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1562. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Je vous dirai même qu’il y a, non pas de la gêne mais un peu d’effort, que l’on sent, à faire, en effet, quelque chose de tout à fait en dehors de ce que l’on fait à cette époque. […] Vous vivrez plus longtemps encor que vos attraits ; Je ne vous réponds pas alors d’être fidèle : Mes désirs languiront aussi bien que vos traits ; L’amant se sent déchoir aussi bien que la belle. […] La Fontaine a une singulière idée : c’est de remplacer la fumée qui sort de la boîte de Vénus et qui endort Psyché, par une vapeur qui la transforme… en négresse, et il nous assure qu’après cette métamorphose fâcheuse, elle est peut-être plus jolie qu’auparavant. « C’est d’une imagination un peu burlesque, direz-vous, cela sent son Scarron !  […] Surtout je ne veux pas l’être en ce moment-ci, non, je ne le voudrais pas, parce qu’il ne faut jamais être avec la majorité ; mais je ne suis pas fâché, en passant, de vous indiquer, par un exemple curieux, une des différences capitales, une différence essentielle qu’il y a entre ces deux écoles, non seulement dans la manière de penser, mais aussi dans la manière de sentir.

1563. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Pour échapper à l’horreur de ces apostasies philosophiques, je me suis orgueilleusement résigné à la modestie : je me suis contenté de sentir ; je suis revenu chercher un asile dans l’impeccable naïveté. […] Ingres, je dise qu’ils se sentent en face d’un hétéroclitisme bien plus mystérieux et complexe que celui des maîtres de l’école républicaine et impériale, où cependant il a pris son point de départ. Avant d’entrer plus décidément en matière, je tiens à constater une impression première sentie par beaucoup de personnes, et qu’elles se rappelleront inévitablement, sitôt qu’elles seront entrées dans le sanctuaire attribué aux œuvres de M.  […] L’amour et l’influence de l’antiquité se sentent partout ; mais M. 

1564. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire littéraire de la France. Ouvrage commencé par les Bénédictins et continué par des membres de l’Institut. (Tome XII, 1853.) » pp. 273-290

En ce danger il s’adressa à Dieu, et, s’étant relevé sain et sauf, il sentit le désir de se donner tout entier à celui à qui il devait le salut. […] Il sentit donc, sans être très avancé en âge, les premières atteintes du mal qui devait l’emporter : « Un gros rhume dont il fut attaqué vers la fin de l’année 1748, nous dit son biographe, le força de prendre une chambre à feu : c’est le seul adoucissement qu’il se permît. » Ainsi, jusque-là, il avait vécu, travaillé, étudié, comme le moins délicat de nous ne consentirait pas à vivre, même un seul hiver. — Sachons-le bien, quand l’encre venait à geler dans une de ces froides bibliothèques de bénédictins, le savant religieux était obligé, pour s’en servir, de l’aller faire dégeler un moment au feu de l’infirmerie ou de la cuisine. […] Il en a fait ces admirables petits drames, qui vont parfois jusqu’à la grandeur : mais son talent et son génie, ç’a été surtout de s’y être mis lui-même, de n’y avoir vu qu’un cadre à parler de l’amitié, de la campagne, de la solitude, du sommeil, de tous ces charmes qu’il sentait si bien : « Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?

1565. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Et afin que ce que je dirai ici sur des hommes dont je suis un peu le collègue, comme membre de l’Académie française et de l’Institut, ne puisse étonner personne, je définirai ma situation en deux mots : Je suis critique, et, en avançant dans la vie, j’ai le malheur de sentir que je m’attache de plus en plus au vrai en lui-même et que je n’entre plus dans le jeu. […] Ce moment fut affreux, et quand, vers le matin, je me jetai épuisé sur mon lit, il me sembla sentir ma première vie, si riante et si pleine, s’éteindre, et derrière moi s’en ouvrir une autre sombre et dépeuplée, où désormais j’allais vivre seul, seul avec ma fatale pensée qui venait de m’y exiler et que j’étais tenté de maudire… Si M.  […] Au lieu de cela, il s’est usé à vouloir créer méthodiquement une science conjecturale, et je crois sentir chez lui, à travers la limpidité de l’expression, de la fatigue et comme de l’élévation dans le vide42.

1566. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

Arago, à l’âge de vingt ans, eut la joie de se sentir chargé d’une de ces missions qui honorent toute une vie de savant. […] Condorcet le premier sentit qu’il était temps d’exposer les vrais titres des hommes éminents dont l’Académie des sciences s’était honorée ; mais, malgré le mérite de quelques-uns de ses éloges, il ne sut point offrir de parfaits modèles de ce genre nouveau. […] Voilà les caractères et les défauts que je pourrais appuyer et démontrer par maint exemple : mais, à côté de cela, on sent l’homme compétent et supérieur quand il parle du fond des sujets ; on s’efforce de le comprendre et de le suivre, et on y parvient avec quelque application.

1567. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — II. (Fin.) » pp. 427-443

Mais la noblesse peut être sentie même dans un sujet trivial. […] Il qualifie quelque part cette peinture des Italiens modernes d’un seul mot : « On dirait de la peinture d’ennuyés. » Ici il en cherche la cause : J’y ai cependant fait une observation que je ne peux m’empêcher de vous communiquer, celle de n’y avoir trouvé aucun tableau un peu original : tous ne sont que de faibles réminiscences des ouvrages anciens et modernes, et rien de véritablement senti sur la nature. […] Il le sentait bien, il avait un désir de se surpasser qui l’entraînait au-delà des bornes : « Ce que vous ne savez pas encore, cher ami, écrivait-il à M. 

1568. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

On y sent se dessiner les formes d’esprit de l’auteur lui-même, confiance, espérance, certitude ; on y saisit ses origines intellectuelles et morales, son tour et son degré de libéralisme, ses limites distinctes et précises : « Je suis de ceux, dit-il, que l’élan de 1789 a élevés et qui ne consentiront point à descendre… Né bourgeois et protestant, je suis profondément dévoué à la liberté de conscience, à l’égalité devant la loi, à toutes les grandes conquêtes de notre ordre social. […] Que s’il traite son homme comme si rien n’était arrivé, s’il veut lui persuader qu’il n’a fait que sauter un ou deux degrés d’un perron et qu’il le remette au régime ordinaire, l’homme, au bout de quelques jours, sent un malaise suivi de désordres intérieurs plus ou moins graves. […] Il y eut même un jour où il lui dit (assure-t-on), — c’était vers 1845, — à un moment critique où on voulait le lui ôter comme ministre et où le vote de la Chambre avait hésité : « Monsieur Guizot, collez-vous à moi. » Mais, tout en appréciant avec estime le talent de l’homme qui le servait avec tant d’éclat, il ne partageait pas sa confiance ni cette intrépidité monarchique si absolue sur une base que lui-même sentait si étroite et si vacillante : « Vous avez mille fois raison, lui répétait-il souvent dans les dernières années ; c’est au fond des esprits qu’il faut combattre l’esprit révolutionnaire, car c’est là qu’il règne ; mais, pour chasser les démons, il faudrait un prophète. » Ce prince était donc, somme toute, un homme d’esprit, et bonne tête, tant qu’il ne faiblit pas. — « Cette bonne tête, ou plutôt cette bonne caboche , » disait de lui un de ses anciens ministres qui se reprenait, comme si le premier mot était un peu trop noble pour le sujet.

1569. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « M. de Pontmartin. Les Jeudis de Madame Charbonneau » pp. 35-55

Il faut que ses admirateurs, qui remplissent les Revues de province et qui, hier encore, injuriaient en son nom l’univers, que ses coryphées qui se faisaient écho de Quimper à Suze-la-Rousse, d’un bout de la France à l’autre, renoncent à dire : « Lisez les volumes de M. de Pontmartin, et sous l’influence de cette lecture vous sentirez grandir en vous l’amour du beau, du vrai et du bien !  […] Et nous qu’il a tant de fois chapitré au nom de ses doctrines de convention, nous avons droit de dire en montrant le présent livre : Lisez et vous y sentirez pour toute inspiration, aux meilleurs endroits, une personnalité très-vive, très-fine, très-excitée et surexcitée, une vanité blessée et se vengeant. […] Ville heureuse où l’on est dispensé d’avoir du bonheur, où il suffit d’être et de se sentir habiter ; qui fait plaisir, comme on le disait autrefois d’Athènes, rien qu’à regarder ; où l’on voit juste plus naturellement qu’ailleurs, où l’on ne s’exagère rien, où l’on ne se fait des monstres de rien ; où l’on respire, pour ainsi dire, avec l’air, même ce qu’on ne sait pas, où l’on n’est pas étranger même à ce qu’on ignore ; centre unique de ressources et de liberté, où la solitude est possible, où la société est commode et toujours voisine, où l’on est à cent lieues ou à deux pas ; où une seule matinée embrasse et satisfait toutes les curiosités, toutes les variétés de désirs ; où le plus sauvage, s’il est repris du besoin des hommes, n’a qu’à traverser les ponts, à parcourir cette zone brillante qui s’étend de la Madeleine au Gymnase ; et là, en quelques instants, il a tout retrouvé, il a tout vu, il s’est retrempé en plein courant, il a ressenti les plus vifs stimulants de la vie, il a compris la vraie philosophie parisienne, cette facilité, cette grâce à vivre, même au milieu du travail, cette sagesse rapide qui consiste à savoir profiter d’une heure de soleil !

1570. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Etienne-Jean Delécluze »

Un double résultat de cette première éducation se fera sentir dans toute sa carrière. […] L’étonnement des élèves parut grand ; mais il ne fut exprimé que sur la physionomie de chacun… Maurice était sujet à des colères très vives, mais qui duraient peu ; il avait d’ailleurs du tact, et, en cette occasion, il sentit la nécessité de justifier par quelques paroles la hardiesse de la sortie qu’il venait de faire, « Belle invention vraiment, dit-il en continuant de peindre, que de prendre Jésus-Christ pour sujet de plaisanterie ! […] Étienne, tu seras un critique. » On sent de quelle espèce de critique entendait parler le maître : artiste manqué, critique par pis aller.

1571. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Leonora est bien la superbe et la passionnée, qui va à son but, épuise son caprice, suce l’orange, jette l’écorce, brise et quitte à son gré : le fin et délicat auteur a trouvé, pour nous la rendre, des accents plus francs que de coutume, des cris énergiques et dont on dirait, s’ils étaient aussi bien de Musset, qu’ils sentent la morsure et la vengeance. […] Il y a une scène fort belle où Sibylle ne me paraît pas excéder la mesure du possible : c’est lorsque la duchesse Blanche, son amie, mariée par raison à un homme estimable, retrouve après des années celui que toute jeune elle préférait et de qui elle aurait aimé à faire choix, et lorsque entraînée sur une pente rapide elle se sent bien près de manquer à ses devoirs : dans son trouble, elle s’ouvre tout d’un coup à Sibylle, à cette jeune fille grave, et pour qui elle a conçu une haute estime. […] Mais aussi que l’anatomie profonde, la physiologie humaine, ne soient point méconnues et absentes sous vos plis et vos draperies, qu’on sente la vraie chair et le vrai sang jusque sous la soie et les dentelles ! 

1572. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

La Savoie, qui était alors la tête de l’Italie, et une tête française, se sentait opprimée et contrainte ; la jeunesse des écoles, à Chambéry, s’exalta et prit feu. […] On lit dans son Journal à cette date : « Le poëte sans fortune est le plus malheureux des hommes : la courtisane ne livre que son corps, libre de garder au fond du cœur les sentiments qui lui restent ; l’autre, au contraire, doit, pour vivre, livrer ses soupirs, ses émotions, les pensées qui lui sont chères, et jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son âme, et cela à un public libre de noircir le tout de la plus injurieuse critique ou du mépris le plus insultant. » — C’est le Journal d’où sont tirées ces paroles si senties, qu’il serait curieux de connaître : on nous le doit. Il était depuis cinq années à Paris, et à bout de voie dans tous les sens (1838), lorsque tout d’un coup une grande révolution s’opéra un matin dans sa manière de voir et de sentir : son âme tout entière se retourna.

1573. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Deux légères fautes qu’il avait commises dans les derniers temps y avaient été peu senties : l’une, c’était d’avoir composé et publié un poëme français, Hélène, qui ne donnait pas sa mesure, qui semblait pourtant la donner, et qui pouvait faire dire à ses critiques d’ici qu’il n’avait de talent qu’en patois et grâce à son patois ; l’autre faute, c’était d’avoir adressé un Poëme-Épître à M.  […] C’étaient là des fautes de goût que peu de personnes par-delà sentirent. […] Telle qu’il la sentait et la pratiquait, habile au métier, charmé des sons, amusé aux syllabes, rien n’existait pour lui en dehors de cette poésie ; il y mettait tout son soin comme toute sa pensée : il n’avait pas de prose.

1574. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Louis XIV avait épuisé sa colère : vieillissant lui-même et devenu dévot, il sentait tout bas peut-être qu’il avait de ce côté quelque compte à rendre, quelque expiation à offrir au Ciel. […] Camille Rousset, conservateur des archives historiques au Dépôt de la Guerre, a sous la main des trésors dont il sent le prix et dont le Gouvernement lui permet de n’être point avare. […] Chabanon a écrit un mot qui est la critique de Grandisson et des romans trop vertueux : « Depuis Aristote tout le monde a senti et répété que l’humanité dépeinte devient plus intéressante par ses faiblesses mêmes. » (Lettre de Chabanon à Mme de La Briche après la lecture des Mémoires manuscrits de cette ; dame). — Si quelqu’un a jamais paru propre à faire mentir ce mot, ç’a été le comte de Gisors.

1575. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Il n’en persista pas moins dans sa résolution d’écrire désormais dans un journal modéré et libre de tout joug, où des amitiés éprouvées lui tendaient la main, et où il savait que les convictions philosophiques, qu’il venait de défendre au Sénat, trouveraient autour de lui non seulement la tolérance avec un peu d’indifférence (comme cela aurait pu lui arriver dans d’autres feuilles amies et libérales), mais aussi une sympathie sûre et de fermes soutiens, des plumes instruites et sérieuses avec lesquelles il se sentait en parfaite communion d’idées. […] Sainte-Beuve, personnages en vue et des plus respectables, des esprits d’élite en effet (si c’est là ce qui a pu servir à autoriser la satire et la calomnie de s’être attachées à leur nom dès le lendemain), aimaient à se retrouver quelquefois chez lui à dîner : c’était comme un terre-à-terre à une extrémité de Paris, quasiment à la barrière, où le milieu d’un quartier populaire et sain influe, malgré soi, jusque dans les habitations bourgeoises ; on s’y sentait bien réellement éloigné de toute contrainte gênante et de toute étiquette cérémonieuse. […] Sainte-Beuve disait à un ami en face de lui, dans une de ces conversations familières qui le prenaient parfois après une forte journée de travail : « Je ne me serais pas cru libre dans un journal qui porte un emblème en tête (il montrait le Journal officiel) ; il faut trop se ranger, quand on marche sous une bannière ; on a peur de marcher sur le pied de son voisin ; on se gêne ou l’on gêne ; on n’est plus là pour discuter, mais pour suivre ; on est enrôlé ; allez donc discuter les affaires de Rome, par exemple, comme on les sent, dans un journal qui épouse tant là légitimité que cela ; qui semble voué à la reine Marie-Antoinette ; oh il est sans cesse question d’elle !

1576. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

On hésite à faire l’aumône d’une louange restreinte, mais sentie, et d’un regret compatissant (lorsqu’elles échouent), à ces vastes ambitions poétiques qui demandent du premier coup un monde tout entier nouveau, qui voudraient doter de leur poésie, comme d’une religion, l’univers, et à qui le rameau de Dante semblerait parfois trop léger. […] Une telle épopée, on le sent, aurait le caractère des épopées dans les sociétés et les littératures civilisées, c’est-à-dire qu’elle serait d’un homme et non de tous, qu’elle ne se prêterait pas à être remaniée, fondue dans quelque rédaction postérieure. « Pourquoi, » dit M. […] Rien de mieux imaginé et de mieux senti qu’un tel chant pacifique, miséricordieux et pieux, dans la bouche des morts, tandis que les vivants ignorent ces choses, ne croient à rien, et vont de nouveau s’entre-déchirer : « Seigneur, fais que ton nom jusqu’à nous retentisse !

1577. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

S’il se rencontre surtout dans une nature aimable, facile, qui n’a en rien l’ambition de ce rôle et qui ignore absolument qu’elle le remplit ; s’il se produit en œuvres légères, courtes, inachevées, mais sorties et senties du cœur ; s’il se termine en une brève jeunesse, il devient tout à fait intéressant. […] Cette pièce que chacun sait par cœur, et qui est l’expression délicieuse d’une mélancolie toujours sentie, suffit à sauver le nom poétique de Millevoye, comme la pièce de Fontenay suffit à Chaulieu, comme celle du Cimetière suffit à Gray. […] Millevoye n’a pas l’invention du style, l’illumination, l’image perpétuelle et renouvelée ; il a de l’oreille et de l’âme, et, quand il dit en poëte amoureux ce qu’il sent, il touche.

1578. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Avant d’analyser encore quelques autres avantages de la religion chrétienne, qu’il me soit permis de m’arrêter ici pour faire sentir un rapport qui m’a frappée entre cette époque et la révolution française. […] Les aperçus de l’esprit, les nuances senties par le cœur se multiplièrent avec les idées et les impressions de ces âmes nouvelles, qui s’essayaient à l’existence morale, après avoir longtemps langui dans la vie. […] L’esprit militaire, qui doit avoir présidé à l’origine des sociétés, se fait sentir encore jusque dans la philosophie stoïcienne ; la puissance sur soi-même y est exercée, pour ainsi dire, avec une énergie guerrière.

1579. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Dans les monarchies aristocratiquement constituées, la multitude se plaît quelquefois, par un esprit dominateur, à relever celui que le hasard a délaissé ; mais ce même esprit ne lui permet pas d’abandonner ses droits sur l’existence qu’elle a créée, le peuple regarde cette existence comme l’œuvre de ses mains ; et si le sort, la superstition, la magie, une puissance, enfin, indépendante des hommes, n’entre pas dans la destinée de celui, qui dans un état monarchique doit son élévation à l’opinion du peuple, il ne conservera pas longtemps une gloire que les suffrages seuls récompensent et créent, qui puise à la même source son existence et son éclat ; le peuple ne soutiendra pas son ouvrage, et ne se prosternera pas devant une force dont il se sent le principal appui. […] La passion de la gloire excite le sentiment et la pensée au-delà de leurs propres forces ; mais loin que le retour à l’état naturel soit une jouissance, c’est une sensation d’abattement et de mort : les plaisirs de la vie commune, ont été usé sans avoir été sentis, on ne peut même les retrouver dans ses souvenirs ; ce n’est point par la raison ou la mélancolie qu’on est ramené vers eux ; mais par la nécessité, funeste puissance, qui brise tout ce qu’elle courbe ! […] L’homme accoutumé à compter avec l’histoire, ne peut plus être intéressé par les événements d’une existence commune ; on ne retrouve en lui aucun des mouvements qui le caractérisaient, il ne sent plus la vie, il s’y résigne.

1580. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Tous les vers de la strophe et de l’antistrophe étant égaux, la correspondance rythmique n’est plus marquée que par la succession des rimes qui ne la fait pas sentir suffisamment : la strophe et l’antistrophe se fondent en une longue strophe, assez longue pour rendre insensible l’identité des épodes qu’elle sépare. […] Hugo, la Tristesse d’Olympio ; Musset, le Souvenir : un seul thème, trois tempéraments de poète, trois façons de sentir, par suite de concevoir la destinée de l’homme. […] Il a vu à quoi le métier devait servir, et il a bien compris, disons mieux, il a senti dans l’étude des anciens ce que la forme était en poésie.

1581. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

La vie poussa encore Mme de Staël en ce sens : chassée de Paris, elle vit à Coppet, où son salon donne pour ainsi dire par trois portes sur la France, sur l’Italie et sur l’Allemagne, De Coppet elle sent mieux que de Paris l’attrait de l’Italie et de l’Allemagne : Paris est le lieu du monde où l’esprit s’enferme le plus facilement. […] Par l’Allemagne, elle arrive à comprendre, presque à sentir la poésie, poésie de la nature et poésie de l’âme. […] Cela aboutit à rendre suspect au peuple l’homme bien élevé autant que le propriétaire et le capitaliste : il sent peut-être plus le mépris qui le tient à distante, que la richesse dont il est exclu.

1582. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Voilà un « mystère » qui sent un peu l’hérésie ; car l’Eglise enseigne que, non seulement les élus oublieront les damnés, mais que les damnés détesteront les élus (je ne donne pas ce dogme pour aimable). […] Et ne vous sentez-vous pas à cent lieues de la convention du mélodrame ou même du roman proprement dit ? […] Et c’est, je pense, de cette absence d’effort, de cette rapidité à sentir, de cette légèreté ailée que résulte la grâce, ou le charme.

1583. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Il lui a montré les artistes, ces êtres qu’elle enviait et haïssait, dont elle se sentait séparée par des milliers de lieues, qu’elle craignait en les dénigrant, et il lui a permis de dire : « Eh ! […] Nous sentons tous qu’il faut en finir avec les tenues exceptionnelles et les mœurs désordonnées. […] Pour être exceptionnel, il faut faire sentir qu’on peut, dans le convenu, être parfait : autrement, on n’est qu’anormal et dévoyé.

1584. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Oscar Wilde, encore qu’il se défendît d’obéir aux préjugés, subissait à son insu cette hostilité héréditaire et s’il avait retrouvé, à Londres, cette même rigueur puritaine, cette même obstination hypocrite du cant (on sait que les Irlandais se font gloire d’un haut renom de chasteté) dont sa libre et sensuelle nature avait à souffrir, il se sentait doublement incité à s’en affranchir par instinct et par désir de faire pièce à une race détestée. […] Wilde en sentait d’autant plus le danger qu’il était lui-même, malgré ce qu’il en dit, marqué du pli de la Bible. […] Il sentait la nécessité de l’expiation. « Il fallait que cela fût », avouait-il, en sortant de la geôle où son génie s’est épuré.

1585. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

L’insulte sanglante qu’il reçut un soir du chevalier de Rohan, et la protection qui couvrit ce misérable, l’impuissance où se vit tout à coup l’homme de cœur outragé de laver son affront, ces iniquités sociales qu’on ne juge bien que quand on les a senties, l’avertirent que l’esprit pourtant n’était pas tout en France, et qu’il y avait un pouvoir despotique qui mettait quelques privilégiés au-dessus des lois, au-dessus même de l’opinion. […] Il rêvait donc, après ce premier grand orage de sa vie, une retraite où il pût, sans être isolé, vivre abrité, indépendant, et penser assez haut, sans être privé tout à fait de sentir : Mon Dieu ! […] On y sent partout un jargon de coterie et de province, le goût de cette petite cour de Lorraine où l’on vivait entre soi comme dans une bonbonnière.

1586. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Elle sentait bien qu’en s’abandonnant à ce point aux projets de Bothwell, elle lui fournissait des armes contre elle-même, et qu’elle lui donnait sujet de se méfier à son tour. […] L’humanité, la pitié, la religion, la grâce poétique suprême, toutes ces puissances invincibles et immortelles se sentent intéressées dans sa personne, et crient pour elle à travers les âges. […] Le vieil Étienne Pasquier sentait ainsi.

1587. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

En venant un peu tard et après tous les autres organes de la publicité pour rendre, à notre manière, hommage à une haute vertu et à une immense infortune, nous n’aurons qu’à répéter plus ou moins ce qui a été dit et senti par tous. […] Il lui fallut paraître au balcon ou s’en retirer à la voix d’une populace furieuse, et, dans ces flux et reflux de l’orage populaire dont elle s’efforçait de deviner le sens, elle ne sentait bien qu’une seule chose, l’étreinte de la main de sa mère qui la pressait contre elle avec le froid de la mort. […] Quand elle se sentait en pays sûr et ami, une certaine plaisanterie ne l’effrayait pas.

1588. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

J’aurais grand besoin cette fois qu’un moraliste fin, discret, adroit et prudent, un Addison, me prêtât son pinceau sans mollesse et sans amertume : car c’est d’un mal moral que je voudrais traiter, et d’un mal présent ; j’ai en vue de décrire la maladie d’une partie notable de la société française (de la fleur et non pas du fond de cette société), et, en la décrivant au naturel, de faire sentir à de belles et fines intelligences qu’elles ont tort de loger et d’entretenir si soigneusement en elles un hôte malin qui, à la longue, est de nature à porter atteinte à la santé même de l’esprit. […] Si dans les hommes irrités dont je parle, il en est qui aient gardé le culte des purs sentiments libéraux, de la vieille liberté entendue comme en 89 ou en 1819, qui aient aimé cette liberté de la même manière avant et pendant le pouvoir, qui n’aient jamais senti, alors qu’ils étaient les maîtres, qu’il fallait faire fléchir les principes eux-mêmes devant les nécessités publiques et les périls imminents, s’il est de tels hommes qui aient conservé chastement en eux ce premier idéal de la nature humaine et de la nature française gouvernable, à ceux-là je leur accorde tout ; de tels modèles sont beaux de temps en temps à contempler à distance dans l’histoire. […] On sent alors qu’on n’est plus que soi, qu’on n’a plus dans les mains cet aimant qui attirait.

1589. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

* * * Cependant, sur le tard, la quarantaine passée, comme si tout ce que d’épars ils avaient produit n’eût été que pour se faire prendre patience à eux-mêmes, tant ils sentaient le mal de leurs poésies sans lien en même temps qu’ils n’acceptaient de sortir du malaise Baudelairien par aussi quelque facile acceptation du néant : esprits très rares, MM.  […] Moréas, on l’a vu très vite, n’est certes qu’un poète quand même, content de lui et le disant très haut, et ses pauvres poèmes en deux minces volumes où se sent un essoufflement extraordinaire ne sont remarquables, symbolistes en rien même, que par tout le vocabulaire de Rabelais ! […] « À s’aimer, en s’aimant la matière devient : qui intégrale et possessoirement ne s’aimera, que si elle se sent, et, en se sentant, se pense, et, en se pensant, intégrale se sait.

1590. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Observations générales, sur, l’art dramatique. » pp. 39-63

C’est une attention de tous les instants, à mettre si bien toutes les circonstances à leur place, qu’elles soient nécessaires où on les met, et que d’ailleurs elles s’éclaircissent et s’embellissent toutes réciproquement ; à tout arranger pour les effets qu’on a en vue, sans laisser apercevoir de dessein ; de manière enfin que le spectateur suive toujours une action et ne sente jamais un ouvrage : autrement l’illusion cesse, et on ne voit plus que le poète au lieu des personnages. […] Le poète, dit La Motte, travaille dans un certain ordre, et le spectateur sent dans un autre. […] L’auteur a bien senti ce défaut.

1591. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Mais on ne tardera pas à sentir l’absurdité de sa prétention et l’inutilité de ses efforts. […] C’est ce que n’ignore pas celui qui connaît la nature et qui a le sentiment du vrai : mais ce qu’il sent aussi, c’est que ces figures partagées, ces personnages indécis ne concourant qu’à moitié à l’effet général, il perd du côté de l’intérêt ce qu’il gagne du côté de la variété. […] La nature a diversifié les êtres en froids, immobiles, non vivants, non sentants, non pensants, et en êtres qui vivent, sentent et pensent.

1592. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

Si j’avais eu à composer un tableau pour une chambre criminelle, espèce d’inquisition d’où le crime intrépide, subtil, hardi s’échappe quelquefois par les formes, qui immolent d’autres fois l’innocence timide, effrayée, alarmée ; au lieu d’inviter des hommes, devenus cruels par habitude, à redoubler de férocité par le spectacle hideux des monstres qu’ils ont à détruire, j’aurais feuilleté l’histoire ; au défaut de l’histoire, j’aurais creusé mon imagination jusqu’à ce que j’en eusse tiré quelques traits capables de les inviter à la commisération, à la méfiance, à faire sentir la faiblesse de l’homme, l’atrocité des peines capitales et le prix de la vie. […] Le saint a la tête relevée sur son chevet, et les mains jointes sur sa poitrine ; cette tête est de toute beauté, le saint bien senti dans son lit, et les couvertures annoncent parfaitement le nu. à cette composition si vraie dans toutes ses parties il n’a manqué, pour être la plus belle qu’il y eût au sallon, que d’être peinte ; car elle ne l’est pas. […] On sent qu’il n’est pas d’un portraitiste, il n’est pas léché, propre et neuf comme ceux de ces messieurs ; mais il y a plus de verve ; il est plus ragoûtant, plus pittoresque, mieux torché. à l’égard de la ressemblance, on l’assure parfaite.

1593. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Le siècle de Louis XIV fut goûté de nouveau ; et, pour le remarquer en passant, on sentait, surtout dans les feuilles quotidiennes, un instinct monarchique dont il était bien facile de tirer parti, mais que l’on sut tourner habilement au seul profit du despotisme. […] Les peuples, par une sorte d’instinct qui ne les trompe jamais, sentaient que le retour de leurs anciens rois était pour eux-mêmes le retour de leurs anciennes prérogatives et de leurs espérances nouvelles ; mais ils étaient trop impatients d’en jouir. […] Celle qu’il n’a point aperçue, ou qu’il a négligée, donnerait ici lieu à d’importantes observations : je m’en abstiendrai aussi, parce que je ne veux point être accusé d’être guidé par un esprit de système ; mais qu’il me soit permis de puiser, dans le peu que nous connaissons de ce génie allégorique, une hypothèse qui pourra servir à faire mieux sentir, par la suite, plusieurs choses qu’il me serait assez difficile d’expliquer.

1594. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Si, par exemple, il enlevait son Bébé du livre où il se trouve, s’il le publiait à l’écart de la mauvaise compagnie du Monsieur et de la Madame avec lesquels il se trouve pour l’instant, le Bébé deviendrait le bréviaire des mères de famille… Ce serait une fortune pour l’auteur, un succès à la Picciola, qui eut, je crois, trente à quarante éditions, — et par la souveraine raison qu’un pareil livre est en équation avec les manières de sentir actuelles de la foule. Mais pour un artiste qui se sent, est-ce là l’idéal du succès ? […] On la sent de reste dans le livre de Gustave Droz, et cette ironie, qui n’est qu’une condamnation implicite, peut avoir la sévère beauté d’en être une explicite demain !

1595. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Le mieux donc et le plus sûr pour tout auteur qui se préoccupe du noble but qu’a en vue l’institution présente, c’est que la pensée morale préexiste dès l’origine de l’ouvrage, qu’elle en domine la conception, qu’elle le pénètre ensuite dans le détail par une intention pleine et droite, qu’on la sente circuler et ressortir à travers les égarements mêmes, les luttes de passions et les aventures qui sont du ressort de la scène. […] Mais il a été remarqué d’autre part que cette sorte d’exagération avait toujours été concédée aux moralistes, aux satiriques, aux auteurs de comédies ; que c’est un peu la condition de la scène ; que si la vérité peut manquer sur quelques points du tableau, cette vérité se fait sentir en d’autres endroits d’une manière vive, énergique et neuve : par exemple, lorsque le personnage principal au quatrième acte se voit presque amené, à force d’humiliations d’avanies et d’outrages, à se repentir de ce qu’il a fait de bien, et à apostropher le monde entier dans une sorte de délire : moment dramatique et lyrique tout ensemble, d’une vigueur poignante.

1596. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — V » pp. 123-131

M. de Valincour, avec son tact fin, fut le premier à le sentir ; il démêla à travers l’effusion de Villars une certaine adresse peut-être et une intention de gloire, l’ambittion « d’être le seul académicien que la postérité vît représenter à côté de Richelieu et de Louis XIV. » M. de Valincour se réserva donc, le jour où l’Académie reçut le portrait du maréchal, d’offrir pour sa part à la compagnie ceux de Despréaux et de Racine, et, sans faire tort au héros, l’égalité académique, la dignité des Lettres fut maintenue15. […] Mais un désaccord s’étant prononcé entre le roi de Sardaigne et lui, et la fatigue de l’âge se faisant sentir, il dut retourner à Turin, où la maladie le prit et où il mourut le 17 juin.

1597. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Note »

Voici la première, qui exprimait mes plaintes pour certains propos qui me revenaient de Passy : « Mon cher Béranger, « Bien que j’eusse bien pris la résolution de me taire vis-à-vis de vous jusqu’à ce que le hasard me fit vous rencontrer, je crois pourtant sentir qu’il est mieux de vous demander franchement en quoi et comment j’ai pu avoir tort envers une personne que j’ai toujours fait profession d’honorer autant que vous. […] C’est parce que j’ai senti ce besoin que je vous ai écrit le mot que voici, en vous priant de l’excuser pour l’intention, s’il avait le tort de vous déplaire. 

1598. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Tous les républicains modérés et sages, qui aspiraient au régime légal et sentaient que la France y aspirait aussi, s’opposèrent à ces violences superflues. […] S’abandonnant à la facilité de son esprit et à l’entraînement des choses, il jette, en courant, de grands tableaux, de belles couleurs, d’admirables traits ; mais il ne compose pas, et, dans ses pages les plus pleines de vie, on sent toujours je ne sais quoi d’épars et d’inachevé : on dirait par moment l’insouciance de M. de Lamartine.

1599. (1874) Premiers lundis. Tome II « Quinze ans de haute police sous Napoléon. Témoignages historiques, par M. Desmarest, chef de cette partie pendant tout le Consulat et l’Empire »

Sa volonté dominait son intelligence et sa manière de sentir : « Pourquoi voulez-vous m’ôter mon calme ?  […] Quand on s’épanouit sans cesse pour tout voir et tout sentir à la fois, la volonté hésite et, pour ainsi dire, bégaie.

1600. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

C’est là tout un côté de la critique actuelle, de la mauvaise critique ; mais hors de celle-là, en face ou pêle-mêle, il y a la bonne, il y a celle des esprits justes, fins, peu enthousiastes, nourris d’études comparées, doués de plus ou moins de verve ou d’âme, et consentant à écrire leurs jugements à peu près dans la mesure où ils les sentent. […] Sur Molière et sur Corneille, je ne saurais qu’adopter tout ce que dit d’admiratif, d’explicatif et de profondément senti, l’excellent critique.

1601. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

que l’école dogmatique sent lui échapper. […] Voltaire et Boileau sont deux sensitives littéraires, et leurs dogmes, moins raisonnés que sentis, pour ainsi dire, ne doivent point être séparés de la violence de leurs impressions.

1602. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Quand il eut annoté Dangeau, il se sentit seulement en haleine : il éprouva le besoin de rédiger, lui aussi, ses Mémoires ; il reprit les notes que, depuis l’âge de dix-huit ans, il avait entassées, et, gardant toujours une copie de Dangeau devant les yeux, pour lui donner le fil de l’exacte chronologie, il composa507 cette œuvre volumineuse qui embrasse les vingt dernières années de Louis XIV, avec toute sorte de digressions sur les parties antérieures du règne, et l’époque de la Régence. […] Sa crainte, c’est toujours de dire moins qu’il ne sent : il surcharge, il emmêle d’immenses périodes confuses, touffues, d’où sortent des éclairs et des flammes : son style, enfin, rend le fourmillement de la vie, son mouvement immense et multiple, avec l’étrange agrandissement, l’éclairage violent d’une vision d’halluciné.

1603. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

Tout le monde a pensé, tout le monde a senti, tout le monde a vécu ces choses : personne, jamais, ne les avait dites. […] Par-là, elle échappe à la mesure ; ceux qui espérèrent l’amoindrir en la mesurant n’aboutirent qu’à mieux faire sentir qu’elle les dépassait… Verhaeren s’apparente à la famille des Tragiques.

1604. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

De là ces raisonnemens en faveur & contre le duel : l’apologie du suicide & la condamnation de cette frénésie ; la facilité à pallier le crime de l’adultere, & les raisons les plus fortes pour en faire sentir l’horreur. […] On ne pouvoit mieux faire sentir la suréminence de ses talens, qu’en plaçant à côté de sa Lettre la Réponse que M.

1605. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre onzième. »

On sent, d’après ces réflexions, combien il serait aisé d’abuser de l’Apologue de La Fontaine. On sent combien les méchans sont embarrassans pour la morale des bons.

1606. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Frappé de la majesté divine, et de la fierté noble que Michel-Ange faisoit sentir dans le caractere de tête du pere éternel, qu’on voit en differens endroits de la chapelle de Sixte, faisant l’ouvrage de la création : il condamna sa maniere sur ce point, et il prit celle de son concurrent. […] Le génie se fait sentir bien-tôt dans les ouvrages des jeunes gens qui en sont doüez, ils donnent à connoître qu’ils ont du génie, dans un temps où ils ne sçavent point encore la pratique de leur art.

1607. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Trouver en sa langue les mots propres, et les expressions équivalentes à celles dont se sert l’auteur ancien ou moderne qu’on traduit : sçavoir leur donner le tour necessaire, pour qu’elles fassent sentir l’énergie de la pensée, et qu’elles presentent la même image que l’original, ce n’est point la besogne d’un écolier. […] Le plan d’un long ouvrage, dont la disposition pour être bonne, veut être faite dans la tête de l’inventeur, ne peut être produit sans le secours de la mémoire ; ainsi ce plan doit se sentir de l’affoiblissement de cette faculté : suite trop ordinaire de la vieillesse.

1608. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « II »

Mais ceci n’est qu’une forme de l’horreur du lieu commun et du goût que M. de Gourmont connaît bien — il l’a analysé dans une très bonne page — pour regarder toute chose avec des yeux frais, après s’être absolument débarrassé de tout préjugé, de toute manière traditionnelle et acquise de voir, de juger et de sentir.‌ […] Il y a quelques-uns de ces paradoxes qui ne sont pas sentis, qui sont simplement des lieux communs qu’on a ramassés et qu’on a présentés à l’envers, au lieu ce les présenter à l’endroit, exercice facile, dans les ouvrages de M. de Gourmont.

1609. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

S’il n’avait pas, comme Alain Chartier, reçu le baiser d’une reine sur ses lèvres endormies, il avait, tout éveillé, senti sur son jeune front la main étonnée de Louis XIV. […] Tout le monde n’est pas bâti pour faire un héros et même le métier n’en vaut rien, au point de vue des aises et des tranquillités de l’existence, mais il y a des gens pourtant qui se sentent faits pour cette mauvaise vie des héros.

1610. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

Cela ne se voit pas, quoique cela se sente, semblable aux insectes imperceptibles dont on ne soupçonne l’existence que quand le mal qu’ils font obscurément est accompli ! […] à quelle loi supérieure remontait-il pour reconnaître toujours, à coup sûr, la beauté dégradée de ce monde, cet art puisqu’il a parlé des choses de l’art encore plus que des choses littéraires — qui se rêve dans le cerveau grec, mais qui se sent dans le cœur chrétien ?

1611. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Sand »

Elle ne se sentait ni n’avait assez de talent pour mourir de faim avec grandeur dans une civilisation mortelle souvent au génie, mais elle en avait assez peu pour que cette civilisation lui fût généreuse… Dès son début comme depuis, Madame Sand n’eut de conception plus haute de la littérature et de sa destinée à elle-même que l’indépendance du bohème et le sac d’écus, l’objectif du bourgeois rangé, qu’il appelle son magot. […] On sent, il est vrai, dans cette obscurité, l’étouffement d’une douleur, mais d’une douleur discrète et pour laquelle l’inconsciente a retrouvé la lucide conscience de ce qu’elle tait.

1612. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Dante »

Il semblait moins difficile, et peut-être l’était-il moins, de constater tous ces gens-là que nous venons d’énumérer dans Alighieri le multiface, que de sentir en lui cette unité et cette simplicité sublime : — le poète ! […] Un autre jeune homme, sentant le poète comme il le sent, se serait prosterné devant lui et se serait efforcé de ciseler des hymnes à sa gloire, mais M. 

1613. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Louis Bouilhet. Festons et Astragales. »

Cette étoffe qu’il a réellement, jointe aux airs qu’il exécute, et qui ont déjà été entendus, sentis, applaudis, trouvés et exécutés, d’ailleurs, par de bien plus grands maîtres que lui, enchante le public, qui aime à repasser sur ses impressions, mais impatiente la Critique, qui en voudrait de nouvelles, et qui, d’un homme si bien doué que M.  […] Elle fera des chansons ou des odes : que nous importent ces intitulés qui sentent leur rhétorique !

1614. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

Même l’égoïsme de son parti, qui sentait bien de quelle ressource un tel homme pouvait être dans un moment donné, lui épargna l’angoisse des commencements qui durent… Ce qu’on reconnaît le plus facilement, d’ailleurs, ce sont les facultés qui sont des armes ou qui peuvent le devenir. […] Il a la stricte netteté de Carrel, sa forte sobriété d’expression (qualité militaire du style), et s’il est moins provocateur et moins hautain que Carrel, on sent l’homme, sous l’écrivain, tout aussi solide, avec un mordant et une terrible plaisanterie que n’avait point Carrel, le morose Carrel à l’ambition verte.

1615. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Une observation vient à l’appui de cette idée, c’est que les libertins qui vieillissent, et qui sentent les forces naturelles leur manquer, deviennent ordinairement religieux. […] Son critérium est la maxime suivante : ce que l’universalité ou la pluralité du genre humain sent être juste, doit servir de règle dans la vie sociale.

1616. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Au bout d’un long temps, ceux qui étaient restés dans les plaines, sentirent les maux attachés à la communauté des biens et des femmes, et vinrent se réfugier dans les asiles ouverts par les pères de famille. […] La Providence se fait sentir à nous d’une manière bien frappante dans le respect et l’admiration que tous les savants ont eus jusqu’ici pour la sagesse de l’antiquité, et dans leur ardent désir d’en chercher et d’en pénétrer les mystères.

1617. (1881) Études sur la littérature française moderne et contemporaine

Chacun se sentit menacé, non seulement dans sa liberté, mais dans sa considération. […] Bientôt il se sent assez fort pour entrer en lutte avec le roi. […] J’appelle ainsi un poète qui voit la nature avec les yeux de l’âme, et qui ne se contente pas de la peindre, mais qui la sent profondément. […] Leconte de Liste ; c’est un bouquet de violettes, de violettes de notre contrée, au parfum discret et pénétrant, et qu’on baise pour les bien sentir. […] Ce qu’ils sentent, ce qu’ils rêvent, est trop démesurément supérieur à tout ce que le style peut exprimer.

1618. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Ne sentait-il pas que j’étais plus bête que lui dans la pratique de l’existence ? […] Il sentait beaucoup, mais pas en poète. […] A-t-il senti, a-t-il goûté tout d’abord ? […] On sent bien qu’ils sont là pour une raison strictement pratique. […] Je me nourris de poisson, je bois de ce petit vin blanc qui sent la résine.

1619. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

Toutes ces expressions tirées de loin et hors de leur place, marquent une trop grande contention d’esprit, et font sentir toute la peine qu’on a eue à les rechercher : elles ne sont pas, s’il est permis de parler ainsi, à l’unisson du bon sens, je veux dire qu’elles sont trop éloignées de la maniére de penser, de ceux qui ont l’esprit droit et juste, et qui sentent les convenances. […] Le défaut de jugement qui empêche de sentir ce qui est ou ce qui n’est pas à propos, et le desir mal entendu de montrer de l’esprit et de faire parade de ce qu’on sait, enfantent ces productions ridicules. […] Les persones qui trouveront ces observations ou trop abstraites, ou peu utiles dans la pratique, pouront se contenter de bien sentir par les exemples la diférence qu’il y a d’un trope à un autre. […] Les adjectifs se prènent aussi fort souvent adverbialement, come je l’ai remarqué en parlant des adverbes ; par exemple : parler haut, parler bas, parler grec et latin, (…) : penser juste, sentir bon, sentir mauvais, marcher vite, voir clair, fraper fort, etc. […] L’une et l’autre pratique est une fécondité stérile qui empêche de sentir la propriété des termes, leur énergie, et la finesse de la langue, come je l’ai remarqué ailleurs.

1620. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Seigneur, que je me sente racheté, pardonné, votre élu, votre fidèle ; donnez-moi la grâce, et donnez-moi la foi ! —  « Alors, dit Luther, je me sentis comme rené, et il sembla que j’entrais à portes ouvertes dans le paradis. » Que reste-t-il à faire après cette rénovation du cœur ? […] Ils étaient hors d’eux-mêmes, croyant toujours sentir sur eux la main de Dieu ou la griffe du diable. […] « Voilà d’où est procédé l’horreur et étonnement duquel l’Écriture récite que les saints ont été affligés et abattus toutes et quantes fois qu’ils ont senti la présence de Dieu. […] And for what cause soever this sickness is sent unto you, whether it be to try your patience, for the example of others…, or else it be sent unto you to correct and amend in you whatsoever doth offend the eyes of your heavenly Father, know you certainly that, if you truly repent you of your sins and bear your sickness patiently, trusting in God’s mercy… submitting yourself wholly unto His will, it shall turn to your profit, and help you forward in the right way that leadeth unto everlasting life.

1621. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

Et que serait une traduction toujours exacte, par la plume ou par la parole, de notre façon de penser et de sentir, sinon quelque chose de honteux presque toujours et d’horrible parfois ? […] Sur mille personnes qui parlent d’un ouvrage ou d’un écrivain, une à peine sent, pense et sait ce qu’elle dit ; les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres, simples échos, répètent. […] Ayant pris l’habitude et le besoin de ces idées fondamentales, nous nous sentons obligés de conserver avec un soin jaloux le culte des chefs-d’œuvre d’où elles procèdent. […] Heureux ceux auxquels leur nature enthousiaste fait sentir la beauté des chefs-d’œuvre avant que la science la leur ait expliquée ! […] Les précurseurs ne sont point le Messie : on leur fait durement sentir cette situation inférieure. « Es-tu celui qui devait venir, ou devons-nous en attendre un autre ? 

1622. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rivet, Fernand »

Charles Fuster Ce livre, on le sent, est d’un tout jeune homme, encore à l’âge des grands enthousiasmes.

1623. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » p. 411

On sent assez généralement le prix de sa Géographie moderne, pour l’instruction de la Jeunesse.

1624. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article »

Tallemant, [François] Abbé, de l'Académie Françoise, né à la Rochelle en 1620, mort en 1693 ; Traducteur de Plutarque, très-inférieur à Amyot, dont il n'a fait que mieux sentir le mérite par la sécheresse de son style & l'infidélité de sa Traduction.

1625. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Routier, Gaston (1868-19..) »

Charles Fuster Cet œuvre à la Musset, très passionnée, et, on le sent, très sincère, est précédée d’une préface où l’auteur fait le procès des symbolistes.

1626. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Depont, Léonce (1862-1913) »

Léonce Depont, l’auteur des Sérénités , pur, grave et noble livre, qui est, on le sent, le résultat d’un long travail, d’un choix sévère parmi beaucoup de pages condamnées.

1627. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Mme Edmond = Gérard, Rosemonde (1866-1954) »

Jules Claretie Rosemonde Gérard, c’est Mme Edmond Rostand, et ses Pipeaux sont un des volumes de vers que je rouvre avec le plus de plaisir quand je veux, par les temps de neige, sentir le parfum des lilas.

1628. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saisset, Frédéric (1873-1953) »

Frédéric Saisset, de très réelles qualités, le plus souvent dissimulées et gênées par des hésitations, des indécisions, des appréhensions, et l’on sent trop que le poète doute de soi-même et ne parvient pas à se libérer de certaines influences malgré des efforts continuels, mais sans hardiesse.

1629. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 412

Il a cru sans doute l’emporter, par le volume, sur son prédécesseur ; triste avantage qui ne fait pas oublier les défauts de critique & de style, qui, au contraire, les fait mieux sentir & moins pardonner.

1630. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Et pourtant, que serait un monde qui ne serait ni pensé, ni senti ? […] On ne la comprend plus et surtout on ne la sent plus. […] Elle n’y voit, elle n’y sent que la continuation oblique du plan où elle se meut. […] Il se sent entre les mains de Dieu et sent qu’il ne peut rien sur Dieu. […] Souvent, la consonne finale se fait sentir, qui jadis restait mette.

1631. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Heureusement, Courbet sentit qu’il était temps, pour lui, de faire quelques concessions au bon goût ; il se donna la peine d’intéresser le public en lui servant autre chose que de choquantes excentricités. […] De là, on est en droit d’inférer que ceux qui prétendent qu’en art et en littérature, il est possible de s’élever au-dessus de ce qui a été fait, ou tout au moins de faire autre chose que ce qui a été fait, de voir et de sentir autrement qu’on a vu et senti jusqu’alors, ceux-là, dis-je, m’ont tout l’air de gens qui vont à la découverte dans un pays conquis, exploré en tout sens et exploité dans ses moindres détails. […] Zola n’était pas venu, je ne dirai pas qu’il eût fallu l’inventer, le besoin ne s’en faisait nullement sentir, un autre eut surgi à sa place. […] Le savant qui entre en communication directe avec la nature, sent du même coup son immensité à elle et son impuissance à lui il entrevoit des inconnues innombrables qu’il n’espère pas dégager. […] Si nous ne nous sentions perfectibles, nous ne bougerions pas et nous resterions stationnaires.

1632. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Macaigne, Camille (1843-1877) »

Emmanuel Des Essarts C’était un poète, car il avait le don de voir vite et juste et de sentir avec intensité.

1633. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Dans toutes ces fatigues de la tête, de l’âme et du corps, la poitrine était prise, et Molière se sentait mourir ; mais pour lui la mort était la délivrance. […] Il sentait que la foule allait obéir aux moindres inspirations de son génie ; il se disait qu’il serait le favori du roi qui régnait à Versailles et du peuple de France ! […] — J’avais froid tout à l’heure, se dit l’homme assis à l’orchestre, je me sentais écrasé par ce regard de basilic ; d’où vient maintenant que le sang circule plus légèrement dans mes veines, que la chaleur revient à ma joue et la paix à mon cœur ? […] Isidore le calme quelque peu en lui disant avec un doux sourire : Tout cela sent la nation, et toujours messieurs les Français ont un fonds de galanterie qui se répand partout. […] Ne sentez-vous pas cette douce odeur d’ambre et de tubéreuses séchées ?

1634. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Il savait, mais il sentait. […] On croit qu’il ne sent rien, et on se trompe : ceux qui le connaissent familièrement sont assurés du contraire. […] Il se remettait en marche, et commençait un nouveau pèlerinage : il sent tout à coup se poser sur son épaule une main autrefois amie, qu’à peine il eût sentie, tant elle était légère, et qui aujourd’hui lui pèse et l’accable. […] On y sent à chaque pas l’expérience et la sécurité. […] Il sent que sa destinée isolée, douloureuse, trouverait dans l’amour une consolation et une espérance.

1635. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — E. — article »

Un mélange heureux de morale & d’intérêt, d’instruction & de sentiment, de chaleur & de simplicité, rend cet Ouvrage très-propre à faire sentir les égaremens d’une jeunesse trop passionnée, & à la rappeler aux loix de la sagesse & de la raison.

1636. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article »

On sent combien il faut se défier de ces sortes de Mémoires.

1637. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 478

L’homme de Lettres se fait sentir dans tout ce qu’il a composé ; c’est pourquoi nous le plaçons ici.

1638. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » p. 323

Thomas en a senti tout le mérite, & y a* puisé les principes d’administration & d’économie dont il a enrichi son Eloge du Duc de Sully.

1639. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 387

Le discernement, le goût, la bonne Littérature, se font sentir dans ces petits Ouvrages polémiques, que l’enthousiasme du Public pour de mauvaises Pieces de Théatre n’empêche que trop souvent de goûter.

1640. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 22

La vigueur de l’esprit, les graces du pinceau, se font sentir dans ces deux Productions, quoique d’un genre différent.

1641. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Non, — il les désavouait pour leurs crimes, pour leur inhumanité, mais il sentit en même temps ce qu’il y avait dans quelques-uns des plus fameux d’essentiellement patriotique, d’héroïque et d’invincible. « Et, après tout, comme il le disait un jour, parlant à Chateaubriand lui-même, ç’a été une bataille où chaque parti a eu ses morts. » Et le plus affreux de la crise passé, aux différentes phases du décours, comme il touche à point les moments essentiels, les occasions irréparables et fugitives ! […] Esprit marseillais et grec, du plus fin et du plus léger, il excelle à sentir le génie des temps.

1642. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

»  Indiana n’est pas un chef-d’œuvre ; il y a dans le livre un endroit, après la mort de Noun, après la découverte fatale qui traverse l’âme d’Indiana, après cette matinée de délire où elle arrive jusque dans la chambre de Raymon qui la repousse, — il y a là un point, une ligne de démarcation où la partie vraie, sentie, observée, du roman se termine ; le reste, qui semble d’invention presque pure, renferme encore de beaux développements, de grandes et poétiques scènes ; mais la fantaisie s’efforce de continuer la réalité, l’imagination s’est chargée de couronner l’aventure. […] Mais, après avoir senti de la sorte, après avoir épuisé jusqu’au bout son erreur, je ne puis plus concevoir qu’Indiana guérisse si facilement, qu’elle recouvre un front serein, un sourire purement heureux, une félicité presque virginale sous les palmiers de sa chaumière : idylle en tout surchargée, tableau final qui renchérit trop sur celui par lequel Paul et Virginiecommence !

1643. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — George Sand. Cosima. »

On oublie trop, dans le cas particulier, ce que c’est qu’un talent actif, généreux, dont le plaisir est surtout d’aller, de tenter, qui ne compte pas un à un les pas accomplis, qui n’est point à une œuvre ni à un succès près, qui se sent comme plein de lendemains ; un talent au-dessus des glorioles, et qui ne marchande pas la gloire. […] C’est ainsi que je m’explique surtout comment bien des délicatesses ont été peu senties et bien des finesses ont paru échapper.

1644. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

La métaphysique qui n’a ni les faits pour base, ni la méthode pour guide, est ce qu’on peut étudier de plus fatigant ; et je crois impossible de ne pas le sentir, en lisant les écrits philosophiques des Grecs, quel que soit le charme de leur langage. […] Socrate, Platon, aimaient mieux parler qu’écrire, parce qu’ils sentaient, sans se rendre précisément compte de leur talent, que leurs idées appartenaient plus à l’inspiration qu’à l’analyse.

1645. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Réponse à M. Dubout. » pp. 305-316

Albert Lambert fils déploie une belle fougue et ne bredouille que peu. » Vous sentez combien cela est différent. […] Voilà ce que nous sentons clairement dans nos meilleures minutes… J’ai laissé la question juridique à M. 

1646. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Il en est d’autres, où, au lieu d’exprimer en son nom ce qu’il pense, ce qu’il sent, ce qu’il désire, il prend pour intermédiaires des personnages qu’il fait parler et agir et derrière lesquels il semble parfois s’effacer et disparaître. […] Ce n’est point par hasard que le mot nature et le verbe sentir avec tous ses dérivés se glissent sans cesse sous la plume de Rousseau ; et il n’est pas inutile d’observer chez Lamartine la fréquence des termes : flot, océan, harmonie.

1647. (1682) Préface à l’édition des œuvres de Molière de 1682

Au sortir des Écoles de Droit il choisit la profession de Comédien, par l’invincible penchant qu’il se sentait pour la Comédie. […] Aussitôt qu’il se sentit en cet état, il tourna toutes ses pensées du côté du Ciel ; un moment après il perdit la parole, et fut suffoqué en demie heure par l’abondance du sang qu’il perdit par la bouche.

1648. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

La Fontaine l’a bien senti. […] J’ai déjà observé que c’est la manière de Pilpai d’amener une fable à la suite d’une historiette ; et on sent combien cette manière est défectueuse.

1649. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVII. Morale, Livres de Caractéres. » pp. 353-369

Les autres écrits de Nicole ne valent pas celui-ci ; il offre beaucoup de vérités communes exprimées longuement ; quoiqu’on y sente un philosophe qui connoît le cœur humain ; un philosophe qui est toujours chrétien. […] On sent dans tout ce qu’il écrit l’élévation de son ame & la force de son génie.

1650. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Mais tous deux sentirent le néant de leur diplomatie. Tous deux sentirent qu’ils n’avaient rien changé au train de ce monde plus fort qu’eux, et même furent-ils jamais bien sûrs de l’avoir compris ?

1651. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

si Paul de Saint-Victor, la plus éclatante phrase de la fin de ce siècle, — qui devait être aussi pour Flaubert « un gueuloir » comme Chateaubriand, — n’est pas insupportable aune époque si ravalée et si commune ; si, de hasard, son livre des Deux Masques réussit, cela n’est pas venu assurément de la beauté sentie de ce livre, mais peut-être uniquement de ce que l’auteur était, avant ce livre, en possession d’une réputation si bien faite, dans un autre temps, que tout ce qu’il fait de beau pour l’augmenter dans celui-ci n’est pas capable de la ruiner ! […] On n’y sent pas l’insupportable oppression des notes, et l’imagination, qui n’a pas ce plomb sur la gaze de ses ailes, les y étend de toute leur longueur, III Car l’imagination, c’est la grande puissance de Saint-Victor, c’est le caractère original et supérieur de son livre.

1652. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

Jusqu’au dernier chapitre du volume, qui finit par avoir des fentes par où fuit l’arôme captivé si longtemps, vous n’eussiez rien senti… ni rien deviné. […] En somme, dans ce premier volume, qui doit être suivi d’un second, on voit que l’auteur sera pour Boileau plus tard On sent l’homme de grand sens, l’homme de bon sens, l’homme du pouvoir, le monarchique en littérature, très peu gâté par le langage de son temps quoique, ici ou là, il en ait encore de temps en temps les logomachies.

1653. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

L’esprit oriental n’est pas très compliqué… Mais faire l’Anglais, c’est-à-dire entrer, tout botté, dans l’originalité du peuple le plus original, le plus profond, le plus insulaire d’esprit, d’impression, de jugement, qui ait jamais existé ; pénétrer, pour se les assimiler un instant, dans les manières de sentir et d’exprimer d’une nation qui a jusqu’à une gaîté à elle, — laquelle ne ressemble à la gaîté de personne et dont le nom même est intraduisible, et reste, dans toutes les langues, de l’humour, — c’est là une chose qui demandait plus qu’une prodigieuse souplesse de talent. […] … Francis Wey a le ferme bon sens qui devient, en toutes choses, très vite le grand sens, et il a aussi cette mâle finesse de la prudence qui n’est pas la prudence femelle, celle de la lâcheté… Son style, à la trame serrée, étoffée à pleine main, solide, et dont je me permettrai de dire qu’on en sent le grain comme celui d’un maroquin étincelant qui prend et retient la lumière, est bien le style qui convient à un esprit net, avisé (que les sots croiront retors parce qu’il est avisé), sagace enfin, et dont la sagacité naturelle a été aiguisée par l’étude première et continuée de toute sa vie, — l’étude de l’Histoire.

1654. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « W.-H. Prescott » pp. 135-148

Sûr de ses muscles, Prescott ne les a pas sentis tressaillir une seule fois dans toute son histoire. […] Excepté le vieux rabâchement de bigoterie, placé çà et là, comme la cassure dans un verre étoilé, et l’épithète de frénétique appliquée à saint Pie V, pas un mot qui, dans cette Histoire de Philippe II, sente son Américain ou son Anglais.

1655. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Camille Desmoulins » pp. 31-44

Camille Desmoulins ne l’eut jamais… Il l’eut si peu qu’on ne sent pas pour lui, quand il semble le plus coupable ou le plus pusillanime, l’âpre mépris qu’on a pour un homme. […] Il sentait qu’il pourrait très bien dissoudre là-dedans ses opinions républicaines, comme des perles, si ces opinions en avaient été !

1656. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

C’est la grandeur de la petitesse, de la médiocrité sentie, acceptée, épousée, la grandeur à part de tous ces renoncements qui seraient si tristes si la Résignation n’y passait pas son petit filet d’un or si pâle et si divin ! C’est un chrétien que Pellico, sans rien plus que le bon sens, le sens apaisé du chrétien en face de la vie, Sans le Christianisme, il serait presque acéphale, cet homme sans esprit, sans talent, sans volonté, sans passion, sans amour, du moins comme le sentent les hommes.

1657. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

C’est la grandeur de la petitesse, de la médiocrité sentie, acceptée, épousée, la grandeur à part de tous ces renoncements qui seraient si tristes, si la Résignation n’y passait pas son petit filet d’un or si pâle et si divin ! […] Sans le christianisme, il serait presque acéphale, cet homme sans esprit, sans talent, sans volonté, sans passion, sans amour, du moins comme le sentent les hommes !

1658. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

Chastel dans les généralités historiques qui ne touchent pas le sol embrasé, le sol volcanisé que nous sentons frémir sous nos pieds… Lui, le catholique, qui n’a pas de liaison d’idées avec l’ennemi, qui ne met point, plus ou moins, sa main dans la sienne, est discret, agressif, incompatible avec les doctrines socialistes contemporaines, et il ajoute souvent un trait à tous ceux qui les ont percées de toutes parts. […] Secouée un moment de sa torpeur héréditaire par les événements de 1848 et 1849, cette vieille éclectique, qui avait compris qu’avec de l’éclectisme, aux jours de péril, on ne défendait pas grand-chose, a senti son éclectisme lui revenir à l’esprit et lui énerver le cœur dès que le péril a cessé.

1659. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

L’invention décroît, puisqu’on la sent moins. […] La première rêverie d’Eloa, qui sent s’éveiller sa pitié dans le paradis, quand on lui parle de cet Ange absent, parce qu’il est tombé et qu’on lui apprend            Qu’à présent il est sans diadème, Qu’il gémit, qu’il est seul, que personne ne l’aime !

1660. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

— peut facilement supporter ; mais aimer quand la vieillesse est venue, quand le cœur, selon la loi vulgaire applicable aux créatures humaines, devrait être froidi et se sent jeune encore, par le fait de la loi d’exception qui s’applique aux créatures supérieures, c’est, à coup sûr, le malheur suprême, et Corneille, le sévère, le majestueux, le Romain Corneille, l’a connu ! […] Lui, l’homme des héros et d’un Idéal trop haut pour n’être pas étroit, l’homme à qui on a reproché de pousser la nature humaine jusqu’à l’abstraction, à la plus impossible des abstractions, sentit sur le tard de sa vie combien cette malheureuse nature humaine est concrète.

1661. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Dès les premières lignes et les premières pages, vous sentirez, quel que soit le livre, quelles que soient les inventions ou les observations qui vont suivre, qu’il y a ici (s’en serait-on douté ?) […] Quels senties personnages qu’il met en scène ?

1662. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Partout le peuple reconnaissait les images de ses grands hommes ; et sous le plus beau ciel, dans les plus belles campagnes, parmi des bocages ou des forêts sacrées, parmi les cérémonies et les fêtes religieuses les plus brillantes, environnés d’une foule d’artistes, d’orateurs et de poètes, qui tous peignaient, modelaient, célébraient ou chantaient des héros, marchant au bruit enchanteur de la poésie et de la musique, qui étaient animées du même esprit, les Grecs victorieux et libres ne voyaient, ne sentaient, ne respiraient partout que l’ivresse de la gloire et de l’immortalité. […] Son caractère ardent voulut donner à ses concitoyens un mouvement qu’ils n’étaient pas en état de suivre : leurs âmes, qui avaient perdu l’habitude des grandes choses, n’avaient plus que de l’imagination pour les sentir.

1663. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Des hommes perfides du haut de la nef m’avaient jeté dans les flots soulevés du courant61. » À part les désinences doriques affectées par l’original, ne sent-on pas ici, jusque dans la simplicité des tons, le calcul d’un art plus moderne, comme nous le sentons, pour le moyen âge, dans quelques ballades récentes en vieux langage de France, d’Espagne ou d’Angleterre ?

1664. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Appleton, Jean (1868-1942) »

Jean Appleton affectionne les idées générales. » C’est d’abord l’indice d’une âme poète, puis « le vague de l’expression communique à ses vers un flou délicieux, une grâce vaporeuse dont on se sent enveloppé comme d’une caresse ».

1665. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Cosnard, Alexandre (1802-18..) »

C’est dans cette poésie de deuil et de regret que le poète a rencontré les notes les plus émouvantes, et la monotonie même qui s’y fait sentir s’harmonise parfaitement avec le motif presque invariable qui revient sans cesse à travers tout le volume.

1666. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gennevraye, A. (1803-1888) »

Eh bien, ces vers-là aussi sentent le bon vieux temps.

1667. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 505

On sentira toujours le prix de ses Modeles de Latinité, extraits avec choix des meilleurs Ouvrages, & également propres à former le goût & les mœurs.

1668. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 393

GÉRARD, [Philippe-Louis] Chanoine de Saint Louis du Louvre, né à Paris en 1732 ; Auteur d’un Roman en Lettres, intitulé le Comte de Valmont, où les principes de la Philosophie du siecle sont mis en action de la maniere la plus capable d’en faire sentir les dangers.

1669. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Féraudy, Maurice de (1859-1932) »

J’aime mieux en signaler la douceur commune d’impressions, tout ce qui s’en dégage, comme un arôme pénétrant, d’adoration et de respect pour la femme ; le dire juste et vraiment senti des souffrances qui font, dès ici-bas, des amants, les élus d’une douceur divine ; la simplicité d’une expression qui semble jaillir de l’âme sans s’attarder aux artifices menteurs du style convenu.

1670. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Goujon, Louis »

Ernest Menault sentent le poète rural et l’odeur de la glèbe.

1671. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 465

Ce défaut se fait moins sentir dans sa Lettre sur les avantages & l’origine de la gaieté Françoise, & dans son Discours sur l’origine du désir général de transmettre son nom à la postérité.

1672. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 500

La plupart des Prédicateurs modernes ne s’occupent point assez à sentir & à se pénétrer de leur sujet.

1673. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

N’en retirassent-ils d’autre profit que de sentir leur ignorance et le prix du savoir, dit Tien-Lchi, ils en seraient plus hommes et plus en état de gouverner les hommes. […] Chaque particulier ne sent que ses propres peines ; je sens, moi seul, toutes les peines réunies de chaque particulier. […] Quand mes infirmités me feront sentir que je ne puis plus me livrer à un travail assidu ni vaquer aux affaires comme auparavant, alors je remettrai avec joie les rênes de l’empire en d’autres mains, et j’aurai la douce satisfaction d’avoir fait, jusqu’à la fin, tout ce qu’il a été en mon pouvoir de faire. […] Tout ce qu’il nous convient d’en dire ici, c’est que ce qu’on y trouve dissiperait bien des préjugés en Occident sur la Chine, montrerait l’importance de bien des choses qui n’y sont pas assez prisées, et y ferait sentir que la société politique et civile gagne beaucoup à tout ce qui fixe tous les devoirs réciproques et oblige tout le monde à des attentions, prévenances et honnêtetés continuelles. […] On laisse au lecteur le soin d’en sentir la vérité, la beauté et la supériorité sur celle des autres livres qu’on cite, lors même qu’ils la contredisent.

1674. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

J’ai toujours aimé ceux qui aiment, ceux qui souffrent, ceux qui gémissent et qui s’indignent en silence, ceux qui se sauvent d’un monde moqueur ; ceux qui s’enveloppent, quand ils sortent, de leur manteau troué par la misère, de peur d’être reconnus dans la rue par ces persifleurs spirituels ou bêtes qui vendent des ricanements aux passants pour insulter toute grandeur : ces pauvres honteux de la gloire, qui sentent en eux leur noblesse innée, qui se cachent de peur qu’on ne se moque, non d’eux-mêmes, mais du don divin qu’ils portent en eux. […] Voyez le chien du Lépreux dans Xavier de Maistre, votre ami, comme c’est vrai, comme c’est compris, comme c’est senti ! […] Elle a péri, comme tout ce qui m’aime, par la pierre d’un enfant méchant, d’un de ces enfants de Paris qui ne sentent la vie qu’en donnant la mort à tout ce qui vit inoffensif, de douceur, de charmant, d’aimant auprès d’eux ! […] » (Comme l’esprit sent tout, quand c’est l’esprit d’un homme de cœur !) […] XXVII Le 4 août, cependant, il sentit que la vague qui l’avait délicieusement caressé les premières semaines, secouait trop fortement sa charpente.

1675. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

On voyait qu’en rentrant de la petite église d’Andillac on l’avait déposé là le matin pour le reprendre le soir, à l’heure où le soleil baissant fait sentir le besoin de prier. […] c’est bien vrai ; mon cœur n’est pas muet au milieu de ces agonies, et ne sent que plus vivement tout ce qui lui porte vie. […] et combien est pâle la tristesse artificielle des écrivains de profession à côté de ce reflet touchant de l’âme souffrante qui se replie en gémissant sur elle-même, qui se voit vivre inutile, et qui se sent mourir sans avoir aimé ! […] que ce fut un beau moment que le revoir de la famille, de papa, de Mimi, d’Érembert (Éran), qui m’embrassaient si tendrement et me faisaient sentir si profond tout le bonheur d’être ainsi aimée !  […] L’immortalité nous fera sentir le prix de la vie et tout ce que nous devons à Dieu pour nous avoir tirés du néant.

1676. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

J’ai goûté dans mon enfance et dans ma première jeunesse les plus pures joies du croyant, et, je le dis du fond de mon âme, ces joies n’étaient rien comparées à celles que j’ai senties dans la pure contemplation du beau et la recherche passionnée du vrai. […] Quand je pense à ce noble peuple d’Athènes, où tous sentaient et vivaient de la vie de la nation, à ce peuple qui applaudissait aux pièces de Sophocle, à ce peuple qui critiquait Isocrate, où les femmes disaient : « C’est là ce Démosthène !  […] Leur instruction ne servira qu’à leur faire sentir la disproportion sociale et à leur rendre leur condition intolérable. » C’est là, dis-je, une considération toute bourgeoise, n’envisageant la culture intellectuelle que comme un complément de la fortune et non comme un bien moral. […] La tyrannie ne commence que le jour où la chaîne est sentie, où l’ancien dogme a vieilli et emploie les mêmes coups d’autorité pour se maintenir. […] En somme, tout cela est assez indifférent, et l’humanité fera son chemin sans les libéraux et malgré les rétrogrades, L’esprit n’est jamais plus hardi et plus fier que quand il sent un peu la main qui pèse sur lui.

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