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1380. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

C’était, entre notre interlocuteur et nous, un échange direct de pensées, un entretien silencieux. […] Nous n’apercevons de la chose que son ébauche ; celle-ci lance un appel au souvenir de la chose complète ; et le souvenir complet, dont notre esprit n’avait pas conscience, qui nous restait en tout cas intérieur comme une simple pensée, profite de l’occasion pour s’élancer dehors. […] On a vu encore dans le sommeil un repos donné aux fonctions supérieures de la pensée, une suspension du raisonnement. […] Remarquez que les images de rêve sont surtout visuelles ; les conversations que le rêveur croit avoir entendues sont la plupart du temps reconstituées, complétées, amplifiées au réveil : peut-être même, dans certains cas, n’était-ce que la pensée de la conversation, sa signification globale, qui accompagnait les images. […] Dans le sommeil normal, nos songes ramènent plutôt les pensées qui ont passé comme des éclairs ou les objets que nous avons perçus sans fixer sur eux notre attention.

1381. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Stéphane Mallarmé »

Le rapport de ces images avec les faits ou les pensées qu’elles expriment étant (je l’espère du moins) absolument clair pour M.  […] Ou, si vous voulez, il croit que les justes correspondances entre le monde de la pensée et l’univers physique ont été fixées de toute éternité, que l’intelligence divine porte en elle le tableau synoptique de tous ces parallélismes immuables et que, lorsque le poète les découvre, ils éclatent à son esprit avec tant d’évidence qu’il n’a point à nous les démontrer.

1382. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »

Sa pensée ne s’est pas éparpillée. […] Dans la première partie de son recueil des Héros et Pierrots, il s’enferme dans la tour d’ivoire de ses pensées, et nous donne des poésies grandes, belles, d’une ligne impeccable, dans lesquelles il chante les passions les plus hautes, mais aussi les plus personnelles.

1383. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Laprade, Victor de (1812-1883) »

La muse de Laprade était la plus divine des statues, mais une statue ; le poète était le grand statuaire de notre siècle, un Canova en vers taillant la pensée en strophes, un sculpteur d’idées. […] Edmond Biré Victor de Laprade a créé une forme nouvelle de poésie lyrique, c’est la Symphonie, où tous les rythmes, tous les mètres, toutes les voix, la voix de l’homme et celles de la nature, concourent à un même but : véritable poème lyrique qui ne saurait, sans doute, entrer en comparaison avec les grandes compositions de l’art musical, ni pour l’harmonie savante, ni pour le charme et l’éclat de la mélodie, mais qui a cette supériorité sur elles de traduire avec une admirable clarté les pensées et les sentiments de l’âme.

1384. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

Est-elle une voix visible, une langue peinte de la pensée ? […] Gavarni, en effet, fut toujours très écrivassier de ses impressions, de ses sensations, de ses aventures psychologiques, et, sauf les dernières années de sa vieillesse, où le philosophe ne formule plus sur ses journaux que des pensées, — toute sa vie, il l’a écrite.

1385. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

La connaissance d’une langue étrangère est en général un danger grave pour la pureté de l’élocution et peut-être aussi pour la pureté de la pensée. […] Je résumerai en un mot ma pensée : le peuple qui apprend les langues étrangères, les peuples étrangers n’apprennent plus sa langue.

1386. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Remarque finale. Le Temps de la Relativité restreinte et l’Espace de la Relativité généralisée »

On ne se conçoit même pas comme y étant, car se transporter par la pensée dans un des Temps dilatés serait adopter le système auquel il appartient, en faire son système de référence : aussitôt ce Temps se contracterait, et redeviendrait le Temps qu’on vit à l’intérieur d’un système, le Temps que nous n’avons aucune raison de ne pas croire le même dans tous les systèmes. Les Temps dilatés et disloqués sont donc des Temps auxiliaires, intercalés par la pensée du physicien entre le point de départ du calcul, qui est le Temps réel, et le point d’arrivée, qui est ce même Temps réel encore.

1387. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Tel est en effet le public qui l’écoute, incertain entre deux formes de pensées, nourri de deux civilisations contraires. […] On voit qu’il pense, et par lui-même, qu’il lie ses pensées, qu’il les vérifie, que, par-dessus tout cela, naturellement il voit juste, et qu’avec la méthode il a le bon sens. […] Dès lors une nouvelle carrière s’ouvre : l’homme a le monde entier à repenser ; le changement de sa pensée a changé tous les points de vue, et tous les objets vont prendre une nouvelle forme dans son esprit transformé. […] Il développe, il précise, il conclut ; il annonce sa pensée, puis la résume, pour que le lecteur la reçoive préparée, et, l’ayant reçue, la retienne. […] Dans cette stérilité, l’art se réduit bientôt à revêtir des pensées étrangères, et l’écrivain se fait antiquaire ou traducteur.

1388. (1893) Alfred de Musset

c’est un bon clou de plus à la pensée. […] Il ne resta plus au poète de pensées ni de paroles pour autre chose que son malheur. […] Ce n’est point, dit Valentin à Cécile, l’éternelle pensée qui fait graviter les sphères, mais l’éternel amour. […] Pourquoi as-tu semé dans ma pauvre pensée tant de fleurs étranges et mystérieuses ?  […] Celui qui veut dompter son âme avec les armes des sens peut s’enivrer à loisir ; il peut se faire un extérieur impassible ; il peut enfermer sa pensée dans une volonté tenace ; sa pensée mugira toujours dans le taureau d’airain. » Sa pensée faisait son devoir et « mugissait ».

1389. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Elle est bien simple, cette pensée : c’est qu’il faut des époux assortis. […] » et vous sentez bien qu’une âme un peu noble ne saurait soutenir cette pensée. […] Il me prête des choses que je n’ai pas dites et des pensées que je n’ai point. […] qui de nous n’a fait cela, du moins en pensée ? […] C’est du reste, à ce que je crois, la pensée de Dostoïewsky.

1390. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Il réintégrait dans la pensée de son temps la notion de la personnalité divine. […] Spuller, à mettre en lumière la continuité de la pensée de Lamennais. […] Mais le seraient-elles si la pensée d’Hugo s’était habituellement nourrie de préoccupations plus pures ? […] quelle ingénuité de pensée ! […] et pourquoi, tout de même qu’il enferme, dans la pensée M. 

1391. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

comment aurait-il consulté la volonté nationale, si la pensée publique n’était manifestée ? […] Je n’ai pas retrouvé le sommeil, et mon cœur est bien rempli de pensées et de douleurs. […] Il y avait tant de pensées et d’éloquence que ce serait vraiment dommage qu’une telle chose ne fût connue que de votre académie. […] Apportez ce morceau sur Klopstock, nous le lirons. — Cela se peut-il qu’il n’y ait plus ni sentiments ni pensées ? […] Leur nature bienfaisante se révolte à cette pensée.

1392. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

Des femmes vous laissent, on ne sait pourquoi, comme une petite fleur dans les pensées. […] Nerveuse, vibrante, impressionnable, elle semble, au bout du bras, une extrémité palpitante, emmanchée, embranchée à la pensée et au cœur. […] Aujourd’hui il dit que ce qu’il y a de remarquable chez Proudhon, « c’est la netteté du dire et l’obscurité de la pensée ». […] Le tréfonds de leur pensée et de leur conscience ne vous apparaît pas. […] Dans les autres siècles, un homme comme Molière n’était que la pensée de son public.

1393. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

je le sers de bien loin, mais je voudrais le voir grand et puissant ; pour cela, il ne faut pas qu’il soit mené par de petites gens et de petits esprits. » Il allait à l’extrémité de sa pensée ou plutôt de son impression, lorsqu’il écrivait encore (novembre 1840) : « Il faut que le gouvernement soit bien aveugle pour ne pas voir qu’avec la marche qu’il suit, il se perd infailliblement. […] … Je pioche jour et nuit, je sonde par la pensée la Crimée, Anapa, Tiflis et Odessa. […] En ces moments pénibles, la pensée religieuse à laquelle il s’était ouvert depuis quelque temps le ressaisissait à propos ; il y puisait l’humilité en même temps que la force : Vois-tu, frère, écrivait-il à M. de Forcade, à M.  […] Pensée triste qui ne change rien à mes résolutions, à ma fermeté, à mon entrain, à ma confiance même, parce que j’ai foi dans le Dieu de la France et dans ses soldats, mais qui vous prouve que je ne me fais pas d’illusions et que j’envisage tout d’un œil calme. […] Le maréchal de Saint-Arnaud est de ceux qui ne sont pas plus embarrassés à tenir la plume que l’épée, et qui, en ne songeant qu’à laisser courir leur pensée du moment, réussissent souvent à mieux dire que les auteurs de profession.

1394. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

En 1837 je publiai les Pensées d’Août, recueil de Poésies. […] Sainte-Beuve publiait, sans y mettre son nom, le petit volume in-16, intitulé Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme. […] Sainte-Beuve publia un volume de Poésies (in-18) : Pensées d’août. […] Le rôle qu’il y a pris et qui a fait de lui comme le défenseur déclaré de la libre pensée a été moins le résultat d’une volonté réfléchie que d’un mouvement irrésistible. […] Sainte-Beuve l’a remplacée dans le xie volume par une centaine de pages des plus piquantes, intitulées Notes et Pensées, dans lesquelles, comme il disait, « il a vidé tous ses cahiers. » Ce sont des jugements et éclaircissements sur ses Contemporains, des pages de Mémoires. — M. 

1395. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque (2e partie) » pp. 81-155

ô vaines pensées ! […] C’est l’apogée de son génie ; il le répandait, comme la fontaine de Vaucluse répand ses eaux, sur tous les sujets et avec une intarissable abondance ; sa vie était tout entière dans sa pensée. […] « Pétrarque, écrivait Boccace, m’enlève aux vanités de ce monde en tournant mon âme vers les choses éternelles, et il donne à mes amours un plus saint aliment. » Les deux amis se communiquaient leurs pensées : jamais deux grands hommes ne furent mieux disposés à s’aimer. […] « J’applaudis à vos vers, et je m’unis à vous pour louer ce grand poète, trivial pour le style, mais très élevé pour la pensée… Je lui décerne la palme de l’élocution vulgaire. […] « Je m’envole sur l’aile de mes pensées si souvent dans le ciel qu’il me semble être en réalité un d’entre ceux qui y font leur séjour, ayant laissé ici-bas leur enveloppe déchirée, et par moment je sens mon cœur trembler en moi d’un doux frisson glacé en entendant celle pour laquelle j’ai tant de fois pâli me dire : Ami !

1396. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Or, c’est l’Association Wagnérienne qui veut, ainsi, continuer la pensée du Maître : maintenir, pour l’Œuvre idéale, les représentations du Théâtre idéal, et leur donner, pieux, le Public idéal. […] Certes, le monde de l’Apparence lui avait un faible attrait : son œil presque troublant, son œil fixé ouvertement ne pouvait voit en ce monde, que d’importuns dérangements au monde intime de sa pensée : il sentait que rester sous la dépendance du premier serait perdre tout rapport avec le second. […] La physiologie admet, comme un axiome, que chez les hommes génie, doit être un grand cerveau, enfermé dans une boîte crânienne mince et tendre, comme pour rendre aisée la perception immédiate, par la pensée, des choses extérieures. […] Erda — Mon Sommeil est rêve, — mon rêve pensée, — ma pensée possession de la Science. — Mais, lorsque je sommeille, — les Nornes veillent : — elles tissent le Câble, — et trament, pieuses, ce que je sais ; — pourquoi n’interroges-tu pas les Nornes ? […]   Munich. — L’Assemblée générale de l’Association Wagnérienne Universelle (10 et 11 avril), a décidé l’établissement d’une Fondation-Wagnérienne (Richard Wagner-Stiftung), spécialement destinée à perpétuer les fêtes de Bayreuth, selon la pensée du Maître.

1397. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre premier. La sensation, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. La sensation »

En fait et objectivement, toute douleur, toute pensée, tout état de conscience suppose un mouvement. […] L’acte de pensée primitif est celui qui fixe la marque particulière de la sensation. […] « Nous n’admettons pas d’abord, dit-il, des idées d’où sortent des jugements, puis des raisonnements ; mais la pensée pour nous commence par des raisonnements, qui conduisent aux jugements, qui eux-mêmes forment des idées. » La seule forme d’activité mentale, ajoute Wundt, qui ait le pouvoir de lier, d’unifier, c’est le raisonnement ; il est l’origine de toute synthèse, conséquemment de toute pensée ; c’est le raisonnement qui établit l’unité de composition de la pensée : la sensation est donc un composé d’états inconscients réunis par une synthèse inconsciente. […] Voir plus loin la Sensation et la Pensée. […] Voir Sensation et Pensée.

1398. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

Notez que ce même volume où l’on a recueilli ces misérables vers, ces lourdes et plates épigrammes, contient de lui d’admirables pensées en prose française sur les plus sérieux problèmes de l’histoire et de la philosophie41. […] » Mais Pline était un metteur en œuvre ; il ne se bornait pas à l’étude, il voulait de belles pensées et se donner le plaisir de les exprimer en termes brillants et qui se vissent de loin. […] Entre ce procédé de moderne bénédictin et celui de Pline, ou, si l’on veut, de l’ancien Balzac qui ne lisait que pour trouver de belles sentences et de belles expressions à recueillir et à enchâsser, il y a, ce semble, un milieu qui est le bon, qui est celui de Montaigne, qui est l’union de la pensée et de la forme, la lecture vivifiée par l’esprit, le suc et la fleur. […] Vivre par la pensée dans d’autres temps et s’y oublier à volonté, tandis que l’on continue dans l’heure présente de jouir insensiblement et par tous les sens de l’air, de la lumière, de la pureté du ciel, de la limpidité des eaux, de la majesté des horizons, de tous les bienfaits naturels qui sont encore la plus vraie jouissance pour des êtres vivants, que faut-il de plus à l’homme qui est sorti de l’âge des passions et en qui elles n’ont point laissé la lie de leur philtre empoisonneur ?

1399. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Né sous le beau ciel du Midi, d’une ancienne famille noble et pauvre, Maurice de Guérin, rêveur dès l’enfance, fut tourné de bonne heure vers les idées religieuses et inclina, sans effort, à la pensée de l’état ecclésiastique. […] Il avait fait le voyage de Rome pour consulter l’autorité suprême ; il en était revenu, ménagé personnellement, mais très nettement désapprouvé, et avait paru se soumettre ; il se croyait peut-être même sincèrement soumis, tout en méditant déjà et en roulant des pensées de vengeance et de représailles. […] Il a développé les boutons des feuilles et des fleurs, et réveillé dans mon sein mille douces pensées. […] Si l’on pouvait s’identifier au printemps, forcer cette pensée au point de croire aspirer en soi toute la vie, tout l’amour qui fermentent dans la nature !

1400. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

Le prince qu’on se donnait pour roi, quels que pussent être ses désirs secrets, était si peu de l’étoffe dont sont faits les grands usurpateurs, qu’il ne semblait avoir eu d’autre pensée première que de se dérober : il avait fallu courir après lui et le prendre quasi au collet pour l’obliger à se faire roi. […] Guizot, dont c’était la pensée bien arrêtée et qui a la faculté de s’isoler des passions et des instincts populaires, nous montre très bien comment ces passions et ce besoin de mouvement, assez vaguement représentés d’abord (à l’état de simple velléité) dans les conseils de la nouvelle monarchie par M.  […] Loin de moi la pensée systématique de dénigrer un état de choses qui avait tant de raisons d’être ! […] Il n’est pas de ces grands ambitieux qui se légitiment eux-mêmes par leurs actes et leurs pensées.

1401. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourg, par M. Michelet. (suite.) »

Le danger était qu’avec tant de vertus acquises, de pensées de mortification, une piété sincère, mais rétrécissante, on se trouvât n’avoir sur le trône, en fin de compte, qu’un séminariste couronné. […] Animé d’une telle pensée en effet, qui était d’avance une pensée de réaction, il avait nécessairement à étouffer ce siècle d’émancipation philosophique ou à être étouffé par lui. […]  » « Ainsi, dans cet aimable prince, l’un des meilleurs hommes du temps, se trahit l’incurable vieillesse d’un monde qui va finir… » Je reprends ma pensée.

1402. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les Saints Évangiles, traduction par Le Maistre de Saci. Paris, Imprimerie Impériale, 1862 »

On a recueilli des passages de textes où est recommandée cette « charité envers le genre humain » ; et c’est pour de semblables pensées sans doute qu’Érasme penchait fort à croire l’âme de Cicéron sauvée et à la mettre avec les bienheureux dans le Ciel. […] Mais il y a mieux, et les doctrines, malgré des ressemblances et des rencontres de pensées, ne sont pas du tout les mêmes. […] Et pour revenir à notre objet d’aujourd’hui, à la lecture d’un des Évangiles, je rappellerai l’excellente remarque de Pascal jugeant des paroles et discours de Jésus : « Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement qu’il semble qu’il ne les a pas pensées ; et si nettement néanmoins, qu’on voit bien ce qu’il en pensait. […] Mais le christianisme en soi, dans son essence, dans sa valeur morale intrinsèque, ne dépend pas de formes plus ou moins historiques ou politiques, qui se sont souvent modifiées et qui peuvent se modifier encore ; et sans sortir des Évangiles mêmes, en les relisant, en reportant surtout sa pensée, comme je l’ai fait aujourd’hui, sur les discours de Jésus, sur cet incomparable Sermon de la montagne, le premier et le plus beau de tous, on est amené à dire avec un des amis de Pascal : « Quand il n’y aurait point de prophéties pour Jésus-Christ, et qu’il serait sans miracles, il y a quelque chose de si divin dans sa doctrine et dans sa vie, qu’il en faut au moins être charmé ; et que comme il n’y a ni véritable vertu, ni droiture de cœur sans l’amour de Jésus-Christ, il n’y a non plus ni hauteur d’intelligence, ni délicatesse de sentiment sans l’admiration de Jésus-Christ. » Cette conclusion, dont se contentaient d’honnêtes gens au xviie  siècle, paraîtra peut-être encore suffisante aujourd’hui.

1403. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, — Antiquité et Moyen Âge — Par M. J. Zeller. »

Ce fameux Discours de Bossuet, qui fut composé (du moins la première partie) pour l’éducation du Dauphin, mais qui ne fut publié qu’en 1681, après le mariage du prince, s’adressait, dans la pensée du grand évêque, bien plus à la postérité qu’à son indolent et inattentif élève. On peut dire que Bossuet médita de tout temps cet ouvrage, pour lequel il amassait bien des réflexions et des pensées dès les années de son séjour à Metz, lorsqu’il avait sous les yeux le spectacle des Juifs nombreux en ce pays, et qu’il conférait avec les plus savants de leurs rabbins. […] Son sujet, dans sa simplicité même, est double : il s’agit de présenter et de fixer dans la mémoire deux suites, celle de la Religion et celle des Empires : « Et comme la Religion et le Gouvernement politique sont les deux points sur lesquels roulent les choses humaines, voir ce qui regarde ces choses renfermé dans un abrégé et en découvrir par ce moyen tout l’ordre et toute la suite, c’est comprendre dans sa pensée tout ce qu’il y a de grand parmi les hommes et tenir, pour ainsi dire, le fil de toutes les affaires de l’univers. » Jamais prétention plus haute ne fut plus magnifiquement et plus simplement exprimée : c’est celle, ni plus ni moins, d’un vicaire de Dieu dans l’histoire. […] Bossuet les dédaigne et ne s’y amuse pas ; il attend les deux autres parties pour y mettre ses pensées tout entières.

1404. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Modelon sur la vie, les malheurs et les pensées dernières d’un homme auquel il a voué un culte, et je crois pouvoir en effet appeler l’attention sur cette personnalité énergique et orageuse de Veyrat qui n’a fait que traverser autrefois notre monde parisien, qui n’y avait laissé qu’un souvenir vague, peut-être même équivoque, et qui ne s’est révélée entièrement, qui ne s’est expliquée ou justifiée au vrai dans ses conversions et ses repentirs qu’après le retour de l’exil et aux yeux de ses compatriotes. […] On lit dans son Journal à cette date : « Le poëte sans fortune est le plus malheureux des hommes : la courtisane ne livre que son corps, libre de garder au fond du cœur les sentiments qui lui restent ; l’autre, au contraire, doit, pour vivre, livrer ses soupirs, ses émotions, les pensées qui lui sont chères, et jusqu’aux plus secrètes profondeurs de son âme, et cela à un public libre de noircir le tout de la plus injurieuse critique ou du mépris le plus insultant. » — C’est le Journal d’où sont tirées ces paroles si senties, qu’il serait curieux de connaître : on nous le doit. […] Souvent même les agitations de ma pensée se réveillaient avec une violence qui m’épouvantait. […] On se dit en lisant ces couplets : « J’ai déjà entendu cela quelque part. » Ils reviennent pourtant ici avec je ne sais quel accent nouveau et touchant, personnel à l’homme. — Et s’asseyant au bord du torrent, s’absorbant aux bruits vagues, uniformes et profonds, qui berçaient sa pensée et qui lui en renvoyaient comme l’écho, il s’écriait encore : « Va, coule dans ton lit de pierres vives, précipite-toi dans ta fougue indomptée, enfant des neiges et de l’orage !

1405. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

Une compagnie d’honnêtes gens, aimant les lettres, y arrivant, y revenant de bien des côtés, se plaisant à en causer dans leur âge mûr, ou sur leurs vieux jours, s’y réconciliant, s’il le faut, et croisant sur un même point, sur un mot de vocabulaire, des pensées d’origine bien diverse, ainsi je me figure la réunion de famille et le tous-les-jours de l’Académie. […] Joubert, dont on sait de bellès pensées et dont les œuvres plus complétement recueillies ne tarderont pas à paraître104, voyait dans le jeune homme sérieux le confident peut-être le plus ouvert à ses subtiles et fines délicatesses. […] Exempt d’infirmités et de mélancolie, comme un ouvrier robuste, vers la fin de sa tâche, il s’endormit. » En cette renaissance de toutes choses, on reprenait quelques anciens livres oubliés ; Balzac redevint de mode un instant ; on en publia des pensées, on en causait beaucoup. […] Je leur dis alors que mon discours leur ayant fait quelque plaisir, il auroit fait plaisir à toute la terre, si elle avoit pu m’entendre ; qu’il me sembloit qu’il ne seroit pas mal à propos que l’Académie ouvrît ses portes aux jours de réception, et qu’elle se fit voir dans ces sortes de cérémonies, lorsqu’elle est parée… Ce que je dis parut raisonnable, et d’ailleurs la plupart s’maginèrent que cette pensée m’avoit été inspirée par M.

1406. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Soudain Ariel ou Puck, Scapin ou Dorine, Chérubin ou Fenella, merveilleux lutins, messagers malicieux et empressés, s’agiteront autour du maître, le tirailleront de mille côtés pour qu’il prenne garde à leurs êtres chéris, à leurs amants séparés, à leurs princesses malheureuses ; ils les évoqueront devant lui, comme dans l’Élysée antique le devin Tirésias, ou plutôt le vieil Anchise, évoquait les âmes des héros qui n’avaient pas vécu ; ils les feront passer par groupes, ombres fugitives, rieuses ou éplorées, demandant la vie, et, dans les limbes inexplicables de la pensée, attendant la lumière du jour. […] Le procédé continu d’analyse dont Racine fait usage, l’élégance merveilleuse dont il revêt ses pensées, l’allure un peu solennelle et arrondie de sa phrase, la mélodie cadencée de ses vers, tout contribue à rendre son style tout à fait distinct de la plupart des styles franchement et purement dramatiques. […] Loin de notre pensée un tel blasphème ! […] Il usait son temps et son crédit à ces démarches, avec un zèle où il entrait quelque pensée d’expiation.

1407. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

Il sera lyrique aussi, bien qu’avec moins de grandeur et de gloire, celui qui, vivant dans les loisirs de l’abondance et à la cour des tyrans, chantera les délices gracieuses de la vie et les pensées tristes qui viendront parfois l’effleurer dans les plaisirs. […] Là-dessus Rousseau lui répondit : « Il est vrai, monsieur, et vous l’avez bien remarqué, que j’ai eu en vue le passage de Lucrèce, quò magis in dubiis, etc., dans la strophe que vous me citez de mon Ode à la Fortune ; et je vous avoue, puisque vous approuvez la manière dont je me suis approprié la pensée de cet ancien, que je m’en sais meilleur gré que si j’en étois l’auteur, par la raison que c’est l’expression seule qui fait le poëte, et non la pensée, qui appartient au philosophe et à l’orateur, comme à lui. » L’aveu est formel ; on conçoit maintenant que Saurin ait dit qu’il ne regardait Rousseau que comme le premier entre les plagiaires. […] Le plus plaisant, c’est que pour cette démonstration esthétique, comme on dirait aujourd’hui, il s’est imaginé de recourir à l’ombre d’Alcée : Je la vois ; c’est l’Ombre d’Alcée Qui me la découvre à l’instant, Et qui déjà, d’un œil content, Dévoile à ma vue empressée Ces déités d’adoption, Synonymes de la pensée, Symboles de l’abstraction.

1408. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

C’est là le sort de Millevoye ; c’est la pensée que son nom harmonieux suggère. […] Millevoye a jeté, sous le titre de Dizains et de Huitains, une certaine quantité d’épigrammes d’un tour heureux, d’une pensée fine ou tendre. […] (Voir dans les Pensées d’Août.) […] Puisque j’ai eu occasion de nommer Parny et que probablement j’y reviendrai peu, qu’on me permette d’ajouter une note écrite sur lui en toute sincérité dans un livret de Pensées : « Le grand tort, le malheur de Parny est d’avoir fait son poëme de la Guerre des Dieux : il subit par là le sort de Piron à cause de son ode, de Laclos pour son roman, de Louvet jusque dans sa renommée politique pour son Faublas, le sort auquel Voltaire n’échappe, pour sa Pucelle, qu’à la faveur de ses cent autres volumes où elle se noie, le sort qu’un immortel chansonnier encourrait pour sa part, s’il avait multiplié le nombre de certains couplets sans aveu.

1409. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Il a l’avantage de l’enthousiasme religieux ; mêlant sa foi dans tous les actes de sa pensée, il prend un sujet biblique, au lieu de je ne sais quelle indifférente histoire naturelle. […] Dans ses visites aux Parlements, sa parole est familière, pittoresque, haussée par l’intérieure élévation de la pensée, échauffée soudain de passion spontanée, et redescendant sans heurt à l’aisance d’une grave causerie. […] Cette conclusion rattache le dialogue à la pensée maîtresse de Bodin. […] Mais il faut noter qu’ici encore la guerre civile et l’actualité ont aidé les esprits à secouer le joug de l’érudition, et fait passer en quelque sorte l’imitation de l’extérieur à l’intérieur de l’œuvre littéraire ; la nécessité d’être lu, compris et goûté de tous a fait que les auteurs de la Ménippée, et parmi eux un lecteur royal, n’ont plus pris aux anciens que ce qu’ils ont senti être conforme à leur raison, ce qui pouvait rendre leur pensée ou plus forte, ou plus sensible, ou plus agréable aux simples Français.

1410. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

Mais, à supposer même que l’auteur n’eût pas assez signifié sa pensée sur ce point, il faudrait ici distinguer. […] Reste, comme j’ai dit, qu’il prenne une moyenne entre les deux Tartuffe… J’aime mieux qu’il s’en charge que moi… Du temps de Molière, conformément à sa pensée, Tartuffe fut joué en « comique » et même en « valet comique » ; et cette interprétation dura jusqu’au commencement de ce siècle. […] Et même, si j’ose dire toute ma pensée, lorsque Dorine répond : Vous êtes donc bien tendre à la tentation, Et la chair sur vos sens fait grande impression ? […] Ce deuxième cas est, selon moi, celui de Tartuffe, et c’est sans doute parce que, dans la pensée de Molière, l’imposture du personnage est complète, qu’il l’a nommé l’Imposteur.

1411. (1914) Enquête : L’Académie française (Les Marges)

La liberté de pensée et les convictions d’écrivain d’un Flaubert ou d’un Baudelaire sont d’une autre sorte que celles de nos petits auteurs contemporains. […] La presse contemporaine qui sait la valeur de la marque recrute aujourd’hui ses Leaders de la pensée quotidienne parmi les membres de la Docte assemblée. […] Ni Baudelaire, ni Flaubert, ni Barbey d’Aurevilly, ni Verlaine, pas plus aujourd’hui qu’hier n’auraient chance d’être admis par la douairière qui ne peut vraiment goûter l’indépendance irréductible de la pensée, l’originalité exceptionnelle du style, la verve immodérée et la libre allure morale dans les marges sociales. […] Elle ne saurait, en effet, vraiment goûter, selon Octave Uzanne « l’indépendance irréductible de la pensée, ni l’originalité exceptionnelle de style ».

1412. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Avant même de considérer quel est le sujet de ce roman, qu’il me soit permis de féliciter l’auteur de cette pensée honorable, qui lui a fait demander tout d’abord au travail et à l’étude une consolation. […] Je noterai tel feuilleton de lui (celui du jeudi 24 décembre 1840, par exemple, sur Agnès de Méranie), duquel, après l’avoir lu, j’écrivais pour moi seul cette note que je retrouve, et que je donne comme l’expression nette de ma pensée : Excellent feuilleton. […] Vous voyez que je dis toute ma pensée. […] Mme de Mondonville, en embrassant la pensée d’une fondation plus ambitieuse, ne suivit point les conseils de M. 

1413. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

En recommençant après ces affreuses crises, il est plus limité, j’en conviens ; la verte lande où l’on peut errer en promenant ses pensées et en cherchant l’inspiration imprévue est plus étroite ; elle ne s’étend que peu à peu et à mesure que la tranquillité renaît dans les cités et dans les âmes. Mais l’essentiel est que ce droit un peu vague, bien que si réel, ne soit jamais supprimé, et que jamais les doctrines régnantes, au nom même du salut commun, ne puissent dire au poète, au littérateur, à l’érudit curieux, comme dans la banlieue d’une place de guerre le génie militaire dit à l’honnête homme, qui a sa métairie avec son petit bois et sa source d’eau vive : « Monsieur, nous avons besoin de ce petit coin qui vous sourit : il entre dans nos lignes, il nous le faut ; voilà le prix, soyez content, mais vous n’y rentrerez pas. » Ceux qui vivent des lettres, de l’amour des livres et des études, de ces passions après tout innocentes et désintéressées, peuvent céder un moment ce coin de leur être et le prêter à la chose et à la pensée publique, ils le doivent dans les cas urgents ; mais, ce cas cessant, ils rentrent de plein droit dans leur domaine. […] Ceci est vrai non seulement pour la poésie, mais pour la critique et pour toutes les formes de la pensée. […] Ceux qui croient que la vérité est une non seulement en morale, mais en religion, en politique, en tout, qui croient posséder cette vérité en eux et la démontrer à tous par des signes clairs et manifestes, voudraient à chaque instant que la littérature ne s’éloignât jamais des lignes exactes qu’ils lui ont tracées ; mais comme il est à chaque époque plus d’une sorte d’esprits vigoureux et considérables (je ne parle ici ni des charlatans ni des imposteurs) qui croient posséder cette vérité unique et absolue, et qui voudraient également l’imposer, comme ces esprits sont en guerre et en opposition les uns avec les autres, il s’ensuit que la littérature, la libre pensée poétique ou studieuse, tirée ainsi en divers sens, serait bien embarrassée dans le choix de sa soumission.

1414. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Ducis. » pp. 456-473

Mais il y a le Ducis homme et caractère, poète au cœur chaud, d’autant plus poète qu’il parle en prose et non en vers, et qu’il a le langage plus naturel, écrivant à ses amis des lettres charmantes, toutes semées de mots simples et grandioses, de pensées qui sentent la Bible, le livre de la Sagesse, et où résonne pourtant comme un lointain grondement du tonnerre tragique. […] Tout en s’accommodant avec bonheur de cette condition bourgeoise, il y faisait entrer sans trop d’effort de hautes pensées, et sa modestie domestique prenait un caractère de grandeur morale : Mon père, dit-il quelque part, à propos de je ne sais quel détail de conduite, mon père, qui était un homme rare et digne du temps des Patriarches, le pratiquait ainsi ; et c’est lui qui, par son sang et ses exemples, a transmis à mon âme ses principaux traits et ses maîtresses formes. […] Mais, en choisissant chez Ducis et, en coupant les citations à temps, combien l’on trouverait ainsi de ces belles et douces pensées ! […] Voici quelques pensées que j’extrais des lettres écrites par lui dans sa vieillesse : Je suis auprès de mes consolateurs, de vieux livres, une belle vue et de douces promenades.

1415. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Ce sont les moyens de la pensée, dont l’intuition seule a le privilège de procurer la matière. Ce sont des formes, sous lesquelles l’esprit groupe des intuitions particulières offrant entre elles des analogies, des formes par l’entremise desquelles l’esprit met en relation, selon des rapports variés de conjonction ou d’opposition, les intuitions particulières, afin de bâtir la trame de la pensée. […] C’est parce qu’ils connaissent bien ce mécanisme, que les partis politiques, quelle que soit la pensée qu’ils représentent, apportent une telle passion à s’emparer des sources de l’enseignement. […] Victor Hugo, le maître des constructions verbales, le rhéteur génial du rythme et du mot, offre un spectacle plus pénible par l’importance qu’il attache à la médiocrité de sa pensée philosophique ou politique.

1416. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Le prince qui avoit conçu une idée si noble, eut en cette occasion un excès de complaisance, et déferant trop à l’art, il permit au peintre d’alterer l’élegance et la simplicité de sa pensée par des figures qui rendent le tableau plus composé, mais qui ne lui font rien dire de plus que ce qu’il disoit déja d’une maniere si sublime. […] Les personnes les mieux informées des particularitez de la vie de Marie De Medicis, comme les plus sçavantes dans la mythologie et dans la science des emblêmes, ne conçoivent pas la moitié des pensées de Rubens. […] Toutes les nations et les françois principalement, se lassent bientôt de chercher le sens des pensées d’un peintre qui l’enveloppe toujours. […] Mais, diront les partisans de l’esprit, ne doit-il pas y avoir plus de merite à inventer des choses qui ne furent jamais pensées, qu’à copier la nature, ainsi que fait votre peintre, qui excelle dans l’expression des passions ?

1417. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « I »

Albalat a consacré trois volumes, qui sont le résultat à la fois d’un énorme travail de documentation et d’une rare concentration de pensée. […] Sa pensée est salutaire et vraie. » « A ceux qui lui demandent ironiquement : quel style allez-vous nous apprendre ? […] Sa pensée est salutaire et vraie. » « A ceux qui lui demandent ironiquement : quel style allez-vous nous apprendre ? […] Lorsque Victor Hugo ou Lamartine publient des poésies, ils nous offrent des pensées et des images qu’ils croient belles et que vous avez parfaitement le droit de trouver médiocres, et vous n’aurez rien prouvé contre eux en venant dire qu’elles sont médiocres.

1418. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

que le glorificateur de la Renaissance, le philosophe de la libre pensée et l’admirateur de ce de Brosses à qui dernièrement on a fait une gloire parce qu’il aimait les priapées bien gravées sur un vase antique et se permettait d’indécentes plaisanteries contre l’Église, — oui ! […] Ou bien, dans sa pensée intime, car nous prenons souvent nos prétentions pour notre conscience, le spirituel et amusant satirique se croit-il naïvement des quarts d’heure de justicier et d’oubli de malice dans la justice ? […] Hippolyte Babou a trop de vif-argent dans la veine, trop de fantaisie dans la pensée ; il est un esprit trop sensible, et en même temps — comment dirais-je cela ? […] Ce n’est pas tout que des aperçus inattendus qui viennent tout à coup casser les glaces dans lesquelles chacun vient bêtement mirer son absence de pensée, comme, par exemple, cette théorie de la volonté spirituelle opposée par Babou à cette idée déjà commune, déjà décrépite, de l’influence fataliste des tempéraments.

1419. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre V : M. Cousin historien et biographe »

On garde fidèlement l’ordre naturel des pensées, on s’attache aux transitions, on marche pas à pas sans poser jamais un pied plus vite ni plus loin que l’autre, et avec la régularité d’une procession. […] Présenter la chemise au roi et aux princes, obtenir le bougeoir, faire des visites de deuil en mante ou sans mante, avoir le droit de s’enrhumer dans les carrosses du roi et d’étouffer dans un entre-sol de Marly, tels sont les graves intérêts qui emploient les forces, la pensée, le crédit des hommes les plus capables, et qui, selon l’issue, les transportent de bonheur ou les plongent dans l’extrême désespoir. « Hélas ! […] Supposons qu’un historien accepte cette idée générale ou toute autre, et la développe, non pas en termes généraux, comme on vient de le faire, mais par des peintures, par un choix de traits de mœurs, par l’interprétation des actions, des pensées et du style, il laissera dans l’esprit du lecteur une idée nette du dix-septième siècle ; ce siècle prendra dans notre souvenir une physionomie distincte ; nous en discernerons le trait dominant, nous verrons pourquoi de ce trait naissent les autres ; nous comprendrons le système des facultés et des passions qui s’y est formé et qui l’a rempli ; nous le connaîtrons, comme on connaît un corps organisé après avoir noté la structure et le mécanisme de toutes ses parties. […] On ne sait plus ce qu’est devenue la raison raisonnante ; des formes, des couleurs se tracent sur le champ décoloré où la pensée abstraite ordonnait ses syllogismes ; on aperçoit des gestes, des attitudes, des changements de physionomie ; peu à peu le personnage ressuscite ; il semble qu’on l’ait connu ; on prévoit ce qu’il va faire, on entend d’avance le cri de sa passion blessée ; on ne le juge pas, on l’aime ou le hait, ou plutôt on sent avec lui et comme lui ; on quitte son siècle, on devient son contemporain, on devient lui-même.

1420. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VII : Théorie de la raison par M. Cousin »

« Comme tout phénomène a son sujet d’inhérence, comme nos facultés, nos pensées, nos volitions et nos sensations n’existent que dans un être qui est nous, de même la vérité suppose un être en qui elle réside, et les vérités absolues supposent un être absolu comme elles, où elles ont leur dernier fondement. […] Si « le sujet de la vérité est la raison universelle et absolue », si les vérités nécessaires ne sont pas dans les choses47, si elles sont des pensées de l’intelligence divine, j’aperçois des pensées de l’intelligence divine lorsque je les aperçois. […] — Ainsi vous n’avez pas contemplé la pensée de Dieu ?

1421. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

Il s’est flatté même en tous les points de surpasser les anciens ; il a voulu par le raisonnement réformer l’imagination, la poésie, comme le reste ; et ce qui était une révolution très légitime dans l’ordre de la pensée et de la science est devenu une insurrection contestée dans le domaine de la littérature. […] Aussi il me semble, pour dire toute ma pensée, que si, après ces frappants exemples de Sénèque, de Pline, du Dialogue des orateurs, il était arrivé plus vite à Bacon, à Descartes, à Pascal, à ces grands textes modernes qui dominent la question et qui sont comme le péristyle de son sujet, la façade se serait dégagée aux yeux avec plus d’avantage, tandis que chez lui on a un peu l’inconvénient du portail de Saint-Gervais avant qu’on y eût abattu les maisons et élargi la place. […] Je demande à plaider à mon tour ; je demande à présenter sous un jour un peu plus favorable ce petit personnage, très spirituel en effet, mais qui n’était pas si ridicule de vouloir paraître philosophe, car il avait l’esprit naturellement philosophique ; et s’il s’est trompé sur la question d’Homère et des anciens, il s’est trompé en homme de pensée et avec beaucoup de distinction.

1422. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Ils enrichirent ainsi la langue en la rendant plus hétérogène, en appliquant à des fonctions spéciales les termes qui, jusque-là, se remplaçaient à peu près indifféremment : les synonymes reçurent des propriétés diverses, et l’on prépara ainsi de fins instruments pour enregistrer la finesse des pensées. […] Cela ne changea pas le sens de l’évolution du langage, mais plutôt prévint certains excès et certaines déviations : on consulta moins les fantaisistes répugnances de la délicatesse précieuse, et davantage les exigences réelles de la pensée aspirant à se rendre intelligible. […] De ses éléments concrets, colorés, pittoresques, succulents : elle avait gardé, aiguisé, fortifié les éléments rationnels, abstraits et pour ainsi dire algébriques, tout ce qui sert à définir la pensée sans la figurer.

1423. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

Dans les lettres publiées on voit un peu trop peut-être la mère de madame de Grignan ; et malgré le charme des narrations, la justesse des observations, la finesse naïve des expressions, la grâce des tours, et enfin la solidité des pensées que répand en courant sa plume légère, on ne peut se dissimuler qu’il y règne au fond un peu de monotonie. […] Madame de la Sablière disait de lui : « Il m’a donné de l’esprit, mais j’ai réformé son cœur. » C’était à l’occasion des Maximes, publiées en 1665, qu’ils faisaient l’utile échange de leurs sentiments et de leurs pensées. […] Ce sel tant vanté de la Grèce En faisait l’assaisonnement ; Et malgré la froide vieillesse, * Son esprit léger et charmant, Eut de la brillante jeunesse Tout l’éclat et tout l’enjouement. » Vigneul de Marville en parle ainsi : « Elle écoutait avec une attention qui débrouillait toutes choses, et répondait encore plus aux pensées qu’aux paroles de ceux qui l’interrogeaient.

1424. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

On est scrupuleux pour n’employer que des rimes riches, & on ne l’est ni sur le fond des pensées & des sentimens, ni sur la clarté des termes, ni sur les tours naturels, ni sur la noblesse des expressions. […] Là, se fait sentir davantage ce genre d’éloquence qui est propre à Fénélon ; cette onction pénétrante, cette élocution persuasive, cette abondance de sentiment qui se répand de l’ame de l’Auteur, & qui passe dans la nôtre ; cette aménité de style qui flatte toujours l’oreille, & ne la fatigue jamais ; ces tournures nombreuses où se développent tous les secrets de l’harmonie périodique, & qui, pourtant, ne semblent être que les mouvemens naturels de sa phrase & les accens de sa pensée ; cette diction, toujours élégante & pure, qui s’éleve sans effort, qui se passionne sans affectation & sans recherche ; ces formes antiques qui sembleroient ne pas appartenir à notre langue, & qui l’enrichissent sans la dénaturer ; enfin cette facilité charmante, l’un des plus beaux caracteres du génie, qui produit de grandes choses sans travail, & qui s’épanche sans s’épuiser ». […] Quiconque les lira avec attention [& tout le monde devroit s’empresser de les lire], y apprendra à éviter les écueils, à respecter les regles, à préférer le naturel au bel-esprit, les beautés réelles & solides au feu brillant & aux pensées recherchées, l’éloquence de tous les temps à celle du moment.

1425. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Renou » pp. 301-307

Quand la versification est harmonieuse, qui est-ce qui chicane la pensée ? […] Le nombre de la poésie relève une pensée commune. Si Boileau avait raison de dire : la plus belle pensée ne peut plaire à l’esprit, quand l’oreille est blessée jugez d’un chant sous lequel l’harmonie serait raboteuse et dure, d’un tableau qui pèche par l’accord des couleurs et l’entente des ombres et des lumières.

1426. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

L’auteur du Sixte-Quint et Henri IV, qui fait de la critique ici plus qu’il n’écrit l’histoire, ou, pour parler avec plus de précision, qui fait de l’histoire contre de l’histoire et répond personnellement à Poirson et à Michel ; l’auteur du Sixte-Quint, ancien rédacteur de l’Univers, n’a dans son livre ni flammes, ni dureté, ni morsure, ni amertume ulcérée… Il est doux comme un condamné à mort ; car il en est un au fond de sa pensée. […] qu’il n’y en ait pas mis une autre… Henri IV a donc commis là bien évidemment une des plus grandes fautes que souverain pût commettre, même la question religieuse écartée, que l’Histoire cependant n’écartera pas, car, je le dis, en regardant bien en face les révolutions futures, ou du moins le chemin par lequel elles peuvent venir, les gouvernements doivent toujours venir à bout, quand ils le voudront, eux qui sont la force organisée, de la force qui ne l’est pas… Segretain a par des exemples nombreux et frappants fait toucher du doigt dans son histoire la bévue des gouvernements du xvie  siècle qui précédèrent celui de Henri IV, lequel paracheva et fixa les conséquences de cette énorme faute, en la commettant à son tour ; et on se demande vraiment pourquoi, en lisant Segretain, qui nous met en lumière une chose qu’avant lui on n’avait pas assez vue, ce qui prouve son extrême bonne foi et son désir de justice : c’est qu’à toutes les époques de sa vie Henri IV, quelles qu’aient été ses apostasies, avait toujours été au fond de sa pensée plus catholique que protestant ! […] L’une des plus belles discussions de ce livre de Segretain est celle-là, dans laquelle il démontre la fausseté de la thèse de l’émancipation de la pensée et de l’homme esclave brisant ses fers, que des écrivains de parti ont toujours soutenue avec succès à propos de la Réforme, et fait admettre à l’ignorance, non pas gobe-mouche, mais gobe-montagne de ceux qui les lisent.

1427. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Introduction I Ces deux études sur Gœthe et Diderot ont été publiées séparément, à des époques assez distantes, — et dans un journal, ce mode de publication inventé par un siècle qui pulvérise tout, jusqu’à la pensée, — mais par leur double sujet elles exigeaient impérieusement l’ensemble et l’unité du livre. […] L’auteur de ce livre est arrivé de l’étude sur Gœthe à l’étude sur Diderot, qui l’a complétée… Seulement, tout d’abord, il n’a pensé qu’à Gœthe, — à cette immense personnalité de Gœthe, qui remplit jusqu’aux bords le xixe  siècle et bouche tous les horizons de la pensée moderne de son insupportable ubiquité. […] Caro, professeur de philosophie, s’escrimait contre les moulins à vent de la pensée de Gœthe comme s’ils commençaient à tourner, et dans un gros livre, de forte prétention, intitulé La philosophie de Gœthe, il recherchait péniblement quelle avait dû être cette philosophie et ne le trouvait pas.

1428. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Charles d’Héricault » pp. 291-304

Il semblait taillé pour l’action encore plus que pour la pensée. […] L’histoire de la Révolution de Thermidor, sous la plume décidée de M. d’Héricault, est surtout l’histoire de Robespierre, et il a si bien senti qu’elle l’était, et il a si bien voulu qu’elle le fût, qu’il a ajouté au titre de son livre La Révolution de Thermidor, un sous-titre, qui fixe la pensée : Robespierre ou le Comité du salut public. […] Michelet, dans son Histoire de la Révolution, a eu l’extravagante pensée d’imputer l’action révolutionnaire au peuple seul, au peuple acéphale, et de nier l’ascendant des chefs… ce qui est tout simplement guillotiner l’Histoire et abattre sous le stupide niveau égalitaire tout ce qui s’y élève, même dans le mal.

1429. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Xavier Eyma » pp. 351-366

Aborder avec un regard ferme cette Amérique éblouissante et surprendre le secret de tous les mirages avec lesquels elle dupe la pensée, voilà ce qui doit tenter tout homme qui se sent la vue d’un historien. […] Supposez, comme je le crois, que ces contradictions qui y pullulent et dont nous vous montrerons quelques-unes, sans pouvoir, à mon grand regret, donner un tableau intégral des autres, supposez que ces contradictions viennent de l’esprit de justice d’un historien qui aime et qui n’en dit pas moins ce qu’il voit contre ce qu’il aime, on est toujours en droit de se demander comment il se fait que le heurt, l’achoppement, les soufflets de ces contradictions à travers lesquelles l’historien intrépide s’avance sans broncher, ne l’avertissent jamais des dangers qu’il court dans ce Colin-Maillard auquel il joue entre les faits et les sympathies de sa pensée ? […] Mais l’honneur de la pensée n’est-il pas de traverser le milieu épais et physique pour saisir ce qu’il y a de vie, de force réelle et de vraie beauté morale, dont les nations, voyez-vous !

1430. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

C’était un Allemand, — un musicien chez qui la musique a toujours bourdonné autour de la pensée, — un peintre qui confondait, comme beaucoup d’autres venus après lui et qui ont élargi son erreur, les procédés de la peinture avec les procédés littéraires, — c’était, enfin, une sensibilité d’artiste soumise à toutes les variations du baromètre, bien plus qu’une intelligence d’inventeur… L’à-propos de l’heure fit sa fortune. […] c’est justement le vague qui fait le fond de la pensée du conteur allemand, soit qu’il raconte des faits merveilleux et extra-terrestres, soit qu’il se perde dans des appréciations d’art plus fantastiques que ces Contes eux-mêmes, c’est ce vague que Champfleury nous donne comme une puissance : « Hoffmann est — dit-il — de tous les artistes celui qui a le plus naïvement greffé — (pourquoi naïvement ?)  […] Hoffmann, le caricaturiste en littérature, espèce de Hogarth incertain dont la main tremblait tout en appuyant sur le trait, a surchargé ses personnages de détails mesquins, inutiles ou vulgaires, et cette manie de sa pensée ne nous a jamais plus frappé que dans quelques-uns des Contes posthumes.

1431. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVIII. M. Flourens »

C’est un lettré qui reporte sur la science, pour en adoucir l’austérité et sans rien diminuer de sa beauté profonde, tout ce que le Génie littéraire peut donner à la pensée d’un homme, de clair, d’élégant et de doux. […] Lui, l’anatomiste cartésien, il n’invoqua pas la pensée, la spiritualité, la conscience, cette ligne solitaire et impossible à joindre de l’asymptote éternelle ! […] Flourens, c’est de justesse dans l’expression et de finesse dans la pensée qu’est faite sa lucidité, car M. 

1432. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Il a enfin dans la pensée tous les parfums d’aubépine blanche des puretés chrétiennes, mais il s’est abstenu de ce charme, qui eût été perdu, d’une histoire naïve, et il s’est fait profondément et savamment historien. […] Et pourquoi, puisqu’il s’agit ici d’un homme assez saint pour faire des miracles, saint Vincent de Paul, avec qui l’abbé Maynard a vécu intimement des années dans la contemplation de sa pensée et de sa vie, n’aurait-il pas été ce miraculeux coup de soleil ? […] » Saint Vincent de Paul est le saint qui a baisé avec le plus ardent respect les haillons, splendides pour lui, de la misère, et mis plus bas une tête illuminée de pensées angéliques, de prévoyances, de génie et de plans célestes, aux pieds des pauvres, qui, le croira-t-on ?

1433. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Guizot »

sur les quatre, il n’y en a pas un, et punition de n’avoir pas le courage de sa pensée ! […] Dans le domaine de l’action comme dans celui de la pensée, Guizot est un esprit qui ne fut jamais sûr de rien. […] Il n’y a là ni aperçu frappant, ni pensée nouvelle.

1434. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Il peut s’appeler aussi le poète La Pensée. […] Mais sur le sien, à lui, le poète a écrit sans horreur le mot fataliste dans sa brièveté impérieuse et avec son fil de sabre turc, comme si c’était, après tout, le dernier mot de sa pensée, qui ne doute plus. […] Mais ces poésies, dont je ne puis rien citer, resserré que je suis dans les bornes de ce chapitre, sont pour moi, malgré leurs beautés incontestables, les inférieures du recueil, sinon par l’exécution, au moins par la pensée qui les anime.

1435. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Rien donc d’étonnant à cette précipitation des esprits vers le roman, cette forme actuellement populaire de la pensée littéraire du dix-neuvième siècle, mais rien d’étonnant non plus à son avilissement par sa popularité… Il en arrivera du roman (et dans un avenir très-prochain) ce qui est arrivé de la tragédie. […] Malot a eu la force d’écrire quatre cents pages sans nous révéler ce secret, mais le silence qu’il garde le trahit plus que s’il avait parlé… C’est un positif qui doit trouver le christianisme bien vague pour la fermeté de sa pensée. […] Malot une grande innocence de pensée.

1436. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

C’était un mélange de plusieurs idiomes corrompus, sans harmonie, sans goût, et qui n’avaient encore été façonnés par aucun de ces hommes de génie qui dominent sur les langues comme sur la pensée. […] Leur caractère et leur marche sont trop opposés : l’une est scrupuleuse et lente ; l’autre, hardi et rapide : l’une pèse sur les détails, l’autre saisit les résultats ; l’une amasse des faits, l’autre combine des idées : l’une, enfin, se défie de la pensée et craint l’imagination ; l’autre a le besoin de créer, et n’est riche que de ce qu’il invente. […] Son style ne sera donc qu’une traduction affaiblie de sa pensée.

1437. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

» Le comte resta une partie de la nuit en contemplation devant les rideaux, appliquant sa pensée (à quoi ?) […] Au fond, la pensée capitale de son œuvre est la même qui a inspiré le théâtre antique. […] Nous sommes le secrétaire de notre pensée, et non celui des méchantes langues. […] Champfleury, participe tout naturellement de ce défaut de sa pensée. […] Sa notice est mieux pensée et mieux écrite, sinon plus complète.

1438. (1874) Premiers lundis. Tome II « Li Romans de Berte aus Grans piés »

La pensée de notre jeune et savant collaborateur consistait à rechercher dans les anciennes épopées françaises, non pas seulement les imaginations plus ou moins gracieuses des conteurs et des poètes, non pas le mérite et l’agrément littéraire de leurs romans, mais les croyances diverses des populations, les récits historiques altérés, les invasions mythologiques qui avaient laissé des traces. […] Cette pensée de notre collaborateur demeure intacte, selon nous, et nous espérons qu’il ne la laissera pas tomber.

1439. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Il est impossible de condamner la pensée à revenir sur ses pas, avec l’espérance de moins et les regrets de plus ; l’esprit humain, privé d’avenir, tomberait dans la dégradation la plus misérable. […] Si vous portez des talents supérieurs au milieu des passions humaines, vous vous persuaderez bientôt que ces talents mêmes ne sont qu’une malédiction du ciel ; mais vous les retrouverez comme des bienfaits, si vous pouvez croire encore au perfectionnement de la pensée, si vous entrevoyez de nouveaux rapports entre les idées et les sentiments, si vous pénétrez plus avant dans la connaissance des hommes, si vous pouvez ajouter un seul degré de force à la morale, si vous vous flattez enfin de réunir par l’éloquence les opinions éparses de tous les amis des vérités généreuses.

1440. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le théâtre annamite »

Il y a entre mon chien et moi beaucoup de sentiments communs et de commencements de pensées communes. […] J’ai beau faire, cette race jaune ne m’inspire aucune pensée bienveillante ; la race noire, qu’on dit moins intelligente, me paraît beaucoup plus proche de moi.

1441. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Appendice. Note concernant M. Laurent-Pichat, et Hégésippe Moreau. (Se rapporte à la page 395.) » pp. 541-544

Laurent-Pichat, ayant à faire des lectures, des Causeries littéraires, dans un cercle rue de la Paix, a pris récemment (1861) pour l’un des sujets de sa déclamation encore plus que de son étude, Hégésippe Moreau, dont la vie prête au vague et lui a paru un canevas commode à ses propres pensées. […] « Il a, s’écrie-t-il, l’auréole immortelle, et je vais la faire briller à vos yeux. » J’ai eu le malheur alors, pour la notice très simple et des plus modestes que j’ai écrite sur Hégésippe Moreau, et qu’on a pu lire au tome IV de ces Causeries, j’ai eu, dis-je, le malheur de me présenter à la pensée de M. 

1442. (1889) L’art au point de vue sociologique « Préface de l’auteur »

L’homme devient religieux, avons-nous dit, quand il super pose à la société humaine où il vit une autre société plus puissante et plus élevée, d’abord restreinte, puis de plus en plus large, — une société universelle, cosmique ou supra-cosmique, avec laquelle il est en rapport de pensées et d’actions. […] Le but de l’art, au contraire, est la réalisation immédiate en pensée et en imagination, et immédiatement sentie, de tous nos rêves de vie idéale, de vie intense et expansive, de vie bonne, passionnée, heureuse, sans autre loi ou règle que l’intensité même et l’harmonie nécessaires pour nous donner l’actuel sentiment de la plénitude dans l’existence.

1443. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Guarini, et Jason de Nores. » pp. 130-138

Elle est pleine de jeux de mots, de pensées fausses, de comparaisons outrées, de saillies froides, de puérilités mises à la place du simple & du naïf. […] De Nores trouvoit dans cette pensée la marque d’un cœur dépravé.

1444. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Champfleury ; Desnoireterres »

À défaut de ce sens et de cette unité qui sont l’organisme de toute pensée, nous avons cherché au moins un peu d’observation vraie et nouvelle, et nous n’en avons pas trouvé davantage. […] … Si jeune dans les lettres, du moins par le nombre de ses ouvrages, Champfleury serait-il déjà ossifié dans le système qu’il a collé sur sa pensée, au lieu de la laisser indépendante dans la liberté de ses instincts ?

1445. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

. — Il semble s’élever jusqu’au ciel par le sublime de la pensée ; nous avons expliqué déjà ce mérite d’Homère, livre II, page 225. […] De telles fables, de telles pensées et de telles mœurs, un tel langage et de tels vers s’appelèrent également héroïques, furent communs à des peuples entiers, et par conséquent aux individus dont se composaient ces peuples.

1446. (1894) Critique de combat

Il a des pensées à double et à triple fond. […] En quelle mesure intéressent-elles la sensation, le sentiment, la pensée ? […] Elle ne boude pas devant le mot trivial, s’il rend mieux sa pensée. […] Que de pensées communes décèlent le même auteur ! […] Mais à qui la faute, s’il fallait se masquer pour dire sa pensée ?

1447. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1866 » pp. 3-95

Leurs mères semblent les avoir conçus, dans la pensée fixe et peureuse de l’image du mari qu’elles trompaient. […] Toutes les grandes choses de la pensée, du travail, sont faites par l’effort individuel, aussi bien que toutes les grandes choses de la volonté. […] Michelet s’est emparé de la pensée contemporaine. […] Il y a en vous, tant d’impressions, d’idées, de pensées, de choses des autres, que je vais en Bretagne, pour reconstituer ma personnalité et pour redevenir un moi, tout à fait moi !  […] Sa mémoire vacillante, sa parole bégayante et à demi paralysée, cherchent à se rattacher à nous par d’aimables caresses de sa vieille pensée.

1448. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

quel sourd travail s’est accompli dans les profondeurs de la pensée contemporaine ? […] Même, la seconde a scandalisé tous ceux à qui, sans doute, elle apprenait pour la première fois que saint Thomas est un des beaux génies dont se puisse honorer l’histoire de la pensée humaine. […] Évidemment, nous ne sacrifierons ni la science, et encore bien moins l’indépendance de notre pensée. […] L’indépendance de notre pensée n’aura donc à souffrir que dans la mesure où la foi serait affaire d’expérience et de raisonnement. […] On le voit bien dans cette belle page des Élévations sur les Mystères, si littérale et si symbolique à la fois : « Contenons les vives saillies de nos pensées vagabondes… nous commanderons en quelque sorte aux oiseaux du ciel ; empêchons nos pensées de ramper toujours dans les nécessités corporelles, comme font les reptiles sur la terre… Ce sera dompter des lions que d’assujettir notre impétueuse colère.

1449. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

La pensée, et tonnerre de Dieu ! la pensée est le produit du corps entier Faites donc penser un cerveau tout seul ! […] On sourit quand on se reporte par la pensée à l’époque pourrie où des protestations de conscience se produisirent. […] Autant demander quelle est la substance de la pensée. La pensée est une propriété du cerveau.

1450. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Ce genre d’influence fut sérieux sur elle, et sa pensée, même repentante, s’en ressentira toujours. […] Elle dit en finissant : « Il m’est venu encore une pensée sur moi-même, c’est que je suis fort aise, par amour-propre, qu’on m’ait ordonné d’écrire tout ceci, parce que sur toute chose j’aime à m’occuper de moi-même et à en occuper les autres, et que l’amour-propre fait qu’on aime mieux parler de soi en mal que de n’en rien dire du tout. […] » Sa pensée n’osa aller plus loin. — « Madame, il se porte bien de sa blessure. » — « Il y a eu un combat ! […] Par exemple dans ce passage, qui échappe presque à force de ténuité, à force de dédoublement et de reploiement du cheveu de la pensée. […] M. de La Rochefoucauld aurait eu quelque droit de revendiquer cette pensée comme très-voisine d’une des siennes : « Ce qui fait, a-t-il dit, que les amants et les maîtresses ne s’ennuient point d’être ensemble, c’est qu’ils parlent toujours d’eux-mêmes. » Je me pose une question : Si M. de La Rochefoucauld avait lu cette confession de Mme de Longueville, en aurait-il été touché ?

1451. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

Au xvie  siècle, Marot, et après lui Ronsard, Belleau, etc, ont eu, comme les trouvères, mainte gracieuse description de printemps, d’avril et de mai, maint petit cadre riant à de fugitives pensées ; mais toujours pas de peinture. […] Tandis que Racine enfant, l’esprit tout plein de Théagène et Chariclée, ne voyait rien de plus agréable au cœur et aux yeux (comme cela est en effet) que le vallon de Port-Royal-des-Champs, les religieuses et les solitaires s’en faisaient un lieu désert, sauvage, mélancolique, propre à donner de l’horreur aux sens ; ils n’avaient pas même la pensée de se promener dans les jardins. […] Qu’on se figure en effet dans ses rapports avec le monde une sensibilité très-fine, très-exquise, qui pénètre vite les motifs cachés, les racines mauvaises des actions, qui saisit la pensée sous l’accent, la fausseté à travers le sourire, qui subodore en quelque sorte les défauts des autres mieux qu’eux-mêmes, et s’en incommode promptement57. […] Refoulé de nouveau et contristé dans le présent, le séjour déjà lointain de l’Ile-de-France s’embellit pour lui alors, et sa pensée y revola, comme la colombe au désert, pour y replacer le bonheur. […] Ce qui me frappe et me confond au point de vue de l’art dans Paul et Virginie, c’est comme tout est court, simple, sans un mot de trop, tournant vite au tableau enchanteur ; c’est cette succession d’aimables et douces pensées, vêtues chacune d’une seule image comme d’un morceau de lin sans suture, hasard heureux qui sied à la beauté.

1452. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Universels par leur gloire, ce sont les César et les Alexandre de la littérature ; ils ont asservi de vastes provinces de la pensée humaine. […] Ces opérations, surveillées au bénéfice de Voltaire par les frères Pâris, ses bienfaiteurs et ses amis, élevèrent sa fortune au niveau de ses pensées les plus ambitieuses d’indépendance. […] Il avait la passion de la vérité, la vérité ne vieillit pas ; la pensée qui s’y attache et qui s’en nourrit n’a point de décadence ; chaque aurore lui rend son élasticité et sa vigueur. […] La solitude où il s’était relégué nourrit les pensées et recueille les forces. […] Dans les pages du Dictionnaire philosophique, où il laisse courir sa pensée sur tous les objets avec la liberté d’une confidence à voix basse, il parvient par les seules forces de sa raison jusqu’à des extases d’adoration et de vertu qui égalent le plus sublime mysticisme de l’Inde ou du christianisme.

1453. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Nul soin de la vérité dans les pensées, de la justice dans les sentiments, de la justesse dans le discours. […] Surtout cette critique réalisait exactement la définition de Sainte-Beuve : un secrétariat du public, un secrétariat où chaque dimanche était démêlée et rédigée la pensée de tout le monde, non pas la pensée de tout le monde individuellement, mais la pensée de tout le monde groupé en tranches de quinze cents personnes, pendant trois heures, sous un lustre. […] Toutes trois ont occupé, ont inquiété Hugo, Mallarmé, Valéry, leur ont paru le jeu transcendant de la pensée littéraire. […] Rien ni personne ne saurait appréhender la pensée au corps. […] Mais Voltaire citant cette phrase dans les Remarques sur les Pensées de M. 

1454. (1895) Hommes et livres

Je me rendis de là sur un rocher qui surplombe le Rhône, et me plongeai dans mes tristes pensées. […] Comme ce ne sont pas des artifices de style, mais des formes vivantes où se coule spontanément sa pensée ! […] Ici, forme et fond, pensée et langue, tout est à lui. […] Alberoni a fait la guerre en Italie parce que l’Italie a toujours été sa pensée favorite, sa préoccupation de toutes les heures. […] Impossible de comprendre l’origine et la force des pensées honnêtes qui se trouvent en lui à un certain moment.

1455. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

Je voudrais apporter pour dernier éclaircissement à ma pensée un exemple bien sensible et bien frappant, très inégal d’ailleurs, et qui ne revient au sujet en question que par un point. […] Elle est dans ce rythme vif et pressé (la strophe de dix vers, et le vers de sept syllabes) qui donne à la pensée toute son impulsion, et qui semble fait pour sonner la charge ou pour chanter la victoire. […] C’est pourquoi j’ai été bien aise de me décharger avec vous des pensées que j’avais sur un si agréable sujet. […] La religion de Malherbe était courte ; il n’en était pas dénué pourtant dans les parties respectueuses, élevées, de sa verve et de sa pensée. […] A entendre Balzac cette fois, on croirait vraiment qu’il est d’une autre école que Malherbe, qu’il est un homme tout de pensée, et qu’il a en profond dédain ceux qui prennent garde à leurs phrases.

1456. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre IV. Addison. »

Dans toute société polie on recherche l’ornement de la pensée ; on lui veut de beaux habits rares, brillants, qui la distinguent des pensées vulgaires, et pour cela on lui impose la rime, la mesure, l’expression noble ; on lui compose un magasin de termes choisis, de métaphores vérifiées, d’images convenues qui sont comme une garde-robe aristocratique dont elle doit s’empêtrer et se parer. […] L’homme du Nord porte volontiers sa pensée vers la dissolution finale et l’obscur avenir. […] Il demande des jours fixes de dévotion et de méditation qui puissent régulièrement nous rappeler à la pensée de notre Créateur et de notre foi. […] Il veut des mots exacts qui expriment les fines nuances de la pensée, et des mots mesurés qui écartent les impressions choquantes ou extrêmes. […] Nous devons copier et noter notre pensée avec le flot d’émotions et d’images qui la soulèvent, sans autre souci que celui de l’exactitude et de la clarté.

1457. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Je n’ai plus présentes à la conscience que les pensées et les images qui me sont suggérées. […] Mais bientôt, entraînée par une suggestion irrésistible, notre pensée va plus loin encore. […] Sans elles il ne saurait exprimer certaines pensées. […] Notre pensée se trouve donc à l’unisson de la sienne. […] Dirai-je toute ma pensée ?

1458. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Ces grandes pensées finissent mal. […] Ou il l’aurait été si les graines que sont ses pensées éparses avaient germé. […] Sa pensée avait pris depuis longtemps d’ailleurs une tournure mystique. […] Cette idée il ne l’a pensée religieusement que pendant son voyage dans la terre mère des religions. […] Elle a donné au contraire à cette pensée plus de vibration humaine, à cette paternité plus d’efficace.

1459. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Elle proclame la liberté de l’esprit et de la pensée. […] En effet, les sciences n’avancent que par les idées nouvelles et par la puissance créatrice ou originale de la pensée. […] L’âme est le principe supérieur qui se manifeste par la pensée, la vie n’est qu’un effet supérieur des lois de la mécanique. […] C’est dans cette pensée que l’on a pu dire avec raison que la nutrition n’était qu’une génération continuée. […] Pensées morales détachées, art.

1460. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Il perd de vue le monde des pensées, grisé par tous les philtres de la sensation, et son ivresse capiteuse peut aller jusqu’à la débauche des mots chez Victor Hugo, des couleurs chez Delacroix, des sons chez Wagner. […] Ils restent hommes du monde, autant que possible, causeurs spirituels et provocants, cachant sous les airs abandonnés d’une conversation pleine de saillies et de grâces, leur pensée de derrière la tête, pensée traîtresse. […] Son cerveau fourmille de pensées qui remuent, qui grouillent, qui se détruisent les unes les autres. […] Deux interprétations se sont partagé la critique, dont aucune n’a exprimé la vraie pensée du peintre. […] Les autres, plus près de saisir la pensée du maître, déclarent ces tableaux exempts de toute visée socialiste, n’y trouvant qu’un charme souverain de poésie rustique.

1461. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Elle frissonnait à cette seule pensée. […] Il y a dans la pensée contemporaine une étrange âcreté. […] Sa pensée est vaste comme le sujet qu’elle traite. […] En somme, il ne donna jamais une pensée à une femme. […] Au figuré, c’était un larron de pensées.

1462. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine de Boileau »

Fut d’enseigner leur siècle et de le maintenir, De lui marquer du doigt la limite tracée, De lui dire où le goût modérait la pensée, Où s’arrêtait à point l’art dans le naturel, Et la dose de sens, d’agrément et de sel, Ces talents-là, si vrais, pourtant plus que les autres Sont sujets aux rebuts des temps comme les nôtres, Bruyants, émancipés, prompts aux neuves douceurs, Grands écoliers riant de leurs vieux professeurs. […] Et riant, conversant de rien, de toute chose, Retenant la pensée au calme qui repose, On voyait le soleil vers le couchant rougir, Des saules non plantés les ombres s’élargir, Et sous les longs rayons de cette heure plus sûre S’éclairer les vergers en salles de verdure, Jusqu’à ce que, tournant par un dernier coteau, Nous eûmes retrouvé la route du château, Où d’abord, en entrant, la pelouse apparue Nous offrit du plus loin une enfant accourue13, Jeune fille demain en sa tendre saison, Orgueil et cher appui de l’antique maison, Fleur de tout un passé majestueux et grave, Rejeton précieux où plus d’un nom se grave, Qui refait l’espérance et les fraîches couleurs, Qui sait les souvenirs et non pas les douleurs, Et dont, chaque matin, l’heureuse et blonde tête, Après les jours chargés de gloire et de tempête, Porte légèrement tout ce poids des aïeux, Et court sur le gazon, le vent dans ses cheveux.

1463. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Profondément estimé en France de tous ceux qui avaient lu quelques-uns de ses morceaux de morale et de critique dans lesquels une pensée si forte et si fine se revêtait d’un style ingénieux et savant, il laisse un vide bien plus grand que la place même qu’il occupait, et il serait impossible de donner idée de la nature d’une telle perte à quiconque ne l’a pas vu au sein de ce monde un peu extérieur à la France, mais si étendu et si vivant, dont il était l’une des lumières. […] Je demande pardon, en parlant de lui, d’emprunter presque son langage ; mais quel autre moyen de faire comprendre un ordre de pensées si loin de nous ?

1464. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 4. Physionomie générale du moyen âge. »

Une lourde conviction de l’immutabilité des choses opprime la pensée, coupe les ailes à l’espérance, et la sensation du mal présent mène à la torpeur stupide, non au désir actif du progrès. […] La pensée n’est pas inerte non plus, mais elle se meut dans l’abstrait, et comme elle ne sort guère des écoles, elle ne pense guère non plus à régler la pratique ni à imposer aux faits sa forme.

1465. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Préface » pp. -

N’est-ce pas plutôt le langage d’un ami de l’homme, mais parfois, je l’avoue, d’un ennemi de sa pensée, ainsi que je l’écrivais dans la dédicace du volume, qui lui était adressé. […] J’accepte le reproche, et n’en ai nulle honte, mes indiscrétions n’étant pas des divulgations de la vie privée, mais tout bonnement des divulgations de la pensée, des idées de mes contemporains : des documents pour l’histoire intellectuelle du siècle.

1466. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre premier. Que la Mythologie rapetissait la nature ; que les Anciens n’avaient point de Poésie proprement dite descriptive. »

quel fruit peut en tirer la pensée ? […] Le voyageur s’assied sur le tronc d’un chêne, pour attendre le jour ; il regarde tour à tour l’astre des nuits, les ténèbres, le fleuve ; il se sent inquiet, agité, et, dans l’attente de quelque chose d’inconnu ; un plaisir inouï, une crainte extraordinaire font palpiter son sein, comme s’il allait être admis à quelque secret de la Divinité : il est seul au fond des forêts ; mais l’esprit de l’homme remplit aisément les espaces de la nature ; et toutes les solitudes de la terre sont moins vastes qu’une seule pensée de son cœur.

1467. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Le discours de l’Apôtre est simple, mais ses pensées sont toutes divines. […] Les livres saints étaient sa nourriture journalière ; il les emportait dans ses voyages, et, rentré chez lui, il jetait sur le papier, pour de futurs mouvements d’éloquence, ses impressions et ses pensées. […] Le moraliste ancien ne pouvait observer l’homme que dans ses actions, interprètes souvent infidèles des pensées, ou dans les discours, qui servent presque plus à nous cacher qu’à nous faire voir. […] Il sent par la pensée toutes les émotions de l’activité que sa robe lui interdit, et, dans cette solitude dont on sait qu’il était si jaloux, il vit pour ainsi dire toutes les vies. […] Si l’histoire de la religion y tient la plus grande place, c’est que, dans la pensée de l’auteur, la religion est tout à la fois le principe et la conclusion de l’histoire universelle.

1468. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Ici, une image visuelle s’associe à une pensée abstraite : on voit l’une, on songe l’autre, et le mouvement des vers les mêle et les anime. […] Envers vous, belles, ma pensée n’est point changeante. […] … Alors, elle se réfugie dans la pensée de la mort. […] Obsédée par cette pensée d’être un petit être éphémère, accroché aux flancs de la Terre, ce grain de poussière égaré dans l’espace, Cécile Sauvage a intitulé son livre : Tandis que la Terre tourne. […] Deschamps n’ont compris qu’épigrapher un roman comme la Nouvelle Espérance de pensées de Nietzsche, c’était, de la part de l’auteur, une spirituelle ironie, et peut-être un délicieux mensonge féminin.

1469. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. THIERS. » pp. 62-124

Un autre point qui ne mérite pas moins de l’être, c’est cette prédilection déclarée pour l’action, qui se retrouvera dans toutes les circonstances de la vie et dans toute l’habitude de la pensée chez M. […] Tandis que l’un burinait déjà jusque dans ses moindres pages les traits d’une pensée grave, élevée et un peu puritaine, l’autre lançait sur tout sujet son esprit prompt, alerte et vigoureux. […] Notez bien cette pensée : « Il n’y a que des moments dans la vie des peuples, comme dans celle des individus ; » cela ne rappelle-t-il pas la belle description de la vallée d’Argelez vue de Saint-Savin, par où M. […] Sa pensée sort comme un flot, que suit un autre flot : de là parfois quelque chose d’épars, d’inachevé dans l’expression. mais que la suite aussitôt complète. […] D’une pensée trop empressée et trop immédiate pour s’arrêter volontiers à l’étude des langues, il a fait exception pour celle de Dante et de Machiavel, avec lesquels il commerce directement, et il les met tout d’abord au rang de ses dieux.

1470. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Regardez plutôt ma cousine (qui se mariait), son air, sa robe, ses pensées ; car je vous demanderai compte de tout cela. […] De pensée ferme autant que de vive allure, elle sait de bonne heure le monde, réfléchit sur les sentiments, et voit les choses par le positif. […] Meyer, bouleversé, n’a que deux pensées et que deux mots : satisfaire à tout, et convaincre Mlle de La Prise qu’il n’y a pas eu séduction, et que tout ceci est antérieur à elle. […] Les derniers accents s’élèvent : « …Nos paroles ont fini là, écrit la mère, mais non pas nos pensées… Les intervalles d’inquiétude sont remplis par l’ennui. […] J’aurais donc la plus grande reconnaissance pour l’écrivain qui occuperait agréablement ma sensibilité et mes pensées, ne fût-ce qu’un jour ou deux. — Mon Dieu !

1471. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Je marche à ta seule clarté ; ta pensée féconde mon génie ; ta présence tempère et rafraîchit seule les brûlures de mon cœur ; toutes les fleurs et tous les fruits que j’ai pu cueillir dans les saisons de mon printemps et de mon été, ne sont que les parures destinées à orner ton autel dans les jours de fête qui me restent !  […] Trompée peut-être par l’inconstance de son poète, elle avait tourné toutes ses pensées vers le ciel, sans cesser d’excuser et de protéger celui dont elle avait aimé au moins l’imagination et la gloire : la reconnaissance seule aurait exigé davantage. […] Cette condescendance empressée d’Alphonse aux désirs du duc de Mantoue dément assez l’odieuse pensée qu’on attribue au duc de Ferrare, d’avoir voulu faire mourir le Tasse dans une éternelle captivité, de peur que ce grand homme ne portât son génie et sa gloire à une autre cour. […] C’est moins chez eux, ainsi que parmi nous, quelques pensées éclatantes, au milieu de beaucoup de choses communes, qu’une belle troupe de pensées qui se conviennent, et qui ont toutes comme un air de parenté : c’est le groupe des enfants de Niobé, nus, simples, pudiques, rougissants, se tenant par la main avec un doux sourire, et portant pour seul ornement dans leurs cheveux une couronne de fleurs. […] Son âme, dit Manso, de plus en plus détachée du monde, et absorbée dans les pensées éternelles, voyait trop le néant de toutes choses pour croire à l’éternité d’une couronne de laurier, bien que ce laurier eût été consacré sur le front de Pétrarque.

1472. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Mais Richebourg est là qui doit conduire la pensée du lecteur, qui le sait et en abuse. […] C’est un métier nouveau, issu comme beaucoup d’autres choses bonnes ou mauvaises des modernes fièvres industrialistes, réagissant sur les travaux de la pensée. […] Les suggestions d’un personnalisme absolu donnent le branle à toutes les pensées, qui se dispersent par la voie du livre ou de la presse. […] En outre, l’absence de pensée, de sérieux, de conscience dans l’exécution, ne peuvent avoir qu’une très fâcheuse action sur les esprits, de plus en plus déshabitués de tout effort salutaire. […] Votre pensée est bonne et grande.

1473. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre IV. De la pluralité des temps »

S’il se met par la pensée à la place de Pierre, il comptera à Pierre le temps que Pierre se compte à lui-même, c’est-à-dire le temps réellement vécu par Pierre, et à Paul le temps que Pierre lui prête. […] Est réel ce qui est mesuré par le physicien réel, fictif ce qui est représenté dans la pensée du physicien réel comme mesuré par des physiciens fictifs. […] Mais, en marquant le double groupe de flèches, nous avons renoncé à adopter un système de référence ; nous nous sommes placé par la pensée, à la fois, sur la voie et dans le train ; nous avons refusé de devenir physicien. […] Ou, si l’on aime mieux, il y a en M′ un physicien simplement imaginé, n’existant que dans la pensée du physicien en M. […] Sans nous attacher encore à ce schéma (il appellerait tout un ensemble d’explications dont nous pouvons nous passer pour le moment), traduisons la pensée de Minkowski sur la figure plus simple que nous venons de tracer.

1474. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Tout semble se mouvoir au mouvement de la pensée elle-même ; c’est une terre en action, quoiqu’en repos ; on y assiste à une création quotidienne ; toutes les heures du jour et de la nuit y donnent en passant un coup de pinceau, une teinte, un caractère, une physionomie. […] Decaisne était las de mesurer l’infranchissable distance qui sépare la main de l’artiste de la réalisation de sa pensée ; il était dégoûté d’un monde qui a pour les artistes des engouements ou des aversions, et point de jugement juste et impartial. […] La muse de Laprade était la plus divine des statues, mais une statue ; le poète était le grand statuaire de notre siècle, un Canova en vers, taillant la pensée en strophes, un sculpteur d’idées. […] Partout où Laprade voit la vie, il voit l’âme ; partout où il voit l’action, il voit la pensée. […] Mais on en extraira à foison des pages aussi achevées de pensée et de style que des pages de Virgile dans ses Églogues.

1475. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

Quoique encore dans l’âge où rien ne décline dans l’homme, sa tête intelligente a déjà perdu quelques-uns de ces fins cheveux blonds qui, comme des feuilles inutiles, se dispersent avant l’été pour mieux laisser mûrir dans le front découvert ce fruit précoce, la pensée, dans les hommes qui le portent. […] XXXII Écarté de l’arène politique avant d’avoir combattu, Louis de Ronchaud s’ensevelit dans la solitude de son cœur et de ses pensées ; il ne se laissa connaître que par quelques rares amis, à qui la grâce de son caractère n’en cachait pas la force, comme une femme d’Orient qui voile sa taille et son visage pour la foule, d’un blanc linceul, et qui ne le dépouille qu’en rentrant dans la maison, derrière les jalousies et les grilles de sa chasteté. […] ce présent n’a qu’un jour ; ils habitent, dans la permanence de leurs pensées, avec les immortels de l’histoire et de l’art ; ils sont contemporains de tous les passés et de tous les avenirs ; ils sont les abstractions supérieures de notre infime personnalité ; ce qu’ils habitent le moins, c’est notre terre : leur conversation, comme dit l’Apôtre, est avec les esprits invisibles ; purs esprits eux-mêmes, ils sont imperméables à nos misères de fortune ou de vanité. […] On murmure à voix basse que la beauté, le talent, la célébrité d’une femme d’exception, qui cache son nom comme il convient aux femmes de porter un voile dans la foule, ou aux Clorindes de revêtir une armure d’homme en combattant ; on murmure, disons-nous, que l’attrait d’esprit, le nom voilé, les éclats de célébrité de cette personne, ont fasciné d’un éblouissement désintéressé les yeux et l’âme de ce Platon de la solitude ; que, semblable à ces chevaliers dont la race et le sang coulent dans ses veines, il a senti le besoin de porter dans le cloître ou dans les combats une dame de ses pensées, et qu’il lui a voué ce qu’on appelle un culte, un servage, une foi chevaleresque, épurée de tout, hors de la joie de se dévouer ! […] la Fornarina elle-même pour Raphaël, si ce n’est les dames de leurs pensées ?

1476. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Il a été scientifique en appliquant le déterminisme au tracé des caractères, en rattachant les pensées, les sentiments et les actes des personnages à leurs antécédents, en remontant pour les expliquer aux trois milieux qui façonnent l’individu : milieu physique, milieu social, milieu psycho-physiologique. […] Elle suscite parfois dans l’homme un trouble, un tumulte, qui met aux prises une moitié de lui-même avec l’autre moitié ; elle entrechoque la raison et le sentiment ; elle déchaîne ainsi une lutte douloureuse, une sorte de tempête intérieure où la pensée erre ballottée, comme une barque fragile, au gré des souffles contraires. […] Voilà sa destinée pour longtemps ; elle sera philosophique. ; elle sera, non plus un jeu de l’esprit, un caprice mélodieux de la pensée légère et superficielle, mais l’écho profond, réel, sincère des plus hautes conceptions de l’intelligence.  » La poésie sera sans doute autre chose aussi ; bien téméraire qui voudrait enfermer l’incessante mobilité de l’art dans une formule rigide ; mais il est certain qu’elle peut et doit réaliser la prophétie de Lamartine. […] Et combien de fois Lamartine, reflétant dans le miroir de son âme la nuit semée d’étoiles, n’a t-il point plané au plus haut des cieux sur les ailes du rêve, laissant comme il le dit, sa pensée Flotter comme une mer où la lune est bercée ! […] Tantôt elle s’occupe avec prédilection de la vie mentale ; elle scrute, à l’aide de la conscience, ce microscope interne, les pensées, les aspirations, les rêves de l’âme ; elle s’envole dans l’au-delà, poursuit l’absolu, s’aventure dans l’infini, vogue en plein ciel au risque de se perdre dans les nues.

1477. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Je demeure d’accord avec Scaliger, que c’est un défaut du théâtre ; et je l’excuse avec lui par la nécessité de la représentation, étant impossible de représenter les pensées d’un homme autrement que par ses paroles. […] On va me dire, sans doute, qu’ils sont supposés ne pas parler : mais il faudrait alors que, par une supposition plus violente, nous nous imaginassions lire dans leur cœur et suivre exactement leurs pensées. […] Hasarderai-je là-dessus une pensée qui ne me paraît pas sans fondement ? […] Quelques mouvements entrecoupés, quelques résolutions brusques, sont une excuse la plus naturelle et la plus raisonnable : bien entendu, malgré tout cela, que des beautés exquises de pensées et de sentiments prévaudraient pour l’effet à ces précautions ; et c’est ce que je sous-entends presque toujours dans les règles que j’imagine pour la perfection de la tragédie. […] Il y peut entrer par un geste, par un regard, par le seul air de son visage, pourvu que ses mouvements soient aperçus par l’acteur qui parle, et qu’ils lui deviennent une occasion de nouvelles pensées et de nouveaux sentiments.

1478. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

Il ne nous est pas démontré que les Pensées nouvelles qu’on y a ajoutées, ne soient pas au moins dénaturées, pour ne rien dire de plus. […] Dans ce cas, la censure n’était donc qu’une mesure dérisoire, puisqu’elle n’a jamais pu empêcher un livre de paraître, ni un auteur d’écrire librement sa pensée sur toute espèce de sujets : après tout, le plus grand mal qui pouvait arriver à un écrivain, était d’aller passer quelques mois à la Bastille, d’où il sortait bientôt avec les honneurs d’une persécution, qui quelquefois était son seul titre à célébrité. […]       Bouillant de verve et de pensée,       Et fort de ses expressions, L’orateur, sur la foule, autour de lui pressée, Promenoit à son gré toutes les passions. […] Y a-t-il dans tout ce discours aucune pensée recherchée, aucun tour extraordinaire ou affecté ? […] Quels souvenirs surtout rappelle à ma pensée Cette cloche jadis dans les airs balancée !

1479. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Certes je ne crois pas qu’aucun sentiment d’envie vous ait inspiré cette mauvaise pensée ; mais je crois plutôt qu’en vous mettant en opposition avec la vieille nation, vous avez découvert un moyen pour vous rendre favorable une jeunesse vive, spirituelle, toujours prête à s’émouvoir pour le triomphe d’une idée nouvelle. […] Ils ont complètement oublié que la scène française n’avait acquis sa réputation que par le choix éclairé des ouvrages qui se recommandaient d’eux-mêmes par la pureté du style, l’énergie de la pensée, le naturel du dialogue et par des effets dramatiques ingénieusement amenés. […] Vous avez une imagination vive, une verve intarissable qui se révèle par des pensées fortes et hardies ; mais il vous manque un ami, ou plutôt parmi tant d’amis un ennemi généreux qui vous éclaire et qui vous dise avec fermeté : Malgré tous les dons que vous avez reçus du ciel, en suivant la route que vous avez prise, vous ne ferez jamais un bon ouvrage dramatique. […] Cependant au milieu de cette confusion de genres, de ces actions heurtées et sans suite, de ces personnages grotesques, rodomonts et ampoulés, de ce cliquetis de pensées hardies et tout à la fois neuves, élevées et communes, il est impossible de ne pas reconnaître dans vos productions dramatiques une imagination vive, une verve surabondante, une manière pittoresque d’exprimer une belle pensée, quelques scènes savamment creusées, et enfin, si vous voulez rétrograder vers le simple bon sens, l’espoir d’un talent vif et original. […] Votre idée de faire des publics m’a fait naître aussi la pensée de refaire le mien.

1480. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Zola, qui, du reste, ne devait exister dans la pensée de son auteur que par son exécution pittoresque. […] Et, puisque la charcuterie, et le porc, qui en est la base, tiennent tant de place dans son livre et les contemplations de sa pensée, il n’aura pas peur de mon image : il est sur le rebord de l’auge à cochon du réalisme, dans laquelle il peut se noyer tout entier. […] Le dialogue fini, le romancier reprenait son récit et sa page, y versant son style et sa pensée. […] Zola n’a ni style ni pensée à verser. […] En a-t-il encore dans ce livre, ce livre sans entrailles, sans élévation, sans pensée et sans style que celui de l’affreuse canaille qui vit là-dedans ; car M. 

1481. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Il y eut dans cette vie rapide un favorable moment où, pendant l’intervalle et au lendemain des crises, la fatigue déjà venue laissait pourtant à la parole d’Alfred de Musset toute sa fraîcheur, en même temps qu’il s’y mêlait une finesse nouvelle de pensée, une ironie, une légèreté moqueuse, la plus aisée et la plus française peut-être depuis Hamilton et Voltaire. […] [NdA] Quelqu’un, à moi de bien connu, qui fut un moment compagnon de Musset dans cette vie d’imagination et d’effréné désir, a osé encore écrire une pensée que je surprends et que je dérobe, une pensée qui exprime à souhait, et plus qu’à souhait, cette forme de déréglement et de fureur passionnée si chère à la génération dite des enfants du siècle : « Je me fais quelquefois un rêve d’Élysée ; chacun de nous va rejoindre son groupe chéri auquel il se rattache et retrouver ceux à qui il ressemble : mon groupe, à moi, je l’ai dit ailleurs, mon groupe secret est celui des adultères (moechi), de ceux qui sont tristes comme Abbadona, mystérieux et rêveurs jusqu’au sein du plaisir et pâles à jamais sous une volupté attendrie. — Musset, au contraire, a eu de bonne heure pour idéal l’orgie, la bacchanale éclatante et sacrée ; son groupe est celui de la duchesse de Berry (fille du Régent), et de cette petite Aristion de l’Anthologie qui dansait si bien et qui vidait trois coupes de suite, le front tout chargé de couronnes : “κώμοι και μανίαι, μέγα χαίρετε…” (Anthol. palat.

1482. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

D’abord, bien que la couleur politique, à proprement parler, ne soit pas celle qui domine dans le volume, Béranger, en quatre ou cinq places mémorables, a fermement marqué sa pensée, sa sympathie et ses pressentiments prophétiques dans le duel qui se continue ; par son éloge de Manuel, par son Conseil aux Belges. par la Restauration de la Chanson, et surtout par sa Prédiction de Nostradamus, il a fait acte de présence dans les rangs de la pure démocratie ; il a d’avance (bien qu’à une date inconnue) signé de son nom imposant les registres de la Constitution future. […] Toute cette fantaisie rapide d’une allégresse indisciplinée, cette flamme voltigeante de poésie, qui, dans les Bohémiens, s’évapore en quelque sorte à travers l’air et n’aboutit pas, vient donc, dans les Contrebandiers, se rejoindre à un fonds de pensées lointaines, mais réalisables, auxquelles elle jette un merveilleux éclair. […] Mais il est deux autres prosateurs que cette préface de Béranger m’a fortement rappelés par la multitude de traits fins, de pensées sous forme d’images sensibles, et de comparaisons brèves dont elle est comme tissue.

1483. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

Sabbatier est de ceux qui s’indignent « à la seule pensée de voir rabaisser nos grands écrivains au niveau de quelques extravagants d’Allemagne ou d’Angleterre » (page 21). […] Victorin Fabre lui-même manqua essentiellement de l’exquis en littérature ; après ses premiers essais, qui ont du ton, du nombre, du mouvement, des passages d’éclat, de nobles pensées, mais qui ne sont que d’un disciple encore, on put croire un moment qu’il allait se dégager et prendre son essor avec aisance ; l’Éloge de La Bruyère donnait lieu de l’espérer ; mais l’Éloge de Montaigne, remarquable pourtant, ne tint pas cette promesse ; l’auteur, en cet heureux sujet, n’eut rien de libre ni de léger ; en voulant approfondir, il s’aheurta, il fut rocailleux, il commençait à se montrer pesant. […] Victorin Fabre a laissé un ouvrage inachevé sur les Principes de la société civile ; il en lut à l’Athénée, en 1822, des fragments qui (j’en fus témoin) ne réussirent que très-médiocrement : « Cet ouvrage, s’écrie l’éditeur, est peut-être le plus vaste, le plus gigantesque qui ait jamais été entrepris… Tel qu’il est, il me paraît encore le plus grand monument élevé à la science politique. » Ce sont de telles exagérations enthousiastes qui, jointes aux violences dénigrantes, nous ont donné le courage de dire hautement toute notre pensée sur Victorin Fabre, et d’insister sur le phénomène singulier de son avortement laborieux.

1484. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre II. Le lyrisme bourgeois »

Ce qui fâche le plus notre poète, c’est la pensée de tout l’argent qui s’en va là alimenter la paresse et la gourmandise ! C’est surtout, la pensée de tout ce que donne le roi, et il faut le voir annoncer que tout cela n’aura qu’un temps, il faut l’entendre gronder à mots fort peu couverts : « Attendez, attendez ! […] Et il continue ainsi, incriminant tout le monde, et Rome surtout et les moines : mais ne sent-on pas ce que le rythme même, cette strophe de quatre vers, avec son allure régulière, sa forte vibration, sa solidité large, a de favorable à l’expression oratoire de la pensée ?

1485. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Renan, développer une pensée analogue à celle du messianisme hébreu, c’est-à-dire la foi au triomphe définitif du progrès religieux et moral, nonobstant les victoires répétées de la sottise et du mal. » Voyons donc sous quel aspect se présente l’acte de foi de M.  […] Or, si Antistius est bien réellement l’interprète des pensées les plus chères à M.  […] Mais c’est nous qui manquons de respect ; pourquoi le sien ne serait-il pas sincère   Si telle pensée nous scandalise, prenons garde : c’est que nous ne lisons pas bien.

1486. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Cette dissonance de forme est peut-être l’expression nécessaire d’une pensée étrangement subtile, ou de je ne sais quel sentiment bizarrement pervers, ou encore de quelque imagination funambulesque, de quelque fantaisie extraordinaire. […] Il affirme avec raison : « Je m’en tins à l’expression de mes sentiments intimes, de mes pensées, même des idées abstraites, ce qui a été, je l’avoue, mon écueil. » Qu’y a-t-il là de contraire aux tendances parnassiennes ? […] On se rappellera seulement quelques pièces exquises où le langage, la prosodie, la pensée et l’image forment harmonie.

1487. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Œuvres littéraires de M. Villemain (« Collection Didier », 10 vol.), Œuvres littéraires de M. Cousin (3 vol.) » pp. 108-120

Il y reste de la parole première une sorte de mouvement général, la facilité et le courant ; mais le style a désormais toute la précision et tout le fini que les plus curieux peuvent souhaiter ; la pensée sur chaque point a sa solidité et sa nuance. […] Villemain, large et fin, avance comme un flot ; il ne laisse aucun point de la pensée sans l’embrasser et la revêtir. […] Son style aussi est moins individuel que l’autre, et serre de moins près les replis de la pensée ; c’est un style qui honore ce temps-ci bien plus encore qu’il, ne le caractérise.

1488. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Binet, le nom de cette personne ou de l’objet, ou le chiffre. » Le sujet, quand ses yeux sont fermés ou que son attention est portée ailleurs, ne s’aperçoit pas du mouvement de sa main, qui révèle à l’expérimentateur le fond intime de sa pensée. […] Nous avons, pour ainsi dire, les deux extrémités d’un courant mental ; d’une part, des idées dont le sujet a la conscience claire ; d’autre part, la sensation subconsciente d’une plume provoquant la tendance à écrire ; en même temps que le sujet pense, sa main est invitée par des sensations sourdes à exprimer la pensée. […] A une sensation en succède une autre ; les sensations peuvent provoquer des émotions, des pensées, des volitions, des actions ; c’est le déplacement et la transformation de l’énergie mentale, parallèlement à l’énergie physique.

1489. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

L’imagination (et j’entends par là tout mouvement donné à la pensée) n’est donc pas une condition accessoire ou subordonnée dans les œuvres littéraires : elle y est essentielle, comme la couleur en peinture. […] De ce nouveau principe, il tire cette conséquence : « que l’homme de génie ne doit être que l’organe de tous et non une personne privilégiée ayant des pensées particulières », que « c’estcelui qui dit ce que tout le monde sait », qu’il n’est que « l’écho intelligent de la foule ». […] Je prendrai, pour éclaircir ma pensée, un exemple emprunté à l’histoire religieuse, mais que l’on me permettra de considérer sous un point de vue tout profane et tout littéraire.

1490. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

Elle était, autant par la pensée que par le cœur, la bonté, la générosité et la pitié humaines infinies, la pitié jusque dans ses faiblesses ! […] Mais Mme Sand n’a pas comme Mme de Staël l’aperçu et le mot qui se fixe dans la pensée comme une épingle de diamant. […] Quelqu’un qui, sans savoir que ses livres sont d’elle, les ouvrirait au hasard, y reconnaîtrait, à toute ligne, l’âme d’une femme, la pensée d’une femme ; et même, dans les plus passionnés, dans ceux-là que des moralistes sévères ont trouvés presque coupables, il y a cependant un accent de pureté, de sincérité et de tendresse, d’amour pour tous les sacrifices, de respect pour tous les enthousiasmes, qui révèle bien toute la femme qu’elle fut.

1491. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

C’est une espèce de Mme de Genlis de la libre pensée. […] Mme de Staël l’a touchée un jour, avec l’éclat d’esprit qui caractérise sa manière ; mais bas-bleu ce jour-là, car, malheureusement, cette adorable femme avait des jours de bas-bleuisme, elle avait montré que nulle créature de son sexe n’a la pensée assez mâle pour résoudre une question à la taille du grand Bonald, puisqu’elle-même, Mme de Staël, ne le pouvait pas ! […] « L’avenir consiste dans la recherche des lois naturelles, révélation incontestable et sûre de la pensée divine.

1492. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

Elle a gardé fidèlement devant eux le christianisme de sa pensée. […] Et cela est si profondément justifié par les faits, cette loi, et par toute l’organisation de la femme que initiative même parmi celles que l’histoire appelle les plus grandes, leur a manqué33 ; initiative dans l’action comme dans la pensée. Ce serait là un ferme livre d’histoire à dresser contre les histoires flottantes de Mlle Clarisse Bader, qui n’a pas plus d’initiative dans la pensée que tout son sexe, et dont tous les livres servent à le prouver.

1493. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Chine »

Après les grands travaux du Père Du Halde, du Père Grosier, du Père Amyot, du Père Gaubil, et de tant d’autres Pères jésuites, qui firent, pendant un moment, de la Chine une province de leur ordre ; après les livres des voyageurs anglais sur cette Chine logogriphique, aussi difficile à déchiffrer que son écriture ; en présence surtout de ces Pères de la foi, notre Compagnie des Indes de la rue du Bac (comme les appelait un grand écrivain), et dont les observations sont le meilleur de l’érudition contemporaine sur les institutions et les mœurs de la Chine, si deux sinologues, ayant passé toute leur vie dans une Chine intellectuelle qu’ils ont redoublée autour d’eux comme les feuilles d’un paravent, se mettaient à écrire de leur côté une histoire du pays qu’ils n’ont pas cessé d’habiter par l’étude et par la pensée, il y avait lieu de croire, n’est-il pas vrai ? […] S’il n’y avait ici qu’une préoccupation d’études, qu’une adoration de savant qui finit par faire une idole de l’éternel objet de sa pensée, nous trouverions cela touchant et assez frais, car la pensée a aussi son enfance comme la vie ; et, si ce n’était pas suffisant pour expliquer une admiration si naïve ou si profonde, nous penserions à ces moines du mont Athos qui finirent par voir la lumière incréée, à force de regarder attentivement leur ombilic.

1494. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

Il y a un mot heureux de Guizot, et que je souligne parce que Guizot, que je voudrais entraîner, ne se permet guère l’imagination : « Comme un fanal, dans la nuit, brille au milieu des airs sans laisser apercevoir ce qui le soutient, même l’esprit de Shakespeare nous apparaît dans ses œuvres, isolé de sa personne. » Mais c’est justement à cause de la difficulté de saisir la vie de Shakespeare, d’empoigner le pied du fanal caché sous sa lumière, que la pensée la veut, cette vie, et qu’elle s’y obstine. […] » Le cœur de Shakespeare, son caractère, ses actes, les milieux qui ont joué sur sa pensée ou qui l’ont pénétrée, enfin tout ce qui est le secret même de son génie en en faisant l’originalité, tout cela a manqué jusqu’ici, et tellement même qu’on a fini par dire, — dogmatiquement et comme si c’était la dispense de toute découverte : « Shakespeare est le seul biographe de Shakespeare !  […] Parce que Guizot n’a pas d’imagination dans le style et qu’il a souvent des raideurs dans la pensée, il ne faut pas croire qu’il manque de coup d’œil littéraire.

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