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2265. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

Les plus apparents à bon droit et les plus vénérés dans le groupe des poëtes ont rempli par leurs chants quelque fonction religieuse ou sociale ; ils ont été, ou la voix éloquente et palpitante du présent, ou l’écho lamentable d’un passé détruit, ou l’ardente trompette des espérances et des menaces de l’avenir. […] Victor Hugo, l’action du novateur exhumé dut être très-réelle, quoique indirecte et difficile à saisir, comme il convient à tout grand écrivain qui passe à son creuset ce qu’il emprunte.

2266. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Laurent (de l’Ardèche) : Réputation de l’histoire de France de l’abbé de Montgaillard  »

M. de Montgaillard n’a jamais eu l’intelligence des grands mouvements politiques qu’il enregistre et qu’il narre dans son journal ; il n’a été dirigé, en écrivant, par aucun système de principes, auquel il soit resté conséquent et fidèle ; les variations de son humeur se retrouvent dans ses opinions sur les partis et sur les hommes ; il réduit tout en personnalités, et, à propos d’un même personnage, il n’est pas rare qu’il passe, à quelques pages de distance, de l’éloge à l’injure. […] Il ne peut se persuader qu’à ce point le plus culminant de notre crise révolutionnaire, des hommes jeunes, au regard perçant et imperturbable, n’aient rien vu dans l’avenir, et qu’ils aient été que de misérables radoteurs du passé.

2267. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mort de sir Walter Scott »

En Allemagne, Goethe meurt le dernier de son siècle, après avoir vu passer presque tous les poètes nés avec lui ou de lui ; une ère différente, une ère de politique et de pratique sociale s’inaugure, et elle cherche encore ses hommes. […] Écrivain, poëte, conteur avant tout, il a obéi, dans le cours de sa longue et laborieuse carrière, à une vocation facile, féconde, indépendante des questions flagrantes, étrangère aux luttes du présent, amoureuse des siècles passés, dont il fréquentait les ruines, dont il évoquait les ombres, y recherchant toute tradition pour la raviver et la rajeunir.

2268. (1875) Premiers lundis. Tome III « Le roi Jérôme »

Il y faisait depuis cinq ans son apprentissage, et il avait passé par les divers grades depuis celui d’aspirant, lorsque Napoléon, dans une lettre datée de Milan et adressée au ministre de la marine (29 mai 1805), disait de lui : « M.  […] L’empereur décida que le nouveau contre-amiral passerait, avec le grade de général de brigade, dans l’armée de terre.

2269. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

L’outil est rouillé quand on en a besoin ; il n’est plus de service, et l’on s’en passe. […] On se passe ainsi de main en main des lieux communs, qu’on ne modifie ni dans leur forme, ni dans leur contenu, comme la monnaie qu’on reçoit et qu’on donne sans en altérer le titre ni l’empreinte.

2270. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Une âme en péril »

Un aimable homme, un Parisien de Lyon, qui passait par là, s’en aperçut. […] Le livre du curé limousin, qui, écrit par un laïque, eût passé à peu près inaperçu, fut fort bien accueilli par la presse.

2271. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Par là, les termites de son œuvre, les grisailles de leurs évolutions se teintaient d’âpres épithètes, se trempaient de la vibration d’art, se disposaient en amertumes graduées, en états d’âme vulgaires sans doute, mais passés au crible d’un cerveau impressif, colorés d’une désespérance glaciale comme une bise, coupante comme un grésil… » (page 11). […] Pour donner au monde un roman naturaliste de plus, et, notamment, pour décrire les sensations d’un infirme qui regarde passer les gens à travers une lucarne.

2272. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

Comme ils courent indifféremment à tout ce qui affecte un air d’originalité, ils s’attachent le plus souvent à des modes ridicules et qui passent ; mais il est inévitable qu’ils s’attachent aussi quelquefois à des nouveautés qui demeurent ; et leur concours, alors, n’est point négligeable. […] On peut mettre de la vanité et de la suffisance, même dans la soumission au passé, même dans le culte de la tradition, même dans la routine.

2273. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Elle ne peut donner au physicien qu’un langage commode ; n’est-ce pas là un médiocre service, dont on aurait pu se passer à la rigueur ; et même, n’est-il pas à craindre que ce langage artificiel ne soit un voile interposé entre la réalité et l’œil du physicien ? […] Il ne faut pas comparer la marche de la Science aux transformations d’une ville, où les édifices vieillis sont impitoyablement jetés à bas pour faire place aux constructions nouvelles, mais à l’évolution continue des types zoologiques qui se développent sans cesse et finissent par devenir méconnaissables aux regards vulgaires, mais où un œil exercé retrouve toujours les traces du travail antérieur des siècles passés.

2274. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VII. L’Histoire de la Physique mathématique. »

Le Passé et l’Avenir de la Physique — Quel est l’état actuel de la Physique Mathématique ? […] Nous sommes assurés que la malade n’en mourra pas et même nous pouvons espérer que cette crise sera salutaire, car l’histoire du passé semble nous le garantir.

2275. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Le temps qu’on donne au travail n’est pas seulement celui qu’on passe devant sa table et son écritoire. […] Je passe ainsi mon temps à cumuler des amitiés fort diverses et à escorter de mes regrets, par tous les chemins de l’Europe, les gouvernements qui ne sont plus.

2276. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

La même chose se passa à la suite de presque toutes les conquêtes normandes. […] L’investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l’origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été le plus bienfaisantes.

2277. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

Cependant, il m’est impossible de passer sur ces noms illustres en n’y laissant que du blâme, comme si rien n’eût racheté les fautes où ils ont été entraînés, et j’encourrais moi plus que le blâme public, si aucun hommage ne rachetait la témérité de ma censure. […] Une utile censure fut souvent renfermée dans leurs éloges ; d’utiles conseils passèrent souvent à la faveur de leurs louanges.

2278. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXX » pp. 330-337

Tout cela s’explique par le résumé des faits passés. […] Madame Scarron avait pris chez elle sa fille (depuis comtesse de Montgon), qui passait tantôt pour la sœur de ces petits princes, tantôt pour leur cousine. » 96.

2279. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 439-450

Peut-être la Nation, revenue de son premier enthousiasme, verra-t-elle tout-à-coup s’élever au milieu d’elle un nouvel Aristophane ou un nouveau Lucien, qui achevera de lui ouvrir les yeux, & de la guérir d’une contagion, dont les effets ont passé rapidement du burlesque au tragique. […] Vous seriez très-aimable, s’il vous prenoit fantaisie de venir passer quelques momens dans ma retraite avec M.

2280. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VI, première guerre médique »

En cas de victoire, les Grecs auraient défilé sans doute devant lui, un mors à la bouche et la corde au cou, comme les captifs égyptiens que Cambyse passa en revue, sur les ruines de Memphis. […] Les « Chasses Noires » et les « Chasses Furieuses » de la mythologie germanique traquaient les bûcherons et les pâtres embusqués derrière les taillis pour les voir passer et souvent elles mêlaient leurs membres à la curée des fauves poursuivis.

2281. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Orientales » (1829) — Préface de l’édition originale »

Il répondra qu’il n’en sait rien, que c’est une idée qui lui a pris ; et qui lui a pris d’une façon assez ridicule, l’été passe, en allant voir coucher le soleil. […] Mais passons.

2282. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Il passa quelque temps en Italie, en Espagne, & fit, dans la langue de ces deux nations, des vers d’une diction si pute, qu’on les prit pour ceux de leurs meilleurs poëtes. […] Mais au bruit de la cour & à la prière qui m’a été faite, ayant pris les lunettes de ma vieillesse, qui sont peut-être plus assurées que mes yeux du temps passé, je confesse que j’ai un peu modéré la violence de mon amour.

2283. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

« Dans ce siècle même, dit Buffon, où les sciences paraissent être cultivées avec soin, je crois qu’il est aisé de s’apercevoir que la philosophie est négligée, et peut-être plus que dans aucun siècle ; les arts, qu’on veut appeler scientifiques, ont pris sa place ; les méthodes de calcul et de géométrie, celles de botanique et d’histoire naturelle, les formules, en un mot, et les dictionnaires, occupent presque tout le monde : on s’imagine savoir davantage, parce qu’on a augmenté le nombre des expressions symboliques et des phrases savantes, et on ne fait point attention que tous ces arts ne sont que des échafaudages pour arriver à la science, et non pas la science elle-même ; qu’il ne faut s’en servir que lorsqu’on ne peut s’en passer, et qu’on doit toujours se défier qu’ils ne viennent à nous manquer, lorsque nous voudrons les appliquer à l’édifice161. » Ces remarques sont judicieuses, mais il nous semble qu’il y a dans les classifications un danger encore plus pressant. […] Lorsque la science était pauvre et solitaire ; lorsqu’elle errait dans la vallée et dans la forêt, qu’elle épiait l’oiseau portant à manger à ses petits, ou le quadrupède retournant à sa tanière, que son laboratoire était la nature, son amphithéâtre les cieux et les champs ; qu’elle était simple et merveilleuse comme les déserts où elle passait sa vie, alors elle était religieuse.

2284. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Ce que la fable nous débite de ses heros et de ses dieux s’est acquis le droit de passer pour verité dans les poëmes, et nous ne sommes plus parties capables de contredire ses narrations. […] Telle est l’erreur qu’il fait commettre par Mithridate, en lui faisant dire à ses fils, dans l’exposition de son projet, de passer en Italie et de surprendre Rome.

2285. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

Mais notre poësie aïant été corrompuë par l’excès des ornemens et des figures, la corruption a passé de-là dans notre musique. C’est la destinée de tous les arts, qui ont une origine et un objet commun, que l’infection passe d’un art à l’autre.

2286. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Deuxième tableau » pp. 196-209

s’étiole dans la misère… Les derniers cent sous du ménage ont passé dans trois places de seconde galerie — hier au soir. […] Cependant, je renoncerai à tous droits passés, présents et futurs, en échange d’un bon de vingt mille francs — sur la caisse du théâtre.

2287. (1912) L’art de lire « Chapitre VII. Les mauvais auteurs »

Il n’y a rien de plus inutile que la grande partie de sa vie que Boileau a passée à lire de mauvais auteurs pour se moquer d’eux, et je vois là une grande petitesse d’esprit. […] Figurez-vous un enfant qui, de naissance, n’aimerait pas la musique et que, par autorité paternelle, on aurait fait jouer du violon pendant dix ans : il ne pourrait plus passer devant un marchand d’instruments de musique.

2288. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — IV »

Ces jeunes gens exténués et intimidés qui se pressent de ville en ville pour passer l’examen de Saint-Cyr, leurs parents qui attendent, leurs professeurs qui les recommandent, le recteur chez qui l’on dîne, le préfet et les magistrats avec qui on échange quelques considérations, tous ces personnages, M.  […] ∾ Ce qui me préoccupe dans cet article, — je le souligne avec insistance, — c’est de montrer comment, dans un même moment, tous les esprits placés dans des conditions analogues passent par des conceptions analogues.

2289. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « Introduction »

Il suffit de regarder autour de soi pour reconnaître qu’élaborée depuis des siècles et virtuellement victorieuse, elle ne commence qu’à peine en ce siècle, à s’incarner dans la réalité, à passer de la spéculation de l’élite dans la pratique de la foule. Les « survivances du passé » sont infiniment longues à disparaître.

2290. (1915) La philosophie française « II »

II Nous avons passé en revue un certain nombre de philosophes français, en tenant surtout compte de leur diversité, de leur originalité, de ce qu’ils ont apporté de nouveau et de ce que le monde leur doit. […] Si maintenant on passe de la forme au fond, voici ce qu’on remarquera d’abord.

2291. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre II. Quelques traditions sur Pindare. »

Elle vainquit, ce me semble, à la faveur de son dialecte, ne se servant pas de la forme dorique comme Pindare, mais de celle que les Éoliens devaient mieux saisir, et aussi parce qu’elle était la plus belle femme d’alors, comme on peut le supposer d’après son portrait. » Ne le cédant qu’à une telle rivale, le poëte thébain n’en passa pas moins pour inspiré. […] Dans cette petite maison, dont Pausanias marque la place sur le bord de la fontaine Dircé, et d’où le poëte entendait, la nuit, les prières chantées tout auprès dans le temple de Cybèle, Pindare passa des jours paisibles et purs, comme l’affirme plus d’un témoignage exprimé dans ses vers.

2292. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

D’une part, il y eut comme un reverdissement de la mauvaise littérature du siècle passé. […] Vous êtes pauvres, il suffit ; passez à la droite du Père : pauvreté vaut vertu. […] les vertueuses femmes qui passent voilées dans les rues247 ! […] Celle-là est sûre et facile ; tout le monde y passe… Ô mes rêves, mes nobles rêves de jeune homme ! […] Bientôt, de l’indifférence on passe à la curiosité, et on finit par se laisser aller à y prendre je ne sais quel honteux intérêt.

2293. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Sur ce grand vide obscur du passé, ses yeux s’attachent aux rares points lumineux, comme à un trésor. […] L’homme qui en est pénétré passe sa vie comme les puritains, à vénérer et à craindre. Carlyle passe sa vie à exprimer et à imprimer la vénération et la crainte, et tous ses livres sont des prédications. […] Est-ce que Néron de Rome, l’esprit joyeux, ne passait pas le meilleur de son temps à jouer de la lyre ? […] Il nous les impose pour modèles, et ne juge le passé ou le présent que d’après eux.

2294. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Il passe de là aux règles les plus techniques de l’art ; il les énumère avec une admirable sagacité. […] Il n’y a rien dans l’eau, dans l’air, dans le feu, dans ce que les éléments offrent de plus subtil et de plus délié, qui présente l’idée du moindre rapport quelconque avec la faculté que nous avons de percevoir les idées du passé, du présent et de l’avenir. […] Mais passons aux Tusculanes elles-mêmes. […] Ôtez ce pressentiment, serait-on assez fou pour vouloir passer sa vie dans les travaux et dans les dangers ? […] « Tous ces éléments n’ont rien qui fasse la mémoire, l’intelligence, la réflexion, qui puisse rappeler le passé, prévoir l’avenir, embrasser le présent.

2295. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre II. Les sensations totales de la vue, de l’odorat, du goût, du toucher et leurs éléments » pp. 189-236

Au commencement de la gamme est le rouge ; viennent ensuite l’orangé et les divers jaunes, puis le vert, les divers bleus, l’indigo, enfin le violet77, et chacun de ces tons passe par des intermédiaires dans le ton précédent et dans le ton suivant. — Voilà une infinité de sensations distinctes et reliées par des intermédiaires. […] Cela posé, considérons le rouge ; à mesure que l’on descend dans le spectre, la sensation du rouge diminue ; elle passe de son maximum à son minimum.  […] Nouvelle preuve du travail sourd qui se passe au plus profond de notre être, hors des prises de notre conscience, et nouvel exemple des combinaisons latentes, compliquées, innombrables dont nous n’apercevons que les totaux ou les effets. […] Au moyen de cette correspondance, de cette répétition et de ce remplacement, les faits du dehors, présents, passés, futurs, particuliers, généraux, simples, complexes, ont leurs représentants internes, et ce représentant mental est toujours le même événement interne plus ou moins composé, répété et déguisé. […] Selon la remarque d’Helmholtz, on peut supposer que chaque fibre nerveuse de la rétine possède trois activités différentes, excitables par le même rayon. — Mais on peut se passer de toute supposition, en admettant, au lieu de trois fibres nerveuses ou de trois activités nerveuses, trois sensations élémentaires.

2296. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre premier. Les caractères généraux et les idées générales. » pp. 249-295

. — À présent, de l’individu, passez à la race ; c’est l’inverse qui arrive ; sans doute ici, les caractères communs sont beaucoup plus répandus dans l’espace et durent bien davantage dans le temps, puisqu’ils se rencontrent dans un nombre indéfini d’individus contemporains et se répètent à travers un nombre indéfini de générations successives. […] Le simulacre interne, d’après lequel je viens de faire ma description, est vague, et mes sensations passées étaient précises. […] Ces idées passent par deux états. […] Pareillement enfin, quand on passe d’un nom de nombre au nom suivant, un doigt se lève pour s’ajouter au groupe précédent des doigts levés, une unité abstraite s’ajoute au groupe précédent des unités abstraites, et le nom de nombre énoncé remplace, avec une unité de plus, le groupe d’unités qui remplaçait le précédent. […] En reculant par la pensée la surface du tableau noir, nous voyons naître tout le tableau solide. — De cette construction générale, passons aux particulières.

2297. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Il passait des journées entières enfoncé dans les forêts qui entourent le monastère de Port-Royal, ces volumes à la main. […] Elle passa, avec la tragédie, du théâtre de Molière au théâtre de Bourgogne, enlevant ainsi à Molière la curiosité d’une pièce nouvelle et la popularité d’une comédienne accomplie. […] De toutes ses faiblesses passées, il ne lui en restait qu’une, l’adulation aux vertus et jusqu’aux caprices du roi. […] Ils s’entretenaient un jour avec elle de la poésie ; et Boileau, déclamant contre le goût de la poésie burlesque, qui avait régné autrefois, dit dans sa colère : “Heureusement ce misérable goût est passé, et on ne lit plus Scarron, même dans les provinces.” […] Tu vois nos pressants dangers : Donne à ton nom la victoire ; Ne souffre point que ta gloire Passe à des dieux étrangers.

2298. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Je sortis pénétré de sa bonté, et lui promettant d’aller passer quelques jours à Brunoy. […] XII Un an après, je revins passer l’hiver à Paris. […] Dans un des parvis aux hommes réservé, Cette femme superbe entre, le front levé, Et se préparait même à passer les limites De l’enceinte sacrée, ouverte aux seuls lévites. […] Il passe en revue les femmes, les vieillards, les lévites. […] « Madame de Maintenon, qui fit instruire l’auteur du Mémoire de ce qui s’était passé, lui fit dire en même temps de ne la pas venir voir jusqu’à nouvel ordre.

2299. (1895) Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes. Figaro pp. 101-162

Mais j’ai, pour mon compte, tant de cheveux, qu’ils seraient un vain ornement à ma beauté naturelle, si je ne me passais un peu la main dedans. […] Le provençal est une langue très fortement accentuée, et cela suffit à faire chanter le vers, à lui donner le corps et la mesure, l’harmonie dont il ne saurait se passer. […] — Rouge, impair, passe et manque !̃ […] Et je ne puis que le regretter, M. de Régnier ayant assez de talent et de personnalité pour se passer de snobisme, même scandinave. […] Et puis, songez donc, qu’ayant versé dans la littérature journalière, leur plus grande peur c’est de passer pour des pédants un peu lourds.

2300. (1910) Rousseau contre Molière

Enfin Rousseau est tout plein de sentiment religieux et ne saurait s’en passer. […] Leur fait-on, malgré elles, passer la moitié de leur temps à leur toilette ? […]   Passons à un autre argument. […] Jourdain l’ambition et la vanité n’ont qu’une forme, à savoir le désir de passer pour gentilhomme, M.  […] Que faudrait-il que Molière eût écrit pour passer pour avoir attaqué le libertinage et la débauche ?

2301. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

La Bruyère passa le reste de ses jours à l’hôtel de Condé à Versailles, attaché au prince en qualité d’homme de lettres avec mille écus de Pension. […] Ils naissent instruits, et ils sont plus tôt des hommes parfaits que le commun des hommes ne sort de l’enfance. » Au chapitre des Grands, il s’est échappé à dire ce qu’il avait dû penser si souvent : « L’avantage des Grands sur les autres hommes est immense par un endroit : je leur cède leur bonne chère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurs chevaux, leurs singes, leurs nains, leurs fous et leurs flatteurs ; mais je leur envie le bonheur d’avoir à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l’esprit, et qui les passent quelquefois. » Les réflexions inévitables que le scandale, des mœurs princières lui inspirait n’étaient pas perdues, on peut le croire, et ressortaient moyennant détour : « Il y a des misères sur la terre qui saisissent le cœur : il manque à quelques-uns jusqu’aux aliments ; ils redoutent l’hiver ; ils appréhendent de vivre. […] Dans son discours à l’Académie, La Bruyère lui-même les a énumérés en face ; il les avait passés en revue dans ses veilles bien des fois auparavant. […] La mode s’était mêlée dans la gloire du livre, et les modes passent. […] Certes, l’exemple de telles injustices appliquées aux plus délicats et aux plus fins modèles serait capable de consoler ceux qui ont du moins le culte du passé, de toutes les grossièretés qu’eux-mêmes ils ont souvent à essuyer dans le présent.

2302. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Tous les deux combattent pour la tradition et contre la nouveauté ; c’est pourquoi, après avoir défendu le passé contre le pouvoir arbitraire, ils le défendront contre la violence révolutionnaire et tomberont, l’un dans l’impuissance et l’autre dans l’oubli. […] Le marquis de Mirabeau, apprenant que son fils veut être son propre avocat, ne se console qu’en voyant d’autres, et de plus grands, faire pis encore570. « Quoique ayant de la peine à avaler l’idée que le petit-fils de notre grand-père, tel que nous l’avons vu passer sur le Cours, toute la foule, petits et grands, ôtant de loin le chapeau, va maintenant figurer à la barre de l’avant-cour, disputant la pratique aux aboyeurs de chicane, je me suis dit ensuite que Louis XIV serait un peu plus étonné s’il voyait la femme de son arrière-successeur, en habit de paysanne et en tablier, sans suite, sans pages ni personne, courant le palais et les terrasses, demander au premier polisson en frac de lui donner la main que celui-ci lui prête seulement jusqu’au bas de l’escalier. » — En effet, le nivellement des façons et des dehors ne fait que manifester le nivellement des esprits et des âmes. […] Désormais, avec ou sans les privilégiés, il sera, sous la même dénomination, appelé le peuple ou la nation. » — N’objectez pas qu’un peuple ainsi mutilé devient une foule, que des chefs ne s’improvisent pas, qu’on se passe difficilement de ses conducteurs naturels, qu’à tout prendre ce clergé et cette noblesse sont encore une élite, que les deux cinquièmes du sol sont dans leurs mains, que la moitié des hommes intelligents et instruits sont dans leurs rangs, que leur bonne volonté est grande, et que ces vieux corps historiques ont toujours fourni aux constitutions libres leurs meilleurs soutiens. […] » — L’orateur lui-même imitait « le rugissement du lion ; tout l’auditoire était ému, et moi, qui passais si souvent à la barrière Saint-Victor, je m’étonnais que cette image horrible ne m’eût pas frappé. […] À quatorze ans, présentée à Mme de Boismorel, elle est blessée d’entendre appeler sa grand’maman « mademoiselle »  « Un peu après, dit-elle, je ne pouvais me dissimuler que je valais mieux que Mlle d’Hannaches dont les soixante ans et la généalogie ne lui donnaient pas la faculté de faire une lettre qui eût le sens commun ou qui fût lisible. » — Vers la même époque, elle passe huit jours à Versailles chez une femme de la Dauphine, et dit à sa mère : « Encore quelques jours et je détesterai si fort ces gens-là, que je ne saurai plus que faire de ma haine  Quel mal te font-ils donc   Sentir l’injustice et contempler à tout moment l’absurdité. » — Au château de Fontenay, invitée à dîner, on la fait manger, elle et sa mère, à l’office, etc  En 1818, dans une petite ville du nord, le comte de…, dînant chez un sous-préfet bourgeois et placé à table à côté de la maîtresse de la maison, lui dit en acceptant du potage « Merci, mon cœur ».

2303. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Il y a un luxe d’art, un luxe de bijoux, un luxe de sentiments même, ou d’intellectualité, c’est un luxe que de se griser de mauvais vin, c’est un luxe aussi de passer son temps en études stériles, ou d’errer dans des musées, de se complaire à des jeux d’amour ou de collectionner des diamants. […] Il suffit pour tout concilier que cette faiblesse passe inaperçue, qu’on se la cache à soi-même, qu’on en fortifie, au contraire, son orgueil. […] Il ne faut pas qu’il les jette brusquement, mais qu’il apprenne, sinon à s’en passer, du moins à en accepter d’autres, plus légères, qu’il en change à mesure qu’il grandit. […] Le bonheur, le succès d’un indifférent est moins offensant et passera inaperçu. […] L’animal qui n’a que des relations sociales très restreintes, ou qui au contraire est bien adapté à ces relations, peut se passer d’ironie.

2304. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Il n’y a pas de conversion dans le critique, il y a de l’élargissement, de la franchise d’ailes, de l’élan par en haut, enfin tout le bénéfice des années, naturel dans un homme qui n’a pas la métaphysique de sa critique, mais qui s’en passe quelquefois, à force d’instinct sûr et de vive sensibilité. […] Ces questions, dont plusieurs ont été tant de fois stérilement agitées, — par exemple s’il faut que le poète épique soit plus ou moins de son temps ; s’il est vrai que le poème épique ne soit pas le premier des genres, etc., etc. ; — toutes ces questions d’enfant passent aujourd’hui à l’état d’homme, et sous cette plume, qui grandit ce qu’elle touche, s’élèvent des grêles proportions de la rhétorique à la hauteur d’une critique ample et perçante tout à la fois. […] Il n’est plus question aujourd’hui de faire les dernières politesses à un cercueil qui passe. […] Assurément, si je trouvais dans ses Œuvres critiques un livre de la valeur de celui-là en sentiment et en poésie, je ne lui refuserais pas aussi nettement que je le fais le titre de critique, à cet explorateur et à cet explanateur littéraire qui rôde et bouquine et nous fait faire toutes sortes de connaissances dont l’esprit humain pouvait se passer, comme M.  […] Il n’y a point l’aveugle sentiment d’amour-propre qu’on passerait à peine à l’auteur.

2305. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

En d’autres termes, si l’on conçoit sans peine que les ennemis de la vieille monarchie puissent rétrospectivement s’intéresser à ce roi, suicide de sa race, qui l’a frappée en sa personne, à cette fête de Sardanapale incendiaire qui a dévoré ses convives, à ce souper de soixante ans qu’on appelle le règne de Louis XV et qui semblait rendre après lui tout règne de ses descendants impossible, conçoit-on aussi facilement que les hommes, vassaux fidèles du passé, qui ont reconnu que ce n’était pas le passé seul, mais l’avenir pour eux, qui périssait dans un tel désastre ; puissent en parler autrement que pour le déplorer et le maudire ? […] , de s’ériger en saint Jérôme pour déclamer contre les vices des temps passés ? […] Qu’on ébranle tant qu’on voudra le sens des mots, le nom du dix-huitième siècle n’en dira pas moins toujours à la pensée : corruption de mœurs, mépris du passé, c’est-à-dire de la paternité sociale, révolte de l’orgueil, impiété, vice du corps, abaissement de l’esprit et prostitution du génie. […] Quant aux autres moins graves de visée et d’études, qui ne sont plus des historiens, et qui, comme MM. de Goncourt, passent leur vie à racler le pavé du dix-huitième siècle pour y trouver quelque loque oubliée qu’ils puissent suspendre à leur ficelle, ou comme M. 

2306. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

« Quand on aura prouvé, écrit Zola, que le corps de l’homme est une machine, dont on pourra un jour démonter et remonter les rouages au gré de l’expérimentateur, il faudra bien passer aux actes passionnels et intellectuels de l’homme… On a la chimie et la physique expérimentale, on aura la physiologie expérimentale ; plus tard encore on aura le roman expérimental… Nous devons opérer sur les caractères, sur les passions, sur les faits humains et sociaux, comme le chimiste et le physicien opèrent sur les corps bruts, comme le physiologiste opère sur les corps vivants. […] Si nous passons du savant à l’homme de lettres, de l’auteur de l’Introduction à l’auteur des Rougon-Macquart, l’analogie de principe est aussi frappante que l’analogie de méthode. […] Jamais temps n’a été plus grand, plus passionnant, plus gros de futurs prodiges, et qui ne voit pas cela est aveugle, et qui vit par mépris dans le passé ou dans le rêve n’est qu’un enfantin joueur de flûte… »11. […] « Zola passe encore maintenant pour être chaste et pour être sobre — bien que l’on nous ait dit que sa face morose de mélancolie s’éclaire comme celle d’un gourmet au moment de se mettre à table — mais cette ancienne avidité à se repaître des spectacles aussi bien que des sons, et l’on peut ajouter même des odeurs du monde extérieur, s’est à la fin façonné en une méthode de routine. […] Et en les connaissant, il a amassé un trésor d’expériences où il puisa lorsqu’il vint à faire des livres, et qui leur donne ce troublant parfum spécial qu’exhalent seules les choses qui ont été vécues personnellement dans l’éloignement du passé.

2307. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Si l’on passe à des temps postérieurs, on verra les Grecs devenir plus polis, sans en devenir plus galants. […] Anacréon s’en avisa à soixante ans passés. […] Ce dernier passe pour être l’ouvrage d’un Roi de Portugal, & l’on sait l’éloge que Michel Cervantes en fait faire par le Curé & le Barbier du village de Dom Quichotte. […] Passons. […] Il en est aussi beaucoup d’autres qui ne peuvent produire ni bien ni mal ; ils ressemblent à ces jeux de commerce qui aident à passer le temps lorsqu’on n’est pas à même de l’employer.

2308. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Il est si grand, que des novateurs il passe aux retardataires, et redresse un catholicisme en face du protestantisme qu’il a dressé. […] Et ainsi ces furies terrestres passent le jour du sabbat. […] Ordinairement les événements ne s’y passent nulle part ; du moins ils se passent dans le royaume où les rois se font bergers et volontiers épousent des bergères. […] Mais ils sont trop de leur temps pour être d’un temps qui est passé. […] L’enthousiasme passé, la curiosité commence.

2309. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Passez au second, ce même tour reparaît ; on dirait qu’ils se sont copiés l’un l’autre. […] Il passa son enfance avec eux en tête-à-tête, et se trouva versificateur dès qu’il sut parler. […] Des peintres comme Watteau ont passé leur vie à s’en régaler. […] Certainement il sera sensible à la toilette, sensible autant que la dame elle-même, et ne la grondera jamais de passer trois heures à son miroir ; il y a de la poésie dans l’élégance. […] Lorsqu’on passe en revue toute la file des poëtes anglais du dix-huitième siècle, on s’aperçoit qu’ils n’entrent pas commodément dans l’habit classique.

2310. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

« Napoléon n’avait cessé, pendant la journée, de se tenir dans l’angle que décrivait notre ligne d’Aspern à Essling, d’Essling au fleuve, et où passaient tant de boulets. […] Napoléon songeait déjà à lui demander la plus personnelle de ses concessions : une épouse impériale du sang des Césars d’Allemagne pour s’apparenter au passé, ce prestige des monarchies. […] À la fin de la nuit, trois ponts, situés à cent toises l’un de l’autre, se trouvèrent solidement établis, et la cavalerie légère put passer sur l’autre bord. […] puisque vous ne sentez pas qu’il lui manque quelque chose, c’est qu’il ne lui manque rien, en effet, pour reproduire en vous l’histoire ; c’est qu’à force de vérité il a trouvé le moyen de se passer du style. […] Se passer de style, n’est-ce pas mille fois plus artiste que d’avoir un style ?

2311. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Figurines »

Sa doctrine, c’est le renoncement complet à tout sentiment naturel, même à ceux qui passent pour nobles et généreux, aux affections terrestres, à la science, aux ambitions intellectuelles, bref, à tout ce qui ne sert pas au « salut ». […] Mme de Sévigné a passé sa vie à adorer une Ombre — comme sa grand’mère sainte Chantal. […] Chrétien, certes La Bruyère l’était, quoique le chapitre postiche des Esprits-Forts ait bien l’air d’une précaution pour faire passer le reste. […] La Bruyère mort, il se passera plus de cent ans avant que son pittoresque se retrouve. […] Que s’était-il passé ?

2312. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Cela se passait au commencement de 1634. […] Ce qui, au premier abord et de loin, semblerait une lâcheté et une platitude, ne se présenta alors que comme une chevalerie posthume, un acte religieux et courageux de fidélité envers le passé. […] Sa négligence académique était passée en proverbe. […] La Monnoye, racontant ce détail flatteur, écrivait à l’un de ses amis : L’affaire de l’Académie, monsieur, s’est passée avec tout l’agrément possible pour moi : on convient que depuis qu’elle est établie, il n’y a pas d’exemple d’académicien reçu avec une pareille distinction.

2313. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

Quand on prend le marquis d’Argenson à sa source, tel qu’on nous le donne maintenant, il faut en faire son deuil tout d’abord ; il faut en passer par sa langue. […] Il a des vues neuves et sensées sur quantité d’objets d’utilité publique ; il écrit des mémoires aux ministres pour les faire approuver, et il en vient résolument à l’application : C’est moi, dit-il (avril 1720), qui ai le premier proposé, imaginé et exécuté la fourniture aux troupes, de grain, pour ensuite être, par les soldats, donné à la mouture et fait du pain (Passez-lui cette première phrase, il en aura bien d’autres). […] ) J’ai vu avec une grande impatience, sur la frontière de France et de Hainaut, la continuation des magistrats municipaux plus d’une année dans leurs magistratures passer pour une faveur dont il fallait gratifier le public dans les belles occasions, comme l’avènement d’un gouvernement, la naissance d’un prince, la convalescence du roi, etc. ; mais ayant remarqué que cette faveur accordée ne faisait que maltraiter les peuples en enorgueillissant quelques coquins de bourgeois qui faisaient bientôt une tyrannie de leurs magistratures, j’arrêtai cela, y étant intendant, et dans une célèbre occasion, qui fut le sacre de Louis XV à Reims : et je me fis écrire une lettre par le secrétaire d’État de la province, qui marquait que les magistrats seraient renouvelés malgré cette circonstance, et que l’on se proposait de les faire renouveler annuellement, malgré toute remontrance et nonobstant toute occasion quelconque, et cela par les principes des motifs allégués ci-dessus, savoir leur négligence et abus quand on manquait à les renouveler annuellement ; et je fis imprimer et afficher cette lettre dans tous les carrefours de mes villes. […] Chauvelin lui-même et d’obtenir un des portefeuilles qui faisaient partie de sa dépouille, le portefeuille des Affaires étrangères : « Je ne postulai point, mais on postula pour moi… Je vaux peu, mais je brûle d’amour pour le bonheur de mes citoyens, et, si cela était bien connu, certainement on me voudrait en place. » Aux environs de ce temps-là, dans les mois et les années qui suivent, on le voit successivement en passe ou en idée de devenir ou premier président du Parlement, ou secrétaire d’État à la guerre ; — chancelier de France (si M. le Chancelier, qui a soixante-neuf ans, venait à manquer) ; — contrôleur général, ou même surintendant et duc à brevet ; — premier ministre enfin ; car il a toutes ces visées, et il les indique ou les expose au fur et à mesure des occasions.

2314. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Elle était donc, du premier jour, passée maître dans cetteescrime de la pensée et du sentiment. […] ce n’est pas là un salon ; les quelques jeunes femmes qui y passent, avant de se rendre au bal sous l’aile de maris exemplaires, et qui viennent y recevoir comme une absolution provisoire qui, plus tard, opérera, ne me font pas illusion : c’est un cercle religieux, une succursale de l’église, — donnez-lui le nom que vous voudrez, — un vestibule du Paradis, « une maison de charité à l’usage des gens du monde. » Salon français de tous les temps, d’où me reviennent en souvenir tant d’Ombres riantes, tant de blondes têtes et de fronts graves ou de fronts inspirés, passant tour à tour et mariant ensemble tout ce qui est permis à l’humaine sagesse pour charmer les heures, enjouement, audace, raison et folie, — je ne te reconnais plus ! […] Vous me manquez, comme si nous avions passé beaucoup de temps ensemble, comme si nous avions beaucoup de souvenirs communs ; comment s’appauvrit-on à ce point de ce qu’on ne possédait pas hier ? […] Ces deux passages allégués prouvent donc l’exactitude même de notre dire ; mais naturellement, tous les autres endroits de la correspondance que ces deux-ci supposent et où les plaintes de Mme Edling doivent être articulées, ont été passés sous silence et omis par M. 

2315. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

On le rencontre, on le nomme, on le salue, et l’on passe outre sans plus s’arrêter. […] Collé était donc un homme très-gai ; il faut en passer par là et s’y tenir, quoique ce soit un lieu commun. […] Collé, après sa comédie de Henri IV, aurait pu être de l’Académie ; le duc de Nivernais et Duclos le tâtèrent là-dessus ; il aurait pu, s’il l’avait voulu, en 1763, passer sur le corps à l’abbé de Voisenon, « ce mauvais prêtre sémillant » ; mais Collé, comme Béranger, ne se croyait pas digne ou du moins capable de l’Académie : « Pour en être digne, disait-il, il faut avoir un fonds de littérature qui me manque. […] Dans sa Correspondance avec le jeune homme, seule partie assez intéressante du volume et qui ne l’est encore que médiocrement, Collé se montre à nous avec la douce manie des vieillards ; il revient sur le passé, sur ses auteurs classiques, sur Horace « le divin moraliste » qu’il cite sans cesse et qu’il a raison d’aimer, mais tort de parodier en de mauvais centons latins ; il voudrait que son jeune financier apprît le grec « à ses heures perdues », ce qui est peu raisonnable.

2316. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Dans cette bataille d’Eylau, après le moment critique passé, mais avant l’arrivée de Ney sur la fin de l’action, Napoléon, rentré dans la ville, hésitait sur ce qu’il ferait le lendemain. […] Mais que s’était-il passé dans les coulisses, ou dans les couloirs, car les états-majors en ont aussi ? […] » Le prince de Neuchâtel, qui se trouvait présent, tira Jomini par son habit en lui disant à l’oreille : « Ne répliquez pas, et passez chez moi après la messe !  […] Que s’est-il passé ?

2317. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

Au xvie  siècle, les choses s’étaient ainsi passées lors de la révolution poétique proclamée par Ronsard et Du Bellay : le Mans, Angers, Poitiers, Dijon, avaient aussitôt levé leurs recrues et fourni leur contingent. […] il passa presque toute sa vie, il usa sa jeunesse à ciseler en riche matière mille petites coupes d’une délicatesse infinie et d’une invention minutieuse, pour y verser ce que nos bons aïeux buvaient à même de la gourde ou dans le creux de la main. […] Le métayer et sa femme m’offrirent un lit que j’aurais été bien fâché d’accepter : je voulus passer la nuit dans la crèche. […] Durant les huit mois qu’il y resta, il put voir souvent passer M. 

2318. (1890) La fin d’un art. Conclusions esthétiques sur le théâtre pp. 7-26

Puisque la sensibilité plus aiguë de l’artiste lui procure, dans la vie vécue ou vue, des admirations plus délicates et de plus parfaites contemplations, que va-t-il peiner pour réfléchir sur la toile, sur le papier ou sur le marbre, un reflet plus ou moins pâle de l’émotion déjà passée ? […] Athènes ne fut plus digne de comparer sans rougir ses tares nouvelles et sa pureté passée. […] L’an passé, le dernier dont on ait les statistiques, les théâtres parisiens atteignirent à des recettes jusqu’alors inconnues. […] Le temps viendra où l’art sera une chose du passé, une création faite une fois pour toutes, création des âges non réfléchis, qu’on adorera, tout en reconnaissant qu’il n’y a plus à en faire. » C’est le cas de l’art du théâtre, comme il ressort du présent examen, poursuivi en toute bonne foi.

2319. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XX. La fin du théâtre » pp. 241-268

Puisque la sensibilité plus aiguë de l’artiste lui procure, dans la vie vécue ou vue, des admirations plus délicates et de plus parfaites contemplations, que va-t-il peiner pour réfléchir sur la toile, sur le papier ou sur le marbre, un reflet plus ou moins pâle de l’émotion déjà passée ? […] Athènes ne fut plus digne de comparer sans rougir ses tares nouvelles et sa pureté passée. […] L’an passé, le dernier dont on ait les statistiques, les théâtres parisiens atteignirent à des recettes jusqu’alors inconnues. […] Le temps viendra où l’art sera une chose du passé, une création faite une fois pour toutes, création des âges non réfléchis, qu’on adorera, tout en reconnaissant qu’il n’y a plus à en faire. » C’est le cas de l’art du théâtre, comme il ressort du présent examen, poursuivi en toute bonne foi.

2320. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Un moment il parut le comprendre, et, à la vue de ces incendies fumant à travers la neige, de ces cadavres gisant sur cette plaine glacée, il s’écria : « Ce spectacle est fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre. » Mais l’impression, sincère peut-être pendant la durée d’une minute, passa vite, et le démon familier reprit possession de son âme. […] Puis il passa à la littérature moderne, la compara à l’ancienne, se montra toujours le même en fait d’art comme en fait de politique, partisan de la règle, de la beauté ordonnée, et, à propos du drame imité de Shakespeare, qui mêle la tragédie à la comédie, le terrible au burlesque, il dit à Goethe : “Je suis étonné qu’un grand esprit comme vous n’aime pas les genres tranchés.” […] Dans une histoire telle que celle qu’il traite aujourd’hui, où il est le premier à passer, et avec les incomparables matériaux qu’il a eus à sa disposition, on aurait dû, ce semble, lui souhaiter une telle méthode, s’il ne l’avait eue de lui-même. […] Tout le monde aborde et lit cette histoire, mais il n’y a qu’une manière de la lire comme il faut, en détail, les cartes sous les yeux, sans rien passer, sans rien brusquer ; ce n’est pas là un de ces livres dont on prenne idée en le parcourant.

2321. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Dans ces divers traités de savoir-vivre et de politesse, si on les rouvre dans les âges suivants, on découvre à première vue des parties qui sont aussi passées que les modes et les coupes d’habit de nos pères ; le patron évidemment a changé. […] Il hérita bientôt de la pairie à la mort de son père et passa à la Chambre des lords, dont le cadre convenait mieux peut-être à la bonne grâce, à la finesse et à l’urbanité de son éloquence. […] Le Chesterfield que nous aimons surtout à étudier est donc l’homme d’esprit et d’expérience qui n’a passé par les affaires et n’a essayé tous les rôles de la vie politique et publique que pour en savoir les moindres ressorts, et nous en dire le dernier mot ; c’est celui qui, dès sa jeunesse, fut l’ami de Pope et de Bolingbroke, l’introducteur en Angleterre de Montesquieu et de Voltaire, le correspondant de Fontenelle et de Mme de Tencin, celui que l’Académie des inscriptions adopta parmi ses membres, qui unissait l’esprit des deux nations, et qui, dans plus d’un essai spirituel, mais particulièrement dans ses Lettres à son fils, se montre à nous moraliste aimable autant que consommé, et l’un des maîtres de la vie. […] Son esprit se jouait en cent façons sur ce triste thème ; parlant de lui et de l’un de ses amis, lord Tyrawley, également vieux et infirme : « Tyrawley et moi, disait-il, voilà deux ans que nous sommes morts, mais nous n’avons pas voulu qu’on le sût. » Voltaire qui, avec la prétention d’être toujours mourant, était resté bien plus jeune, lui écrivait, le 24 octobre 1771, cette jolie lettre, signée Le vieux Malade de Ferney : … Jouissez d’une vieillesse honorable et heureuse, après avoir passé par les épreuves de la vie.

2322. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

Aujourd’hui, on est passé à une autre extrémité contraire, et on serait assez mal reçu, je pense, si on en avait la vilaine idée, de venir risquer à ce sujet le plus petit mot pour rire. […] Au siège d’Orléans, étant dans la ville, et informée par Dunois qu’un corps anglais commandé par Falstoff s’approchait pour secourir les assiégeants, elle en fut toute réjouie, et, craignant qu’on ne l’en avertît point à temps pour l’empêcher d’aller à la rencontre, elle dit à Dunois : Bâtard, bâtard au nom de Dieu (elle put bien dire : Par mon martin, mais le témoin qui dépose du fait aura jugé le mot trop peu noble), je te commande que, tantôt que tu sauras la venue dudit Falstoff, tu me le fasses savoir ; car s’il passe sans que je le sache, je te ferai couper la tête. […] Voilà la vraie douceur de Jeanne après son moment d’exaltation et quand sa fureur de guerre était passée. […] » elle se contentait d’éluder, de se taire, et baissant les yeux : « Passez, disait-elle, à autre chose. » La noble fille, enlacée à son tour par le serpent, n’osait répondre comme Hector, mais elle pensait comme lui.

2323. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Son œuvre est comme une vaste kermesse historique dont la scène se passe dans la galerie de Versailles. […] Il était mal avec Monseigneur et avec ses entours ; aussi cette nouvelle soudaine du danger où se trouvait le malade lui fut tout d’abord des plus agréables ; il le confesse sans hypocrisie : « Je passai, dit-il, la journée dans un mouvement vague de flux et de reflux, tenant l’honnête homme et le chrétien en garde contre l’homme et le courtisan. » Mais il a beau faire et se tenir de son mieux, l’homme naturel l’emporte, et il se laisse aller à des espérances riantes d’avenir ; car il était très bien avec la petite cour du duc de Bourgogne, lequel, par la mort de son père, se trouvait ainsi à la veille de régner. […] Le pauvre duc du Maine et tous ses adhérents y passent. […] Il s’indignait de voir autour de lui ces types de plate et servile courtisanerie, cette race des Villeroi, des Dangeau, des d’Antin, et il ne prévoyait pas encore, dans un avenir prochain, ces autres extrêmes et qui ne l’auraient pas moins désolé, ces gentilshommes passés à la démocratie et la guidant à l’assaut, les Mirabeau, les La Fayette, les Lameth, et le plus excentriquement démocrate de tous, son propre descendant à lui-même.

2324. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

Il passa toute la soirée seul avec eux et avec un frère de M.  […] Necker en matière religieuse, c’est la sincérité parfaite, c’est l’onction, un sentiment profond et persuasif qui passe dans ses paroles, et qui remplace souvent la métaphysique par une morale touchante. […] Necker, à ce moment, ne trouve aucune image au-dessus de sa situation personnelle ; au milieu de tous ces reproches d’ingratitude qu’il exhale, il lui semble encore qu’il use de clémence : « Comme le Prophète, après être venu sur la montagne pour maudire, je ne voulais y rester que pour bénir. » Un si grand tumulte de cœur, dans une situation qui était véritablement amère et cruelle, dépasse pourtant ce qu’on a droit d’attendre d’un homme d’État ferme, et qui a mesuré d’avance les chemins par où il faut passer : c’est qu’aussi M.  […] C’est une réflexion que j’ai souvent faite avec les autres ministres du roi ; et, quoique mon caractère soit malheureusement inquiet, quoique toute ma vie j’aie porté mes regards en arrière pour me juger encore dans les choses passées, quoique mon esprit se soit ainsi chargé de toute la partie des remords dont ma conscience n’eut jamais que faire, néanmoins, et à mon propre étonnement, je cherche en vain à me faire un reproche.

2325. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Henri Heine »

puisque Henri Heine voulait désaltérer un esprit, divinement souffrant, qui n’aurait dû boire que ses larmes, dans les eaux troubles et courantes de ces philosophies qui passent si vite en Allemagne et tout à coup y tarissent, on peut se demander pourquoi il n’est pas allé à M. de Schelling, attiré par la sympathie des grandes facultés fraternelles ? […] Nous voulons croire que comme cet autre glorieux grabataire, ce Milton de l’Histoire, qui a dit : « Dieu doit me regarder avec plus de tendresse et de pitié, parce que je ne puis voir que lui », Heine, le grand et charmant poète, reviendra à la source de cette lumière qui passe si bien, pour inonder une âme, à travers de pauvres yeux fermés. […] C’est Bonald, le grand Bonald, à présent dédaigné, mais qui un jour reprendra d’autorité, si le monde n’est pas irrémédiablement assotti, le respect immense qu’on lui doit ; c’est Bonald qui définissait superbement l’homme : « Une intelligence servie par des organes. » Eh bien, Henri Heine a montré plus superbement encore que Bonald lui-même ne l’avait dit, que l’intelligence pouvait se passer même des organes ! […] Aussi passa-t-il quatre-vingts ans à se droguer, vivant de café, de médecines et de clystères, dont il parlait souvent, comme Scarron, et dont il tirait des effets d’une bonhomie ou d’une hypocrisie comique… Mais ces maux qui ne tuèrent pas Voltaire, tandis que Henri Heine est mort des siens, sont aussi différents des maux de Heine que sa pâle poésie est différente de la poésie du grand poète allemand, lequel reste supérieur à Voltaire autant par la beauté de son génie poétique que par la sincérité tragique de ses douleurs.

2326. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Dans le paradis terrestre (qu’on le suppose passé ou à venir, souvenir ou prophétie, comme les théologiens ou comme les socialistes), dans le paradis terrestre, c’est-à-dire dans le milieu où il semblait à l’homme que toutes les choses créées étaient bonnes, la joie n’était pas dans le rire. […] Pour trouver du comique féroce et très-féroce, il faut passer la Manche et visiter les royaumes brumeux du spleen. […] Pierrot passe devant une femme qui lave le carreau de sa porte : après lui avoir dévalisé les poches, il veut faire passer dans les siennes l’éponge, le balai, le baquet et l’eau elle-même. — Quant à la manière dont il essayait de lui exprimer son amour, chacun peut se le figurer par les souvenirs qu’il a gardés de la contemplation des mœurs phanérogamiques des singes, dans la célèbre cage du Jardin-des-Plantes.

2327. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXIX » pp. 117-125

La politique est à plat, les ministres sont en vacances, les reines voyagent, le duc de Nemours voyage ; on harangue, on danse et l’on passe des revues. […] Il a ses romanciers, ses poëtes, ses économistes : celui qui se laisse enrôler est à l’instant choyé, adopté, loué par toutes les trompettes catholiques ; de plus il se vend et se débite à merveille, et le grand nerf, la grande ficelle du jour, le pecunia, est au bout. — Tous les jours il arrive que tel jeune romancier, tel jeune économiste qui a passé par les feuilles et les feuilletons de la littérature courante vient vous déclarer qu’il ne peut plus continuer sa collaboration, parce qu’il est devenu catholique : cela veut dire qu’il a trouvé un meilleur placement. — Pour tout dire, les condottieri de plume abondent aujourd’hui, ils battent le pavé de Paris, et le clergé a moyen de les enrôler.

2328. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Sur l’École française d’Athènes »

Sans se croire tout à fait au temps où le savant Philelphe épousait une femme grecque pour mettre la dernière main à son érudition et se polir à la langue jusque dans son ménage, on peut se dire que, du moment que la Grèce renaît aux doctes et sérieuses études de son passé, elle est plus voisine que nous du but et infiniment plus près de redevenir vivante. […] Il n’y a jamais eu, nous disent de bons témoins, tant de passé, de présent et d’avenir dans un si petit espace.

2329. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De la tendresse filiale, paternelle et conjugale. »

Dans la seconde supposition, peut-être la plus naturelle, le sentiment maternel, accoutumé par les soins qu’il donne à la première enfance, à se passer de toute espèce de retour, fait éprouver des jouissances très vives et très pures, qui portent souvent tous les caractères de la passion, sans exposer à d’autres orages que ceux du sort, et non des mouvements intérieurs de l’âme ; mais il est si tristement prouvé que, dès que le besoin de la réciprocité commence, le bonheur des sentiments s’altère, que l’enfance est l’époque de la vie, qui inspire à la plupart des parents l’attachement le plus vif, soit que l’empire absolu qu’on exerce alors sur les enfants, les identifie avec vous-mêmes, soit que leur dépendance inspire une sorte d’intérêt, qui attache plus que les succès mêmes qu’ils ne doivent qu’à eux, soit que tout ce qu’on attend des enfants alors, étant en espérance, on possède à la fois ce qu’il y a de plus doux dans la vérité et l’illusion, le sentiment qu’on éprouve, et celui qu’on se flatte d’obtenir. […] L’éducation, sans doute, influe beaucoup sur l’esprit et le caractère, mais il est plus aisé d’inspirer à son élève ses opinions que ses volontés ; le moi de votre enfant se compose de vos leçons, des livres que vous lui avez donnés, des personnes dont vous l’avez entouré, mais quoique vous puissiez reconnaître partout vos traces, vos ordres n’ont plus le même empire ; vous avez formé un homme, mais ce qu’il a pris de vous est devenu lui, et sert autant que ses propres réflexions à composer son indépendance : enfin, les générations successives étant souvent appelées par la durée de la vie de l’homme à exister simultanément, les pères et les enfants, dans la réciprocité de sentiments qu’ils veulent les uns des autres, oublient presque toujours de quel différent point de vue ils considèrent le monde ; la glace, qui renverse les objets qu’elle présente, les dénature moins que l’âge qui les place dans l’avenir ou dans le passé.

2330. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 1. Éléments et développement de la langue. »

Dans sa forme indigente de langue synthétique dégénérée, l’ancien français enveloppe et manifeste déjà un génie analytique : organisme mixte qui relie les formes extrêmes, et nous aide à passer du latin, si riche des six cas de sa déclinaison, au français moderne qui n’en a pas. […] Ces dialectes se groupent en deux langues, langue d’or et langue d’oïl, provençal et français, dont les domaines seraient séparés à peu près par une ligne qu’on tirerait de l’embouchure de la Gironde aux Alpes en la faisant passer par Limoges, Clermont-Ferrand et Grenoble.

2331. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

Pour rien, pour un bibelot d’étagère, il devient jaloux du passé de sa maîtresse, cherche un duel absurde et y est tué. […] (Les Ames du Purgatoire.) — Une statue antique de Vénus va, la nuit, étouffer dans ses bras d’airain un beau garçon qui, par jeu, lui a passé au doigt son anneau de fiançailles.

2332. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « George Sand. »

Mais ne trouvez-vous pas qu’en tenant compte de la différence des temps il s’est passé dans notre siècle quelque chose d’assez semblable ? […] Puis, à mesure que le temps passe, ces personnages deviennent moins déplaisants.

2333. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

Tous les travaux des champs y seront décrits, et le Manuel du parfait laboureur y passera tout entier. […] Cela se passera au vingtième siècle.

2334. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « L’exposition Bodinier »

Si quelque industriel hardi et insinuant décidait, par son éloquence ou par des cachets sérieux, nos principales « illustrations » à venir passer tous les jours une demi-heure dans quelque salle entièrement vitrée, sur le boulevard, et admettait le public à les voir  pour de l’argent  ne pensez-vous pas qu’il ferait plus rapidement fortune qu’un directeur de ménagerie ou de musée anthropologique ? […]   C’est une revue amusante à passer.

2335. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Et, pareillement, personne ne fut plus vite déclaré classique que cet écrivain dont les contes les plus illustres se passaient dans les couvents de La Fontaine rebaptisés de leur vrai nom. […] Bref, c’est l’humanité supérieure qui fait sa rentrée dans l’œuvre de Maupassant ; et l’humanité supérieure est faite, en somme, de tout l’idéalisme du passé et de ses plus nobles rêves ; et les décrire ainsi et de ce ton, ce n’est peut-être pas y croire, mais ce n’est plus les répudier.

2336. (1890) L’avenir de la science « XX »

Chez nous, on accorde à l’art quelques subventions péniblement marchandées, non par le besoin qu’on éprouve de voir la pensée nationale traduite en grandes œuvres, non par l’impulsion intime qui porte l’homme à réaliser la beauté, mais par une vue réfléchie et critique, parce qu’on reconnaît, on ne sait trop pourquoi, que l’art doit avoir sa place et qu’on ne veut pas rester en arrière du passé. […] Un gentleman rider, fût-il un homme complètement nul, peut passer pour un modèle de fashion.

2337. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Quimper »

Je passe l’été près de Perros, au milieu d’un hameau de très pauvres gens ; notre petite aisance doit leur paraître de la richesse ; mais, comme dit Dante, « cela ne leur abaisse pas le cil ». […] Nous passons dans le monde pour d’affreux réactionnaires ; nous sommes, je vous l’assure, de très bons libéraux.

2338. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XII. Ambassade de Jean prisonnier vers Jésus  Mort de Jean  Rapports de son école avec celle de Jésus. »

Les mondains, qui reconnurent en lui leur véritable ennemi, ne purent permettre qu’il vécût ; son cadavre mutilé, étendu sur le seuil du christianisme, traça la voie sanglante où tant d’autres devaient passer après lui. […] La vraie école de celui-ci, à demi fondue avec le christianisme, passa à l’état de petite hérésie chrétienne et s’éteignit obscurément.

2339. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 39-51

Qui pourroit n’être pas révolté de le voir recueillir soigneusement les éloges qu’il a reçus de M. de Voltaire dans des Lettres particulieres ; de lui entendre répéter, au sujet de son Eloge de Fénélon, que c’est-là le style des Grands Maîtres , que c’est le Génie du grand Siecle passé, fondu dans la Philosophie du Siecle présent  ; &, au sujet de sa Mélanie, que l’Europe attendoit cette Piece avec impatience ? […] Et, pour passer à des raisons plus graves, que deviendroit la Philosophie, si le Mercure cessoit d’être un entrepôt de louanges destinées à consoler ses partisans, un arsenal d’où il puisse partir une artillerie capable d’effrayer les Rebelles, un bureau d’adresse pour les Lettres, les Réponses, les Répliques, & toutes les honnêtes industries qu’elle sait si habilement employer ; un magasin de gentillesses, d’ironies, d’épigrammes ?

2340. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

« Telles que soient ces Réflexions sommaires, mes chers enfans, je les crois suffisantes pour vous donner une notion claire des objets que j’ai fait passer tour-à-tour sous vos yeux ; c’est à vous à vous approprier ces idées, à les éten dre, & à suppléer de vous-mêmes les détails que j’ai passés sous silence.

2341. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean de Meun, et les femmes de la cour de Philippe-le-Bel. » pp. 95-104

Il passe en revue toutes les héroïnes de l’antiquité sacrée & profane. […] On baissa les ponts-levis ; &, lorsque Richelet les eut passés, on les releva, de manière qu’il fut obligé de faire cinq quarts de lieue pour gagner une maison, n’y ayant point alors de fauxbourg de ce côté-là.

2342. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Pour dominer et réduire l’instinct, c’est-à-dire la Révolution, il fallait revenir à l’école du passé. […] Les tendances générales nous semblent être : Le retour à la simplicité, à la tradition française qui compte autant avec l’avenir qu’avec le passé, au respect des formes syntaxiques ; l’abandon presque complet du vers-libre qui a pourtant donné de beaux poèmes ; le dédain des émotions factices ; le souci du fait social sans toutefois lui laisser la prédominance ; la Renaissance de la critique.

2343. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Sand ; Octave Feuillet »

Le prêtre catholique que madame George Sand a peint plus d’une fois dans sa vie y est repris et peint une dernière… mais on ne reconnaît plus ici le pinceau qui fit passer devant nos yeux, dans Lélia, le prêtre Magnus et le cardinal Annibal. […] Si vous ajoutez, en effet, aux livres que je viens d’énumérer, le livre de Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, le Victor Hugo chez lui par un passant… qui n’a pas assez vite passé !

2344. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

On se rappelle le mot d’un officier français qui, à la tête d’une compagnie de gardes, venait d’assister à la dédicace d’une des statues de Louis XIV ; en revenant, il passa avec sa troupe devant la statue de Henri IV : « Mes amis, dit-il, saluons celui-ci, il en vaut bien un autre, et en même temps il fit baisser les drapeaux jusqu’à terre. […] Les recherches des délateurs nous ont ôté jusqu’à la liberté de parler et d’entendre, et nous eussions perdu le souvenir même avec la voix, s’il était aussi facile à l’homme d’oublier que de se taire44. » Il se représente ensuite, au sortir du règne de Domitien, comme échappé aux chaînes et à la mort, survivant aux autres, et, pour ainsi dire, à lui-même, privé de quinze ans de sa vie, qui se sont écoulés dans l’inaction et le silence, mais voulant du moins employer les restes d’un talent faible et d’une voix presque éteinte, à transmettre à la postérité et l’esclavage passé, et la félicité présente de Rome.

2345. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre III. Trois espèces de jurisprudences, d’autorités, de raisons ; corollaires relatifs à la politique et au droit des Romains » pp. 299-308

Corollaire relatif à la sagesse politique des anciens Romains Ici se présente une question à laquelle il semble bien difficile de répondre : lorsque Rome était encore peu avancée dans la civilisation, ses citoyens passaient pour de sages politiques ; et dans le siècle le plus éclairé de l’empire, Ulpien se plaint qu’ un petit nombre d’hommes expérimentés possèdent la science du gouvernement . […] Faute d’avoir compris cette vérité, les jurisconsultes et les interprètes du droit sont tombés dans la même erreur que les historiens de Rome, qui nous racontent que telles lois ont été faites à telle époque, sans remarquer les rapports qu’elles devaient avoir avec les différents états par lesquels passa la république.

2346. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

On glanerait également chez Boileau le petit nombre de vers qui peuvent passer pour des traits de peinture naturelle ; on ne trouverait guère que l’Épître à M. de Lamoignon, dans laquelle s’aperçoivent ces noyers, souvent du passant insultés, accompagnés de quelques frais détails, encore plus ingénieux que champêtres. […] Ceux qui se font de cette terre des espèces de limbes grises et froides, qui n’y voient que redoutable crépuscule et qu’exil, ceux-là peuvent y passer et en sortir sans même s’apercevoir, comme Philoctète au moment du départ, que les fontaines étaient douces dans cette Lemnos si longtemps amère. […] Pour n’en citer qu’un exemple, le pèlerinage de Virginie et de son frère à la Rivière-Noire est fait, dans le Voyage, par Bernardin accompagné de son nègre, et lorsqu’au retour, avant d’arriver au morne des Trois-Mamelles, il faut traverser la rivière à gué, le nègre passe son maître sur ses épaules : dans le roman, c’est Paul qui prend Virginie sur son dos. […] Obtenez-moi un trou de lapin pour passer l’été à la campagne » ; les anciens disaient un trou de lézard. […] Dans tout le discours du colon : « Je passe donc mes jours loin des hommes, etc. », il a tracé son portrait idéal et son rêve de fin de vie heureuse.

2347. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

. — Ainsi, dans tout l’ordre social et moral, le passé justifie le présent ; l’antiquité sert de titre, et si, au-dessous de toutes ces assises consolidées par l’âge, on cherche dans les profondeurs souterraines le dernier roc primordial, on le trouve dans la volonté divine. — Pendant tout le dix-septième siècle, cette théorie subsiste encore au fond de toutes les âmes sous forme d’habitude fixe et de respect inné ; on ne la soumet pas à l’examen. […] La raison classique ne peut se mettre à ce point de vue. — Les titres passés et présents de la tradition sont méconnus. — La raison entreprend de la détruire. […] Pour faire passer son Esprit des lois, Montesquieu faisait de l’esprit sur les lois. […] Incertaines, inutiles, elles ne sont qu’une pâture pour les disputeurs et les oisifs418. « Qui voudrait passer sa vie en de stériles contemplations, si chacun, ne consultant que les devoirs de l’homme et les besoins de la nature, n’avait de temps que pour la patrie, pour les malheureux et pour ses amis. » — À quoi bon les beaux-arts ? […] Les coups de bâton qu’il distribue, les violences qu’il commet, les meurtres et les assassinats dont il se rend coupable, ne sont-ce pas des affaires qu’on assoupit et dont au bout de six mois il n’est plus question   Que ce même homme soit volé, toute la police est aussitôt en mouvement, et malheur aux innocents qu’il soupçonne   Passe-t-il dans un lieu dangereux, voilà les escortes en campagne

2348. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

C’est là que Voltaire, dans la plénitude de son génie, passa plusieurs années, les plus douces et les plus fécondes de sa vie, dans le sein de l’amitié qui double les forces de l’âme. […] Il passa quelques mois d’hiver à Colmar, enfermé dans sa chambre, occupé à rédiger les annales de l’empire germanique, travail ingrat et sans gloire, qu’il s’était imposé pour complaire à une princesse, sœur de Frédéric II. Au printemps, il alla passer quelques mois dans l’abbaye de Senones, auprès du savant dom Calmet, religieux d’une érudition immense et indigeste, mais d’un caractère naïf et tolérant, qui plaisait beaucoup à Voltaire. […] Il y passait les hivers, il y faisait jouer la tragédie et la comédie sur des théâtres domestiques, il y rassemblait la société élégante et lettrée de Lausanne, il y représentait lui-même avec un remarquable talent les rôles de vieillard dans les grands drames anciens ou nouveaux. […] Il vivait par son immortalité dans le monde passé, présent, futur, et le monde vivait en lui ; voilà pourquoi il était toujours jeune.

2349. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

Tout en lui contredit le présent, tout représente un passe qu on déteste ou qu’on méprise. […] Dans ces deux cadres viennent s’entasser discussions théologiques renouvelées de Calvin et de Bèze, anecdotes salées sur les moines qui semblent venir de l’Apologie pour Hérodote, invectives violentes, mordantes railleries, énormes bouffonneries ; tous les adversaires de l’auteur, tous ceux qui ont mérité sa haine ou trahi son espoir, jusqu’au roi lui-même, y passent. […] A vrai dire, il n’était pas en la puissance du passé de barrer la route à l’avenir ; et contre l’école de Malherbe, ce n’était pas Ronsard, ni Desportes, ni Bertaut, et leurs suivants, c’était quelque chose d’aussi moderne, d’aussi nouveau, de conforme aussi à certains besoins du présent, qui pouvait seul lutter avec succès. […] Par l’Espagne, cependant, quelque chose du moyen âge passera dans le roman moderne. […] On ne sait pas encore marcher, on danse ; et toute la vigueur du corps robuste passe dans le bras qui arrondit un salut.

2350. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Et le frais papillon, libertin de l’azur, Qui chiffonne gaîment une fleur demi-nue, Si je viens à passer dans l’ombre, continue ; Et si la fleur se veut cacher dans le gazon, Il lui dit : « Es-tu bête !  […] Il est certain que cette Légende des siècles, ce livre du passé et des faits réels, est comme un regard longtemps égaré dans lequel afflueraient de nouveau l’intelligence, le rayon visuel et la lumière, et que ce n’est plus là toujours la fixité effarée de cette pupille dilatée naguères sur les choses de l’avenir, et qui s’efforçait d’en violer les voiles ! Il est certain que le poète s’est retrempé dans les sains courants de la tradition, et que dans son esprit et dans son livre, l’Histoire a, — comme partout, du reste, où elle intervient et elle passe, — heureusement foulé la Philosophie sous ses pieds ! […] Le nouveau Dante n’a guère vu que l’enfer du passé dans l’histoire, mais d’y avoir regardé, fût-ce dans sa partie la plus sanglante, la plus confuse et la plus sombre, a été un bénéfice net pour son génie, peu fait pour le vague des passions modernes, les nuances des âmes délicates ou morbides et les espérances mystico-scientifiques des vieilles civilisations. […] C’est ce génie qui, de nature, nous appartient à nous autres, chrétiens, gens du passe, intelligences historiques, et qui en nous trahissant s’est encore plus trahi que nous ; c’est cette imagination heureusement indomptable, quoiqu’on lui ait mis des caparaçons bien étranges et des caveçons presque honteux, qui n’a pas voulu rester ce que Dieu l’avait faite pour sa gloire et la sienne, et qui s’est transformée en contemptrice aveugle de ce passé qui lui donne son talent encore, lorsqu’elle le peint en le ravalant !

2351. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Elle passe dans ce roman, qui est son histoire, comme ces natures supérieures qui ne savent pas aimer au-dessous d’elles, et qui s’en vont de ce monde sans donner leur main à un de ces êtres misérables que les femmes qui n’ont dégoût de rien, même de ce qu’elles méprisent, se résignent souvent à épouser. […] Je ne reprocherai donc pas à l’auteur des Frères Zemganno d’avoir abaissé son sujet en choisissant deux clowns pour incarner dans ces deux hommes, qui semblent n’avoir qu’un corps et qui passent leur vie à le retourner comme une paire de gants, un superbe sentiment, un de ces sentiments qui impliquent une âme élevée et charmante. […] c’est pour les cœurs profonds, les cœurs jaloux et les cœurs fiers, que la comédienne est dangereuse, puisque son art est de ne plus être une âme humaine comme la nôtre, mais un protéisme d’apparences qui passent et qu’elle rappelle à son gré avec la puissance évocatrice d’une magicienne, qui charme et qu’on ne charme pas !! […] Et c’est ainsi que j’aurais terminé mon roman s’il m’était passé dans la tête de peindre, comme M. de Goncourt, une grande comédienne. […] M. de Goncourt est trop haut dans l’estime et dans l’admiration publiques, il a trop de passé, pour que la critique se taise sur ce qu’il a dit quand il a parlé… Seulement, pourquoi, dans sa Faustin, n’a-t-il rien dit de grand ?

2352. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

Et il faut certainement remarquer que ceci aurait pu et pourrait passer pour être à tendances religieuses. […] L’article était absurde en soi ; mais comme il était despotique, il passa très facilement. […] Tout cela est absolument passé. […] Qu’il passe à une nation qui ait cette force militaire et cette force navale à laquelle nous ne tenons pas. […] Cela rentre dans notre habitude, qui est de ne jamais nous occuper de ce qui se passe de l’autre côté de notre frontière.

2353. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Lorsqu’on lit l’Iliade, on sent à chaque instant qu’Homère a fait la guerre, et n’a pas, comme le disent les commentateurs, passé sa vie dans les écoles de Chio ; quand on lit l’Énéide, on sent que…, etc., etc. » Je supprime le reste comme par trop irrévérencieux. […] Les amants de Pénélope eux-mêmes, dans leur ivresse, ne passent pas de certaines bornes ; mais laissons encore une fois l’Odyssée, plus diverse de ton. […] Aussi, en les abordant, en écoutant cette grande voix du passé par la bouche du chantre que la Muse s’est choisi, on n’a à gagner en toute sécurité qu’un je ne sais quoi de grandeur morale, une impulsion élevée de sentiments et de langage, un accès de retour vers le culte de ces pensées trop désertées qui restaurent et honorent l’humaine nature : c’est là, après tout, et la part faite aux circonstances éphémères, ce qu’il convient d’extraire des œuvres durables, et l’âme vivante qu’il y faut respirer.

2354. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Ou dans un autre sens : Le temps des abstractions est passé ; l’ordre social est raffermi sur ses bases, etc. […] Les barrières imposées par des convenances respectables servent, comme je l’ai dit, aux succès mêmes de l’éloquence ; mais lorsque, par condescendance pour l’injustice ou l’égoïsme, l’on est obligé de réprimer les mouvements d’une âme élevée, lorsque ce sont non seulement les faits et leur application qu’il faut éviter, mais jusqu’aux considérations générales qui pourraient offrir à la pensée tout l’ensemble des idées vraies, toute l’énergie des sentiments honnêtes, aucun homme soumis à de telles contraintes ne peut être éloquent, et l’orateur encore estimable, qui doit parler dans de telles circonstances, choisira naturellement les phrases usées, celles sur lesquelles l’expérience des passions a été déjà faite, celles qui, reconnues inoffensives, passent à travers toutes les fureurs sans les exciter. […] Quand on se rappelle les visages froids et composés que l’on rencontre dans le monde, j’en conviens, on croit impossible de remuer les cœurs ; mais la plupart des hommes connus sont engagés par leurs actions passées, par leurs intérêts, par leurs relations politiques.

2355. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

D’autant que par Taine s’est vulgarisée une notion qui a donné aux romanciers une haute idée de leur fonction : la base de l’histoire doit être la psychologie scientifique, et « ce que les historiens font sur le passé, les grands romanciers et dramatistes le font sur le présent861 ». […] De bonne heure, sans doute, il a passé de la déduction à l’induction ; et il s’est imposé de procéder toujours par la méthode expérimentale, la seule scientifique, à son gré, hors des mathématiques. […] Il avait dès 1829 commencé à faire des Portraits littéraires : en 1850, il entreprit dans le Constitutionnel la série des Causeries du lundi: il passa ensuite au Moniteur et au Temps

2356. (1863) Molière et la comédie italienne « Textes et documents » pp. 353-376

La scène se passe à Constantinople. […] Le valet n’imagine rien de mieux, pour exécuter l’ordre de son maître que de faire passer Flavia pour cette Emilia, et d’arracher au père qui n’a jamais vu sa fille l’argent nécessaire à la rançon de l’esclave. […] Mezzetin, pour le toucher, lui offrit le tiers de la récompense qu’il recevrait de son maître, et passa au moyen de cette promesse.

2357. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

Il faudra bien, dit-il, que le courant passe, et la façon dont ce courant sera distribué sur la surface définira une fonction dont les singularités seront précisément celles qui sont prévues par l’énoncé. […] Reconnaîtrait-on avec un peu d’attention que cette intuition pure elle-même ne saurait se passer du secours des sens ? […] Heureux donc ceux qui peuvent se passer de cet appui !

2358. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

Or, de tous les personnages du passé, dont le souvenir venait comme les songes d’une nuit troublée réveiller et agiter le peuple, le plus grand était Élie. […] Mais, loin que le baptiste ait abdiqué devant Jésus, Jésus, pendant tout le temps qu’il passa près de lui, le reconnut pour supérieur et ne développa son propre génie que timidement. […] Les deux mots ont, du reste, des significations analogues et semblent indiquer un endroit où il y avait un bac pour passer la rivière.

2359. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

Aucun grand événement de l’histoire ne s’est passé sans donner lieu à un cycle de fables, et Jésus n’eût pu, quand il l’eût voulu, couper court à ces créations populaires. […] Que jamais Jésus n’ait songé à se faire passer pour une incarnation de Dieu lui-même, c’est ce dont on ne saurait douter. […] Au moins faut-il distinguer profondément les sociétés comme la nôtre, où tout se passe au plein jour de la réflexion, des sociétés naïves et crédules, où sont nées les croyances qui ont dominé les siècles.

2360. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVII. Forme définitive des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

» devint une sorte de mot de passe que les croyants se disaient entre eux pour se fortifier dans leur foi et leurs espérances. […] Mais ses déclarations sur la proximité de la catastrophe ne laissent lieu à aucune équivoque 796. « La génération présente, disait-il, ne passera pas sans que tout cela s’accomplisse. […] L’humanité avait passé à un autre royaume de Dieu.

2361. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Dernière semaine de Jésus. »

Pour Jésus, selon sa coutume, il alla passer la nuit à son cher village de Béthanie 1059. […] Sur le moment, ce repas ne frappa personne, et à part les appréhensions dont le maître fit la confidence à ses disciples, qui ne comprirent qu’à demi, il ne s’y passa rien d’extraordinaire. […] Comme, d’ailleurs, une des idées fondamentales des premiers chrétiens était que la mort de Jésus avait été un sacrifice, remplaçant tous ceux de l’ancienne Loi, la « Cène », qu’on supposait s’être passée une fois pour toutes la veille de la Passion, devint le sacrifice par excellence, l’acte constitutif de la nouvelle alliance, le signe du sang répandu pour le salut de tous 1078.

2362. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

De ce début tout physiologique, nous passons à la première classe de phénomènes appartenant proprement à l’esprit. […] Et maintenant si l’on remarque que les images peintes sur la rétine sont les matériaux de la vision, qu’ils servent à nous suggérer une construction mentale qui seule constitue la vision proprement dite, « qu’il se produit dans l’esprit, à la vue d’un objet extérieur, un agrégat d’impressions passées que l’impression du moment suggère et ne constitue pas » ; on comprend qu’il importe peu que ces matériaux qui servent au travail ultérieur de l’esprit soient fournis par deux images, comme dans l’homme, ou par des milliers comme dans l’insecte. […] III Avant de pénétrer dans une région plus élevée de la psychologie, en allant des sensations à la pensée, il nous reste à passer en revue, d’une manière aussi complète que possible, tous les phénomènes qui sont la matière brute de l’intelligence et de la volonté.

2363. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

Entre la première et la seconde partie de la trilogie, dix ans ont passé. […] L’âme d’Electre a passé dans ce Chœur farouche, esclave de son deuil et de sa vengeance. […] Elle passe sur la scène, pleurant son nourrisson avec de doux radotages.

2364. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Il devoit en être de leur querelle, née dans le sein de la cour, comme de tant d’intrigues qui s’y passent, qui se bornent à brouiller quelques hommes & quelques femmes, & qui, après avoir fait tenir beaucoup de bons ou de mauvais propos, finissent par être oubliées. […] On parla beaucoup de sa liaison, innocente sans doute, mais qui passa longtemps pour suspecte, avec Lacombe, barnabite, natif de Tonon en Savoye, homme débauché dans sa jeunesse, dévot & mystique dans l’âge mur, & mort fou. […] Saint Hyacinthe, connu par la part qu’il eut à la plaisanterie de Mathanastus, passa pour leur fils Bossuet, raconte-t-on, étoit très-jeune lorsqu’il contracta cet engagement.

2365. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VI. Les localisations cérébrales »

Si des crânes nous passons au cerveau, la difficulté est d’y déterminer avec précision des organes vraiment distincts. […] Flourens ne peuvent pas aller jusque-là, car il est bien difficile de savoir au juste ce qui se passe dans une tête de poule ou de pigeon, et affirmer que les facultés disparaissent ou reparaissent toutes à la fois dépasse peut-être ce que notre science sait de la psychologie des poules. […] Ces faits sans doute sont extrêmement curieux : toujours est-il que le cœur ne fait que recevoir le contre-coup de ce qui se passe dans le cerveau : c’est dans le cerveau qu’a lieu le phénomène initial, et de celui-là nous n’avons nulle conscience.

2366. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Personne ne sait sans doute ce que dans la crise a pu penser et souffrir cette nature d’airain ; mais le flot passé, nous l’avons vu reparaître avec la même sérénité, la même inflexibilité, le même ressort qu’auparavant. […] Il avait pour soutenir sa vie nouvelle deux sentiments énergiques et également puissants, le souvenir du passé et le besoin d’action. […] D’une part, ils soutiennent avec Condillac que toutes nos idées viennent des sens, et par là ils sont logiquement conduits à nier tout ce qui est au-delà ; de l’autre ils invoquent une prétendue loi historique d’après laquelle l’homme passerait de l’état théologique à l’état métaphysique, et de l’état métaphysique à l’état positif.

2367. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

… Cette Sœur Emmerich, que l’Église placera peut-être un jour entre les Brigitte et les Thérèse, aurait passé de l’extase au ciel, laissant dans les quelques yeux défiants, envieux, épouvantés, de ceux qui la virent, l’impression, ensevelie maintenant avec eux, d’un spectacle incompréhensible ! […] » Si la sainte Mystique, fille de l’extase, n’a pas la vision surnaturelle de la vérité, elle a certainement le génie de la vraisemblance qui, — le mot le dit, — passe bien près de la vérité. […] La vision de la sœur Emmerich, c’est, qu’on me passe le mot, l’individualisation des personnages des livres saints.

2368. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Il prêchera Jésus dans Athènes, et le plus savant de ses sénateurs passera de l’aréopage en l’école de ce barbare. […] Bossuet est si assuré de ne pas trop s’attacher à la figure de ce monde qui passe, qu’il n’a pas peur de se montrer sensible à tout ce que l’homme y fait de grand. […] Plusieurs mois se passèrent ainsi. […] Il établit subtilement qu’il n’a pas pu mentir, parce qu’il y aurait moins gagné qu’à rester vrai, comme s’il eût plus craint de passer pour maladroit que pour menteur. […] Bossuet, défenseur de l’universel, de la tradition, eut l’avantage de se passer des petites raisons ingénieuses qui font suspecter la bonne foi.

2369. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

On reproche aux abréviateurs des Transactions Philosophiques, d’avoir fait un choix plûtôt qu’un abregé, parce qu’ils ont passé plusieurs mémoires, par la seule raison que ces mémoires n’étoient pas de leur goût. […] Il commença à enseigner ses erreurs en Egypte, & passa ensuite à Rome où il se fit des disciples appellés Valentiniens. […] Nous n’avons pas été si heureux : ces finesses & cette exactitude grammaticale ont passé pour des minuties indignes de l’attention des personnes élevées. […] Le Livre de Ciceron à la loüange de Caton, & les anti-Catons de César, n’ont point passé à la postérité. […] Je l’ai appris en me rappellant ce qui s’est passé à ce sujet par rapport à moi.

2370. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

Expérience faite, je suis sûr de le retrouver quand il me plaira ; de sa présence constatée toutes les fois qu’à la lumière j’ai tourné les yeux vers lui, j’induis sa présence constante, toutes les circonstances demeurant les mêmes, en quelque moment du temps que j’aie tourné ou que je doive tourner les yeux sur lui, en un moment quelconque du passé et de l’avenir ; il les occupe donc tous. […] Dans tous ces cas, les choses se passent comme lorsqu’un ébranlement spontané du nerf acoustique nous fait entendre et placer à telle distance et dans telle direction un son que nulle vibration de l’air extérieur n’a produit. […] D’ordinaire, leur cristallin, quoique opaque, laisse déjà passer un peu de lumière ; l’aveugle de Cheselden distinguait au moins trois couleurs, le blanc, le noir et l’écarlate ; celui de Ware reconnaissait les couleurs quand on les approchait de ses yeux. […] « Le premier objet qu’elle remarqua fut une voiture de louage : qu’est-ce, dit-elle, que cette grande chose qui vient de passer devant nous ? […] » — C’était un soldat. — « Qu’est-ce qui vient de passer près de nous ? 

2371. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Lui qui a si ingénieusement et si justement comparé la suite des âges et des siècles à la vie d’un seul homme, lequel, existant depuis le commencement du monde jusqu’à présent, aurait eu son enfance, sa jeunesse, sa maturité, comment n’a-t-il pas reconnu que cet âge de jeunesse qu’il rejetait dans le passé était en effet le plus propre à un certain épanouissement naturel et riant, dont l’à-propos ne se retrouve plus ? […] Il semble plutôt que l’antique esprit d’Hésiode, esprit grave, religieux, positif, tout nourri de bon sens et d’apologues, ait passé de bonne heure dans la forte Étrurie, et que de ce côté il ait fait longtemps la seule part de poétique héritage. […] Il faudrait encore, si l’on voulait tout faire toucher, passer aussitôt, comme contraste, à cette idylle des deux Pécheurs, si pauvres, si souffrants, dont l’un vient de rêver qu’il avait pêché un poisson d’or ; mais toute cette richesse, comme celle du Pot au lait, s’est évanouie en un clin d’œil. […] Le Myndien me tient tout entière possédée ; mais va guetter vers la palestre de Timagète, car c’est là qu’il fréquente, c’est là qu’il lui est doux de passer le temps. […] En un mot, le sens passe à travers le refrain comme sous l’arche d’un pont.

2372. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Mais, dans les deux premiers cas, on peut d’autant mieux se passer d’elles, qu’elles ne sont bonnes qu’à donner à la critique un esprit étroit, petit et taquin. […] Un Tartuffe qui ne nous ferait point passer par une alarme si chaude. […] Dans le récit où Agnès explique à son tuteur comment elle a fait la connaissance d’Horace, n’y a-t-il pas autant d’action, plus même que nous n’en pourrions voir, si la chose se passait sur le théâtre ? […] Comment est-il possible, monsieur Lysidas, qu’elle passe ainsi du subjectif à l’objectif, et d’un sentiment naturellement obscur et confus, à des idées nettes, intéressantes, instructives ? […] Ce n’est point par l’effet d’un éclaircissement progressif de l’idéal tragique, qu’Uranie a passé du mépris de Shakespeare au culte de son génie divin.

2373. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Mais surtout pour les femmes, rien n’était pareil… Jamais il n’a passé devant la moindre coiffe sans ôter son chapeau, je dis aux femmes de chambre et qu’il connaissait pour telles… Jamais il ne lui arriva de dire rien de désobligeant à personne… Jamais devant le monde rien de déplacé ni de hasardé, mais jusqu’au moindre geste, son marcher, son port, toute sa contenance, tout mesuré, tout décent, noble, grand, majestueux et toutefois très naturel. » — Voilà le modèle, et, de près ou de loin, jusqu’à la fin de l’ancien régime, il est suivi. […] Du moins l’argent, cette fois, servit au balayeur qui passait et le ramassa. […] Jusqu’à sept ans, l’enfant passe sa vie avec des femmes de chambre qui ne lui apprennent qu’un peu de catéchisme « avec un nombre infini d’histoires de revenants ». […] Pour l’achever, on fait venir un danseur maître d’armes, et, toujours en costume d’Amour, elle prend des leçons de maintien et d’escrime. « Tout l’hiver se passe à jouer la comédie, la tragédie. » Renvoyée après le dîner, on ne la fait revenir que pour jouer du clavecin ou déclamer le monologue d’Alzire, devant une nombreuse assemblée. — Sans doute de tels excès ne sont pas ordinaires ; mais l’esprit de l’éducation est partout le même : je veux dire qu’aux yeux des parents il n’y a qu’une vie intelligible et raisonnable, celle du monde, même pour les enfants, et qu’on ne s’occupe d’eux que pour les y conduire ou pour les y préparer. […] Avec lui, on pouvait se passer de tous les autres ; sans lui, tous les autres ne servaient de rien.

2374. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Mais c’est le propre de la foi d’espérer contre l’espérance, et il n’est rien après tout que le passé ne nous autorise à attendre de l’avenir de l’humanité. […] Mais le flot de derrière pousse toujours ; les premiers rangs tombent dans le gouffre, et, quand leurs cadavres ont comblé l’abîme, les derniers venus passent de plain-pied par dessus. […] Les sages veulent construire un pont ou des bateaux : les impatients lancent à la hâte les escadrons à la nage ; les trois quarts y périssent ; mais enfin le fleuve est passé. […] Quand il s’agit de fonder l’avenir en frappant le passé, il faut de ces redoutables sapeurs, qui ne se laissent pas amollir aux pleurs de femmes et ne ménagent pas les coups de hache. […] Vienne le Napoléon qu’il nous faut, le grand organisateur politique, et il pourra se passer de la bénédiction papale et de la sanction populaire.

2375. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Ce n’est pas seulement le présent qui résonne en nous, mais encore le passé : nos émotions en apparence les plus nouvelles renferment le ressouvenir et l’écho inconscient des expériences de toute une série d’ancêtres. […] Comme certaines sensations, par exemple celle de la chaleur, peuvent passer d’une manière continue de la forme agréable à la forme pénible, on suppose théoriquement un état intermédiaire d’indifférence. […] Des mouvements passons aux sensations. […] La première étoile filante qui passe devant les yeux de l’enfant le charme sans s’être fait prévoir ni désirer ; un jeu de lumière dans le ciel est comme un sourire gratuit de la nature. […] Est-il nécessaire d’aller chercher dans les douleurs passées un point de comparaison pour sentir la volupté présente ?

2376. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Passons au troisième mode d’évolution cérébrale, que Darwin a découvert. […] L’être parlant qui confondrait l’affirmation et la négation, l’actif et le passif, le temps présent, le temps passe, le temps futur, ne serait plus qu’une « cymbale retentissante ». […] Toute représentation en fait nécessairement surgir une autre : point de perception présente sans quelque souvenir, sans quelque représentation du passé. […] Si je m’évanouis, je perds la conscience de la succession ; si je reviens à moi, je la retrouve, et je la projette instinctivement dans le vide même du passé oublie. […] Les trois éléments du temps sont représentés dans l’arc réflexe : le présent, par la cellule centrale ; le passé, par la première moitié de l’arc, que parcourt l’excitation ; l’avenir, par la seconde moitié, que parcourt la réaction.

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