure qui, faisant abstraction de toute sémantique, constate simplement la généalogie des sons, leurs mutations, leurs influences réciproques.

761. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — S’il est plus aisé, de faire une belle action, qu’une belle page. » pp. 539-539

Je conçois mille circonstances où la vie et la fortune ne me seraient pas d’un fétu, et j’ai assez vécu pour savoir que je ne m’en impose pas… » Tous les hommes et toutes les femmes vous en diront autant, et si vous y réfléchissez, vous trouverez qu’un sauvage, un paysan, un homme, une femme du peuple, une bête est plus voisine d’une action héroïque qu’un D’Alembert, un Buffon ou quelque autre membre illustre d’une académie.

762. (1883) Le roman naturaliste

Daudet, ainsi conçu, soit encore, tout compte fait, aussi fortement composé. […] Et concevez-vous clairement ce que ce peut bien être que d’aimer en ébéniste, ou de souffrir en marchande des quatre-saisons ? […] Ce n’est pas après cela que l’on ne conçoive aisément son impatience et son irritation. […] Ajoutez que, depuis trop longtemps, nous ne concevons ni l’art ni la littérature comme choses faites pour l’homme ; mais, au contraire, c’est l’homme que nous concevons comme une matière livrée par la nature à l’art. […] Concevez-vous cependant quelque chose de plus artificiel ?

763. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

C’est pourquoi il faut se réjouir de voir paraître une nouvelle encyclopédie, conçue dans un esprit vraiment scientifique. […] Je ne puis concevoir ce que c’est que l’impressionnisme. […] C’était la condition nécessaire du fakirisme, tel qu’on le concevait alors. […] Il concevait le poète comme un nouveau Moïse sur le Sinaï des âmes. […] Il est conçu et exécuté d’une façons originale.

764. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Mais, ce que je concevais moins que tout le reste, c’est qu’on pût voir une telle créature sans l’aimer mortellement. […] Mais on conçoit moins bien que M.  […] Son esprit ne concevait pas qu’on pût être faussaire même par fantaisie d’art et pour amuser les badauds. […] Quoi qu’il en soit, ces sermons, très abrégés, ne font pas concevoir l’éloquence du franciscain. […] Il est heureux ; il est immortel s’il a conçu sa propre immortalité.

765. (1890) Nouvelles questions de critique

Comme Pascal, avec la faculté de concevoir les ensembles, Bossuet avait le goût et le souci du détail. […] Le Petit, et les raisons s’en conçoivent sans peine. […] Concevez-vous George Sand écrivant l’Éducation sentimentale ? […] Concevez-vous Courbet, l’autre Gustave, peignant l’Apothéose d’Homère ? […] On dit alors d’une phrase qu’elle est bien construite et d’un livre que le plan en est bien conçu.

766. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Le gouvernement de la Restauration, dont il avait la petite vanité de se croire l’un des soutiens, lui fit attendre aussi neuf ans ses galons de capitaine ; et j’en conçois son dépit. […] J’ose affirmer qu’elles n’en auraient jamais pu concevoir la pensée sans la complicité de l’universelle persuasion que la vie est mauvaise. […] Tel que l’a conçu M.  […] Or, elle n’existe évidemment comme forme qu’autant qu’elle est, non point du tout pensée ou conçue, mais effectivement « perçue » comme forme. […] Mais s’ils ont du talent, comme ce talent consiste en une manière de voir, de concevoir, de rendre la nature et la vie, qui leur est personnelle ou exclusive à chacun, oh !

767. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Les hypnotisés ont souvent conscience de la folie des choses qu’on leur fait faire ; ils peuvent voir de fortes objections à l’acte suggéré et ne concevoir aucun motif plausible pour l’accomplir, mais, dit M.  […] On conçoit donc que le sujet puisse, comme le sourd-muet, mais avec beaucoup plus de délicatesse, discerner ces mots presque articulés, en observant les mouvements extérieurs que détermine chez l’hypnotiseur le jeu très atténué des organes de la parole191. […] On conçoit aussi que, sous une excitation demi-hypnotique, des souvenirs réels surgissent, en forme d’apparition, des profondeurs de la mémoire. […] Selon nous, une science plus avancée fera reconnaître que la conscience est, pour ainsi dire, essentiellement polarisée, alors même que les deux pôles, moi et non-moi, ne sont pas conçus par l’intelligence dans leur essentielle antithèse. […] Le jugement d’attribution est, nous l’avons vu, en germe dans toute image, mais il n’y est qu’en germe, et on peut concevoir qu’une vibration en un point isolé du cerveau, le reste étant comme paralysé, aboutisse à une image sans attribution consciente au moi, presque suspendu en l’air, pour ainsi dire.

768. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Pour arriver à ce vêtement complet et chaste et transparent, que de veilles, on le conçoit ! […] Je conçois tout à coup un plan : je perfectionne longtemps le moule de la statue, je l’oublie, et, quand je me mets à l’œuvre après de longs repos, je ne laisse pas refroidir la lava un moment. […] Quand ils veulent le faire, ils la retaillent et la gâtent. » Je n’ai garde, on le conçoit, de prétendre avoir atteint du premier coup la ressemblance sur De Vigny ; c’était une nature des plus compliquées dans sa finesse et qui, par ses qualités et ses défauts, ses supériorités et ses ridicules, fait encore problème pour moi aujourd’hui ; mais, quoique le poëte en sût probablement plus long que personne sur ses secrets de composition, on va voir que, juge et partie comme il était, il n’a pas tout à fait raison contre son critique.

769. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Si, au contraire, la conception générale à laquelle la représentation aboutit est une création poétique et figurative, un symbole vivant, comme chez les races aryennes, la langue devient une sorte d’épopée nuancée et colorée où chaque mot est un personnage, la poésie et la religion prennent une ampleur magnifique et inépuisable, la métaphysique se développe largement et subtilement, sans souci des applications positives ; l’esprit tout entier, à travers les déviations et les défaillances inévitables de son effort, s’éprend du beau et du sublime et conçoit un modèle idéal capable, par sa noblesse et son harmonie, de rallier autour de soi les tendresses et les enthousiasmes du genre humain. Si maintenant la conception générale à laquelle la représentation aboutit est poétique, mais non ménagée, si l’homme y atteint, non par une gradation continue, mais par une intuition brusque, si l’opération originelle n’est pas le développement régulier, mais l’explosion violente, alors, comme chez les races sémitiques, la métaphysique manque, la religion ne conçoit que le Dieu roi, dévorateur et solitaire, la science ne peut se former, l’esprit se trouve trop roide et trop entier pour reproduire l’ordonnance délicate de la nature, la poésie ne sait enfanter qu’une suite d’exclamations véhémentes et grandioses, la langue ne peut exprimer l’enchevêtrement du raisonnement et de l’éloquence, l’homme se réduit à l’enthousiasme lyrique, à la passion irréfrénable, à l’action fanatique et bornée. […] Quoique nous ne puissions suivre qu’obscurément l’histoire des peuples aryens depuis leur patrie commune jusqu’à leurs patries définitives, nous pouvons affirmer cependant que la profonde différence qui se montre entre les races germaniques d’une part et les races helléniques et latines de l’autre, provient en grande partie de la différence des contrées où elles se sont établies, les unes dans les pays froids et humides, au fond d’âpres forêts marécageuses ou sur les bords d’un océan sauvage, enfermées dans les sensations mélancoliques ou violentes, inclinées vers l’ivrognerie et la grosse nourriture, tournées vers la vie militante et carnassière ; les autres au contraire au milieu des plus beaux paysages, au bord d’une mer éclatante et riante, invitées à la navigation et au commerce, exemptes des besoins grossiers de l’estomac, dirigées dès l’abord vers les habitudes sociales, vers l’organisation politique, vers les sentiments et les facultés qui développent l’art de parler, le talent de jouir, l’invention des sciences, des lettres et des arts. —  Tantôt les circonstances politiques ont travaillé, comme dans les deux civilisations italiennes : la première tournée tout entière vers l’action, la conquête, le gouvernement et la législation, par la situation primitive d’une cité de refuge, d’un emporium de frontière, et d’une aristocratie armée qui, important et enrégimentant sous elle les étrangers et les vaincus, mettait debout deux corps hostiles l’un en face de l’autre, et ne trouvait de débouché à ses embarras intérieurs et à ses instincts rapaces que dans la guerre systématique ; la seconde exclue de l’unité et de la grande ambition politique par la permanence de sa forme municipale, par la situation cosmopolite de son pape et par l’intervention militaire des nations voisines, reportée tout entière, sur la pente de son magnifique et harmonieux génie, vers le culte de la volupté et de la beauté. —  Tantôt enfin les conditions sociales ont imprimé leur marque, comme il y a dix-huit siècles par le christianisme, et vingt-cinq siècles par le bouddhisme, lorsque autour de la Méditerranée comme dans l’Hindoustan, les suites extrêmes de la conquête et de l’organisation aryenne amenèrent l’oppression intolérable, l’écrasement de l’individu, le désespoir complet, la malédiction jetée sur le monde, avec le développement de la métaphysique et du rêve, et que l’homme dans ce cachot de misères, sentant son cœur se fondre, conçut l’abnégation, la charité, l’amour tendre, la douceur, l’humilité, la fraternité humaine, là-bas dans l’idée du néant universel, ici sous la paternité de Dieu. —  Que l’on regarde autour de soi les instincts régulateurs et les facultés implantées dans une race, bref le tour d’esprit d’après lequel aujourd’hui elle pense et elle agit ; on y découvrira le plus souvent l’œuvre de quelqu’une de ces situations prolongées, de ces circonstances enveloppantes, de ces persistantes et gigantesques pressions exercées sur un amas d’hommes qui, un à un, et tous ensemble, de génération en génération, n’ont pas cessé d’être ployés et façonnés par leur effort : en Espagne, une croisade de huit siècles contre les Musulmans, prolongée encore au-delà et jusqu’à l’épuisement de la nation par l’expulsion des Maures, par la spoliation des juifs, par l’établissement de l’inquisition, par les guerres catholiques ; en Angleterre, un établissement politique de huit siècles qui maintient l’homme debout et respectueux, dans l’indépendance et l’obéissance, et l’accoutume à lutter en corps sous l’autorité de la loi ; en France, une organisation latine qui, imposée d’abord à des barbares dociles, puis brisée dans la démolition universelle, se reforme d’elle-même sous la conspiration latente de l’instinct national, se développe sous des rois héréditaires, et finit par une sorte de république égalitaire, centralisée, administrative, sous des dynasties exposées à des révolutions.

770. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

On conçoit que le pauvre captif, emprisonné soit pour cause d’indiscrétion dans ses amours, soit pour cause d’égarement momentané et partiel de sa raison, servi et soigné par les frères ou par les sœurs de cet hospice, pourvu de livres et de papier, attablé devant cette fenêtre où les rayons de soleil passent à travers les pampres entrelacés aux barreaux et visité par sa belle imagination dans ses heures de calme, ait trouvé quelque consolation dans ce séjour où ses amis et même les étrangers venaient s’entretenir librement avec lui. […] Toutes ces circonstances accidentelles, jointes au culte que j’avais conçu dès mon enfance pour le poète de la Jérusalem, me portèrent à étudier pas à pas les traces de sa vie ; ces dispositions furent fortifiées à Naples dans l’hiver de 1821 par la lecture accidentelle aussi du volume in-quarto de Black, ce commentateur infatigable de mon poète. […] Il conçut, à Padoue, la première idée d’un poème chevaleresque qui pût rivaliser avec l’Amadis de son père, et il écrivit en quelques mois le poème du paladin Rinaldo.

771. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

Et croyez bien qu’il s’est repenti du Cid et qu’il l’aurait conçu autrement vingt ans plus tard. […] Il y a, suivant lui, une première façon, la vraie, de concevoir le romantisme (c’est de le considérer comme l’amalgame du présent et du passé), et une seconde définition qui le fait consister dans « le mélange du tragique et du comique, le retour aux sujets modernes, le joug des trois unités secoué, le vers assoupli, le lyrisme ou la familiarité du style ». […] Et, pour le dire en passant, qu’importe que nous concevions mal la force de cette tradition romaine à laquelle se soumettent Titus et Bérénice ?

772. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

À vrai dire, il est extraordinairement difficile de concevoir sa sainteté si l’on se représente avec quelque précision le métier qu’elle fait. […] … Rien, il n’y a rien de certain, excepté le néant de tout ce que je conçois et la majesté de quelque chose d’auguste que je ne conçois pas… » Oui, cela est beau, mais d’une beauté qui nous était déjà, si je ne m’abuse, on ne peut plus connue et familière.

773. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

On peut avoir une manière à soi de l’écrire, mais il faut la concevoir comme tous les hommes de génie qui l’ont écrite l’ont conçue. […] … VIII On conçoit très bien que cette histoire de M. 

774. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Que Roscoe, que des protestants, aiment de préférence à raconter ces pontificats qui ont été des catastrophes, on le conçoit, mais une plume respectueuse et fidèle, une plume dévouée à l’unité ! […] On le conçoit : avec les forts instincts d’administration qui étaient en lui et qu’il prenait pour des instincts politiques, il avait dû admirer sur la terre du schisme cette religion nationale, chère à l’esprit de tous les despotes, et il en avait remporté l’idée dans sa patrie pour la réaliser un jour. […] Quand la popularité des premiers jours, que les gouvernements lui créèrent d’autant plus aisément qu’ils s’accordaient avec les multitudes, se fut évanouie, Clément XIV put s’apercevoir du néant de ses espérances, si jamais il en avait conçu.

775. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Évidemment, une pareille faute de composition ne peut venir, dans un homme de la valeur de Daudet, que de l’étroite notion du roman tel que le conçoit le groupe littéraire auquel il se rallie. […] XIV Pour qui a conçu un pareil livre, il doit y avoir des beautés et il y en a, mais ce sont des beautés qui viennent plus du livre que de l’auteur. […] je le conçois.

776. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

La marche a été longue depuis le commencement du monde, et la renommée n’a cessé de produire les opinions magnifiques que l’on a conçues jusqu’à nous de ces antiquités que leur extrême éloigneraient dérobe à notre connaissance. […] Ils se trouvèrent ainsi épais sur toute la terre, lorsque le tonnerre se faisant entendre pour la première fois depuis le déluge, les ramena à des pensées religieuses, et leur fit concevoir un Dieu, un Jupiter ; principe uniforme des sociétés païennes qui eurent chacune leur Jupiter. […] Il nous démontre le premier principe du christianisme, qui se trouve dans le caractère d’Adam, considéré avant le péché, et dans l’état de perfection où il dut avoir été conçu par son créateur.

777. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Mézeray l’embrasse dans son ensemble ; il la décrit au naturel dans tout son cours, et, quand on l’a parcourue avec lui d’un bout à l’autre, on peut dire véritablement qu’on a vécu avec ces hommes du xvie  siècle, qu’on les a vus au juste point, ni trop loin ni trop près, qu’on les a entendus parler, qu’on a eu la saveur de leurs propos, qu’on a conçu la suite des événements dans leur exacte proportion, avec mille particularités de mœurs qui les animent et qui en sortent d’elles-mêmes. […] Il est dommage que sa dernière manière de vivre soit allée si fort jusqu’à la manie : car on conçoit un philosophe, un sage un peu marqué d’humeur, ayant écrit ces libres Histoires et se taisant désormais, renonçant au bruit, à la gloire, pour la plus grande indépendance, et se cachant pour bien finir.

778. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Une bonne édition de Bourdaloue, telle que je la conçois aujourd’hui (celle du père Bretonneau ayant été excellente pour son moment), devrait rassembler le plus exactement possible toutes les particularités, les éclaircissements et les inductions qui se rattacheraient à chaque sermon, en fixer la date et les circonstances lorsqu’il y aurait moyen : ces quelques notes au bas des pages, sans nuire à la gravité, animeraient la lecture. […] Il a parlé quelque part de cette forme et de cette espèce de directeur à la mode et très goûté de son temps, « qui semble n’avoir reçu mission de Dieu que pour une seule âme, à laquelle il donne toute son attention ; qui, plusieurs fois chaque semaine, passe régulièrement avec elle des heures entières, ou au tribunal de la pénitence ou hors du tribunal, dans des conversations dont on ne peut imaginer le sujet, ni concevoir l’utilité ; qui expédie toute autre dans l’espace de quelques moments, et l’a bientôt congédiée, mais ne saurait presque finir dès qu’il s’agit de celle-ci » : directeur délicieux et renchéri, exclusif et mystérieux, dont Fénelon est le type idéal le plus charmant (le Fénelon de Mme Guyon et avant l’exil de Cambrai).

779. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Les sujets auxquels Chapelle méditait de s’appliquer n’étaient rien moins que la nature même des choses au physique et au moral, la structure du monde et la composition de l’homme, le libre arbitre, la fortune, le destin, la Providence, la nature de l’âme ; il voulait, d’après Épicure, Lucrèce et Gassendi, reprendre et couler à fond toutes ces matières : il n’avait peut-être pas tout à fait cuvé son dernier vin de la veille le jour où il avait conçu ce grand projet, dont la nouvelle était allée à Bernier jusqu’aux contins de l’Indoustan. […] Joubert ou d’un Doudan, d’un de ces « esprits délicats nés sublimes », nés du moins pour tout concevoir, et à qui la force seule et la patience d’exécution ont manqué, tandis que Chapelle n’est qu’un paresseux trop souvent ivre, un homme de beaucoup d’esprit naturel, mais sans élévation et sans idéal ; et c’est précisément cet idéal trop haut placé qui décourage les autres, les suprêmes délicats.

780. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Quelque jugement qu’on porte sur l’ensemble de ce travail, il le conçut à bonne fin et le commença avec un zèle extrême : L’entreprise est délicate, écrivait-il à un de ses amis de Paris, M. de Chénevières ; il s’agit d’avoir raison sur trente-deux pièces ; aussi je consulte l’Académie toutes les postes, et je soumets toujours mon opinion à la sienne. […] Voici un passage entre dix autres : J’ai toujours peine à concevoir, écrit-il au père de Benjamin Constant (janvier 1776), comment une nation si agréable peut être en même temps si féroce, comment elle peut passer si aisément de l’opéra à la Saint-Barthélemy ; être tantôt composée de singes qui dansent, et tantôt d’ours qui hurlent ; être à la fois si ingénieuse et si imbécile, tantôt si courageuse et tantôt si poltronne.

781. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Lebrun, par exemple, et d’autres encore) n’ont pas voulu communiquer leurs lettres, et on le conçoit : il écrivait comme il parlait, sa plume était mauvaise langue ; il s’abandonnait sur tout le monde : jeter au public de tels paquets de confidences avant que le temps ait tout refroidi, c’est, en quelque sorte, se rendre soi-même responsable de ce qu’ils contiennent. […] Presque tous les bons ouvriers vivent longtemps : c’est qu’ils accomplissent une loi de la Providence. » Ne soyez pas de cette religion-là, je le conçois ; trouvez que c’est trop ou trop peu, je le comprends également ; mais ne dites pas, en lisant de telles-pages, que ce n’est ni sincère ni senti et que vous n’y voyez que patelinage.

782. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Il rappela en commençant : « Qu’il y avait quarante ans que dans la même salle, dans le même lieu, et quasi à la même heure, il avait été émancipé du consentement de l’empereur Maximilien, son grand-père ; qu’il n’avait alors que quinze ans ; qu’en 1516 le roi catholique étant mort, il fut obligé de passer en Espagne l’année suivante ; qu’en 1519 il perdit l’empereur, son aïeul ; qu’alors il sollicita l’élection à l’Empire, non par ambition d’avoir plus de seigneuries, mais pour le bien de plusieurs de ses royaumes et pays, et principalement de ceux de par deçà ; que, depuis, il avait fait neuf voyages en Allemagne, six en Espagne, sept en Italie, dix aux Pays-Bas, quatre en France, deux en Angleterre, et deux en Afrique, sans compter ses visites en ses autres royaumes, pays et îles, lesquelles avaient été nombreuses, et son passage par la France en 1539, qui n’était pas la moindre de ses entreprises ; qu’il avait, dans ces divers voyages, traversé huit fois la Méditerranée et trois fois l’Océan… » Quarante années d’un semblable règne, de telles fatigues pour pourvoir à tout instant et subvenir à tant de royaumes et d’États disjoints, une santé détruite et dont le délabrement dans sa personne était visible à tous, justifiaient suffisamment une pensée de retraite depuis longtemps conçue, mais qu’il avait fallu ajourner jusqu’à ce que son fils eût atteint l’âge d’homme. […] Conçut-il, dans les heures de loisir qui lui étaient laissées, l’idée d’écrire ou plutôt de continuer ses Commentaires ?

783. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

Je conçois, Monsieur, que vous avez dû me trouver bien téméraire de mettre sur le Théâtre-Français une pièce telle qu’Hamlet. […] Et quant à l’idée qui lui appartient ici en propre, de faire un Hamlet modèle de piété filiale, et de travailler à ce beau portrait comme un peintre de sainteté ferait « à un tableau d’autel », c’est bien l’idée la plus contraire à l’original et la plus anti-shakespearienne qui se puisse concevoir ; c’est un contre-sens à la Greuze. — Voici la seconde lettre à Garrick ; dans chacune, d’ailleurs, il y a quelque mot remarquable : « A Versailles, le 15 septembre (1772).

784. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame, secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. »

Nul, en effet, ne s’entendait aussi bien que M. de Harlay à aller au-devant des vœux de Louis XIV, à suivre ses ordres ou à prévenir ses désirs, à le servir en tous ses desseins conçus de bonne heure, pour l’extirpation du Jansénisme, pour l’extinction de l’hérésie, pour le maintien et l’extension des droits de la Couronne, pour l’établissement et l’achèvement de cette unité, chère au monarque, dans les choses de foi, de mœurs, de discipline, de liturgie. […] L’idée du scandale attaché à son nom a pu en détourner jusqu’ici, je le conçois, les esprits sérieux ; on aurait tort pourtant de trop céder à ce scrupule.

785. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’Audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. »

La forme était conçue et indiquée, mais la forme seule, indépendamment du fond. […] On pouvait sourire de lui, je le conçois, de cet homme occupé durant près de quarante ans à fixer l-’usage, ce fleuve mobile qui coulait incessamment entre ses, doigts ; ce badin de Voiture lui appliquait plaisamment l’épigramme de Martial sur le barbier Eutrapèle, si lent à raser son monde, qu’avant qu’il eût achevé la seconde joue la barbe avait eu le temps de repousser à la première.

786. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Je conçois toutes vos inquiétudes, ne doutant pas de votre parfait attachement. […] Elle n’a pas d’elle-même de plan général de politique, et eût-elle eu la capacité d’en concevoir un, elle n’aurait pas été assez influente auprès du roi pour l’y fixer.

787. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Nous concevons, en effet, le peu d’estime que des antiquaires, épris de cette belle langue en ce qu’elle a de pur et de classique, expriment pour le patois extrêmement francisé qu’on parle dans une ville du Midi en 1836. Nous concevons que Goudouli, au commencement du XVIIe siècle, ait été plus nourri dans son style des purs idiotismes provençaux, et que la saveur de ses vers garde mieux le goût de la vraie langue.

788. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE DURAS » pp. 62-80

On conçoit l’intérêt passionné avec lequel cette jeune âme devait suivre de loin les efforts et les dangers de son père. […] La Restauration lui causa une grande joie, mais elle la concevait à sa manière, et elle dut en souffrir bientôt et violemment, comme d’un objet qui échappe et qu’on aime.

789. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

. — Concevez deux données, d’une part la sensation élémentaire, d’autre part cette quantité qu’on appelle le temps ; vous avez les matériaux nécessaires pour construire les sensations de son. — Deux sensations élémentaires sont discontinues ou continues, c’est-à-dire séparées par une portion appréciable ou non de cette quantité ; alors le son est nul ou appréciable. — Elles occupent des portions égales ou inégales de cette quantité ; alors le son est musical ou non musical. — Les portions ainsi occupées sont plus grandes ou plus petites ; le son est plus grave ou plus aigu. — Concevez maintenant la grandeur ou intensité de la sensation élémentaire elle-même ; avec cette nouvelle donnée, la construction s’achève. — La sensation élémentaire ayant un maximum de grandeur, les maxima de deux sensations élémentaires peuvent être discontinus ou continus, c’est-à-dire séparés par une portion de temps appréciable ou non ; alors le son est composé de portions appréciables ou uni. — Les maxima de deux sensations élémentaires sont plus ou moins grands que les maxima de deux autres ; alors le son est plus ou moins intense. — Au même son s’ajoutent divers groupes de sons moins intenses, mais dont l’acuité est un multiple de la sienne ; alors le son a tel ou tel timbre. — En sorte que toutes les différences de son, en apparence irréductibles, se réduisent à des différences de grandeur introduites dans la même sensation élémentaire, ces différences étant fournies tantôt par la grandeur ou intensité de la sensation elle-même, tantôt par cette grandeur particulière que nous nommons le temps.

790. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

On peut dire que par les unités l’esprit classique s’est construit la forme littéraire la plus apte à l’exprimer ; et sans doute il n’était pas nécessaire que Corneille écrivit le Cid en 1636 : mais du moins, pour l’extraire du drame de Guillen de Castro, il lui fut utile de se sentir lié par ces lois nouvelles qui obligeaient de concevoir la tragédie autrement que comme un roman découpé en scènes. […] Le pis fut pour Corneille, que parmi les jaloux se rencontra le cardinal de Richelieu qui occupait ses loisirs à concevoir de méchantes pièces, et avait toutes les passionsmesquines d’un raté.

791. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

On conçoit à la rigueur qu’à une époque où tout était chose d’Etat, où s’achevait l’unité de la France, où toute son histoire aboutissait enfin à la monarchie absolue, où partout, dans les mœurs, dans les manières, dans la religion, dans les lettres, triomphait le même esprit de discipline et d’autorité, un cardinal ait eu l’idée de préposer une compagnie de lettrés à la fixation et à la conservation de la langue. […] Or, il est certain que si un type analogue à cet académicien avait été conçu par Dickens ou Georges Elliot, ils en auraient fait un délicieux bonhomme, et beaucoup plus touchant que ridicule.

792. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Son génie lui parla ; un état médiocre ne lui parut point valoir assez pour être mis en balance avec cette destinée nouvelle qu’il tenait entre ses mains : « Il vaut mieux, pensa-t-il, déroger à sa qualité qu’à son génie » ; et, se reportant aux grandes actions qu’il avait été donné à d’autres plus heureux d’exécuter, il se dit : « Qu’il paraisse du moins, par l’expression de nos pensées et par ce qui dépend de nous, que nous n’étions pas incapables de les concevoir. » Cette prédominance, cette préoccupation toujours présente de l’action et de l’énergie vertueuse, supérieure et préférable à l’idée elle-même, est un des caractères du talent littéraire de Vauvenargues, et elle contribue à conférer aux moindres de ses paroles une valeur et une réalité qu’elles n’auraient pas chez tant d’autres, en qui l’auteur se sent à travers tout. […] J’aime à croire que celui qui a conçu de si grandes choses n’aurait pas été incapable de les faire.

793. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Il se reproche en un endroit assez vivement de n’avoir pas étudié, comme il aurait dû, l’histoire ; malgré les emplois importants dont il fut de bonne heure chargé, il aurait certes pu le faire encore : « Mais, d’un côté, les charmes des belles-lettres qui ont été pour moi, dit-il, une espèce de débauche d’esprit, et, de l’autre, le goût de la philosophie et des sciences de raisonnement, ont souvent usurpé chez moi une préférence injuste… » Pourtant, il s’en fallut de peu, nous raconte-t-il agréablement, qu’il ne se ruinât tout à fait dans l’esprit du père Malebranche, qui avait conçu une bonne opinion de lui par quelques entretiens sur la métaphysique ; mais ce père le surprit un jour un Thucydide en main, non sans une espèce de scandale philosophique. […] Quelques ordonnances que le chancelier d’Aguesseau a fait rendre dans l’exercice de sa longue magistrature ont été justement célébrées ; on s’accorde en même temps à dire qu’il est loin d’avoir réalisé en législation tout ce qu’il concevait d’utile, et qu’on aurait pu naturellement attendre de sa haute capacité et de ses lumières.

794. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Ici, on aura beau épuiser toutes les explications et les artifices de l’apologie, on ne fera jamais que Mme de Maintenon (car elle en eut le titre vers ce temps), installée par Mme de Montespan, prenant intérêt en apparence à sa passion et à toutes les vicissitudes qui y survenaient, lui écrivant encore le 13 mars 1678 : « Le roi va revenir à vous, comblé de gloire, et je prends une part infinie à votre joie », n’ait pas joué à un certain moment un jeu double, et n’ait pas conçu une idée personnellement ambitieuse. Elle ne conçut point tout d’abord sans doute l’idée de ce que rien ne pouvait présager, elle ne se dit certes point qu’elle deviendrait l’épouse secrète, mais avérée, du monarque : elle sentit seulement la possibilité d’une grande influence et elle y visa.

795. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. » pp. 103-122

Il en indiquait les défauts, il en montrait les beautés toutefois, et remarquait que Voltaire, qui s’était essayé sur un sujet à peu près semblable dans Zulime était loin d’avoir réussi à égaler Racine : « C’est donc une terrible entreprise, concluait-il, que de refaire une pièce de Racine, même quand Racine n’a pas très bien fait. » Que La Harpe, lié comme il était à Voltaire par les liens d’une reconnaissance presque filiale ; à qui Voltaire écrivait : « Mes entrailles paternelles s’émeuvent de tendresse à chacun de vos succès » ; que La Harpe eût pu choisir un autre moment et une autre circonstance pour parler de Voltaire dans cette trêve de silence qui s’observait depuis sa mort, on le conçoit aisément : mais, quand on a lu le judicieux et innocent article dans le Mercure même, on a peine toutefois à comprendre la colère et l’indignation factices qu’il excita au sein de la coterie voltairienne. […] On conçoit le trouble où un tel éclat dut mettre l’âme irritable de La Harpe.

796. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

En un mot, je conçois qu’on puisse dire : La statue de Carrel est une statue funèbre ; laissons dans le grandiose de son attitude le gladiateur mourant, sans discuter sa blessure. […] Il dut subir les conditions un peu inégales de cette association militante dont il avait, assure-t-on, conçu la première idée.

797. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Au milieu de tout ce que j’ai dû omettre sur Beaumarchais, je serais heureux si j’étais parvenu à laisser se dessiner d’elle-même, dans l’esprit de mes lecteurs, sa figure si libre et si naturelle, telle que je la conçois, sans la forcer en rien, sans trop la presser, et en y respectant même les inconséquences. […] « Ce qui m’anime en tout objet, dit Beaumarchais, c’est l’utilité générale. » — « À chaque événement important, disait-il encore, la première idée qui m’occupe est de chercher sous quel rapport on pourrait le tourner au plus grand bien de mon pays. » Dans le courant de la guerre d’Amérique, il conçut plus d’une fois de telles idées et les mit en circulation avec bonheur ; comme, par exemple, le jour (1779) où, pour relever le courage des négociants et armateurs, il proposa au ministre de déclarer les protestants désormais admissibles dans les chambres de commerce, d’où ils étaient jusqu’alors exclus ; ou comme ce jour encore où, après la défaite navale de M. de Grasse (1782), il eut l’idée que chaque grande ville offrît au roi un vaisseau de ligne, portant le nom de la cité qui lui en ferait hommage.

798. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Il conçut l’idée d’un ouvrage qui pût sourire à ce grand homme (comme on disait alors) par l’assemblage de connaissances nécessaires à l’exécution. […] Cet ouvrage, conçu dès la jeunesse du président, et qui ne parut que l’année même de sa mort (trois volumes in-4º, 1777), fut l’œuvre savante à laquelle il revint toujours à travers ses digressions nombreuses.

799. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Comment d’ailleurs concevoir qu’une connaissance que nous ne connaissons pas soit précisément ce qui nous fait jouir ou souffrir ? […] D’abord, il y au moins une différence de qualité indéniable qui appartient bien en propre à la sensibilité même, à savoir la différence du plaisir et de la peine : ce n’est pas avec des considérations de pure quantité, de pure intensité, qu’on expliquera le contraste de la jouissance et de la souffrance ; à intensité égale, la jouissance et la souffrance offrent le plus frappant contraste de qualité qu’on puisse concevoir.

800. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Ravaisson, une notion se présentant à elle, conçoit immédiatement ce qui, d’une manière ou d’une autre, la complète, ce qui lui est ou semblable ou contraire, ce qui dépend d’elle ou dont elle dépend, en un mot, les rapports rationnels. » Soit ; mais M.  […] Seulement, un esprit ordinaire se contentera de remarquer une similitude entre deux idées sans en tirer des conséquences et sans remonter aux principes ; un Franklin, habitué à ce que Platon appelait la chasse aux ressemblances, partira de là pour concevoir sous les contrastes visibles des similitudes cachées et pour les vérifier par l’expérimentation.

801. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Ernest Renan »

À la page 92 de son ouvrage, on trouve ces mots, qui auraient dû soulever la Critique d’indignation : « Concevoir le bien ne suffit pas, il faut le faire réussir parmi les hommes. […] Ce fait énorme de l’Église, ce témoignage qui abolit tous les autres en les confirmant et qui pourrait les remplacer (car on pourrait très bien concevoir que, par une catastrophe inouïe, trois ou quatre Omar se donneraient le mot pour brûler, en un seul jour, toutes les bibliothèques de l’univers, et qu’ainsi le texte écrit des Évangiles serait détruit par toute la terre ; mais le Christianisme ne disparaîtrait pas pour cela dans cette destruction : on se passerait des Évangiles et de leur lettre, et l’enseignement de l’Église, avec tout ce qui constitue la religion de Jésus-Christ n’en irait pas moins son train sublime), eh bien, oui !

802. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Ils y sont hideux, nus, tremblants, à moitié dévorés par eux-mêmes, comme on les conçoit dans l’enfer. […] C’est un de ces matérialistes raffinés et ambitieux qui ne conçoivent guères qu’une perfection, — la perfection matérielle, — et qui savent parfois la réaliser ; mais, par l’inspiration, il est bien plus profond que son école, et il est descendu si avant dans la sensation, dont cette école ne sort jamais, qu’il a fini par s’y trouver seul, comme un lion d’originalité.

803. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

., et essayez de concevoir la substance intime : par l’imagination vous ne le pouvez, car la substance n’a rien de sensible ; par la raison vous le pouvez, car la substance est indépendante de ces qualités et leur survit. » L’idée est fausse, mais qu’importe ? […] Partout ailleurs nous ne faisons que deviner la force : ici nous apercevons la force ; partout ailleurs, quand deux faits s’accompagnent, nous n’observons que les deux faits et leur concours ; ici, par une exception merveilleuse, nous découvrons encore « ce je ne sais quoi qui s’applique aux corps, pour les mouvoir, les pousser, « les attirer20 », élément ou ingrédient particulier, vraiment « inexplicable ou ineffable, lorsqu’on veut chercher des exemples et des moyens d’explications hors du fait même de la conscience. » Il n’y a point d’autre vue semblable ; et quand vous concevez d’autres forces, c’est d’après la vôtre et sur ce modèle que vous en formez la notion.

804. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Cette métaphysique des honnêtes gens, au xixe  siècle, me paraît toujours avoir été pensée et conçue en présence d’un immense danger, et le lendemain d’une excessive curiosité punie.

805. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

A mon retour de la Suisse française où j’avais gardé des amis, vers 1840, je concevais un parfait journal littéraire dont il y aurait eu un rédacteur double, l’un à Paris pour tout savoir, l’autre à Lausanne ou à Neuchâtel pour tout dire, — j’entends tout ce qui se peut dire honnêtement et avec convenance.

806. (1875) Premiers lundis. Tome III «  La Diana  »

Il faut rendre à M. de Persigny cette justice qu’il a dans le cœur ce je ne sais quoi d’élevé qui répond bien à un tel sentiment, qui y sollicite et peut y rallier même des adversaires, qui va chercher en chacun ce qui est vibrant, et que le sentiment napoléonien historique et dynastique tel qu’il le conçoit dans son esprit et dans son culte, tel qu’on l’a entendu maintes fois l’exprimer avec une originalité saisissante (toute part faite à un auguste initiateur), est à la fois ami de la démocratie, sauveur et rajeunisseur des hautes classes, animateur de la classe moyenne industrielle en qui il tend à infuser une chaleur de foi politique inaccoutumée.

807. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

La monarchie, et surtout un monarque qui comptait l’admiration parmi les actes d’obéissance, l’intolérance religieuse et les superstitions encore dominantes, bornaient l’horizon de la pensée ; l’on ne pouvait concevoir aucun ensemble, ni se permettre aucune analyse dans un certain ordre d’opinions ; l’on ne pouvait suivre une idée dans tous ses développements.

808. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

Le pis est qu’on ne s’en aperçoit pas et que l’on croit bien véritablement exprimer son sentiment personnel ; on s’y affermit, on en conçoit la vérité en le voyant partagé par tant d’autres, qui lisent aussi le journal.

809. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les derniers rois »

Quant à l’Italie … attendez la fin de la triple alliance, laquelle n’est sans doute pas éternelle… Ce que l’antiquité n’avait pas même conçu, la possibilité de républiques aussi vastes que les anciens empires devient chaque jour évidente… Si notre République était sage, vous verriez quelle serait bientôt sa force de propagande, même involontaire, et quelle fascination elle exercerait, rien qu’en durant, sur tous les peuples de la vieille Europe… Les temps sont mûrs ; cela commence : … Magnus ab integro seclorum nascitur ordo ; Qui sait ?

810. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

Venu après les autres, ce drame me semble devoir prendre sa place logique entre la Princesse Maleine et l’Intruse, et je ne serais pas étonné qu’il ait été conçu dans la période de transition qui sépare ces deux étapes.

811. (1863) Molière et la comédie italienne « Préface » pp. -

Il y a, à mon avis, deux manières de concevoir une édition des œuvres de Molière : ou publier le texte dans sa nudité magistrale, ou fournir en même temps tout ce que peut recueillir sur l’homme et sur ses ouvrages une érudition spéciale.

812. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre II. « Faire de la littérature » » pp. 19-26

Quand l’adolescent a fini un nombre suffisant de phrases commencées par son maître, quand il les a ornées d’adjectifs modérés, quand il a, en temps convenable, emmailloté des idées qu’il n’avait point conçues, le grade de bachelier ès lettres vient témoigner qu’il a appris par là à se rendre maître de ses propres pensées.

813. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Non, sans doute, une réalité complètement indépendante de l’esprit qui la conçoit, la voit ou la sent, c’est une impossibilité.

814. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Ronsard, et Saint-Gelais. » pp. 120-129

On tâchoit, par tous ces honneurs, de répondre à la haute idée que, de son vivant, on avoit conçue de lui.

815. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Les Jobelins furent au comble de leur joie de remporter un pareil triomphe, & les Uranistes se consolèrent de leur défaite par les termes dans lesquels l’arrêt qui les condamne est conçu.

816. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Addisson, et Pope. » pp. 17-27

Quand l’Homère Anglois parut, il ne fit qu’augmenter l’idée qu’on en avoit conçue.

817. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Ils disent : « Si ces découvertes étaient certaines, invariables, nous pourrions concevoir l’orgueil qu’elles inspirent, non aux hommes estimables qui les ont faites, mais à la foule qui en jouit.

818. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 18, que nos voisins disent que nos poëtes mettent trop d’amour dans leurs tragedies » pp. 132-142

Trop spirituelle pour être encore barbare, mais trop peu éclairée pour connoître la dignité des moeurs ; elle a conçu dans l’amour un merite que les nations sensées n’y trouvent point.

819. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Conclusion »

Or, si la sociologie ainsi conçue peut servir à illustrer de faits curieux une philosophie, elle ne saurait l’enrichir de vues nouvelles, puisqu’elle ne signale rien de nouveau dans l’objet qu’elle étudie.

820. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVI »

On conçoit donc que nous ayons insisté sur leur emploi, leur qualité et leur formation ; mais là encore on a essayé de travestir notre pensée.

821. (1818) Essai sur les institutions sociales « Préface » pp. 5-12

Je ne connais rien du moins qui fasse mieux concevoir la succession inévitable de deux ordres de choses très divers qu’un ouvrage de la nature de celui-ci.

822. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Jean-Jacques Rousseau »

Je conçois le mot lâche de Voltaire, qui disait : « La vie des hommes littéraires n’est que dans leurs écrits. » Il voulait y cacher la sienne.

823. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Préface » pp. -

Le Roman, tel que nous le concevons, nous autres modernes, devait être nécessairement le fruit tardif des civilisations excessives.

824. (1929) La société des grands esprits

N’est-ce pas ainsi que les romantiques ont conçu le noble et bel amour ? […] On conçoit enfin le parti adopté par Démosthène. […] On conçoit donc sa prédilection pour l’art de cet âge d’or. […] Cette phrase est ainsi conçue : « Chose admirable ! […] On conçoit des espérances infinies.

825. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Je ne concevais point qu’on pût avoir fait sa logique et ne pas voir que le tout est distinct de la partie, et que le véritable « honneur de l’armée » consiste à répudier courageusement ce qui la déshonore. Je ne concevais point qu’on pût avoir la moindre connaissance des hommes et répéter des niaiseries aussi puériles que la fameuse phrase sur l’accord des sept officiers du conseil et des cinq ministres de la guerre. […] J’ai consciencieusement exposé les raisons de croire à la réalité d’un esprit public plus puissant que tous les individus, et j’en reconnais la force ; cependant je n’arrive point à concevoir clairement cet esprit. […] On ne conçoit plus un retour à l’écriture simple du bon Joinville ou d’Amyot. […] Je conçois à la rigueur un style qui, sans images vives et neuves, serait encore assez beau, parce que les images sont une lumière coloriée, plutôt agréable que nécessaire, la lumière blanche pouvant presque toujours suffire ; je ne conçois pas de bon style sans harmonie.

826. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Mais vous concevez qu’il n’en était pas de même du peuple. […] Mais vous concevez que le latin du jardinier, dont j’ai parlé tout à l’heure, se retrouvait souvent même sous la plume du notaire. […] On conçoit très bien qu’un idiome écrit et littéraire s’impose à une grande diversité de peuples, parce que le type est toujours présent ou reconnaissable. […] Ce caractère historique ne peut bien se concevoir, sans quelques réflexions rapides sur l’hérésie des Albigeois. […] cela ne peut se concevoir.

827. (1913) Les livres du Temps. Première série pp. -406

Il y a deux façons principales de concevoir la critique. […] Même alors je conçois mal que l’intérêt qu’on peut prendre aille jusqu’à l’émotion et jusqu’aux larmes. […] On conçoit que cette volcanique éruption d’immondices puisse rebuter les lecteurs délicats. […] Aucun d’eux n’a pu concevoir l’espérance archifolle de gagner de l’argent. […] Romain Rolland, on conçoit qu’il ne saurait y avoir place pour l’esprit critique.

828. (1908) Après le naturalisme

Cependant aucune n’a atteint le but pour lequel elles étaient conçues. […] Ces théories, d’une part, furent trop hâtives, prématurées, conçues par des poètes essentiellement poètes, pourrait-on dire, s’affichèrent en réaction expresse du Symbolisme, donc naquirent particulières, ne s’adressant pas à toute la Littérature. […] Pour s’y conformer l’artiste se voue tout entier à son culte, s’abstrait de son époque, conçoit la beauté en elle-même, se figure autosuggestionnement participer, par l’inspiration, d’une essence supérieure, ne reçoit de loi que de lui-même, se désintéresse de ses semblables, prétend que ses œuvres ne renferment aucune valeur hors d’elles-mêmes et ne sont d’aucun utilitarisme pour les hommes. […] Qu’on offre aux citoyens une nouvelle organisation conçue selon les vérités récemment découvertes et toute prête à fonctionner, leur adhésion n’y sera pas douteuse. […] C’est pour n’avoir pas médité ces raisons que les initiateurs de l’essai d’art social le concevaient faussement, égaraient la littérature avec eux.

829. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Il faut que la science présentée à ces esprits neufs et attentifs, soit étendue d’une certaine dose de fiction ; que cette fiction ne soit pas même trop savamment conçue ; des estomacs jeunes ne sauraient digérer le pain des forts, et ce que les imaginations faites trouvent insipide et nauséabond est précisément ce qui convient à la masse du public, dans l’état actuel de ses connaissances. […] Sans ce portrait de poète moderne, il n’y aurait pas grand-chose à glaner dans Modeste Mignon ; mais ce nous est encore une preuve de l’attention toute spéciale que la critique doit porter aux œuvres de M. de Balzac ; il n’est production si imparfaite sortie de sa plume, qui ne contienne çà et là quelques perles, et le roman que nous examinons, bien pauvre, bien faiblement conçu, possède pourtant le caractère de Canalis. […] Son ami, mieux inspiré, entame la correspondance et, pour débuter, il conçoit la fantaisie de faire de la morale à la jeune fille, et de lui remontrer combien une lettre adressée à un homme de lettres, qu’on ne connaît point, peut entraîner d’inconvénients. […] Heureusement Frédéric et Bernerette n’a pas suivi la trace des Confessions d’un Enfant du Siècle, et la pensée en a été conçue dans une atmosphère plus dégagée des vapeurs romantiques. […] On conçoit que, dans un tel système, un livre précieux aujourd’hui, peut demain ne plus rien valoir ; et si, fortuitement, on s’est laissé devancer par un autre écrivain, on risque fort, en venant parler malais ou malabare au lecteur, de ne lui causer qu’une très médiocre surprise, et d’avoir créé une œuvre pourvue de beaucoup moins de caractère qu’on ne l’avait espéré.

830. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

On conçoit que Corneille ait fait pauvre figure parmi ses collaborateurs. […] Longtemps avant la représentation, il ne la conçoit que « représentée ». […] C’est d’un comique si bas et si offensant que je ne conçois point que M.  […] Mais tout de même, outre que c’est pénible à voir ou à concevoir, c’est peut-être un peu monotone. […] Ce sont des pièces sans intrigue (sauf Monsieur de Réboval), composées de détails significatifs mis bout à bout, conçues à la façon d’apologues démonstratifs.

831. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

Telle est l’ακρισια naturelle des hommes que ceux qui, les premiers, ont pris l’habitude de s’informer de la provenance des documents avant de s’en servir, en ont conçu (et ont eu le droit d’en concevoir) de la fierté. […] Chacun de nous peut retrouver dans ses souvenirs la façon absurde dont il a conçu d’abord les personnages et les scènes du passé. […] Cette série d’opérations, facile à concevoir, n’a jamais été qu’imparfaitement exécutée. […] L’histoire a été conçue d’abord comme la narration des événements mémorables. […] Les « philosophes » conçurent alors l’histoire comme l’étude, non plus des événements pour eux-mêmes, mais des habitudes des hommes.

832. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Et ce roman réaliste, conçu — ne le voit-on pas ? […] … À la vérité, je ne concevais pas qu’Homère eût écrit ses poèmes. […] Seulement, elle n’a pas été conçue. Elle n’a pas été conçue, mais elle a pris naissance ! […]concevoir sa vie et l’organiser comme une œuvre d’art.

833. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Si l’oiseau adulte a tiré quelque avantage de cette circonstance, ou si les jeunes oisillons abandonnés sont devenus plus vigoureux en profitant ainsi des méprises de l’instinct chez une mère adoptive, qu’en demeurant aux soins de leur propre mère, gênée, comme elle ne pouvait guère manquer de l’être, entre ses œufs et ses oisillons de différents âges qu’il lui fallait à la fois couver et nourrir, et de plus, pressée qu’elle était d’émigrer à une époque hâtive et bien avant la saison froide, on conçoit qu’un fait d’abord accidentel ait pu devenir peu à peu une habitude avantageuse à l’espèce. […] On peut même concevoir qu’un insecte puisse fixer d’abord le point d’origine d’une cellule et avancer ensuite successivement vers six autres points convenablement distants, soit les uns des autres, soit du point central, de manière à dessiner les plans d’intersection d’un hexagone isolé. […] Quelque difficulté qu’il y ait à concevoir comment elles ont pu devenir stériles, cette difficulté n’est cependant pas plus grande qu’à l’égard de toute autre structure un peu anormale : car on peut prouver que d’autres insectes, et plus généralement d’autres articulés, qui vivent isolés à l’état de nature, se trouvent parfois frappés de stérilité. […] Il faut donc que la présence de ces derniers ait profondément modifié les instincts des maîtres qui les asservissent ; et l’on conçoit aisément que la présence d’individus neutres de la même espèce puisse exercer, par suite d’une longue habitude et de la pression de la nécessité, la même influence sur les individus féconds, que les esclaves d’espèce différente sur les maîtres qu’elles avertissent.

834. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

On pourrait même concevoir que toutes nos actions fussent automatiques, et l’on connaît d’ailleurs une infinie variété d’êtres organisés chez qui une excitation extérieure engendre une réaction déterminée sans passer par l’intermédiaire de la conscience. […] On conçoit qu’un nerf transmette une douleur indépendante de toute réaction automatique ; on conçoit aussi que des excitations plus ou moins fortes influencent ce nerf diversement. […] En présence de plusieurs plaisirs conçus par l’intelligence, notre corps s’oriente vers l’un d’eux spontanément, comme par une action réflexe.

835. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

On montre encore la petite bibliothèque d’un couvent où il travaillait, et où il conçut peut-être la première idée de La Science nouvelle. […] Dans sa vieillesse, il composa l’Odyssée… La Grèce plus mûre, conçut longtemps après le caractère d’Ulysse, le héros de la sagesse. — Homère fut pauvre et aveugle… dans la personne des rapsodes, qui recueillaient les chants populaires, et les allaient répétant de ville en ville, tantôt sur les places publiques, tantôt dans les fêtes des dieux. […] La poésie elle-même, quoiqu’elle sortît alors de l’usage vulgaire, reçut aussi les expressions générales ; aux noms propres, qui, dans l’indigence des langues, lui avaient servi à désigner les caractères, elle substitua des noms imaginaires, et conçut des caractères purement idéaux ; ce fut là le commencement de son troisième âge, de l’âge humain de la poésie. […] Ajoutons à cette critique, que, dans la première édition, il conçoit pour l’humanité l’espoir d’une perfection stationnaire.

836. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

La disposition de l’opinion publique en France, au commencement de cette guerre de Sept Ans si légèrement entreprise, n’était pas ce qu’elle devint un an après : la nouvelle alliance avec l’Autriche, conçue au mépris des anciennes maximes, occupait tous les esprits et flattait vivement les espérances. […] L’illusion, et, si je puis dire, la bonhomie de Bernis en cette circonstance, et connaissant le terrain de la Cour comme il le faisait, fut de ne pas s’être rendu compte à l’avance de ces incompatibilités tout à fait inévitables, et qui ressortaient de la nature des choses : il avait conçu et combiné une révolution de ministère comme on concerterait à huis-clos un arrangement de la vie privée.

837. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Lavallée a eu soin de placer aussi un portrait de l’illustre fondatrice, où revit cette grâce si réelle, si sobre, si indéfinissable, et qui, sujette à disparaître de loin, ne doit jamais s’oublier quand par moments la figure nous paraît un peu sèche ; il l’emprunte aux Dames de Saint-Cyr dont la plume, par sa vivacité et ses couleurs, est digne cette fois d’une Caylus ou d’une Sévigné : Elle avait (vers l’âge de cinquante ans), disent ces Dames, le son de voix le plus agréable, un ton affectueux, un front ouvert et riant, le geste naturel de la plus belle main, des yeux de feu, les mouvements d’une taille libre si affectueuse et si régulière qu’elle effaçait les plus belles de la Cour… Le premier coup d’œil était imposant et comme voilé de sévérité : le sourire et la voix ouvraient le nuage… Saint-Cyr, dans son idée complète, ne fut pas seulement un pensionnat, puis un couvent de filles nobles, une bonne œuvre en même temps qu’un délassement de Mme de Maintenon : ce fut quelque chose de plus hautement conçu, une fondation digne en tout de Louis XIV et de son siècle. […] Pourtant, sous la direction du sage évêque de Chartres, Desmarets, Mme de Maintenon dut songer à chercher dans sa fondation moins de singularité qu’elle n’en avait conçu d’abord ; il fut décidé que les Dames institutrices, tout en restant fidèles à la spécialité de leur but, seraient des religieuses régulières et feraient des vœux solennels.

838. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Que la vanité (puisqu’il veut l’appeler ainsi), élevée jusqu’au sentiment de l’honneur, produise des héros, je l’accorderai encore ; mais que cette vanité produise la gaieté vive, franche, amusante et délicieuse d’un Collé ou d’un Désaugiers, c’est ce que je conçois difficilement, et tous les Condillac du monde ne m’expliqueront pas cette transformation d’un sentiment si personnel en une chose si imprévue, si involontaire. […] Beyle passa à Milan et en Italie la plus grande partie des premières années de la Restauration ; il y connut Byron, Pellico, un peu Manzoni ; il commença à y guerroyer pour la cause du romantisme tel qu’il le concevait.

839. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Par moments même, et quand, oubliant l’original, on s’abandonne à la lecture, cette idée de momie qui, somme toute, est désagréable et qu’une autre qu’elle n’eût pas risquée, disparaît et n’est plus exacte ; on sent (pour parler encore comme elle) qu’on a affaire à une traduction généreuse et noble qui, s’attachant surtout aux beautés de l’original, s’efforce de les rendre dans l’esprit où elles ont été conçues. […] Sans doute on conçoit une douleur maternelle toute morne et silencieuse : l’auteur entre ici pour quelque chose encore ; mais il y entre si naturellement, et pour une part si légitime, qu’on ne peut que s’attendrir avec lui.

840. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

En effet, dans le Discours de M. de Morville, nous lisons, et les assistants purent entendre ces paroles : Il y a longtemps, monsieur, que votre amour pour les lettres est célèbre dans cette compagnie ; les applaudissements que vous y recevez aujourd’hui ne vous sont pas inconnus ; vous y devez être accoutumé, et vous les avez obtenus dans un âge auquel on ferait un mérite d’en concevoir l’espérance. […] Le président Hénault n’était pas de force à remplir de tels cadres ; il se plaisait pourtant à les concevoir, à les proposer aux autres, et on doit lui en savoir gré : Il se plaît à démêler dans toutes sortes de genres, a dit Mme Du Deffand, les beautés et les finesses qui échappent au commun du monde ; la chaleur avec laquelle il les fait valoir fait quelquefois penser qu’il les préfère à ce qui est universellement trouvé beau ; mais ce ne sont point des préférences qu’il accorde, ce sont des découvertes qu’il fait, qui flattent la délicatesse de son goût et qui exercent la finesse de son esprit.

841. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Tout en en faisant le plus grand cas, il conçut l’idée de provoquer autour de lui quelques remarques et quelques critiques. […] Par exemple, il y avait un chapitre ainsi conçu : « Que M. 

842. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Le recueil ainsi conçu et rassemblé, il ne s’agissait plus que de savoir quelle forme, quelle figure définitive il prendrait, et quelle fée on lui donnerait pour marraine. […] Je conçois, lui écrivait Jean-Jacques Rousseau (13 octobre 1738), les inquiétudes que vous donne le dangereux métier de M. votre fils, et tout ce que votre tendresse vous porte à faire pour lui donner un état digne de son nom ; mais j’espère que vous ne vous serez point ruinée pour le faire tuer : au contraire, vous le verrez vivre, prospérer, honorer vos soins, et vous payer au centuple de tous les soucis qu’il vous a coûtés.

843. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

Le mémoire, conçu et commencé dans une intention toute particulière, mais bientôt, à mesure que l’auteur avançait et s’y développait, continué et composé réellement en vue du public, est fort utile et fort attachant. […] Il est exclu de la chambre de Bossuet aux approches de la mort ; on le conçoit, étant ce que son journal le déclare.

844. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Vauvenargues l’avait félicité de son mariage tant qu’il le crut fait ; il le félicita plus franchement lorsqu’il le vit rompu : J’aime, lui disait-il, votre amour pour la liberté : elle est mon idole, et j’ai peine à concevoir que l’on soit heureux sans elle. […] Celui dont il est question avait des faces riantes ; j’entrais dans vos espérances, je m’en faisais un sujet de joie ; mais je les perds sans regret, et j’en conçois de plus grandes.

845. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Et comme il savait que pour l’amuser il fallait des contes un peu bouffons ou des nouvelles littéraires, il ne manqua pas de l’entretenir de la petite assemblée ; il lui en donna si bonne idée que Richelieu conçut à l’instant le dessein de l’adopter, de la constituer en corps et de s’en servir pour la décoration littéraire du règne. […] L’histoire de l’Académie, telle que je la conçois aujourd’hui, en tant qu’histoire du corps, est assez difficile à faire, faute de documents particuliers suffisants ; je ne la crois pourtant pas impossible.

846. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Ce fut une grâce… » Elle disait encore, en parlant de cet entier abandon de son être au sein de Dieu : « Ces sentiments, chère amie, sont de très ancienne date : le premier germe en a été conçu dans un temps où l’air était encore embaumé, les objets à l’entour resplendissants de beauté et de fraîcheur, et où mon cœur, quoique troublé par des peines, sentait encore parfois son existence avec enivrement. » Pour le philosophe et l’observateur, qui ne donne dans le surnaturel qu’à son corps défendant, il n’y a pas tant à s’étonner de cette subtilisation, de cette sublimation (pour parler comme en chimie) de tous les sentiments. […] — Mais qu’est-ce si la personne qui préside au salon malgré toute son indulgence, est une croyante ferme et fixe, rigide, qui n’a jamais douté et qui s’en vante, qui vous prend et qui vous accepte pour les espérances que sa charité lui fait concevoir de vous et du salut de votre âme ; qui maintient la conversation sur des tons élevés, dans une sphère ingénieusement providentielle, mais dont il vous est impossible (si vous étouffez) de sortirbrusquement sans faire éclat ?

847. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Vous qui avez perdu une femme adorée, vous pouvez concevoir ce que je sens. […] Elle y revenait aussi prudente que jamais et bien avertie de l’être, mais au fond du cœur, on le conçoit, médiocrement reconnaissante.

848. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Telle est, messieurs, la liberté de la presse. » Il y disait encore : « La société, dans sa marche progressive, est destinée à subir de nouvelles nécessités ; je comprends que les gouvernements ne doivent pas se hâter de les reconnaître et d’y faire droit ; mais quand ils les ont reconnues, reprendre ce qu’on a donné, ou, ce qui revient au même, le suspendre sans cesse, c’est une témérité dont, plus que personne, je désire que n’aient pas à se repentir ceux qui en conçoivent la commode et funeste pensée. […] Je ne conçois rien à des relations aussi sèches que celles de Chateaubriand avec eux40. — Nous nous portons tous bien dans notre petit rayon ; mais quand nous voulons l’étendre, nous rencontrons des maladies dont ce pays-ci est plein, etc. » La révolution de juillet 1830 n’étonna point M. de Talleyrand, qui l’avait vue venir.

849. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Il est curieux de voir en quels termes était conçue la démission adressée par Jomini çà ce dignitaire tout-puissant, le plus élevé dans l’ordre militaire. […] La patrie suisse exceptée, le pays d’ailleurs et le théâtre n’y font rien ; la belle école (comme il la conçoit), l’école de la grande guerre, est partout où il y a des capitaines capables de la comprendre et de la pratiquer. — C’est trop d’indifférence, dira-t-on. — J’exprime le fait sans blâmer ni approuver.

850. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — Note »

Vraiment c’est une chose triste que ce livre, et s’il pouvait me faire concevoir l’ennui de mon ennui, ce serait le seul bien dont il fut capable. […] Léliaparaissait à peine que déjà l’astre funeste, sous lequel elle avait été conçue, était conjuré.

851. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Il est des douleurs tellement irrémédiables à la fois et fécondes, que, malgré la fragilité de notre nature et le démenti de l’expérience, nous nous obstinons à les concevoir éternelles ; faibles, inconstants, médiocres nous-mêmes, nous vouons héroïquement au sacrifice les êtres qui ont inspiré de grandes préférences et causé de grandes infortunes ; nous nous les imaginons comme fixés désormais sur cette terre dans la situation sublime où l’élan d’une noble passion les a portés. — Mais nous n’en étions qu’au départ de Rome. […] Le changement qui nous est sensible chez Mlle de Liron, à mesure que nous lisons mieux dans son cœur et que sa bonne santé s’altère, n’est pas plus difficile à concevoir que tant de changements à nous connus, développés dans des natures de femmes par une rapide invasion de l’amour.

852. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Les circonstances extérieures étant données, l’état politique et social étant connu, on conçoit quelle dut être sur une nature comme celle de Boileau l’influence de cette première éducation, de ces habitudes domestiques et de tout cet intérieur. […] Ce qu’on a peine à concevoir, c’est qu’il vendit sur ses derniers jours sa maison d’Auteuil et qu’il vint mourir, en 1711, au cloître Notre-Dame, chez le chanoine Lenoir, son confesseur.

853. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre III. Montesquieu »

Mais ils reçoivent des nouvelles de leurs pays, de leurs familles ; et l’on conçoit comment peut là-dessus s’exercer l’imagination d’un jeune Français sous la Régence, avec quelle curiosité libertine il mettra en scène la vie oisive et voluptueuse du sérail, des femmes très blanches surveillées par des eunuques très noirs, des passions ardentes, des jalousies féroces, des désirs enragés. […] Il fait abstraction de l’homme, et le traite comme une matière inerte et passive : si bien que, dans son idée, un système de lois bien conçu ne peut manquer de mener n’importe quel peuple, en quelque sorte sans qu’il s’en mêle, à son maximum de puissance et de prospérité.

854. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IX, les mythes de Prométhée »

La nature avait sans doute détruit, en partie, à coups de cataclysmes, les monstres conçus dans le rut sauvage de sa formation ; le Saturne des âges chaotiques avait dévoré ses enfants. […] Voulant honorer son illustre fils, il renonça à la colère qu’il avait conçue autrefois contre Prométhée qui avait lutté de ruses avec lui. » Mais Zeus, en amnistiant sa victime, voulut qu’elle restât marquée du stigmate de son châtiment, Prométhée gracié dut porter au doigt un anneau de fer fait d’un morceau de sa chaîne, et dans le chaton duquel était incrustée une parcelle du roc de son pilori.

855. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

C’est, je crois, Machiavel qui l’a dit : « Les hommes qui, par les lois et les institutions, ont formé les républiques et les royaumes, sont placés le plus haut, sont le plus loués après les dieux. » Napoléon est l’un de ces mortels qui, par la grandeur des choses qu’ils conçoivent et qu’en partie ils exécutent, se placeraient aisément dans l’imagination primitive des peuples presque à côté des dieux. […] Profitant de la paix forcée de l’Europe, assuré de l’alliance de la Russie et certain d’acheter sa connivence à l’Occident moyennant un appât du côté de la Turquie, Napoléon conçoit à un moment l’idée de mettre la main sur le trône d’Espagne, d’en précipiter un roi imbécile, une reine dissolue, et de déshériter leur fils qui, au fond, ne valait guère mieux, mais à qui l’on n’avait à reprocher alors que de ne pouvoir vivre en intelligence avec ses tristes parents et avec leur scandaleux favori, le prince de la Paix.

856. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Il raconte en termes simples et véridiques ses impressions premières et sa situation d’esprit à son arrivée à Versailles : Ma position personnelle dans ces premiers moments, dit-il, ne ressemblait à celle d’aucun autre : trop jeune pour concevoir l’idée de diriger une Assemblée aussi imposante, cette situation faisait aussi la sécurité de tous ceux qui prétendaient à devenir chefs ; nul ne voyait en moi un rival, et chacun pouvait y apercevoir un élève ou un sectateur utile. […] Maubourg connaissait beaucoup Mme de Tourzel (gouvernante des Enfants de France), et on ne peut se dissimuler que Barnave avait déjà conçu des projets.

857. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Il y a le Fontenelle bel esprit, coquet, pincé, damoiseau, fade auteur d’églogues et d’opéras, rédacteur du Mercure galant, en guerre ou en chicane avec les Racine, les Despréaux, les La Fontaine ; le Fontenelle loué par de Visé et flagellé par La Bruyère ; et à travers ce Fontenelle primitif, à l’esprit mince, au goût détestable, il y en a un autre qui s’annonce de bonne heure et se dégage lentement, patiemment, mais avec suite, fermeté et certitude ; le Fontenelle disciple de Descartes en liberté d’esprit et en étendue d’horizon, l’homme le plus dénué de toute idée préconçue, de toute prévention dans l’ordre de la pensée et dans les matières de l’entendement ; comprenant le monde moderne et l’instrument, en partie nouveau, de raisonnement exact et perfectionné qu’on y exige, s’en servant avec finesse, avec justesse et précision, y insinuant l’agrément qui fait pardonner la rigueur, et qui y réconcilie les moins sévères ; en un mot, il y a le Fontenelle, non plus des ruelles ni de l’Opéra, mais de l’Académie des sciences, le premier et le plus digne organe, de ces corps savants que lui-même a conçus dans toute leur grandeur et leur universalité quand il les a nommés les états généraux de la littérature et de l’intelligence. […] Cet homme-ci n’a point en lui cette géométrie idéale et céleste que conçoivent primordialement un Pascal, un Dante, un Milton, ou même un Buffon ; il ne l’a pas et il ne s’en doute pas ; il amincit le ciel en l’expliquant.

858. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Dans la vue de réparer les fâcheux effets du partage, il conçut l’idée d’unir d’intérêt et d’amitié les deux souveraines, l’impératrice de Russie Catherine, et Marie-Antoinette, et d’être le lien de cette union. […] Il avait été employé sous mes ordres, et j’avais conçu beaucoup d’amitié pour lui, non seulement à cause de ses qualités aimables, mais pour sa loyauté, sa franchise et son esprit de chevalerie.

859. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

quel délicieux poème vous auriez été, si la nature prodigue qui vous a conçu avait été capable de vous porter avec cette patience, de vous élever et de vous mener à bien avec cette sollicitude maternelle ! […] Cette manière élevée et sobre dont Jasmin conçoit l’art du poète, il l’a exprimée avec bien de la gentillesse et de l’esprit en une occasion singulière.

860. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Développant pour la première fois cette pensée qu’il a depuis résumée ainsi et qui fait loi : « La littérature est l’expression de la société », M. de Bonald examine dans leurs rapports la décadence des arts et celle des mœurs : « Ce serait, ce me semble, nous dit-il, le sujet d’un ouvrage de littérature politique bien intéressant, que le rapprochement de l’état des arts chez les divers peuples avec la nature de leurs institutions. » Et il en donne à sa manière un aperçu, indiquant que la plus grande perfection des arts et des lettres, comme il les conçoit, répond généralement à l’état le plus parfait des institutions sociales, c’est-à-dire à la monarchie. […] Publiciste, malgré ses hautes parties, je ne lui trouve pas les vrais signes du génie, qui sont l’ouverture d’instinct, le renouvellement de vue, la prescience et la découverte de vérités nouvelles : il n’a fait que rédiger et reconstruire, sous forme originale, idéale, et parfois bizarre, les doctrines du passé, sans admettre ni concevoir aucune des transactions et des transformations par où elles pouvaient se lier à l’avenir.

861. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Il conçut à l’instant l’idée de plusieurs pamphlets ou diatribes pour les opposer aux feuilles de Fréron (La Wasprie, L’Âne littéraire) ; il les écrivit ou les fit écrire par son frère, et s’occupa de les répandre partout pour démonétiser l’adversaire : « Ne serait-il pas heureux, écrivait-il à Voltaire, de venger à la fois le bon goût qu’il offense, et de réduire ce coquin à la mendicité, en attendant qu’il aille aux galères ?  […] Honneur pourtant à lui, quoi qu’on puisse dire bientôt à sa charge, et quoi que nous allions dire nous-même, honneur au poète pour avoir conçu, en ce siècle de raisonnement et de bel esprit, à cette époque de cabale et d’enrôlement universel, une telle idée d’une vocation calme, sereine et recueillie !

862. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Je conçois aisément, dit à ce propos Gourville, que, si quelqu’un voyait ces Mémoires, il ne pourrait jamais les croire véritables : les vieux, qui ont vu l’état où les choses étaient dans le royaume, ne sont plus, et les jeunes, n’en ayant eu connaissance que dans le temps que le roi a rétabli son autorité, prendraient ceci pour des rêveries, quoique ce soit assurément des vérités très constantes. […] On conçoit au reste très bien qu’un ministre fît toujours entrer Gourville ; car avec lui on faisait entrer un esprit à idées et à expédients : il était bon à entendre sur n’importe quel sujet, qu’il s’agît de la marque d’or et d’argent, ou de la conversion des protestants.

863. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Parlant de celles des Romains : « Nous tirons cet avantage, disait-il, de la médiocrité de nos fortunes, qu’elles sont plus sûres : nous ne valons pas la peine qu’on nous ravisse nos biens. » Montesquieu ne concevait pas qu’il y eût un jour possible, un jour prochain, où le clergé en masse serait dépossédé, où la noblesse le serait en grande partie, où les premières têtes du parlement de Paris monteraient en ordre sur l’échafaud : un 1793, cela ne se devine pas. […] Il disait un jour à Suard jeune et à d’autres qui l’écoutaient : « Je suis fini, moi ; j’ai brûlé toutes mes cartouches ; toutes mes bougies sont éteintes. » — Il écrivait vers le même temps cette pensée d’une mélancolie haute et sereine : J’avais conçu le dessein de donner plus d’étendue et de profondeur à quelques endroits de mon Esprit, j’en suis devenu incapable ; mes lectures m’ont affaibli les yeux, et il me semble que ce qui me reste encore de lumière n’est que l’aurore du jour où ils se fermeront pour jamais.

864. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

On vit qu’après la gloire de faire de grandes choses, il avait de plus conçu l’ambition de les écrire avec détail et avec étendue, et de composer moins encore des mémoires proprement dits qu’un corps d’histoire et d’annales : J’avoue, disait-il en parlant de ce travail de rédaction et de dictée qui, au milieu de tant d’autres soins si impérieux, avait partagé ses veilles, j’avoue qu’encore qu’il y ait plus de contentement à fournir la matière de l’histoire qu’à lui donner la forme, ce ne m’était pas peu de plaisir de représenter ce qui ne s’était fait qu’avec peine. […] Dès le lendemain de la mort de Henri IV, la reine avait pu reconnaître la faiblesse de ses conseillers : il s’agissait de publier une déclaration conçue au nom du feu roi, pour la proclamer immédiatement régente ; Villeroy, plus hardi, offrait de dresser la pièce et de la signer ; le chancelier de Sillery, qui avait le cœur de cire , dit Richelieu, ne voulut jamais la sceller, et sa raison fut que, s’il le faisait, le comte de Soissons s’en prendrait à lui et le tuerait.

865. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Selon Grimm, il n’y a que deux manières de s’y prendre : ou bien s’appliquer à faire concevoir le plus clairement possible le petit nombre de vérités qu’on peut savoir (c’est ce qu’a fait Locke) ; ou bien peindre vivement l’impression particulière qu’on reçoit de ces mêmes vérités, ce qui sert du moins à multiplier les points de vue : et c’est ce qu’a fait Montaigne. […] Pénétré de la difficulté de l’invention sociale en tant qu’elle s’élève au-dessus d’une certaine agrégation première toute naturelle et grossière, et qu’elle arrive à la civilisation véritable, il ne la conçoit possible que grâce à de merveilleuses passions en quelques-uns et à une héroïque puissance de génie : « Il faut, pense-t-il, que les premiers législateurs des sociétés, même les plus imparfaites, aient été des hommes surnaturels ou des demi-dieux. » Grimm, en politique, se rapproche donc beaucoup plus de Machiavel que de Montesquieu, lequel accorde davantage au génie de l’humanité même.

866. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Ici, à ce moment, en Allemagne, c’était Wolff qui remplissait cet office de maître à penser, et qui, à travers les systèmes très contestables et le roman métaphysique dont il était l’interprète, faisait sentir du moins les avantages d’une raison plus libre et d’un bon sens plus dégagé : « C’est le bonheur des hommes quand ils pensent juste, disait Frédéric, et la philosophie de Wolff ne leur est certainement pas de peu d’utilité en cela. » La reconnaissance de Frédéric envers M. de Suhm « qui lui a débrouillé le chaos de Leibniz, éclairci par Wolff », est donc très sincère et très vive ; il a pour lui une de ces amitiés idéales, passionnées, enthousiastes, telles qu’en conçoivent les nobles jeunesses. […] Il persiste à repousser toute comparaison, tout point de contact avec les héros, avec les conquérants ; il en est presque là-dessus aux lieux communs de la philosophie : Si les qualités du cœur peuvent entrer dans la composition d’un héros, si la fidélité et l’humanité peuvent tenir lieu de cette fureur brutale et souvent barbare des conquérants ; si le discernement et le choix des honnêtes gens peut être préféré au vaste génie de ceux qui conçoivent les plus grands desseins ; si enfin les bonnes intentions et la douceur sont préférables à l’activité de ces hommes remuants qui semblent être nés pour bouleverser tout le monde ; alors, et à ces conditions, je puis entrer en compromis avec eux.

867. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Il élabore des images et des sensations définies qui provoquent des images et des sensations aussi identiques que possible, mais prosaïques en ce qu’elles sont analytiques, c’est-à-dire données plutôt à comprendre et à concevoir qu’à ressentir. […] Appliquée à un grand nombre de monuments de chaque art et de chaque genre, l’analyse artistique telle que nous la concevons, fournira des matériaux précieux aux généralisations de l’esthétique expérimentale, éclairera la technique, le développement historique, la morphologie en un mot et la dynamique de l’œuvre d’art.

868. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tourguénef semble bien connaître autrement notre race que par les vagues abstractions qu’en conçoivent la plupart des cerveaux, ces catégories grossières où les bonnes gens sont à droite et les vicieux à gauche. […] Il eut essentiellement une âme minutieuse particulariste, si l’on peut dire, qui percevait merveilleusement ce que chaque objet a d’individuel, de propre, d’unique, et qui pourtant, par une sorte de paresse native, n’allait pas à s’en former une image précise, mais la concevait diffuse, vague, toute brouillée d’ombre.

869. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Émile Zola » pp. 70-104

Cesser tout à coup de penser les choses réelles, en détacher un caractère extrêmement compréhensible et ne plus concevoir les individus qu’en tant qu’ils participent de cet attribut métaphysique est le fait soit d’une intelligence spéculative et savante, soit parfois d’un styliste émérite, d’un homme au tour d’esprit verbal qui emploie inconsciemment la synthèse que les mots ont faits de nos idées générales. […] Enfin, il a conçu le premier, sans la réaliser, malheureusement, la grande idée que le roman ne devait pas être une étude individuelle, mais bien une vue d’ensemble où passerait la foule, où s’étalerait toute une époque, et qui, décentralisé et indéfini, engloberait tout un peuple, dans un temps et toute une ville.

870. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Les sciences qui étudient les choses diverses et particulières peuvent accepter tout ce qui est acquis sans renoncer à y ajouter ; mais la science qui prétend atteindre au fond des choses ne peut pas admettre qu’il y ait deux manières de concevoir le fond des choses. […] Au reste, que l’indifférence, la neutralité et le scepticisme puissent être souvent la fâcheuse conséquence d’une trop large manière de concevoir les choses, c’est ce qu’il serait difficile de nier.

871. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Doyen » pp. 178-191

On conçoit qu’un autre spectateur placé dans l’enfoncement du tableau, ferait le chemin opposé et qu’on ne commencerait à l’appercevoir qu’à l’endroit où sa hauteur surpasserait la hauteur verticale de l’escalier, qui va toujours en diminuant. […] Mais le haut de la caverne est vide, et si l’on voulait me faire concevoir qu’elle regorge de cadavres, il aurait fallu l’annoncer.

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