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1480. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

« On comprend, dit le président Hénault, enthousiaste de la pièce, ce que doivent produire les combats de la maîtresse et des deux amis. » L’amitié demeure la plus forte ; ils veulent se sauver tous trois de la violence de l’Espagnol qui les fait poursuivre, et ils se donnent la mort. […] Comme nous ne jouissons pas ici de la liberté de la presse, le Parlement, par un Arrêt juste, s’il est, comme je n’en doute pas, conforme aux lois du royaume, mais néanmoins rigoureux, l’a décrété de prise de corps, et l’on prétend que, s’il n’avait pas pris la fuite, il aurait été condamné à la mort. […] Cette mélancolie est antérieure à la crise morale qui suivit la mort de son mari, et je n’en découvre pas la cause. […] » Mais je n’ai à m’occuper ici que de Mme de Boufflers et de la conduite qu’elle tint avec ses deux amis, quand la rupture éclata entre eux et qu’elle les vit brouillés à mort.

1481. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Nous autres critiques, qui parlons des gens longtemps après leur mort, nous devrions bien nous mettre dans l’esprit qu’il n’y a qu’une manière de les retrouver avec quelque vraisemblance : c’est dans leurs livres d’abord et aussi dans le témoignage des contemporains dignes de foi. […] Mais il arrive le plus souvent aujourd’hui que les noms des morts célèbres ne sont qu’un prétexte à l’amour-propre et à la jactance des vivants. […] Parlant du bon Panard, son maître, à la date de sa mort (juin 1765), Collé a dans son Journal quelques pages excellentes et de la meilleure qualité, dans lesquelles, en rendant hommage à ce devancier charmant, à ce La Fontaine de la chanson, il marque bien en quoi il ne l’a pas imité. […] Il a écrit dans son Journal, à la date de janvier 1772 : « J’ai soixante-trois ans presque accomplis ; jusqu’ici je me porte assez bien, je ne désire point ma fin ; mais si des douleurs aiguës, continues et irrémédiables, s’emparaient de votre serviteur, la mort la plus prompte lui serait la plus agréable ; voilà mes sentiments… » Ce qu’il disait là assez lestement et par manière de souhait, il put bien y aider en effet douze ans plus tard dans son excès d’ennui et de tristesse.

1482. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Ayant à parler de la mort de M.  […] « Je vous ai mandé hier la mort de M.  […] , au moment de la mort de Casimir Perier, nous le montre au naturel et ne se surfaisant pas les choses : « 4 mai (1832). […] Sir Henry Bulwer est un peu doux et poli dans ses appréciations, comme il sied à un Anglais qui a tant vécu dans la haute société française ; mais voici un de ses compatriotes qui est plus haut en couleur et plus mordant : ce jugement parut dans le Morning-Post, à l’époque de la mort de Talleyrand ; je crois qu’il ne déplaira pas à cause de quelques traits caractéristiques qu’on chercherait vainement ailleurs : « Lorsque Talleyrand, nous dit l’informateur anonyme, était ici engagé dans les protocoles, lui qui dormait peu, il avait coutume de mettre sur les dents ses plus jeunes collègues, et nous avons trop bien éprouvé qu’au temps de la quadruple alliance et en plus d’une autre occasion, ses yeux étaient ouverts tandis que lord Palmerston sommeillait.

1483. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Les Anglais ont une manière excellente de payer un dernier tribut à leurs grands ou à leurs aimables poètes : c’est de recueillir et de publier de chacun, au lendemain de sa mort, un choix de textes, de documents familiers, de lettres écrites ou reçues ; il en ressort une ressemblance vraie et définitive. […] Mais à leur arrivée, la colonie était en révolte et en feu, la fièvre jaune sévissait, le parent était mort, et la mère de Mlle Desbordes mourut elle-même, atteinte du fléau. […] Le général Lanchantin est mort général de division, baron de l’Empire, pendant la retraite de Moscou, à Krasko, en 1812. […] « Je ne l’ai connue qu’âgée, mais plus émue que jamais, troublée de sa fin prochaine, et (on aurait pu le dire) ivre de mort et d’amour.

1484. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Des personnifications allégoriques, l’Espérance, le Malheur, la Mort, apparaissent au sein de ces bocages. […] Viennet déclaré mort, et on dit pourtant qu’il a longtemps encore survécu. […] Moi j’expirais auprès d’elle, on m’emmena en deuil hors de cette île dépeuplée à demi par la mort, et, de vaisseau en vaisseau, je fus rapportée au milieu de mes parents devenus tout à fait pauvres. […] Allusion à la mort de sa fille Julia.

1485. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

Bertaut s’est donné mission de pleurer les morts. […] Du Plessis-Mornay (1549-1623) ; soldat, négociateur, théologien, a écrit : les Discours sur la vie et sur la mort (1575), les Vindiciæ contra tyrannos (1579) ; le Traité de l’Eglise (1579) ; le Traité de la vérité de la Religion chrétienne (1581) ; le Traité de l’Eucharistie (1598). […] Il s’attacha à Henri III, qui le nomma son lecteur et conseiller au Parlement (de Grenoble ; après la mort de Henri III, il se rallia à Henri IV, qui le fit premier aumônier de la reine en 1600, et évêque de Séez en 1607. […] Dans ses Discours de la vie et de la mort (1575).

1486. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

De là vos savantes recherches sur les maladies du vin, de la bière, des vers à soie, puis sur ces terribles accidents de la machine humaine, le charbon, la septicémie, la rage, qui peuvent amener la mort à l’organisme par lui-même le plus sain et le plus robuste. […] Il ne se faisait à cet égard aucune illusion ; un an avant sa mort, il appelle encore le catholicisme « l’adversaire naturel de toutes les libertés » ; mais, tolérant pour les intolérants, il réclamait l’application abstraite des principes. […] « La mort, selon une pensée qu’admire M.  […] Cette philosophie, qui nous promettait le secret de la mort, s’excuse en balbutiant, et l’idéal, qui nous avait attirés jusqu’aux limites de l’air respirable, nous fait défaut quand, à l’heure suprême, notre œil le cherche.

1487. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

— « C’était mon mari, il est mort. » Mme Geoffrin eut une fille, qui devint la marquise de La Ferté-Imbault, femme excellente, dit-on, mais qui n’avait pas la modération de sens et la parfaite mesure de sa mère, et de qui celle-ci disait en la montrant : « Quand je la considère, je suis comme une poule qui a couvé un œuf de cane. » Mme Geoffrin tenait donc de sa grand-mère, et elle nous apparaît d’ailleurs seule de sa race. […] Plus d’un grand politique se serait bien trouvé, même de nos jours, d’avoir présente cette maxime, qu’elle avait coutume de répéter : « Les gens d’esprit font beaucoup de fautes en conduite, parce qu’ils ne croient jamais le monde aussi bête qu’il est. » Les neuf lettres d’elle qu’on a publiées, et qui sont adressées au duc de Richelieu pendant la campagne de 1743, nous la montrent en plein manège d’ambition, travaillant à se saisir du pouvoir pour elle et pour son frère le cardinal, dans ce court moment où le roi, émancipé par la mort du cardinal de Fleury, n’a pas encore de maîtresse en titre. […] Elle n’était pas pressée de tout dérouler d’un coup : « Peut-être à ma mort, disait-elle, le rouleau ne sera-t-il pas déployé tout entier. » Cette sage lenteur est un trait distinctif de son esprit et de son influence. […] Une visite qui menaçait de se prolonger et de s’éterniser la faisait pâlir et tourner à la mort.

1488. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

La destinée de Jeanne d’Arc, même après sa mort, a de quoi sembler des plus singulières, et sa renommée a subi toutes les transformations et toutes les vicissitudes. […] Elle ordonne l’assaut, et « presque tous sont mis à mort ». […] Les témoins, les contemporains l’ont bien senti après sa mort. […] Il résulte des témoignages positifs, aujourd’hui connus, qu’elle se promettait et que ses voix lui promettaient beaucoup plus de choses qu’elle ne vint à bout d’en accomplir ; et il lui fallut, à l’article de la mort, un effort de foi et de suprême confiance en Dieu, pour qu’après bien des agonies et des défaillances, elle pût se relever et s’écrier jusqu’au milieu des flammes que ses voix, en définitive, ne l’avaient pas trompée.

1489. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Théodore Leclercq est mort le 15 février dernier, et cette mort a aussitôt réveillé, chez ceux qui ne connaissaient ce spirituel auteur que par ses œuvres, le vif souvenir de tout un piquant chapitre littéraire, de tout un chapitre de mœurs sous la Restauration. […] De là la guerre à mort qui s’engagea bientôt entre lui et tous les esprits sensés qu’un intérêt étroit et direct n’aveuglait pas. […] Fiévée, son aîné de quelques années, et que commença entre eux cette union durable qui subsista plus de quarante ans et que la mort seule a brisée.

1490. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Essai sur Amyot, par M. A. de Blignières. (1 vol. — 1851.) » pp. 450-470

François Ier fut informé des premiers travaux d’Amyot et de ses projets : il vit la traduction du roman de Théagène et Chariclée, qui fut imprimée l’année même de sa mort (1547) ; il eut connaissance de quelques Vies de Plutarque qu’Amyot lui présenta comme essai : il lui commanda de poursuivre une si généreuse entreprise, et, pour l’y encourager, il le nomma abbé de Bellozane : ce fut le dernier bénéfice que conféra ce roi ami des lettres, car il mourut peu après. […] En ce qui est sobre, simple et grand, nulles pages ne sont plus belles que celles de la mort de Pompée. […] Ernest de Blignières, est mort deux mois après, à Lyon, le 1er octobre 1851, dans sa vingt-septième année. […] Il reste quelque incertitude sur la date précise du départ d’Amyot pour Rome ; il se pourrait qu’il fût parti un peu ayant la mort de François Ier ; ce sont des détails peu importants, et que ses meilleurs biographes ne me paraissent pas avoir éclaircis.

1491. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Sa nature calme et peu passionnée ne paraît point avoir souffert d’ailleurs d’une telle union : En l’année 1639, ayant épousé M. de Motteville, dit-elle, qui n’avait point d’enfants et avait beaucoup de biens, j’y trouvai de la douceur avec une abondance de toutes choses ; et si j’avais voulu profiter de l’amitié qu’il avait pour moi, et recevoir tous les avantages qu’il pouvait et voulait me faire, je me serais trouvée riche après sa mort. […] À la mort du cardinal et du roi, l’un des premiers soins de la reine fut de rappeler auprès d’elle ses anciens amis disgraciés pour l’amour d’elle, et Mme de Motteville fut du nombre ; elle fut dès lors attachée à la reine moins encore comme femme de chambre (elle en avait le titre) que comme l’une des personnes de sa conversation et de son intimité. […] Elle commence par un abrégé de la vie de la reine, depuis son arrivée en France jusqu’à la mort de Louis XIII et à la régence. […] Après la mort du feu roi, elle cessa de mettre du rouge, ce qui augmenta la blancheur et la netteté de son teint… Le grand deuil seyait à la reine, et elle perdit à le quitter.

1492. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

C’était un cas de mort, en ce temps-là, que d’être le fils de Montesquieu ou de Buffon, et le plus sûr était de le faire oublier. […] Conseiller au parlement de Bordeaux depuis 1714, la mort d’un oncle lui laissa la charge de président à mortier en 1716 : il avait vingt-sept ans. […] Ce ne fut qu’à sa mort que le bienfait fut révélé. […] Lainé racontait que, lorsqu’il avait obtenu de la famille Secondat de faire des recherches dans les papiers de Montesquieu, il avait trouvé dans le secrétaire, que personne n’avait ouvert depuis la mort du grand écrivain, une masse de brouillons de tous ses billets doux.

1493. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

Il parle de lui à la date de sa mort (février 1757), et il est sévère. […] Il y a des pages (telles que celles sur la mort de Voltaire) qui me paraissent trop emphatiques pour être de Grimm, et qui, dans tous les cas, sont un tribut payé à l’opinion du moment. […] En philosophie, il le traite avec le dédain d’un homme qui n’en est pas resté aux demi-partis et dont l’incrédulité, du moins, n’est point inconséquente : Voltaire, au contraire, s’arrête à mi-chemin et, en continuant de mal faire, s’effraye par moment de sa propre audace : « Il raisonne là-dessus, dit Grimm, comme un enfant, mais comme un joli enfant qu’il est. » À partir de Tancrède, tout ce que Voltaire produit pour le théâtre lui paraît marqué du signe de la vieillesse ; mais, à sa mort, il se reprend à l’envisager dans son ensemble, et avec l’admiration qu’une telle carrière inspire ; il exprime très bien le sentiment de la décadence littéraire que, selon lui, Voltaire retardait, et qui va précipiter son cours : « Depuis la mort de Voltaire, un vaste silence règne dans ces contrées, et nous rappelle à chaque instant nos pertes et notre pauvreté. » Il écrivait cela à Frédéric (janvier 1784).

1494. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Mémoires du général La Fayette (1838.) »

Ainsi, pour revenir à l’occasion et au point de départ de ces considérations, La Fayette, venu en tête de la Révolution française, est mort en même temps qu’elle a fini, et sa vie tout entière la mesure. […] Cet écrit, commencé avant 1805, à la prière du général Van Ryssel, ami de La Fayette, ne fut achevé qu’en 1807 et resta dédié au patriote hollandais, mort dans l’intervalle. […] Plusieurs autres, et nommément Condorcet, ont expié des torts précédents par une proscription cruelle, fruit de leur résistance, et par une mort plus cruelle encore. […] Sans craindre d’abonder moi-même, je veux citer en entier la belle lettre de janvier 1808, à M. de Maubourg, sur la mort de madame de La Fayette. […] On a beaucoup parlé de Sieyès dans ces derniers temps ; sa mort l’a remis en scène.

1495. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

. —  Vers sur sa propre mort. —  À quels excès il aboutit. […] Pour égratigner, il déchire ; son badinage est funèbre ; par plaisanterie, il traîne le lecteur sur tous les dégoûts de la maladie et de la mort. […] Quel journal plus intime et plus âcre que ses vers sur sa propre mort ? […] nous devons tous être prêts pour la mort. —  Qu’est-ce qu’il a laissé ? […] —  Pure envie, avarice, orgueil. —  Il a donné tout ; mais il est mort auparavant. —  Est-ce que dans toute la nation le doyen n’avait pas — quelque ami méritant, quelque parent pauvre ?

1496. (1874) Premiers lundis. Tome I « [Préface] »

Sainte-Beuve, insérés dans Le Globe à partir de l’année 1824, nous ne faisons que réaliser un projet exprimé par lui dans la dernière édition des Portraits Contemporains, peu de mois avant sa mort (1869) : « Je me propose pourtant, dit-il, si je vis, de donne dans un volume à part la suite de mes articles au Globe ; on me dit que ce ne serait pas sans intérêt, et je me suis laissé persuadera. » Mais nous ne nous sommes pas borné seulement aux articles du Globe, qui sont le point de départ et comme la préface de cette publication, et nous avons recherché dans d’autres recueils postérieurs tout ce qui, à notre connaissance, était encore épars de l’œuvre du maître. […] J’y ai donné d’assez rares articles littéraires, dont quelques-uns se trouvent recueillis dans les précédents volumes ; quelques autres que je pourrais regretter sont empreints d’une personnalité assez vive pour que je les y laisse… » Ce n’était plus son avis quand il est mort.

1497. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De la philosophie. »

La douleur de la destruction se fait sentir avec toute la force de l’existence ; c’est assister soi-même à ses funérailles ; et, violemment attaché à ce triste et long spectacle, renouveler le supplice de Mézance, lier ensemble la mort et la vie. […] Non que dans cette situation, la vie ait encore quelques charmes, mais parce qu’il faut rassembler dans un même moment tous les motifs de sa douleur pour lutter contre l’indivisible pensée de la mort ; parce que le malheur se répand sur l’étendue des jours, tandis que la terreur qu’inspire le suicide, se concentre en entier dans un instant, et que pour se tuer, il faudrait embrasser le tableau de ses infortunes comme le spectacle de sa fin, à l’aide de l’intensité d’un seul sentiment et d’une seule idée.

1498. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

Chénier eût vécu, cet homme d’esprit nous eût débarrassés de l’unité de lieu dans la tragédie, et par conséquent des récits ennuyeux ; de l’unité de lieu qui rend à jamais impossibles au théâtre, les grands sujets nationaux : l’Assassinat de Montereau, les États de Blois, la Mort de Henri III. Pour Henri III, il faut absolument, d’un côté : Paris, la duchesse de Montpensier, le cloître des Jacobins ; de l’autre : Saint-Cloud, l’irrésolution, la faiblesse, les voluptés, et tout à coup la mort, qui vient tout terminer.

1499. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Si George Sand a paru reconnaître, dans ses premiers romans, le droit absolu de la passion, c’est uniquement de celle qui est « plus forte que la mort » et qui la fait souhaiter ou mépriser. Il se peut que ses romans, mal compris, soient pour quelque chose dans les erreurs de Mme Bovary ; mais alors c’est aussi grâce à eux qu’il lui reste assez de noblesse d’âme pour chercher un refuge dans la mort.

1500. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Mais les portraits des morts pourront vous inspirer quelques réflexions. […] Ils se donnent si bien à nous tout entiers qu’après leur mort il ne reste rien d’eux, absolument rien, et qu’il n’en peut rien rester, et que leurs portraits même ne peuvent pas être leurs portraits !

1501. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Aussi, la mort et la vanité de nos jours sont-elles sans cesse présentes à saint Jérôme. […] Les homélies du premier, sur la Mort, et sur la Disgrâce d’Eutrope, sont des chefs-d’œuvre188.

1502. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

Elles n’ont qu’un mot, ces terribles nièces, un premier cri pour déplorer la mort de leur cher oncle, et ce cri du cœur est toute une oraison funèbre : Il est crevé ! […] Ce double hommage était bien dû au duc de Nivernais, qui, membre de l’Académie française depuis 1743, avait fait partie durant cinquante ans de l’illustre compagnie, en était devenu le doyen, l’avait présidée plus souvent qu’aucun autre dans des occasions brillantes, en avait vu la ruine, et était mort avant l’entière réparation. […] Il était assez piquant, au xviiie  siècle, d’être l’amant de sa femme ; Nivernais le fut, du moins en vers, et quelque temps ; car, peu d’années après, on le trouve dans la société sur le pied bien établi d’ami de Mme de Rochefort, qu’il épousa même plus tard, après la mort de sa Délie. […] Dans les quatre Dialogues des morts qu’il a écrits, il en est un entre Périclès et Mazarin, où il leur fait dire des choses très à remarquer sur celui-ci, très neuves alors, et qui prouveraient beaucoup de sagacité historique si l’esprit de famille n’avait en ceci aidé à l’impartialité. […] Huit jours avant sa mort, il écrivait un billet charmant à M. 

1503. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

La mort de son père dès 90, la ruine de sa famille, le séjour forcé à Passy et les réflexions sans trêve durant l’hiver dur de 94 à 95, concentrèrent sur le malheur des siens toutes ses puissances morales, et son énergie se déclara. […] Elle reprit en 1821 cette suite de travaux, naturellement suspendue durant les premières années politiques de son mari ; elle les reprit par zèle du bien et par honorable nécessité domestique, et l’on eut successivement Raoul et Victor, ou l’Écolier (1821), les Nouveaux Contes (1823), les Lettres de Famille sur l’Éducation, son véritable monument (1826) ; une Famille ne parut qu’en 1828, après sa mort. […] Cet Essai, auquel s’attachait sa plume sérieuse, et si bien mené jusqu’au milieu, a été interrompu par la mort. […] Personne de vérité jusqu’au bout, elle ne voulut mêler, même aux devoirs qui suivent la mort, rien de factice et de convenu, rien que de conforme à l’intime pensée. […] ) « L’amour, la jeunesse, les doux sentiments de la nature offrent bien autant de chances de vie que de mort, autant de moyens de consolation que de malheur.

1504. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Vit-on jamais amants passionnés s’étreindre en un transport purement cérébral et s’enlacer fiévreusement pour mieux philosopher touchant la supériorité de la nuit sur la lumière et de la mort sur la vie ? « Ces prétendus amants, dit Gasperini, sont deux élèves de Kant, de Schopenhauer, de l’école indienne, ce ne sont pas des créatures humaines ; jamais, grâce au ciel, l’amour n’a parlé cette langue ampoulée et barbare ; jamais il ne s’est précipité dans le deuil, dans la mort avec cette rage de délabrement et de submersion. » Va pour leur premier cri d’amour ! […] Dans sa Messe des Morts, restée si moderne, malgré son âge vénérable de près d’un demi siècle déjà (1840), le début de l’Agnus est conforme à la conclusion du morceau précédant, tandis que, au milieu de ce Final, le compositeur ramène la seconde moitié du premier morceau, le Te decet Hymnus même, en dépit de l’ordre du texte rituel, avec les mêmes paroles de cette partie de l’Introitus. […] Quel retour touchant et intime, dans Fidelio, que celui confié au hautbois, en mouvement d’adagio, d’une phrase de la vision de Florestan, dans la scène du cachot, si merveilleuse d’expression et de couleur, pendant que le geôlier répond à la question haletante de Léonore : « Peut-être est-il mort ?  […] Deux ans après la mort de l’auteur d’Obéron, en 1828, dans la Muette de Portici, quand Masaniello dans son accès de folie, au cinquième acte entonne sa barcarolle du deuxième acte, on rencontre une inspiration qui a fait école ; ainsi les retours de motifs dans les scènes de folie de Lucie (1835), Martha (1847), l’Étoile du Nord, etc.

1505. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Si Henri Forneron, mort, il y a quelques mois, en pleine maturité, avait dépensé le demi-quart du talent qu’il a mis dans Les Ducs de Guise et leur époque, à écrire l’histoire de Marat, par exemple, ou de Danton, ou de Robespierre et de leur époque, — cette histoire faite et refaite cent fois et qui reste inépuisablement à refaire, — les critiques se seraient abattus sur son livre comme les abeilles sur une grappe de raisin et auraient bourdonné alentour. […] Mais par la facette de l’anecdote et le détail de mœurs et de pittoresque qui y brillaient au tournant de certaines pages, on comprenait qu’il y avait là une pointe de vie inconnue à Guizot, cette momie imposante et grave, — grave comme la mort, qui, du moins, elle, est silencieuse ! […] L’historien n’a appuyé ni son regard, ni son jugement, sur ce Roi des ribauds, empoisonnant sa femme de ses maladies de débauche, jaloux de Bayard, foi mentie à Madrid, qui finit par s’allier avec le Turc contre la civilisation chrétienne, et, pour tout cela, il ne lui applique placidement que la phrase bonne fille de Tavannes : « Les dames plus que les ans lui causèrent la mort. […] Quand il fut mort, Henri III, hébété de son crime, dit, en le regardant de ses deux yeux terrifiés : « Je ne le croyais pas si grand !  […] Son fils Henri, dont Forneron, souvent très artiste (voir son portrait d’Élisabeth et surtout sa mort de Marie Stuart), écrit qu’il avait le charme et la témérité de Borgia, — un Borgia blond, « plus Italien que Lorrain, malgré ses cheveux d’or, plus paladin que général, plus conspirateur qu’homme d’État, et qui mourut d’une conspiration », — eut, par un hasard inouï de guerre, le bonheur de prendre à son père, par une blessure reçue à la même place, son fier surnom de Balafré.

1506. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Tout ce roman de Renée Mauperin est dans ce chef-d’œuvre acéré d’Henri Mauperin, qui, pour soubasser son ambition de « jeune bourgeois », a soufflé scélératement au cœur d’une de ces femmes mûres, toujours prêt à s’entr’ouvrir, une passion insensée sur laquelle il compte pour lui faire donner sa fille en mariage ; et l’incestueux mariage s’accomplirait avec le cynisme ordinaire, lorsque Henri est tué en duel par un vieux noble qu’il croyait mort et dont il avait pris le nom légalement ( la légalité nous tue ! […] Les frères Zemganno sont morts. […] Mais, en d’autres termes, moins gais que ceux d’une si bouffonne préface, un tel procédé, c’est la mort même, la mort déshonorante de toute littérature créatrice, qui se déclare incapable de vivre par elle-même, impuissante et finie ; c’est le moyen le plus honteux employé pour la faire durer un peu encore, si cela s’appelle durer que traîner sa paralysie hébétée et son cul-de-jattisme final sur les béquilles d’emprunt du document humain, et, pour parler avec l’élégance de M. de Goncourt, qui se plaint qu’on le blague, c’est vraiment une chose assez triste pour qu’il n’y ait plus à blaguer ! […] D’un autre côté, le dénouement pathologique est une des faiblesses ordinaires des naturalistes, qui ne croient qu’aux faits de la matière, et celui de M. de Goncourt en rappelle d’autres antérieurement connus : le delirium tremens de L’Assommoir, et la mort de la rage, dans un des romans les plus passionnés de Léon Cladel… Conséquences inévitables du naturalisme, qui se dit, malgré son ignorance, expérimental et scientifique, nous serons peut-être obligés de faire prochainement, dans les livres qui s’adressaient autrefois au cœur ou à l’esprit, le tour des maladies humaines, et nos romans ne seront plus que de dégoûtantes nosographies… M. de Goncourt, l’auteur de la Sœur Philomène, marqué depuis longtemps de ce carabinisme qui a aussi timbré Sainte-Beuve, devait prendre très facilement le fil d’un siècle qui allait, de toutes parts, aux préoccupations physiques, et qui ne trouve plus d’autre terrible et d’autres sources de pathétique, dans ses romans de sentiment et de passion, que la hideuse mort animale de ses héros.

1507. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Tout le reste, pour elle, est mort pour toujours. […] La mort que je vais recevoir de toi me paraît mille fois plus douce que la vie que je mènerais auprès de toi. […] Aussi bien ne revint-il en France que pour y subir de nouveaux dégoûts et une grande douleur : la mort du duc d’Orléans. […] Il proposa la banqueroute au Régent, dès ayant la mort de Louis XIV, comme légitime et nécessaire. […] Au bout de quelque temps, sa famille le racheta, lui et la belle Provençale ; pour le mari, il était mort.

1508. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Lui, il l’écrit avant la mort de l’enfant, et sans que rien fasse craindre ou prévoir cette mort. […] Ernest Renan est mort hier. […] Cette mort prématurée est une grande perte comme un grand deuil. […] La mort est rude depuis quelque temps pour les hautes intelligences. […] Il ne faut jamais dire d’un homme, avant sa mort, qu’il est heureux.

1509. (1890) Nouvelles questions de critique

de quel genre de mort ? […] Mais comment est-il mort à son tour ? […] Mais celle que nous pouvons traiter dès maintenant, c’est de savoir pourquoi le romantisme est mort, — car il est mort aussi, lui, bien mort, presque plus mort que le classicisme, — et comment il est mort. […] Au surplus, et puisqu’il est mort, la question est sans doute oiseuse. […] Je ne crois pas que la Mort ait jamais eu de plus grand poète que Victor Hugo, ni de plus sincère.

1510. (1895) Nouveaux essais sur la littérature contemporaine

Un de ses frères est mort fou… Mais enfin les Études de la nature parurent en 1784, et cette fois le succès passa son espérance. […] Et nous, — maintenant que la mort nous a délié la langue, — serons-nous suspects de flatterie, si nous disons qu’il y a presque réussi ? […] et la mort même, qu’a-t-elle de si terrible, quand, après tant d’agitations, elle n’est plus que l’entrée dans l’éternel repos ? […] où veillant l’inexprimable veille, La femme a pleuré mort le meilleur de sa chair ! […] Ne craignons ni la mort ni la guerre.

1511. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

S’il a tant soit peu de bon sens, voilà un homme mort pour les imprimeurs. […] Une lettre de Champfleury, c’est la mort aux yeux. […] On compte de l’argent chez les morts ! […] La mort de votre fils n’était qu’une illusion. […] La mort seule pourra l’en distraire.

1512. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Il en est de même de la mort de Jane Grey. […] Le spectateur souffre de l’angoisse des derniers instants, plus terribles que la mort elle-même. […] L’acteur doit produire l’apparence de la mort, et son art consiste à atteindre un degré frappant de ressemblance. […] Aujourd’hui, le vaudeville est mort à jamais, et ses quelques soubresauts sont ceux d’une agonie qui se prolonge. […] C’est le cor qui déchaîne la mort dans cette nuit promise à l’amour et qui précipite le dénouement tragique.

1513. (1925) Comment on devient écrivain

Je ne sais si on acheta le livre, mais lui fut condamné à mort. […] Il acheva sans faiblesse une œuvre qu’on ne devait lire qu’après sa mort, à une date qu’il fixait lui-même.‌ […] Manon n’a pas l’ombre de sens moral jusqu’à sa mort. […] Douleurs de l’absence, attente du retour ; puis, le voyage, le naufrage et la mort. […] Aurélien Scholl est mort tout entier.

1514. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Les mémoires, composés peu après la mort de Bossuet et tout d’une haleine, sont un récit large et animé, un tableau de la vie, des talents et des vertus du grand évêque. […] C’est en vertu du même principe de modestie, et de juste et rigoureuse distinction entre l’homme et le talent qu’au lit de mort et dans sa dernière maladie, comme le curé de Vareddes lui exprimait son étonnement qu’il voulût bien le consulter, lui à qui Dieu avait donné de si grandes et si vives lumières, il répondait : « Détrompez-vous, il ne les donne à l’homme que pour les autres le laissant souvent dans les ténèbres pour sa propre conduite. » Nous savons de nos jours, et par toutes sortes d’expériences, ce que c’est que l’homme de lettres livré à lui-même, dans toute la liberté et la verve de son caprice et de son développement ; nous savons ce qu’il est, même dans le cas où il se combine avec l’écrivain religieux et où il le complique par des susceptibilités sans nom. […] Il n’écrit pas pour écrire, il n’a nulle démangeaison d’être imprimé ; il n’écrit généralement que forcé par quelque motif d’utilité publique, pour instruire ou pour réfuter, et si le motif cesse, il supprime ou du moins il met dans le tiroir son écrit. « Il n’y avait de grand à ses yeux que la défense de l’Église et de la religion. » Tel il nous apparaît de plus en plus dans le tableau de l’abbé Le Dieu, et tel il sera jusqu’à sa mort.

1515. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Tous mes amis sont morts dans ce pèlerinage, Tombés dans le cercueil, hélas ! […] C’est surtout dans son second recueil intitulé : Station poétique à l’abbaye de Haute-Combe, dont deux seules livraisons parurent de son vivant et qui ne fut publié en entier qu’après sa mort (1847), c’est dans cette suite de journées et de veilles funèbres que se déroule tout l’orage intérieur, l’abîme et la profondeur des souffrances et des agonies auxquelles il était en proie. […] Veyrat, vu à son rang dans la grande armée des poëtes, n’est pas un de ces chefs qu’on montre de loin et qu’on nomme : il est seulement, et c’est beaucoup déjà, un des premiers entre les seconds. — Et maintenant que j’ai fait ma station au tombeau d’un mort, je reviens aux vivants.

1516. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Frochot ne trouva dans les papiers de l’auguste mort que ce qu’il comptait y trouver, et surtout un grand déficit en matière de finances. […] je le savais bien, allait-il répétant dans l’ivresse de sa joie, il n’était pas mort ; un si grand homme ne peut mourir !  […] La mort d’un fils, en qui il revivait et sur la tête duquel il reportait l’avenir, hâta sa fin.

1517. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

On avait raconté que Prevost, jeune, au sortir du collège, avait eu une liaison amoureuse dans sa ville natale, et qu’un jour son père étant venu lui faire une scène chez sa maîtresse qu’il avait maltraitée, l’amant en fureur avait précipité du haut d’un escalier le bonhomme, qui, sans accuser personne, était mort des suites de sa chute : on prétendait expliquer de la sorte la brusque vocation du coupable et son entrée chez les bénédictins. Un petit-neveu de l’abbé Prevost avait démenti cette anecdote par une lettre adressée à la Décade philosophique (20 thermidor an XI) ; il lui avait suffi de rappeler que le père de l’abbé Prevost n’était mort qu’en 1739, c’est-à-dire à une date où son fils, âgé de quarante-deux ans, avait eu le temps de sortir du cloître et d’épuiser bien d’autres aventures. […] Collé, au tome III de son Journal (décembre 1763), annonçant la mort du grand romancier, s’exprime sur son compte en termes bien durs, bien flétrissants ; mais il en parle d’après d’anciens ouï-dire et en homme qui ne paraît point l’avoir personnellement connu.

1518. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Une voix de Stentor criant à la tribune : Caton est un contre-révolutionnaire, un stipendié de nos ennemis ; et je demande que la mort de ce grand coupable satisfasse enfin la justice nationale, ferait oublier l’éloquence de Cicéron. Dans un pays où l’on anéantit tout l’ascendant des idées morales, la crainte de la mort peut seule remuer les âmes. […] La nation était ensevelie dans un sommeil pire que la mort : mais la représentation nationale était là.

1519. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

Ils seront ses serfs ; ses mainmortables ; quelque part qu’ils aillent, il aura le droit de les ressaisir et ils seront, de père en fils, ses domestiques-nés, applicables au métier qu’il lui plaira, taillables et corvéables à sa merci, ne pouvant rien transmettre à leur enfant que si celui-ci, « vivant à leur pot », peut après leur mort continuer leur service. « Ne pas être tué, dit Stendhal, et avoir l’hiver un bon habit de peau, tel était pour beaucoup de gens le suprême bonheur au dixième siècle » ; ajoutons-y pour une femme celui de ne pas être violée par toute une bande. […] Lorsqu’il est veuf et sans enfants, on députe auprès de lui pour qu’il se remarie et que sa mort ne livre pas le pays à la guerre des prétendants ou aux convoitises des voisins. — Ainsi renaît, après mille ans, le plus puissant et le plus vivace des sentiments qui soutiennent la société humaine. […] Par exemple Chilpéric, sur les conseils de Frédégonde, après la mort de tous leurs enfants.

1520. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Les femmes de France : poètes et prosateurs  »

Car, lorsqu’il s’agit des femmes, même mortes, même inconnues et très lointaines, il peut arriver que l’obscur attrait du sexe altère l’équité de nos appréciations. […] Vos amoureuses adultères sortent broyées de leur aventure ; et, si vous avez paru reconnaître le droit absolu de la passion, ce n’est que de celle qui est « plus forte que la mort » et qui la fait souhaiter ou mépriser. Je ne sais si, mal comprise, vous êtes pour quelque chose dans les erreurs d’Emma Bovary ; mais alors c’est donc par vous qu’il lui reste assez de noblesse d’âme pour chercher un refuge dans la mort.

1521. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

l’admirable et éternel chef-d’œuvre d’un qui comprit enfin que l’être humain demande autre chose que les jouissances et les souffrances de la vie, et que tout ne réside pas à murmurer de courantes tendresses, si profondes soient-elles, Car qu’est-ce qui nous accompagne, Et vraiment quand la mort viendra, que reste-t-il ? […] Il a vécu comme un enfant toujours étonné et, malgré sa mort, son souvenir est un de ceux qui n’attristent pas. […] Émile Verhaeren Depuis la mort de Victor Hugo, ce fut celle de Paul Verlaine qui frappa le plus profondément les Lettres françaises.

1522. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Mais l’ombre de la nuit survient, il se dérobe au sommeil ; à la lueur d’un flambeau qui le plonge dans une volupté douce, il converse avec ces morts illustres, ces sages de l’antiquité, réverés & bienfaisans comme les Dieux, héros donnés à l’humanité pour sa gloire & son bonheur. […] Chantre de Tancrede & d’Armide, je te suis dans tous les lieux où t’entraîne le destin le plus bizarre, je vois le charme de la Poësie, comme un baume vivifiant, ranimer ton ame flétrie par la douleur ; tu braves le sort & les ennemis en te jettant dans les bras des Muse ; la mort s’avance & tu ne l’apperçois pas ; ton œil ne se porte que vers l’immortalité. […] Tandis que l’ennemi des beaux Arts sur le déclin de ses années, à charge à lui-même & aux autres, éprouvera un vuide affreux, n’envisageant que le spectre de l’ennui, & les ombres horribles de la mort : l’homme éclairé jouira du spectacle de sa vie passée ; il aura sçû apprécier, ce que vaut l’existence, & fort par sa pensée, il ne redoutera point l’instant inévitable qui doit terminer sa carrière : ainsi le généreux Fénélon, qui montra à l’Univers le caractère rare & sacré d’une ame remplie à la fois d’une extrême vertu & d’une extrême douceur, ne perdit point dans les Cours la simplicité de ses mœurs, & conserva dans son exil cette égalité d’ame que rien ne pût corrompre.

1523. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Ce géant des prophètes, en son âpre solitude du Carmel, partageant la vie des bêtes sauvages, demeurant dans le creux des rochers, d’où il sortait comme un foudre pour faire et défaire les rois, était devenu, par des transformations successives, une sorte d’être surhumain, tantôt visible, tantôt invisible, et qui n’avait pas goûté la mort. […] Les deux écoles paraissent avoir vécu longtemps en bonne intelligence 317, et après la mort de Jean, Jésus, comme confrère affidé, fut un des premiers averti de cet événement 318. […] Plus timide que cruel, Antipas ne désirait pas le mettre à mort.

1524. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

la nature en avait fait une poupée dès son enfance ; et poupée jusqu’à la mort resta la blanche Wetenhall. […] Il touche du doigt aux Lettres persanes publiées un an après sa mort (1721). […] Hamilton mourut à Saint-Germain le 21 avril 1720, âgé d’environ soixante-quatorze ans, dans de grands sentiments de piété, dit-on, et après avoir reçu les sacrements ; il redevint un homme du xviiie  siècle à l’article de la mort.

1525. (1761) Apologie de l’étude

Mais si on avait, comme je le suppose, un désir sincère de les convertir en les effrayant, on pouvait, ce me semble, faire agir un intérêt plus puissant et plus sûr, celui de leur vanité et de leur amour-propre ; les représenter courant sans cesse après des chimères ou des chagrins ; leur montrer d’une part le néant des connaissances humaines, la futilité de quelques-unes, l’incertitude de presque toutes ; de l’autre, la haine et l’envie poursuivant jusqu’au tombeau les écrivains célèbres, honorés après leur mort comme les premiers des hommes, et traités comme les derniers pendant leur vie ; Homère et Milton, pauvres et malheureux ; Aristote et Descartes, fuyant la persécution ; le Tasse, mourant sans avoir joui de sa gloire ; Corneille, dégoûté du théâtre, et n’y rentrant que pour s’y traîner avec de nouveaux dégoûts ; Racine, désespéré par ses critiques ; Quinault, victime de la satire ; tous enfin se reprochant d’avoir perdu leur repos pour courir après la renommée. […] les hommes se sont moqués de moi comme les livres, et j’ai trouvé les vivants pires que les morts. […] Je ne parle pas des anciens leurs maîtres, qu’il ne faut pourtant pas toujours louer, quoiqu’ils soient morts ; ni des vivants leurs disciples, qu’il faut savoir louer quelquefois, quoiqu’ils soient vivants.

1526. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XV. M. Dargaud » pp. 323-339

Nous fîmes la guerre à cette guerre des idées modernes, trop introduites dans l’Histoire, — dans l’Histoire qui est un champ de morts, et non pas un champ de batailles ! […] Pour l’avoir tirée mieux que de la mort, mais de l’incertitude de l’Histoire : pour avoir débrouillé cette mystérieuse quenouille de fée, à laquelle il y a du sang, et que cette reine d’Écosse semble porter à sa ceinture, ce qu’il a fallu de soins, d’études, de recherches, de voyages, d’efforts et de fatigues à M.  […] C’est déjà beaucoup pour l’Académie, qui aime la mort, par égoïsme, que de donner une moitié de couronne à la vie !

1527. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Mais les injures violentes, les noms de débauché nocturne, de ventru, de pied-bot, qu’il jeta plus tard au sage Pittacus, furent sans puissance, comme ses armes : « Répète un chant romain, nous dit Horace, ô lyre modulée d’abord par le citoyen de Lesbos, qui, forcené pour la guerre, savait pourtant, soit au milieu des armes, soit quand son navire battu des flots reprenait le rivage, chanter Bacchus et les Muses, Vénus et l’enfant qui la suit toujours62. » Puis ailleurs, lorsque, échappé à un danger de mort, Horace, qui a cru voir de près l’Élysée, y place le belliqueux Alcée, comme Virgile osait y mettre Caton : « De combien peu, dit-il, nous avons failli voir l’empire de la sombre Proserpine, et le tribunal d’Éaque, et les demeures réservées des âmes pieuses, et Sapho sur la lyre éolienne se plaignant des jeunes filles ses compatriotes, et toi aussi, Alcée, redisant plus haut sur ton luth d’or les maux de la tempête, les maux de l’exil, les maux de la guerre ! […] L’espérance de cette gloire, l’orgueil, non plus de la beauté, mais du génie, éclate dans quelques vers d’une pièce perdue71 : « Morte, tu seras gisante », dit la Muse lesbienne à quelque femme ennemie ou rivale ; « il ne restera de toi nulle mémoire dans l’avenir ; car tu ne touches pas aux roses de la montagne des Piérides ; mais tu iras, obscure, visiter les demeures d’Adès, t’envolant sur le sol des aveugles morts. » Une autre fois, devant des femmes qui, riches et belles, semblaient enivrées de leur destinée, elle parut plus fière encore, en disant « que les Muses lui donnaient, à elle, le vrai bonheur et le seul digne d’envie ; car, même dans la mort, elle ne serait jamais oubliée ».

1528. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Jean était mort pour de rire, et le brave colonel n’est pas homme à manquer à sa parole. […] Et toujours morts pour morts, sac pour sac, feu pour feu, Massacre à tout jamais, en tout siècle, en tout lieu ! […] Elle nous raconte que certaines gens ont peur d’être enterrés vivants… après leur mort. […] Le voici malade, entre la vie et la mort, le pauvre petit. […] Quoique depuis sa mort elle ait autant d’esprit que M. 

1529. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Je revele les secrets d’un ami après sa mort ! […] Il n’y a que deux ou trois formules pour la mort de plus de deux cens hommes. […] Il n’en est pas de même des langues mortes : on ne nous les apprend que par l’entremise de celles que nous connoissons déja. […] Ne lui suffisoit-il pas de rappeller la mort de ses freres, sans s’amuser aux pâturages où ils gardoient les troupeaux ? […] Qui pourroit compter ceux que la mort abbat ?

1530. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Jésus a versé une larme en voyant Lazare mort, et bien qu’il sut en son cœur qu’il allait bientôt le réveiller. […] Deux fauteuils étaient vacants en 1844 par la mort de Casimir Delavigne et de Charles Nodier lui-même : M.  […] M. de Vigny, dans cette pièce écrite en 1862, dix-huit mois environ avant sa mort, gravait en quelque sorte son testament philosophique, et lui-même il a pratiqué ce silence austère dans son année finale de souffrance et d’agonie. […] La Mort du Loup, qui est dans la même intention stoïque, marque un peu trop le parti pris de chercher partout des sujets de poésie philosophique et méditative ; l’apostrophe aux Sublimes animaux vient un peu singulièrement à propos de cet animal féroce que je n’avais jamais vu tant idéalisé que cela. […] Danton disait : « Je suis saoul des hommes. » Samson, à sa manière, le dit des femmes ; il a trouvé la femme « plus amère que la mort. » Il s’abandonne, de guerre lasse, à sa destinée, et Dalila le livre.

1531. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Quelle démonstration plus vivante que ce genre de dévouement, d’amitié sûre et de confiance absolue qu’un écrivain et un poète sait inspirer à des cœurs lointains, à des êtres qu’il n’a jamais même entrevus et qui lui demeurent attachés jusqu’à la mort ! […] Amitié rare, née de la poésie et qui lui revient fidèlement, si ce n’était descendre trop près de nous, que ne dirait-on pas de ces délicates affections de femme, de ces grâces ingénieuses et souriantes qui consolaient Alfred de Musset sous les traits d’une marraine, et qui ne manquèrent pas au chevet de douleur et de mort d’un Henri Heine lui-même ! […] Il en avait ressenti les premières velléités et les premières atteintes dans le temps de la maladie et de la mort de son ami, le poète Desmahis, qui, dans ses derniers jours, avait tourné à un effroi extrême de l’Enfer. […] La façon dont je vis avec M. de… (Margency) m’avait fait voir avec plaisir que la société de M. de Foncemagne, devenu très-pieux depuis la mort de sa femme, avait réveillé chez lui des idées de religion et de piété. […] Mme de Verdelin ne se rendit pas aux raisons de Rousseau : elle se retrancha dans un sentiment plus vif de ses devoirs envers ses filles, et s’arma contre elle-même des promesses qu’elle avait faites à leur père au lit de mort.

1532. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Le besoin qu’elles ont d’être toujours en vue, sous peine d’oubli du public, leur fait traiter la maladie, la mort avec des dédains et des mépris sublimes de légèreté et de hauteur. […] L’enfant est mort d’une méningite, de cette inhumaine maladie, qui s’attaque aux mieux portants. […] Le spectacle de cette mort est horrible. […] » Cette phrase qui me faisait revenir d’auprès d’un mort, comme de chez un vivant, m’a fait plaisir toute la journée. […] Elle parle en phrases douces, et non comédiennes, du désagrément de se séparer, de l’ennui de ne pas toujours continuer cette vie commune, et elle bâtit bientôt dans le rêve et l’impossible humain, une espèce de phalanstère, où l’on mêlerait ses existences jusqu’à la mort.

1533. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Cette contrariété de sentimens dans les deux académiciens auroit eu peut-être des suites, si la mort n’avoit, en 1738, enlevé La Barre. […] Elle le représente triomphant de la mort, du temps & de l’envie. […] Après avoir vécu en philosophe, toute sa vie, il se démentit à la mort. […] & madame Dacier étoient nés calvinistes : ils sont morts dans le sein de l’église catholique. […] En effet, que peut avoir à desirer le lecteur, après avoir vu l’implacable Junon appaisée, la mort de Turnus, Lavinie & l’empire du Latium, devenir le partage du héros ?

1534. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Ajoutez maintenant que, quand la Renaissance parut, le moyen âge était mort et bien mort : il avait accompli son destin ! […] Mais on ne fait pas attention que Bossuet parlait en 1694 et que Molière était mort en 1673. […] Par malheur, on dirait que les ennemis de Racine ne sont pas tous morts avec lui. […] de Mort de César pour faire la leçon à Gilles Shakespeare ! […] « Dans la bagarre qui suivit, il y eut un mort et plusieurs blessés.

1535. (1925) Dissociations

Ils sont tous morts avant d’avoir atteint l’âge du génie militaire. […] La mort reviendrait à quinze ou vingt sous, tandis qu’avec M.  […] Ce sont des étés où les arbres spontanément s’enflammaient, où les rivières à sec s’empuantissaient de poissons morts. […] Nous avons à peine la force de sourire devant l’impudence de la famille Badin qui n’a pas su « qu’on ne badine pas avec la mort ». […] Ils empêchent d’envier les morts.

1536. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

L’état extrême où Henri a trouvé et pris en main la France à la mort de son prédécesseur, la situation désespérée d’où il l’a tirée en luttant, et la situation florissante et forte où il l’a replacée, où il l’a élevée en elle-même et dans ses relations avec l’Europe, telle est l’idée du livre de M.  […] Je veux ici (et quoique ce ne soit plus de l’histoire) introduire un témoignage assez inattendu, celui d’un traducteur dès longtemps décrié, mais homme instruit, curieux, et galant homme de son vivant, le bon abbé de Marolles, qui, né en 1600, était âgé de dix ans à l’époque de la mort de Henri IV, et qui conserva toujours un très vif souvenir de ses années d’enfance passées en Touraine. […] On raconte que plusieurs personnes moururent de douleur à la nouvelle de cette mort, et l’on cite des noms. […] [NdA] Il se retrouve comme un écho de ce gémissement universel qui s’éleva à la mort de Henri IV, dans une fort belle lettre de Bossuet à Louis XIV, du 10 juillet 1675.

1537. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Élevé dans la cabane paternelle jusqu’à l’âge de quatorze ans, allant ramasser du bois mort et faire de l’herbe pour la vache dans la mauvaise saison, ou accompagnant l’été son père dans ses tournées pédestres, le jeune Eckermann s’était d’abord essayé au dessin, pour lequel il avait des dispositions innées assez remarquables ; il n’était venu qu’ensuite à la poésie, et à une poésie toute naturelle et de circonstance. […] Après la mort de Gœthe, resté uniquement fidèle à sa mémoire, tout occupé de le représenter et de le transmettre à la postérité sous ses traits véritables et tel qu’il le portait dans son cœur, il continua de jouir à Weimar de l’affection de tous et de l’estime de la Cour ; revêtu avec les années du lustre croissant que jetait sur lui son amitié avec Gœthe, il finit même par avoir le titre envié de conseiller aulique, et mourut entouré de considération le 3 décembre 1854. […] Je ne craindrai pas de présenter à l’avance le jugement filial que portait Eckermann de ces conversations si vivantes, après que la mort du maître l’eut laissé dans un vide profond et dans un deuil inconsolable. […] Ainsi, lorsqu’on jouait le Comte d’Egmont de Gœthe, à la scène de la prison, pendant qu’on lisait au comte sa condamnation, Schiller chargé de l’arrangement et de la mise en scène, avait pris sur lui de faire apparaître dans le fond le duc d’Albe en masque et en manteau, pour qu’il pût se repaître de l’impression que la condamnation à mort produirait sur Egmont.

1538. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Ce n’est que plus tard, quand il s’est agi d’écraser les vivants, qu’il s’est avisé de se prendre d’un culte platonique pour deux ou trois grands morts. […] c’est de se précipiter dans mon pot à eau pour boire ; il a manqué s’y noyer, ce qui m’a expliqué les gens qui trouvent ce genre de mort dans un crachat. […] Il avait eu pour précepteur particulier le docteur Requin qui est mort professeur à l’École de Médecine. […] Il y règne le plus beau désordre : on y voit pêle-mêle des fusils, un cor de chasse, un singe, des palettes, deux ou trois lièvres tués à la chasse et quelques lapins morts ; partout sont accrochés aux murs des tableaux achevés ou à moitié faits.

1539. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Quand même je saurais écrire, il me serait impossible de te donner une idée de tout ce que j’ai éprouvé dans cette grande boîte à quintessence de mort, lançant de toutes parts sur l’eau ses mille langues de feu et obscurcissant le beau ciel bleu d’Orient par des tourbillons de fumée… Chère Louise ! […] La nouvelle de la mort du duc d’Orléans arriva sur ces entrefaites (juillet 1842) ; elle tomba comme un coup de foudre, la veille d’un bal et d’une fête de cour que l’on contremanda. […] La mort du duc d’Orléans est une perte énorme, non seulement pour le père et pour la France, mais pour nous tous. […] Que si l’on tient à savoir au juste les paroles dites par l’empereur Nicolas à Horace Vernet au sujet de la mort du duc d’Orléans, je les donnerai en propres termes, d’après une note digne de foi que j’ai sous les yeux, et qui a été écrite sous la dictée d’Horace lui-même.

1540. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.) »

La violente contrariété que ressentit Louvois à cette nouvelle fut peut-être de quelque chose dans sa mort. […] Les conséquences de la mort de Louvois se faisaient sentir : on n’embrassait plus tous les points de la circonférence à la fois. […] L’humanité est ainsi faite : après tout grand succès et pour le compléter, il y a toujours un M. de Rubentel, un monsieur aigri, outré, impossible, qui vous en veut à mort de ce jour-là, qui vous saluait la veille et qui ne vous salue plus. […] Ceux qui se trouvèrent dans l’infanterie furent chargés sans tirer, la baïonnette au bout du fusil, et furent renversés. » Et dans un second rapport : « Je ne crois pas, Sire, qu’il y ait encore eu d’action où l’on ait mieux connu de quoi l’infanterie de Votre Majesté est capable. » Le brave La Hoguette, officier de vertu et de mérite, qui commandait notre centre, fut blessé à mort.

1541. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Joséphine de Saxe dauphine de France. (Suite et fin.) »

La duchesse de Brancas nous la montre en deux mots, telle qu’elle était après les premières fatigues de ses couches fréquentes : « Son visage est long et ne contient que des yeux. » La dauphine écrivait à son frère, le prince Xavier de Saxe, neuf jours après la mort du dauphin : « Ce 29 décembre 1765. […] Maurice de Saxe était un nom cher à la France, un nom populaire ; et on le vit bien, car un commencement de légende s’essaya aussitôt sur sa mort. […] Le prince de Conti, disait-on tout haut, le rival humilié, l’envieux et l’ennemi du héros, l’avait blessé mortellement en duel dans le parc même de Chambord, et le maréchal de Saxe était mort de cette blessure que, par générosité, il avait tout fait pour cacher. […] Il est mort intact sans doute et victorieux, mais à la veille de choses plus grandes que celles qu’il a faites.

1542. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

La pièce capitale de son apologie, la Correspondance avec le baron de Monnier, publiée en 1819, et de laquelle j’ai extrait tant de passages intéressants, m’a, je l’avoue, fort préoccupé, et il y a quinze jours encore j’inclinais à supposer que le correspondant du général pouvait bien avoir été (moyennant une légère faute typographique) le baron Mounier, le spirituel causeur, celui qui est mort pair de France, qui avait été secrétaire du cabinet de Napoléon, et qui me paraissait remplir plusieurs des conditions du correspondant confidentiel. Mais toutes mes conjectures et mes doutes ont dû cesser lorsque j’ai reçu de la fille même59 du baron de Monnier, mort en octobre 1863 au château de la Vieille-Ferté, dans l’Yonne, l’assurance de sa liaison étroite avec le général Jomini. […] Je n’ambitionne rien dans mon pays que l’honneur d’être appelé au jour du danger à commander son avant-garde, dussé-je même subir le sort du respectable général d’Erlachl62 » Ce dernier vœu assez inattendu, ce soudain souhait d’une mort patriotique et guerrière nous ouvre un jour sur l’âme de Jomini, sur sa plaie secrète, sur les ennuis dont il n’était pas venu à bout de triompher, et que nous révèle encore mieux une lettre intime écrite vers la même date. […] Il pouvait d’ailleurs faire faire de temps en temps à l’illustre mort quelques concessions et des aveux de fautes, lui prêter un peu de la sérénité élyséenne et de l’impartialité d’au-delà du Styx ; et enfin il suffisait de quelques petites notes jetées çà et là au bas des pages pour remettre les choses au vrai point.

1543. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

La mort d’Elvire, une maladie mortelle de l’amant, son retour à Dieu, le sacrifice qu’il fait, durant sa  maladie, de poésies anciennes et moins graves, quoique assurément avouables devant les hommes, tels sont les événements qui précèdent l’apparition des Méditations poétiques, laquelle eut lieu dans les premiers mois de 1820. […] D’autres sont plus amants que poètes : un amour particulier les inspire, les arrache de terre, les élève à la poésie ; cet amour mort en eux, il convient qu’ils s’ensevelissent aussi et qu’ils se taisent. […] La Mort de Socrate et surtout le Dernier Chant d’Harold sont d’admirables méditations encore, avec un flot qui toujours monte et s’étend, mais avec l’inconvénient grave d’un cadre historique donné et de personnages d’ailleurs connus : or, Lamartine, le moins dramatique de tous les poëtes, ne sait et ne peut parler qu’en son nom. […] Cette voix chante les beautés et les dangers de la nuit, l’ivresse virginale du matin, l’oraison mélancolique des soirs ; elle devient la douce prière de l’enfant au réveil, l’invocation en chœur des orphelins, le gémissement plaintif des souvenirs en automne, quand les feuilles jonchent la terre, et qu’au penchant de la vie soi-même, on suit coup sur coup les convois des morts.

1544. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Les souvenirs de ce temps ne lui retracent qu’une chèvre et un puits surmonté d’un saule dans la cour de la maison ; il jouait là autour avec son jeune camarade Delon, depuis frappé d’une condamnation capitale dans l’affaire de Saumur, et mort en Grèce commandant de l’artillerie de lord Byron. […] M. de Chateaubriand, au moment où parut l’Ode sur la Mort du duc de Berry, l’ayant qualifié d’Enfant sublime , Victor Hugo, conduit par M. […] C’était après la conspiration de Saumur : Delon, son ancien camarade d’enfance, venait d’être condamné à mort, et la police cherchait à l’atteindre. […] Les voûtes du Panthéon ont retenti de sa cantate funèbre en l’honneur des morts de Juillet.

1545. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Diverses pièces trouvées dans ses papiers, surtout l’allégorie inachevée du Balladin, démontrent que Marot est mort protestant. […] de la mort ? […] Il n’a pensé à la mort que malgré lui, et pour préférer la vie. […] L’exil, puis la mort de Marot le poussèrent au premier plan.

1546. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre premier »

Ils étaient si enfoncés dans l’étude du passé, qu’ils pensaient, sentaient, aimaient, haïssaient, dans des langues mortes. […] On s’habillait à la mode des Grecs et des Romains, on leur empruntait les usages de la vie ; et, chose plus étonnante, on les imitait jusque dans l’acte le plus naturel et le plus involontaire, jusque dans la mort. […] La première édition de cet ouvrage ne fut publiée que plusieurs années après la mort de Marguerite, en un temps où les retouches étaient regardées comme des actes de piété envers la mémoire des auteurs. […] Villon faisant son testament à la veille d’être pendu, léguant à un ivrogne son muid certainement vide, à un vicaire sa maîtresse ; à un ami trop gras deux procès ; narguant la mort et s’amusant à décrire son squelette ; puis se félicitant d’avoir sauvé sa pel par une requête en grâce faite à propos, montre beaucoup de verve et d’originalité.

1547. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Dans le genre familier, l’Ode à une veuve, quoique bien dure pour le mari mort et un peu trop savante pour la veuve, est vive et spirituelle. […] Le Franc de Pompignan et Lebrun ont quelques strophes, et ce n’est pas peu ; car toucher le but lyrique, fût-ce une seule fois, met un nom à part, et toutes les railleries de Voltaire ont fait moins de mal à le Franc de Pompignan que ses strophes sur la mort de J. […] Une mort prématurée, un touchant adieu à la vie dans des strophes harmonieuses, n’ont pas fait tort aux satires de Gilbert. […] Plus d’un qui l’admirait à son profit, et pour se louer plus commodément sous le nom d’un illustre mort, ne faisait que lui rendre justice.

1548. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Il publiait, à longs intervalles, des brochures sociales chez Vanier, puis j’appris brusquement sa mort survenue le 24 avril 1903, à son dernier domicile, rue Poulet, à Montmartre. […] À la mort de son père, en 1879, il prit la direction des affaires de la maison, écrivit entre temps divers articles ou poèmes publiés çà et là. […] Il nous fallait aussi le subir après sa mort. […] La mort… vainqueur… et redoutable : Aux toxiques banquets où Claudius s’attable Un bolet nage en la saumure des bassins.

1549. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Prodigues de leur vie, qui pourtant est bien nécessaire au soutien de leur famille, ils ont arraché plus de vingt personnes à la mort. […] Le bon Simian, ou, comme on l’appelle dans le pays, Cadet Simian, est un petit propriétaire cultivateur qui s’est consacré depuis trente ans, avec un désintéressement absolu, à toutes les besognes tristes, à la garde des agonisants, au soin des moribonds, à l’assistance des chirurgiens, et enfin à l’œuvre du vieux Tobie, à l’ensevelissement des morts. […] Après la mort de leur bienfaitrice, Francilie nourrit sa mère de ses petits travaux de couture. […] Sa maîtresse, à son lit de mort, lui lègue ses deux filles en bas âge : la sollicitude de Paula ne se dément pas un instant.

1550. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

. — Grossesse, maladie, mort de madame de Fontanges. — Éloignement définitif de madame de Montespan. — Étroite amitié du roi et de madame de Maintenon. — Triomphe de madame de Maintenon qui obtient du roi un retour vers la reine dont il faisait le malheur. — Le triomphe de madame de Maintenon est celui de la société polie. […] Cette mort, la retraite pieuse qui l’avait précédée, et qui rappelait celle de madame de La Vallière, l’âge, la réflexion dont le roi prenait l’habitude avec madame de Maintenon, le jetèrent dans une tristesse profonde et suspendirent le cours de ses dérèglements. […] C’est l’homme de la cour qui a le plus de sens et qui donne le moins dans les pièges… » Vers le milieu de l’année 1685, le roi épousa madame de Maintenon, un peu plus de deux ans après la mort de Marie-Thérèse. […] Sans doute, après la mort de Marie-Thérèse, la religion, qui faisait encore obstacle aux désirs du roi, lui offrait aussi le moyen de les satisfaire mais ce n’était pas la religion qui l’avait rendu dès longtemps amoureux de madame de Maintenon.

1551. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

j’aurais déjà fait plus d’une banqueroute. » Et le trait final va servir comme de transition à la prochaine comédie de Lesage, lorsque Oronte dit aux deux valets : « Vous avez de l’esprit, mais il en faut faire un meilleur usage, et, pour vous rendre honnêtes gens, je veux vous mettre tous deux dans les affaires. » Lesage eut son à-propos heureux ; il devina et devança de peu le moment où, à la mort de Louis XIV, allait se faire l’orgie des parvenus et des traitants. […] Les deux premiers volumes parurent en 1715, l’année même de la mort de Louis XIV. […] Il le redevint si bien, que la mort de Montmesnil, qui arriva subitement en 1743, fut la grande affliction de sa vieillesse. […] La mort remit bientôt Lesage à son rang, et celui qui n’avait rien été de son vivant, et de qui on ne parlait jamais sans mêler à l’éloge quelque petit mot de doléance et de regret, se trouve aujourd’hui classé sans effort dans la mémoire des hommes, à la suite des Lucien et des Térence, à côté des Fielding et des Goldsmith, au-dessous des Cervantes et des Molière.

1552. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

D’autres contemporains paraissent avoir été plus frappés de ses défauts : L’abbé Galiani s’en retourne à Naples, écrivait le sage et fin David Hume à l’abbé Morellet ; il fait bien de quitter Paris avant que j’y aille, car je l’aurais certainement mis à mort pour tout le mal qu’il a dit de l’Angleterre. […] Apprenant par Mme d’Épinay la mort d’un de ses amis de Paris, le marquis de Croismare, il s’étonne de n’en pas être aussi affecté qu’il aurait cru : Ce phénomène m’a étonné, a pensé me faire horreur à moi-même, dit-il, et j’ai voulu en approfondir la cause. […] Un homme, envoyé à Bicêtre pour toujours, apprendrait toutes les morts de l’univers sans regret. […] On pourrait ajouter son nom à la liste des hommes célèbres morts en plaisantant.

1553. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Le scandale de ces fêtes et de ces divertissements ruineux devenait d’autant plus grand, ou du moins plus criant, que les malheurs de la famille royale étaient venus s’ajouter à ceux de la France ; mais la mort des principaux héritiers directs rapprochait le duc du Maine du pouvoir, ou même du trône ; chaque échelon de moins dans l’ordre de succession légitime était un degré de plus dans l’échafaudage de sa fortune. […] Louis XIV une fois mort et le testament cassé, outrée de colère, elle n’eut de cesse qu’elle n’eut mis cette mauvaise parole à exécution. […] On la voit apprendre avec indifférence la mort de ceux qui lui faisaient verser des larmes lorsqu’ils se trouvaient un quart d’heure trop tard à une partie de jeu ou de promenade. Cette insensibilité se vérifia à la lettre lors de la mort de la duchesse d’Estrées, qui eut lieu presque subitement à Anet (septembre 1747).

1554. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Il vit la mort de près, il entendit les médecins dire de lui : « Il n’en a pas pour deux heures. » L’image de sa vie passée lui apparut sous son vrai jour ; rapproche des jugements de Dieu le jeta dans l’épouvante. […] qu’aisément tout nous porte à Dieu, s’écrie-t-il encore avec un sentiment très vif et très sincère, quand on se voit au milieu des mers sur cinq ou six planches, toujours entre la vie et la mort ! […] Ceux de Fouquet, de Le Tellier, de Lionne et de Colbert, de ces quatre hommes qui prirent rang après la mort de Mazarin, sont admirablement saisis et passent même la portée ordinaire de l’écrivain : Choisy a eu affaire à de bons causeurs les jours où il les a peints d’une main si sûre. Mazarin une fois mort, ces quatre hommes qui s’étaient contenus sous lui, et qui avaient masqué leurs prétentions ou leurs faiblesses pour mieux pousser leur fortune, crurent n’avoir plus les mêmes mesures à garder, et chacun se déclara : « L’ambitieux (Fouquet) se distilla en projets et eut l’insolence de dire : Où ne monterai-je point ?

1555. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Six mois auparavant et lorsqu’il partait pour se faire élire en Provence, son père, le marquis, écrivait de lui au bailli (22 janvier 1789) : « Il dit hautement qu’il ne souffrira pas qu’on démonarchise la France, et en même temps il est l’ami des coryphées du Tiers. » La double pensée politique de Mirabeau, dès avant l’ouverture des États généraux, était tout entière dans ces deux conditions, tiers état et monarchie, et l’on peut dire qu’il ne cessa d’en poursuivre l’accord et le maintien depuis le premier jour de sa vie législative jusqu’à sa mort, avec toutes les secousses pourtant, les intermittences et les fréquents écarts qu’apportaient dans sa marche et dans sa conduite ses impétuosités d’humeur et de caractère, ses instincts d’orateur et de tribun, ses nécessités de tactique, et ses irritations personnelles. […] Cette correspondance était à peine entamée qu’il en mettait soigneusement de côté les pages, et il les adressait à M. de La Marck (15 juillet 1790) avec ces mots : « Voilà, mon cher comte, deux paquets que vous ne remettrez qu’à moi, quelque chose qu’il arrive, et qu’en cas de mort vous communiquerez à qui prendra assez d’intérêt à ma mémoire pour la défendre. Mettez à ces deux paquets quelque indication prudente, mais précise. » Le comte de La Marck comprit toute la gravité de cette mission, et s’il en différa l’accomplissement jusqu’après sa mort, on ne peut s’en étonner ; car il a fallu peut-être les dernières circonstances européennes, et le besoin où l’on est de tout entendre en fait de vérité politique salutaire, pour que l’esprit public fut prêt à accueillir ces pièces, comme il le fera sans nul doute. […] Le dernier billet de Mirabeau au comte de La Marck, daté du 24 mars 1791, c’est-à-dire de neuf jours avant sa mort, se termine par ces mots : « Ô légère et trois fois légère nation ! 

1556. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Quand on a passé le milieu de la vie, les pertes sont irréparables… Séparé sans retour de tout ce qui m’est cher, j’apprends la mort de mes vieux amis ; un jour les jeunes apprendront la mienne. Dans le vrai, je suis mort en 1798 (époque à laquelle il a quitté le pays), les funérailles seules sont retardées. […] Dans un ordre plus important encore que l’ordre littéraire, M. de Maistre témoigne de ces humilités sincères qui deviennent touchantes de la part d’un esprit aussi hautement doué et aussi élevé : Je ne sais, écrivait-il peu d’années avant sa mort, ce que c’est que la vie d’un coquin, je ne l’ai jamais été ; mais celle d’un honnête homme est abominable. […] Parmi les lettres politiques, je ne fais que noter celle qui se rapporte à la mort de Pitt (mars 1806), et celle-où il est, pour la première fois, question de l’insurrection d’Espagne (octobre 1809) ; elles sont d’une haute beauté.

1557. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Né à Bagnols dans le Gard, en avril 1757 selon quelques biographes, il n’aurait eu que quarante-quatre ans quand il mourut à Berlin en avril 1801 ; ceux qui le font naître plus tôt ne lui donnent au plus que quarante-huit ans à la date de sa mort. […] Quand Rivarol débuta dans la littérature, les grands écrivains qui avaient illustré le siècle étaient déjà morts ou allaient disparaître : c’était le tour des médiocres et des petits. […] C’est là une mort à la Mirabeau qu’on lui a composée, et qui est du moins conforme à l’idée qu’on se faisait de son rêve11. […] [NdA] On trouve quelques détails sur la mort de Rivarol et sur ses dernières paroles au tome II, p. 357, des Mémoires sur la Révolution et l’émigration, par M. 

1558. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Le premier numéro du National (3 janvier 1830) contient un court article de Carrel sur Rabbe, ce Méridional mort à quarante-trois ans, qui « était entré dans le monde à la suite de brillantes études, avec un esprit remuant, un caractère intrépide, des passions vives ; une belle figure, de l’esprit, du cœur, un geste mâle et parlant, une éloquence noble, hardie, animée, entraînante ». […] Le poète, à la lecture du premier article de Carrel sur les représentations d’Hernani, lui avait écrit une lettre explicative, et dans laquelle il lui rappelait les singulières prétentions des soi-disant classiques du jour ; Carrel y répondit par une lettre non moins développée qui commençait en ces termes : « Je suis pour les classiques, il est vrai, monsieur, mais les classiques que je me fais honneur de reconnaître pour tels sont morts depuis longtemps. » Dans la critique de l’Othello de M. de Vigny, il se faisait fort de prouver « que toute la langue qu’il faut pour traduire Shakespeare est dans Corneille, Racine et Molière ». […] ) — Et encore : « Celui qui le 26 juillet, aux premiers coups de fusil tirés dans la rue Saint-Honoré, eût assuré que le peuple de Paris pouvait sentir, vouloir, soutenir jusqu’à la mort toutes ces choses, n’eût pas été cru ; on l’eût pris pour un fou, et peut-être il l’eût été, car personne ne pouvait avoir encore les données d’une pareille conviction. » (1er septembre 1830.) […] Il s’est arrêté quelques instants devant une des batteries d’artillerie de la Garde nationale… On s’est précipité autour du roi pour lui presser la main, comme le jour de son arrivée de Neuilly ; un canonnier lui a présenté un verre de vin qu’il a bu tout à cheval… Tel est le bulletin du 1er novembre (1830) de la plume de Carrel même, et rien n’annonce encore le duel personnel et la guerre à mort qui suivront.

1559. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

Introduction Avant de nous être enlevé par une mort prématurée, — à trente-trois ans, — Guyau, dont l’activité intellectuelle demeura infatigable jusqu’à la dernière heure, venait d’écrire deux nouvelles œuvres de grande portée : l’une sur l’Art au point de vue sociologique, l’autre sur l’Éducation et l’hérédité. […] Hugo, et le mot a toujours servi ; de là l’impossibilité d’exprimer l’émotion. » — « Eh bien non, répond Guyau, et c’est là ce qu’il y a de désolant pour le poète, l’émotion la plus personnelle n’est pas si neuve ; au moins a-t-elle un fond éternel ; notre cœur même a déjà servi à la nature, comme son soleil, ses arbres ses eaux et ses parfums ; les amours de nos vierges ont trois cent mille ans, et la plus grande jeunesse que nous puissions espérer pour nous ou pour nos fils est semblable à celle du matin, à celle de la joyeuse aurore, dont le sourire est encadré dans le cercle sombre de la nuit : nuit et mort, ce sont les deux ressources de la nature pour se rajeunir à jamais. » La masse des sensations humaines et des sentiments simples est sensiblement la même à travers la durée et l’espace, mais ce qui s’accroît constamment et se modifie pour la société humaine, c’est la masse des idées et des connaissances, qui elles-mêmes réagissent sur les sentiments. « L’intelligence peut seule exprimer dans une œuvre extérieure le suc de la vie, faire servir notre passage ici-bas à quelque chose, nous assigner une fonction, un rôle, une œuvre très minime dont le résultat a pourtant chance de survivre à l’instant qui passe. […] Quant au réalisme, son mérite est, en recherchant « l’intensité dans la réalité », de donner une impression de réalité plus grande, par cela même de vie et de sincérité : « la vie ne ment pas, et toute fiction, tout mensonge est une sorte de trouble passager apporté dans la vie, une mort partielle. » L’art doit donc avoir « la véracité de la lumière ». […] Nous avons vu que, selon lui, nous devons sympathiser avec l’œuvre d’art comme avec les œuvres de la nature, « car la pensée humaine, comme l’individualité même d’un être, a besoin d’être aimée pour être comprise ;  » jusque dans la lecture d’un simple livre soyons donc de bonne volonté : « l’affection éclaire » ; et il ajoute ces belles paroles, qu’on peut appliquer à son propre ouvrage sur l’art : « Le livre ami est comme un œil ouvert que la mort même ne ferme pas, et où se fait toujours visible, en un rayon de lumière, la pensée la plus profonde d’un être humain. » Alfred Fouillée 1.

1560. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

Souvent las d’être esclave et de boire la lie, De ce calice amer que l’on nomme la vie ; Las du mépris des sots qui suit la pauvreté, Je regarde la tombe, asile souhaité ; Je souris à la mort volontaire et prochaine ; Je me prie, en pleurant, d’oser rompre ma chaîne. […] Il a souffert, il souffre : aveugle d’espérance, Il se traîne au tombeau de souffrance en souffrance ; Et la mort, de nos maux ce remède si doux, Lui semble un nouveau mal, le plus cruel de tous. Les écrits de ce jeune homme, ses connaissances variées, son courage, sa noble proposition à M. de Malesherbes, ses malheurs et sa mort, tout sert à répandre le plus vif intérêt sur sa mémoire. Il est remarquable que la France a perdu, sur la fin du dernier siècle, trois beaux talents à leur aurore : Malfilâtre, Gilbert et André Chénier ; les deux premiers sont morts de misère, le troisième a péri sur l’échafaud.

1561. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Si ces idées-là survécurent à un gouvernement qui les partagea trop, ou qui ne put rien contre elles dès qu’il ne les partagea plus ; si elles triomphèrent, pour mourir plus tard de leur triomphe, car l’arrêt de mort de l’erreur, c’est sa victoire, suivre l’application de cette loi suprême dans une histoire contemporaine, dans une histoire dont nous sommes les fils, quelle plus noble tâche pour ceux qui écrivent ; et pour ceux qui lisent, quel plus majestueux enseignement ! […] Parmi ces hommes, les uns sont morts, laissant leur gloire diminuée des passions de leur temps, éteintes, et de cet éclat tout personnel qui s’en va souvent avant la vie ! Les autres vivent, mais vivent peut-être en sentant, au fond de leur supériorité troublée, que l’histoire de ceux qui sont morts sera prochainement leur histoire. […] Dans ce tableau, qui devrait être complet et qui ne l’est pas, de toutes les forces de la littérature française sous le gouvernement de juillet, il n’y a d’exagéré ou de grandi que les hommes vivants qui peuvent être pris par la reconnaissance, et de diminué ou d’oublié que les hommes morts qui ne peuvent témoigner la leur.

1562. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pommier. L’Enfer, — Colifichets. Jeux de rimes. »

Enfin nous n’élèverons pas contre les tableaux inouïs de bouffonnerie grandiose de ce poète, qui comprend la gaîté et les plaisanteries du Démon, ce grand rieur, les objections mortes et faites jadis contre Milton, Michel-Ange et Shakespeare. […] Les clairons des archanges sonnent, Les morts entendent et frissonnent, Et tous leurs poils se hérissonnent D’un subit épouvantement. […] Dieu veut, et soudain s’effectue La résurrection des morts, Et la nature restitue À chaque individu son corps. […] De son cercueil l’embaumé sort, Démaillotté des bandelettes, Langes multiples de la mort !

1563. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

dit-il, il fait le mort pour ne pas répondre à la Justice ! […] Dans cette mansarde froide il n’y a rien que le silence et la mort. […] Trimolet est mort ; il est mort au moment où l’aurore éclaircissait son horizon, et où la fortune plus clémente avait envie de lui sourire.

1564. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

L’abbé Pierre est le fils d’un savant irréligieux et d’une mère croyante, dont les influences contraires vont, surtout après Ieur mort, se disputer sa vie. […] Une chère compagne de son enfance, malade depuis des années, recouvre à Lourdes la santé, et il se refuse, en dépit de son cœur saignant, l’espoir de la posséder jamais. « Jamais il ne connaîtrait la possession, il était hors du monde, au sépulcre… Il goûtait une mélancolie sans bornes, un néant immense, à se dire qu’il était mort, que cette aube de femme se levait sur la tombe où dormait sa virilité. C’était le renoncement, accepté, voulu, dans la grandeur désolée des existences hors nature. » Il va quitter Lourdes, l’âme encore plus endolorie qu’à l’arrivée, avec son cœur mort, son intelligence froide, ne gardant qu’une immense pitié pour le monde des souffrants, lorsqu’une grande lueur se fait jour en lui : la nécessité pour le monde d’une religion nouvelle, qui satisfasse aux nouveaux besoins de l’âme humaine, jaillit à ses yeux : « Une religion nouvelle, une espérance nouvelle, un paradis nouveau, oui ! […] Elle empoisonne de scrupule et d’angoisse toute sensibilité naturelle : ainsi elle s’assujettit ceux des siens qui n’ont pas voulu complètement mourir de la mort intérieure, en leur faisant un supplice de vivre.

1565. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Nous voilà parvenus au siècle de Louis XIV, car tant que Mazarin vécut, Louis XIV ne régna point ; le prince n’exista qu’à la mort du ministre. […] C’était elle qui portait, qui abolissait les lois, qui ordonnait la guerre, qui faisait marcher les armées, qui menait les citoyens sur les champs de batailles, qui consacrait leurs cendres lorsqu’ils étaient morts en combattant ; c’était elle qui, de dessus la tribune, veillait contre les tyrans, et faisait retentir de loin, à l’oreille des citoyens, le bruit des chaînes qui les menaçaient. […] C’est devant le peuple que Tibérius Gracchus s’écriait : « Les bêtes féroces ont un antre où elles peuvent se réfugier et trouver un asile ; mais vous, citoyens romains, vous maîtres d’une partie du monde, vous n’avez pas un toit où vous puissiez reposer ; vous n’avez ni un foyer, ni un asile, ni un tombeau. » C’est devant le peuple que l’orateur d’Athènes s’écriait : « Vous vous informez si Philippe est vivant, ou si Philippe est mort ; eh ! […] si Philippe était mort, demain vous feriez un autre Philippe. » C’est dans la chambre des communes, c’est devant cinq cents hommes assemblés qu’un orateur anglais, dans une séance qui avait duré un jour entier, et où l’on proposait de remettre une affaire importante au lendemain, s’écria : « Non ; je veux savoir aujourd’hui, et avant de me retirer, si je me coucherai ce soir citoyen libre d’Angleterre, ou esclave des tyrans qui veulent m’opprimer. » C’est dans la même chambre qu’un orateur voulant décider la nation à la guerre, après une journée entière de débats, le soir, à la lueur sombre des flambeaux qui éclairaient la salle, peignit le fantôme effrayant d’une domination étrangère, qui voulait, disait-il, remplir l’Europe, et après s’être étendu dans le continent, allait traverser les mers, allait aborder sur leur rivage, et apparaître tout à coup au milieu d’eux, traînant après lui la tyrannie, la servitude et les chaînes.

1566. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

… Il faut traduire : le 9 avril 1756, je consentis voluptueusement à la mort. […] Ou veux-tu seulement échapper au néant, je ne dis pas à celui de la mort, mais au néant horrible et redouté de la vie ? […] Ministre, comment asséner sur le ministère qui lutte, bien ou mal, avec les difficultés de chaque jour, son grand chant de mort : « les rois s’en vont, les peuples périssent » ? […] Après le violon de Naples et de Sorrente, il écoutait, de sa tour de Milly, la cloche qui sonne la naissance, les fêtes et la mort. […] Cette contradiction originelle frappait de mort la littérature romantique.

1567. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

. — La légende de la mort de Prévost [Cf.  […] — et qu‘en tout cas sa mort prématurée ne lui a permis ni d’en concilier les contradictions, — ni d’en développer toutes les conséquences. — Son culte pour l’institution sociale [Introduction à la connaissance, etc., ch. 43]. — Son indulgence pour les passions, et l’apologie qu’il en fait [Cf.  […] D’un autre côté, presque tous ses écrits les plus vantés n’ont paru qu’après sa mort, et c’est pour cette raison que, dans son article, nous n’avons pas cru devoir en faire mention. […] Le retour à Paris et la mort. — Il ne reste plus qu’à rappeler brièvement les circonstances du dernier séjour de Voltaire à Paris [Cf.  […] Desnoiresterres, VIII, p. 364-366] ; et s’il convient d’en tirer le parti qu’on en a tiré. — Légendes qui courent sur la mort de Voltaire ; — et qu’il semble bien qu’elles ne soient que des légendes.

1568. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 3665-7857

La cessation de la colere d’Achille fait le dénouement de l’Iliade, la mort de Pompée celui de la Pharsale, la mort de Turnus celui de l’Enéide. […] Voyez Ovide sur la mort de Tibule, Properce sur la mort d’Achille, &c. […] Il y a quelque chose de plus infame que la calomnie ; c’est la calomnie contre les morts. L’expression des anciens, troubler la cendre des morts, est trop foible. […] La fortune, la mort, le tems, tout cela est reçû.

1569. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

Son poëme se divise en quatre masses principales ou chants : 1° le Campo Santo à Pise ; c’est le vieil art toscan catholique au Moyen-Age que l’auteur y ranime dans la personne et dans l’œuvre du peintre Orcagna, contemporain de Dante ; 2° le Campo Vaccino, ou le Forum romain ; solitude, dévastation, mort ; la majesté écrasante des ruines encadrant la misère et l’ignominie d’aujourd’hui ; 3° Chiaia, la plage de Naples où pêchait Masaniello : c’est un mâle dialogue entre un pêcheur sans nom, qui sera Masaniello si l’on veut, et Salvator Rosa ; les espérances de liberté n’ont jamais parlé un plus poétique langage ; 4° Bianca, ou Venise, c’est-à-dire cette divine volupté italienne que l’étranger du nord achète et profane comme une esclave. — Telle est la distribution générale du poëme, à laquelle il faut joindre, pour en avoir l’idée complète, un prologue et un épilogue, puis, dans l’intervalle de chaque chant, un triple sonnet sur les grands statuaires, peintres et compositeurs, Michel-Ange, Raphaël, Cimarosa, etc. ; l’ordonnance en un mot ne ressemble pas mal à un palais composé de quatre masses ou carrés (les quatre chants), avec un moindre pavillon à l’extrémité de chaque aile (prologue et épilogue), et avec trois statues (les sonnets) dans chaque intervalle des carrés, en tout neuf statues. […] Ce qu’il y a de piquant, c’est que la plupart des académiciens, quand on leur parla d’Auguste Barbier, ne l’avaient pas lu et ne distinguaient que confusément son nom de celui de ses homonymes : l’un des quarante, et des plus au fait, M. de Montalembert, soutenait même qu’il était mort.

1570. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Contes de Noël »

Il songe que plusieurs sont mortes, et qu’il mourra, et que nous mourrons tous. […] Ils ont invité M. et Mme Charles, les Delhomme, Jésus-Christ et la Trouille (car la mort ; du père Fouan a réconcilié toute la famille).

1571. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

En effet, nul doute que les jeunes écrivains eussent tout à fait pris goût à ces jeux de rythme et de sentiment où se complaisaient nos aînés, si les aventures de la mort, de la déroute et de l’émeute n’avaient communiqué une tragique véhémence à nos âmes, élevées dans ces souvenirs. […] Tant de fêtes commémoratives qui formèrent nos spectacles d’enfant, les cérémonies régionales en l’honneur des « héros morts pour la patrie », une telle activité civique n’a pas été assurément sans accentuer le caractère de nos passions et sans en purifier l’objet.

1572. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bayle, et Jurieu. » pp. 349-361

Jurieu n’est mort à Roterdam qu’en 1713. […] Longtemps avant sa mort, il tomba dans l’enfance.

1573. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

On a observé dans la capitale de ce roïaume, où l’on tient un registre mortuaire, qui fait mention du genre de mort d’un chacun, que de soixante personnes qui se défont elles-mêmes dans le cours d’une année, cinquante se sont portées à cet excès de fureur vers le commencement ou bien à la fin de l’hyver. […] Monsieur De Thou, dont je ne ferai que traduire le récit, étoit un homme revétu d’une grande dignité, qui donnoit lui-même au public l’histoire d’un prince mort depuis un petit nombre d’années, et dont il avoit approché avec familiarité.

1574. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Jules Vallès » pp. 259-268

… Assurément, c’est très bien que de fusiller toutes ses sottises, quand on est un homme ; mais il ne faut pas qu’une seule en réchappe… Il faut les laisser toutes bien réellement mortes sur la place. […] Je crois bien que son livre pourra très vivement intéresser dans un siècle ou deux les Mérimées de l’avenir, les archéologues et les antiquaires de l’histoire (qui demanderaient qu’on leur servît tout chaud un Tallemant des Réaux du temps de Périclès, afin de faire un feuilleton piquant de ses commérages de mœurs mortes et de singularités sociales oubliées), mais pour nous, qui sommes encore de ce siècle, et qui n’avons que trop frotté nos coudes au coude percé de ces fainéants de l’orgueil et de la jactance, lesquels disent à la société, dure parfois, je le sais !

1575. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Topffer »

Mort jeune encore, et lorsque la réputation commençait à lui venir, c’est un de ces talents distingués qui plaisent à la moyenne des âmes comme s’ils étaient vulgaires. […] Dubochet donna une si belle édition des premières excursions de l’auteur, et 1847, époque de sa mort si prématurée.

1576. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

À sa mort, en 1826, quand on porta en terre cet homme heureux, on ouvrit dans le cimetière encore une fois son cercueil pour mettre une dernière couronne de lauriers sur ses cheveux gris. […] Buchon, et puisque selon nous il n’y a pas plus moyen de transfuser la poésie dans une langue étrangère que le sang d’un être vivant dans les veines taries d’un homme mort, nous aurions mieux aimé le mot à mot français plaqué tout uniment sur le texte allemand que tous les à peu près du traducteur-poète, de ce lutteur contre un Protée, qui veut saisir et reproduire le rhythme par le rhythme, le tour parle tour.

1577. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

Prise dans son ensemble, bien entendu, la littérature qui ne grandit pas s’amoindrit ; et la nôtre, depuis la mort de Chateaubriand, de Ballanche, de Balzac, de Stendhal-Beyle, depuis des vieillesses plus tristes que la mort même, et dont nous ne nommerons pas les titulaires, puisqu’ils vivent encore, la nôtre a trop rappelé sans interruption ce que devint la littérature anglaise après la resplendissante époque des Byron, des Burns, des Coleridge, des Crabbe, des Sheridan, des Shelley et des Walter Scott.

1578. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

Je connaissais le Monselet de la gaieté, de la bonne humeur, de la grâce nonchalante, la pierre à feu qu’on peut battre éternellement du briquet pour en tirer d’infatigables étincelles ; je connaissais l’historien de Grimod de la Reynière, — qui est mort sans l’avoir eu à souper, le malheureux !  […] Ou ailleurs (dans Seule) : Son cœur, son pauvre cœur jusqu’à la mort fidèle, S’était pris sans espoir d’un amour éclatant !

1579. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Mazarin mort, le rideau qui cachait le roi tomba, et l’idéal rêvé par tout le monde apparut dans la personne d’un jeune prince qui, comparé aux autres hommes, était lui-même une sorte d’idéal. […] Le faire mourir du malheur d’avoir déplu, comme un de ces courtisans qui n’existent que par la faveur, et pour qui la disgrâce est le néant, c’est calomnier sa mort. […] Devenu évêque de Condom, il imagina cette manière inouïe de déplorer la mort des personnes royales, qui devait surpasser toutes les merveilles de la parole humaine. Il est vrai que la mort parut choisir, tout exprès, les plus nobles têtes, pour fournir matière à cette éloquence sans exemple dans l’histoire des lettres. […] Il ne dit rien qui ne fut dans toutes les bouches et que n’aient confirmé les Mémoires publiés après la mort de Louis XIV ; mais il le dit en homme de génie qui ne sent rien médiocrement.

1580. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Gurney explique la chose par ce fait que le mourant a lui-même l’idée de sa propre mort, et que la sympathie à distance fait se reproduire cette idée dans le cerveau de la personne qui l’aime. […] Frappé de cette vision, il regarde l’heure (en bon Anglais) ; il écrit en Amérique et apprend que son frère était mort au moment où il l’avait vu apparaître. […] Dans la majorité des apparitions, « l’agent » qui apparaissait était en proie à quelque grande crise, et, dans le plus grand nombre de cas, c’était la crise suprême : la mort. Sur six cent soixante-neuf cas de « télépathie spontanée et involontaire », quatre cents sont des cas de mort, en ce sens qu’il s’agissait d’un mal sérieux qui, en peu d’heures ou en peu de jours, s’est, terminé par la mort. Ces cas sont aussi nombreux aussitôt après la mort qu’aussitôt avant.

1581. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

Le Curé, dit ingénieusement le poëte qui étoit avec nous, n’a-t-il pas ses malades à visiter, ses morts à enterrer ? […] Qui ne croit pas l’ame immortelle, s’embarrasse peu de la maniere dont on ensevelit les morts. […] Malherbe a dit que la garde qui veille aux barrieres du Louvre, ne défend pas les rois de la mort ; eh ! […] Quand il s’agit de la maladie ou de la mort, on ne doit rien mépriser. […] Quelques mots insolites, quelques procédés inconnus, maniere d’amener la mort sans qu’on puisse se plaindre.

1582. (1895) Hommes et livres

La gloire, la mort, l’amour, la vie champêtre, tout ce qui défrayait nos vers latins de collège, emplit sa poésie. […] Ne vous épouvantez point pour la crainte de la mort : l’auteur de vie vous accompagnera toujours. […] De là la fausse nouvelle de la mort de Rodrigue, et cette pâmoison, que Chimène détrompée essaie de reprendre comme elle peut. […] Sa mort fut une rude « culbute » pour Alberoni, qui faillit retourner à Parme. […] Les auteurs traînent après eux, comme un poids mort et lourd, tous les préceptes, les traditions, les habitudes de leurs devanciers.

1583. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Un honorable chanoine de l’église de Paris, compatriote de la famille Désaugiers, écrivant à l’un des frères du célèbre chansonnier sur la nouvelle de sa mort (août 1827), lui rendait ce gracieux témoignage : « Je n’oublierai jamais l’homme aimable que j’ai vu dans sa première enfance, et dont feu l’abbé Arnaud avait tiré l’horoscope qu’il a si bien justifié : « Voilà, disait-il du jeune Tonin 19, voilà une tête grecque. » Il aurait pu dire aussi : « Voilà une tête romaine, et y découvrir des traits de ressemblance avec le bon, l’aimable Horace, que votre ingénieux chansonnier rappelait si souvent. […] Le jour Chantant l’amour, Et souvent le faisant sans bruit La nuit… ; le Panpan bachique (1809) : Lorsque le champagne Fait en s’échappant Pan, pan… ; ce sont ces autres refrains irrésistibles et qui éveillent de toutes parts l’écho, le Carillon bachique (1808), surtout le Délire bachique (1810) : Quand on est mort, c’est pour longtemps… admirable chant, tout bouillant d’une douce fureur, et où brille dans tout son éclat le génie rabelaisien. […] Le curé de Saint-Roch ne le chicana en rien à l’article de la mort, et le digne ecclésiastique oublia ou ignora parfaitement qu’en racontant autrefois le refus de prières qui signala l’enterrement de Mlle Raucourt, Cadet Buteux avait chansonné sur l’air : Faut d’ la vertu, pas trop n’en faut… On se rappelle la lettre du bon chanoine que nous avons précédemment citée, et qui témoigne de l’indulgence du clergé en général pour Désaugiers ; il me semble maintenant que nous nous l’expliquons très-bien. […] Nommé directeur du Vaudeville en 1815, il y resta jusqu’à sa mort, sauf une interruption de deux ou trois ans (1822-1825). […] Cette maladie devint bientôt un événement pour tous, et sa mort fut un deuil public, car il avait été la joie de beaucoup.

1584. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

La mort de S. […] Elle boira la mort à la même coupe que Tristan, et Morold sera vengé. […] Ce n’est pas un breuvage de mort qu’ils ont bu, c’est un philtre d’amour. […] Sans la mimique des acteurs, bien des passages saillants resteraient lettres mortes ; sans la musique, le drame ne serait qu’un stérile scénario. […] Au lever du rideau, un pâtre soupire sur sa musette un vieil air populaire, traînante mélodie à laquelle le cor anglais prête la poésie de ses sons plaintifs, Tristan, blessé à mort, s’éveille.

1585. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Peut-être ils se mettraient à l’abri de la mort Par le secours de l’ignorance. […] Un du peuple étant mort, notre saint le contemple En forme de convoi soigneusement porté Hors les toits fourmillants de l’avare cité. […] Il y a les amours de Vénus et d’Adonis, et la mort d’Adonis, et les pleurs que verse Vénus sur ce pauvre jeune homme sitôt sacrifié à la colère des dieux. […] On dirait un roman de Jules Janin, l’Ane mort. Je vous citerai donc l’Ane mort de Ragotin, l’assassinat de l’âne par Ragotin et ce qui s’ensuit, ou plutôt ce qui l’a amené.

1586. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

— Si on lui eût annoncé pareille chose, ce pauvre Banville en serait mort d’apoplexie ! […] Pourtant, oui — surtout chez les tout à fait médiocres — il y a une tendance excessive à vouloir enterrer des morts qui vivent toujours… Savez-vous pour combien l’on a vendu des œuvres d’Hugo depuis sa mort ? […] C’était la mort d’avril. […] … Il est vrai que, vous, vous voyez la mort prochaine de la Poésie, avec un « enfouissement » dans la Musique. […] — Mais l’arbre mort se dresse et tout est dévasté.

1587. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Le romantisme est mort ; la dernière chanson qu’on chante sur sa tombe avant de l’enterrer pour toujours c’est MM.  […] Toute poésie est interdite sous peine de mort. […] L’un rêvant mort, viol, rapt, substitution d’enfants ; l’autre, quiproquo et couplet final, ont mérité de s’enterrer dans la même tombe. […] Voilà, messieurs les honnêtes gens, pourquoi le théâtre est mort. […] Mais le grand cri de combat c’est : Mort à l’Académie !

1588. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Non : c’est aussi le laid, l’horrible, le difforme ; c’est un ciel gris et terne, aussi bien qu’un ciel bleu ou un orage d’éclairs et de foudres ; une terre aride, un champ de mort, un désert, comme une forêt vierge ; des cris discordants, comme des sons harmonieux ; c’est tout enfin, c’est la vie universelle. […] Je ne puis voir dans tous ces chants chrétiens qu’un deuil, une pompe funéraire et la plainte dernière sur un mort. Quand les sauvages pleurent un chef, les femmes chantent les louanges du mort, elles disent ses vertus et ses combats, et par moments, en présence du cadavre, elles rêvent le héros marchant encore dans sa force et dans sa beauté : ainsi font nos poètes avec leur fiction de Christianisme ; ils commencent par la plainte, la désolation, puis leur vient le regret de la dernière religion connue d’eux, et ils finissent quelquefois, en s’exaltant, par s’imaginer qu’elle vit encore. […] se plaira-t-il à toute cette grandeur contre laquelle ses pères, vassaux révoltés, luttèrent pendant tant de siècles, et qu’ils ont fini par traîner dans la poussière et dans le sang, contre laquelle ses maîtres les philosophes ont prononcé un anathème et un arrêt de mort ? […] Pourquoi fais-tu réveiller ta jeune Espagnole dans son tombeau par un affreux squelette, que tu nommes la Mort, et qui vient convier ce fantôme à la danse des fantômes, en lui passant dans les cheveux ses doigts longs et noueux de squelette ?

1589. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Qui pourrait soulever cette montagne d’œuvres informes pour la plupart, et mortes en naissant ? […] Si tu es un maître vindicatif et colère, la mort ne me sera pas un refuge, et je n’échapperai pas, quoi que je fasse, aux expiations de l’autre vie. […] haine à mort ! […] Sue a été plus franc ou plus hardi ; il a écrit en toutes lettres sur son écu : Mort à l’héritage et guerre à la propriété ! […] À quelle cause attribuer cette effrayante progression des morts volontaires ?

1590. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

L’une de ces pièces s’adresse à un mort ou à une morte chérie : À un esprit qui s’en est allé Du haut des brillantes étoiles, ou du sein de l’air invisible, ou de quelque monde que n’atteint point l’humaine pensée, Esprit ! […] N’avons-nous pas ici conversé de la vie et de la mort ? […] « As-tu gardé la foi au mort (ou à la morte) fidèle dont le lieu de repos est tout près d’ici ?

1591. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Il commence ce pèlerinage, qui asurtout pour objet la Suisse catholique, par une diatribe violente contre Genève, où l’on célébrait, quand il ypassa, l’inauguration de la statue de Jean-Jacques, un sujet tout trouvé d’anathème : « Tristes fêtes dont nous n’osons plus rire, s’écrie l’auteur, quand nous songeons qu’il est une autre vie et que probablement ce malheureux Rousseau, mort dans l’hérésie, sans sacrements et, selon toute apparence, sans repentir, a plus affaire à la justice de Dieu qu’à sa clémence… » Je laisserais ce passage et le mettrais sur le compte de la jeunesse, si les mêmes sentiments d’exécration ne revenaient sans cesse sous la plume de l’auteur ; si, dans ces volumes de Çà et Là où il y a de charmants paysages et de beaux vers pleins de sensibilité, je ne voyais, lors d’une nouvelle visite à Genève (chapitre Du Mariage et de Chamounix), la même répétition d’injures contre la statue et les mêmes invectives contre les Genevois en masse. […] Comme dans les luttes à mort des Montagnards et des Girondins, on laissait assez en paix les gens de la Plaine, ceux qui ne soufflaient mot. — Pas toujours cependant, et plus d’un qui se tenait à l’écart y attrapait son éclaboussure. […] Est-il possible de venir interpréter publiquement au sens religieux strict et comme on le ferait entre soi, c’est-à-dire entre croyants, les événements de chaque matin, pluie, grêle, inondations, sinistres de tout genre, mort d’un adversaire, etc., sans appeler, par ces interprétations qui deviennent aussitôt téméraires, la colère ou les railleries de ceux qui ne pensent pas comme vous ?

1592. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Aussi son désappointement fut-il grand lorsqu’en 1822, à la mort de Delambre, Fourier fut nommé secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences ; on dit même qu’il en garda quelque temps rancune à l’illustre Compagnie et y parut moins assidûment dans les années qui suivirent. […] Il est d’usage, à l’Académie française, que le directeur ou président en exercice, lorsqu’un membre meurt, préside également la séance et prononce le discours solennel le jour où ce membre est remplacé et où l’on reçoit son successeur : le mort, tout naturellement, y est fort célébré. […] Une autre fois, à la mort du spirituel géomètre, M. 

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