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1406. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

. — Ô mère, mère chérie, ma tête me fait si mal, laissez-moi aller me promener quelque temps, me promener le long de la mer. […] « Elle cueille toutes les fleurs, elle laisse les feuilles. […] La fillette, spécialement, y apparaît à nu, tantôt se laissant mourir de désespoir, tantôt ne disant pas non au cavalier qui passe, pourvu qu’il ait bourse pleine, tantôt victime de sa paresse et de sa mauvaise conduite : Les soldats l’ont laissée Sans chemise et sans pain… Telle chanson, comme la Mal Mariée, révèle le pessimisme résigné de gens qui sentent que la vie est mauvaise, et mauvaise sans remède ; mais telle autre dit bellement la joie héroïque de l’amour, comme la Fille dans la Tour, dont voici une version mutilée : Le roi Louis est sur son pont, Tenant sa fille en son giron.

1407. (1760) Réflexions sur la poésie

Cependant, pour acquérir le droit d’être plus sévère à l’avenir, elle a pris le parti, depuis quelques années, de laisser aux poètes le choix des sujets, mais elle voit avec peine que les auteurs semblent se négliger à proportion de la liberté qu’elle leur laisse, et de la rigueur qu’elle a résolu de mettre dans ses jugements. […] Paul parlant un grec demi barbare , ne laisse pas de prouver, de convaincre, d’émouvoir, etc.

1408. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

Nous devons ignorer ce qui, dans les affaires humaines, est laissé aux combinaisons contingentes et systématiques de notre intelligence, au déploiement de nos facultés ; mais ce que nous savons fort bien, c’est qu’il y a des lois nécessaires, éternelles, immuables, des bornes immobiles que nulle puissance ne peut déplacer. […] Laissons déblayer le sol tout encombré encore de débris. […] Ainsi Virgile laissa son Énéide avec des vers qui attendent encore le dernier regard du maître.

1409. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVIII. Souvenirs d’une Cosaque »

Vous rappelez-vous Elle et Lui, un livre de Souvenirs aussi, et auquel le frère d’Alfred de Musset répondit par un autre livre… de Souvenirs encore, qui coupa le sifflet à la couleuvre qui s’était mise à siffler sur le tombeau du poëte et avait cru, de son venin, y laisser une tache immortelle ? […] Puisque nous avons de la fierté, il faut laisser tous ces extravasements et ces extravagances, odieux dans d’autres livres où des femmes déshonorent elles et leurs amants pour le seul plaisir de les déshonorer, tandis qu’ici on a au moins pour excuse l’abandon ! — l’abandon dans une société qui a exaspéré toutes les vanités de la femme jusqu’au délire de vouloir devenir des hommes contre les homme, et qui, pour les consoler de ces abandons qui prouvent bien qu’elles ne sont pas des hommes, ces pauvres orgueilleuses, ne leur a même pas laissé Dieu !

1410. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XX. Mme Gustave Haller »

Elle n’y a pas pensé et on s’en étonne ; elle a laissé l’idée d’un pareil roman à Mme Haller qui la chiffonnée. […] Quand il parut, c’est ainsi que je le traitai, en n’en parlant pas, je le traitai comme une chose légère et manquée… manquée par une femme, jolie peut-être, et qui, si elle est jolie, n’a pas besoin d’être bas-bleu… Je laissai les galantins de la Critique se ruer aux compliments, selon leur usage, dès que la moindre femme écrit la moindre chose ; et elle, je la laissai aussi faire sa compote de tous leurs compliments, entassés à la fin de son volume.

1411. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXI. Mme André Léo »

Un tel pseudonyme laisse si bien rayonner la femme, que quand il commença de poindre, il y a quelques années, dans la littérature, on ne dit point « André Léo » ainsi qu’on avait dit, tout d’abord et longtemps, masculinement, et sans se gêner, « George Sand ». […] Je me suis laissé dire qu’avant d’être délibérément femme de lettres, elle et son mari avaient professé quelque part… Le mari est mort, la femme, — sans école, — dans ses livres, professe toujours. […] Voilà où nous allons, si on laisse faire ces fourmis travailleuses qui nous préparent la société de l’avenir ; si de temps en temps, un vigoureux coup de pied du Bon Sens, dans leur fourmilière, n’écrase pas quelques-unes d’entre elles… IV Quant à André Léo, elle s’écrase elle-même sous ses livres et sous leur lourdeur.

1412. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

Une chose morte peut avoir laissé aux choses vivantes une âme, un esprit, que sais-je ? […] Entre les manières de penser et de sentir d’un peuple mort, mais qui laissa sur le front du peuple vivant comme les dernières haleines de son génie, entre la civilisation de l’un et de l’autre, il y a un lien, un rapport, une espèce de communauté qui tient à bien des causes, visibles ou mystérieuses, mais qui est. […] La force y fait tout : l’État et la famille ; une force de brigands, qui se changent peu à peu et se drapent en législateurs et en sages, mais qui, même alors, n’en est pas moins la force des brigands de caverne, lesquels ont laissé leur empreinte sur cette terre, belle comme un butin, depuis les vaincus de Thésée jusqu’aux Pallikares !

1413. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Les Césars »

, dans les monuments, dans les médailles, partout enfin où Rome a laissé trace d’elle-même. […] Il a bien senti qu’il n’y pouvait y avoir d’organisation efficace et forte sans l’esprit de suite, sans le lien qui unit, dans leurs tendances et leurs aspirations, la génération qui vit à celle qui l’a précédée et à celle qui va la suivre, et que, là où le père de famille ne laisse point à son fils d’exemple à imiter et de nom à grandir, l’organisation politique, à proprement parler, n’existe pas. […] Nul Pozzo di Borgo italique ne leur donnait le salutaire conseil qui fut donné, deux mille ans plus tard, contre la Révolution française : Laissez la cuire dans son jus !

1414. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

De ces deux êtres auxquels il devait sa couronne, Charles VII, que l’histoire appelle si amèrement « le Bien-Servi », laissa brûler l’une comme sorcière, et mettre en jugement l’autre comme concussionnaire et comme empoisonneur. […] Ainsi, quand Bossuet nous fait, à coups si rapides, son Discours sur l’histoire universelle, c’est sa marque surtout à lui, c’est le trou de boulet fait par sa puissante tête qu’il laisse dans l’histoire, beaucoup plus qu’une histoire dans la rigueur et les responsabilités du mot qu’il écrit. […] Ainsi enfin, lorsque Gibbon lui-même, Gibbon, plus près des faits déjà, plus soucieux de ce qu’ils peuvent être, moins élevé, moins général que Bossuet et que Montesquieu, roule, comme une espèce de Meschacebé historique aux larges ondes, ce magnifique récit du déclin et de la chute de l’empire romain débordant sous les écroulements de la civilisation antique et sous les alluvions du Christianisme et de la barbarie, Gibbon laisse beaucoup trop aussi la personnalité de sa pensée philosophique jouer sur les faits qu’il brasse et pousse avec tant de vigueur.

1415. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le roi René »

Le duc de Bourgogne, c’était alors Philippe le Bon, comme dit l’histoire avec une profonde duperie ou une ironie plus profonde (on ne sait pas lequel des deux), et il usa, cet excellent duc, de sa victoire, avec la cruauté insolente et rapace d’un Bon de son espèce… Élargi un moment, au prix de ses deux enfants laissés comme otages, mais se souvenant, dit son historien, qu’il était le petit-fils du roi Jean, et revenu bientôt se remettre dans les dures mains de son vainqueur, René d’Anjou, au moment même où la France se réconciliait avec la Bourgogne et allait jeter à la porte l’Anglais, fut abandonné tout à coup par Charles VII, pour lequel il avait combattu. Odieux abandon qui n’étonne pas, du reste, de la part du monstrueux ingrat qui avait laissé si lâchement brûler la Pucelle. […] Il a laissé là le vieux bonhomme et le vieux troubadour.

1416. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Nicolardot au commencement de son ouvrage, — a-t-il été assez vertueux ou assez généreux pour qu’il soit téméraire de juger qu’il n’aurait pas refusé de se laisser conduire aveuglément par un caractère vil et bas ?  […] Si les influences négatives, anarchiques, impies, laissées par Voltaire, dont on a pu dire, en pensant à ses successeurs, Il faisait de l’esprit pour ceux qui n’en ont pas ! […] Nicolardot lui-même, tout curieux qu’il pût être d’exhumer ces mille petitesses et ces ignominies dont il nous fait un si rude compte aujourd’hui, aurait laissé se dissoudre en paix cette cendre froidie, sous la pierre indulgente du tombeau.

1417. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Crétineau-Joly » pp. 247-262

On aurait dû laisser cette gourme. […] … Diderot dit quelque part que, dans les peintures des grands peintres, ce qu’il y a de plus beau, ce sont les laissés… Il entend par là les choses qu’ils n’y mettent pas quoiqu’elles soient dans le sujet, et que les artistes médiocres ne manqueraient pas d’y mettre. […] Mais on croit rêver bien plus encore quand (toujours dans les récits sans laissés de l’abbé Maynard) on le voit jouer avec S. 

1418. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

III Mais laissons les grands noms et les grands modèles. Laissons Cervantes, laissons Rabelais, Richardson et Fielding, et Molière et Balzac, et quand un homme n’est pas même Swift, ne tourmentons pas notre trompette de traducteur et soufflons dedans des airs plus doux.

1419. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Flourens, qui voudrait couvrir de sa tête tout entière, comme on couvre de sa poitrine celui qu’on aime, les erreurs de Buffon, ces erreurs qui sont souvent grandioses, — « et j’aime mieux, à tout prendre, une conjecture qui élève mon esprit qu’un fait exact qui le laisse à terre… J’appellerai toujours grande la pensée qui me fait penser. »« C’est là le génie de Buffon, ajoute-t-il encore, et le secret de son pouvoir, c’est qu’il a une force qui se communique, c’est qu’il ose et qu’il inspire à son lecteur quelque chose de sa hardiesse. » Et pourtant, est-ce que les paroles de M.  […] Si, vous autres savants, vous vous laissez entraîner ainsi hors du vrai limité, impérieux, immuable, que voulez-vous que nous devenions, nous, devant les beautés littéraires de cet homme qui fut certainement, en définitive, plus un grand artiste dans l’ordre scientifique qu’un savant ! […] Quand elle y sera revenue, peut-être s’en retournera-t-elle encore, après y avoir laissé son respect et y avoir repris son mépris.

1420. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

La Chute, ce cataclysme de l’âme, qui a laissé sa trace dans la mémoire de tous les peuples, comme le Déluge, ce cataclysme de la matière, a laissé la sienne à tous les points, à toutes les fissures de ce globe, est niée d’un mot, au mépris de toutes les traditions connues. […] … « Le jour où l’homme laissa les agneaux auprès de la brebis, il garda auprès de lui ses enfants, et la famille fut fondée. » C’est la phrase même de M. 

1421. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Moins encore que Pascal, qui songeait peu à faire de la littérature, lorsque dans ses Pensées il essayait de se faire de la foi, Sainte Térèse, dont la littérature espagnole a le très juste orgueil, n’était pas littéraire, et c’est pourquoi peut-être ce qu’elle nous a laissé est si beau ! […] Ce n’est ni la brûlante Visionnaire de la Vie, la pluie de larmes qui coula toujours, ni l’Extatique torturée, l’ardente poëtesse d’après la Communion qui nous a laissé ce livre des Exclamations où les phrases ne sont plus que des cris, et ce n’est pas non plus la Sainte Térèse du livre des Fondations. […] Sa vie, comme elle nous l’a laissée, cette longue poésie écrite tout en élans, est un des plus beaux livres assurément de la littérature espagnole, mais elle est aussi le plus beau traité de psychologie appliquée qu’il y ait dans quelque littérature que ce soit.

1422. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

C’est pour cela que, de bonne heure, il dédaigna d’écrire… et que les livres qu’il a laissés ne donnent pas la mesure de la force de son esprit. […] Mais, à cette voix, il s’interrompit de contempler et il se décroisa les bras pour frapper les rudes coups de ce livre, dont il se laissa même dicter la forme, trop romanesque à mon gré, mais qu’on lui imposa pour que le livre, sous cette forme, saisît mieux l’imagination et allât plus vite et plus avant dans la publicité et dans le succès. […] » — Raymond Brucker, qui n’a jamais bénéficié de rien, et pour lequel l’Église, dont il fut le serviteur fidèle et héroïque jusqu’au dernier moment, n’a rien fait, et qu’elle a laissé mourir de faim ou à peu près ; Raymond Brucker, dont les grands hommes littéraires du temps où il fut littéraire comme eux, avec autant de talent qu’eux, diraient peut-être, s’ils vivaient encore : « Je ne connais pas cet homme-là », comme saint Pierre l’a dit de Jésus-Christ, aura-t-il, à propos de ses Docteurs du jour, ce bonheur d’outre-tombe, qui ne sera un bonheur que pour nous qui l’avons aimé, de quelques rumeurs flatteuses autour de son tombeau ?

1423. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

Lacordaire, un homme de son ordre, ce Savonarole qui, en secouant son crucifix au-dessus de sa tête, secouait les passions de Florence comme une torche qu’on veut allumer, a laissé à la postérité distraite un volume de sermons politiques dont la lettre est à peu près morte, et un volume de sermons, purement catholiques, qui vivront toujours, comme le cœur de l’homme et la doctrine de vérité qui s’applique à ce cœur immortel : Immortale jecur ! […] Mais, du moins, il aura laissé derrière lui un monument de son passage. […] pas besoin de ce martyre enduré ou de cet esclavage brisé du monde, qui ont laissé dans le P. 

1424. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

Hormis ces deux intelligences, qui auraient pu laisser un système, vous avez des métaphysiciens d’aptitude, vous n’en avez pas de forte puissance. […] L’auteur de la Connaissance de Dieu fait très bien observer que le joug rejeté trop longtemps de la théologie n’en a pas moins laissé son empreinte sur toutes les idées des penseurs contemporains, même les plus impatients et les plus révoltés, et c’est ainsi, par exemple, que l’Esquisse d’une philosophie, par Lamennais, n’est qu’une fausse application du dogme de la Trinité, et que le système de Hegel n’en est qu’une interprétation absurde. […] Sa distinction si saisissante des attributs de Dieu en attributs métaphysiques et moraux correspondant au dogme de la Sainte-Trinité appartient, il est vrai, à saint Thomas d’Aquin, l’Aristote catholique, mais c’est qu’il n’est guère possible de ne pas se servir de la bêche laissée par ce grand homme, quand on veut défricher dans la pensée humaine et aller un peu plus loin que lui.

1425. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Eugène Sue, laissa percer à plus d’une place une griffe d’originalité. […] le roman de Gil Blas une œuvre diablement espagnole, sur le simple vu de quelques résilles et de quelques guitares, et surtout de quelques sandales d’inquisiteur, laissées à la porte de la chambre des femmes, pour empêcher ces polissons de maris d’entrer. […] Fils de ce romantisme qui, en passant, a laissé partout une lave incandescente de vie qu’on n’éteindra plus, M. 

1426. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Tout ce qui m’entoure vous aime ; me laisserai-je gagner par l’exemple ? […] Fauriel connut beaucoup Villers dans les premières années du siècle, et cette relation a laissé des traces. […] Prenez-le, laissez-le ; dites-moi sincèrement si vous n’avez pu l’achever. […] l’imagination avec lui retrouvera son jour ; âme non moins ardente que délicate, elle ne le laissa jamais. […] Fauriel ; l’esprit qui se laisse guider se trouve, à la fin, avoir gagné bien de la nouveauté et de l’étendue avec lui.

1427. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Si Ariane n’était qu’une bourgeoise trahie par son amant et par sa sœur, la pièce qui porte son nom ne laisserait pas de subsister toute entière ; mais cette pièce si agréable y perdrait un grand ornement. […] Les vengeances sans danger et sans justice apparente ne nous laissent voir que la bassesse et la perfidie. […] Il faut au poète une grande connaissance du cœur humain, pour saisir le moment où le personnage doit laisser échapper le sentiment dont il est plein. […] Il faut que l’alternative n’ait point de milieu, et que les deux intérêts soient incompatibles ; que le Cid laisse son père déshonoré, ou qu’il tue celui de son amante. […] Si vous laissez prendre une fois à vos personnages le ton de la déclamation ordinaire, vous en faites des gens comme nous ; et je ne vois plus de raison pour les faire chanter, sans blesser le bon sens.

1428. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

— « Sire, disait à Louis XVI le maréchal de Richelieu, témoin des trois règnes, sous Louis XIV, on n’osait dire mot ; sous Louis XV, on parlait tout bas ; sous Votre Majesté, on parle tout haut. » — Si l’autorité y perd, la société y gagne ; l’étiquette, insensiblement relâchée, laisse entrer l’aisance et l’agrément. […] laissa soupçonner qu’elle voudrait avoir la miniature de son serin dans une bague. […] La marquise sa mère, auteur d’opéras mythologiques et champêtres, a fait bâtir un théâtre dans le château : il y vient de Bourbon-Lancy et de Moulins un monde énorme ; après douze semaines de répétitions, la petite fille, avec un carquois et des ailes bleues, joue le rôle de l’Amour, et le costume lui va si bien qu’on le lui laisse encore pendant neuf mois à l’ordinaire et toute la journée. […] La sensibilité mondaine étant infinie, il n’y a pas de nuance imperceptible qui la laisse indifférente. […] Pris en eux-mêmes, les passe-temps du monde ne se laissent pas décrire ; ils sont trop légers ; leur charme leur vient de leurs accompagnements.

1429. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Cicéron, indigné, mais non intimidé, se lève et adresse à l’ennemi public la terrible et éloquente apostrophe qui a laissé sur le nom de Catilina la même trace que le feu du ciel laisse sur un monument foudroyé. […] N’as-tu pas vu tous ces consulaires, dont tu as si souvent résolu la mort, quitter leur place quand tu t’es assis, et laisser désert tout ce côté de l’enceinte ? […] Pourquoi me suis-je laissé glacer le cœur par cette froideur de Pompée ? […] … Je vous recommande mon frère, ma femme, ma fille, mon fils ; mon fils, à qui je ne laisserai pour héritage qu’un nom flétri et ignominieux ! […] Un temple domestique, vraisemblablement celui qu’il avait consacré à sa fille Tullia, laissait éclater au-dessus ses colonnes et ses chapiteaux de marbre de Paros, à demi voilés par les orangers, les lauriers, les figuiers, les pins, les myrtes et les pampres des hautes vignes qui tapissent éternellement cette côte, où nous avons si souvent rêvé.

1430. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Je laisse de côté la science contemporaine dont Laplace est certainement le plus illustre représentant, et je me hâte d’arriver au terme que je me suis prescrit. […] Ils ne se laissent plus voir, comme n’étant plus en état de défense. […] « Les chasseurs prennent les biches en chantant ou en jouant de la flûte ; elles se laissent charmer par le plaisir de les entendre. […] C’est une sphère de pureté et de paix, où il n’y a de souillures et de tempêtes que celles qu’il veut bien y laisser pénétrer. […] Mais il laissa ses richesses à sa femme et sa bibliothèque à son fils.

1431. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Règle générale : laissez faire à l’enfant tout ce qu’il veut. […] Ne rétablissez pas les carreaux et laissez-le s’enrhumer. […] Il n’est que trop certain qu’ils ont laissé des héritiers. […] Il y était soutenu et comme porté par la conscience du genre humain, par tout ce que ses illusions et ses fautes avaient laissé d’intact dans la sienne, par tout ce que son esprit reçut jamais de pures lumières. […] La gloire de ses écrits sera toujours celle des livres qui laissent douter laquelle des deux forces qui se disputent le monde moral en a tiré le plus de secours, si c’est le mal ou si c’est le bien.

1432. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Je lui laisse le choix. […] À la fin, comme les pièces mettaient une longue résistance à venir, nous avons laissé nos reçus. […] Il lui a demandé de se laisser mouler les deux mains dans la pose, pour en donner une plus réelle et vivante image. […] Mais laissons là les grâces pendule-Empire de son style. […] mais il faut que la censure les laisse… Oui, je vous le dis, je vous jouerai, je vous jouerai pour la couleur… Après cela, le succès, ah !

1433. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Puis, il affirme que tous nos malheurs viennent du mois d’octobre 1869, sont dûs à une douzaine d’hommes qui se sont laissé emporter par leurs passions. […] Et il ajoute que Judith s’est créé, qu’elle s’est faite toute seule, qu’elle a été élevée comme un petit chien qu’on laisse courir sur la table, que personne, pour ainsi dire, ne lui a appris à écrire. […] Il se trouve chez la mère, pendant trois jours de fête donnés par cette russe pour la naissance de sa fille, qui les passait seule chez elle, ayant laissé à la maison un mari malade, hypocondriaque. […] » Parfois, devant l’envahissement de son salon par les hommes à feutre mou, il se laisse retomber ; avec une lassitude indéfinissable, sur son divan, en jetant dans une oreille amie : « Ah ! […] On parle de grandes civilisations ayant une littérature, et n’ayant ni art, ni industrie, ainsi que la civilisation brahmane, disparue sans laisser de trace matérielle.

1434. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Non, le portier me laisse monter, et la petite bonne m’ouvre. […] Là-dessus, Daudet se laisse aller à me parler de la prose, des vers de sa femme. […] Ces débauches d’art — celle de ce matin m’a coûté beaucoup de cents francs — me laissent comme la fatigue et l’ébranlement d’une nuit de jeu. […] Je veux laisser un souvenir de cette pièce, qui fut vraiment pendant l’Empire, l’aimable domicile du gouvernement de l’art et de la littérature, le gracieux ministère des grâces. Je veux laisser un souvenir ressemblant à la fois à une peinture et à un inventaire de commissaire-priseur, quelque chose qui, dans les temps futurs, permette à ceux qui aimeront la mémoire de la princesse, de la retrouver, de la voir, comme s’ils poussaient la porte de cet atelier, gardé dans la cendre d’une Pompéi.

1435. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1887 » pp. 165-228

Mon cher Maupassant, Votre lettre, imprimée dans Le Gil-Blas de ce matin, apportant l’autorité de votre nom au dernier article de Santillane, ne me laisse qu’une chose à faire, c’est de vous envoyer ma démission de président et de membre de la Société du monument de Flaubert. […] Mais je me suis complu dans ce sentiment, au charme indescriptible, d’une femme honnête menée au bord de la faute, et qu’on y laisse vivre avec la tentation et la peur de cette faute. […] Se tenir derrière un homme qui met de la terre de bruyère sous des arbustes verts, qui creuse des cuvettes monumentales à des rhododendrons, — être pris par ce travail bête, — et tout ce qui vous appelle d’intelligent dans votre cabinet de travail : lectures, notes, corrections d’épreuves, laisser tout cela. […] Les Arabes condamnés à mort, en sa présence, ne laissaient rien voir de leur peur de la mort, dans l’expression des yeux, dans le port de la tête, dans l’ensemble des attitudes, mais en les regardant bien, on remarquait un battement de l’artère du cou, une agitation nerveuse de la pomme d’Adam. […] Il s’étend ensuite longuement sur le buste de Hugo qui n’a pas posé, mais qui l’a laissé venir à lui, autant qu’il a voulu, et il a fait du grand poète un tas de croquetons — je crois soixante, à droite, à gauche, à vol d’oiseau, — mais presque tous en raccourcis, dans des attitudes de méditation ou de lecture, croquetons avec lesquels, il a été contraint de construire un buste.

1436. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Vous êtes morte, ensevelie sous terre, Et vous m’avez laissé au milieu des tourments. […] Vous figurez-vous quelqu’un qui se laisserait mourir de faim parce qu’on lui refuserait telle friandise ? C’est la situation d’un amant éconduit, et il y en a qui se laissent mourir ! […] Le talent, c’est le tuyau de drainage qui ne laisse pas perdre une goutte et donne un petit filet d’eau bien mince qui coule en frétillant sur l’herbe. […] Laissez-vous faire, ne craignez pas tant de sentir comme les autres. » Ce conseil pourrait s’adresser à tous les littérateurs de décadence.

1437. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Laissons ces derniers qui forment un groupe naturel et considérons ce que nous avons appris sur l’art du seul lyrique que nous avons été amené à connaître. […] Dans l’une les mots sont employés à donner des choses une image la plus précise possible, une image intellectuelle qui laisse dans l’esprit peu de place aux sentiments associés ; dans l’autre, au contraire, l’image est vague, lointaine, grandie, à peine aperçue et mystérieusement belle ; de l’émotion qu’elle suggère, toute intelligence est excluse. Cette distinction ne peut être rigoureusement maintenue en pratique ; comme la poésie s’efforce de s’emparer et de rendre indéfinies nombre d’images et d’idées analytiques, de même les prosateurs tondent à laisser quelque vague dans leurs énonciations précises, si bien que toutes les œuvres un peu étendues sont à la fois poétiques et prosaïques. […] Les spectacles multiformes du monde qui passaient inaperçus devant les sens soucieux des ancêtres, ceux qu’aujourd’hui encore, ni le paysan, ni le matelot ne voient, les mille splendeurs que laissent à leurs préoccupations pratiques l’affairé et l’oisif vulgaires, il tes absorbe, les emmagasine et les émet, comme les matières fluorescentes retiennent et rejettent les vibrations lumineuses. […] Cependant, il nous semble que les Intimités laissent au souvenir une émotion parente et celle qu’on éprouve en lisant l’Intermezzo.

1438. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Lui, le fils pieux, il a dû souffrir d’être réduit à flétrir la mère si dévouée à ses enfants, qui les éleva et les soigna si tendrement alors que le père les abandonnait, qui les laissa librement se développer et obéir aux impulsions de leur nature. […] Il laissa ce rôle aux idéologues, aux hurluberlus qui rêvent leur vie ; il se contenta d’être un homme raisonnable, ne s’inquiétant, ni de l’effigie de ses pièces de cent sous, ni de la forme du gouvernement qui maintient l’ordre dans la rue, fait marcher le commerce, et donne des pensions et des places. […] Victor Hugo a eu l’heureuse chance d’être beaucoup acheté, ce à quoi il tenait surtout, et d’être peu lu, il le sera de moins en moins, autrement il y aurait beau jour que le Siècle et Léo Taxil auraient été forcés de le laisser pour compte aux catholiques. […] Il laisse, dit-on, cinq millions. […] Il faut avouer qu’il était plus intelligent que les hommes de génie, qui ne savent jamais se retourner et ne laissent jamais de fortune.

1439. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Mauclair d’avoir laissé sa prime intellectualité s’étioler dans l’ombre instable de Barrès. […] À rester chez soi, à jouir de la fortune d’un pays, on laisse son cerveau s’ankyloser. […] La France est comme un cœur trop lourd, gonflé d’un sang riche qu’il faut laisser circuler librement par des artères nouvelles. […] Leur forme, la couleur de leurs sentences, le mouvement de leurs phrases nous laissent dans l’esprit un rythme nouveau qui est un progrès acquis par nous et que nous leur devons. […] À juger sainement, il semblerait que, dans un temps où les femmes s’obstinent à vouloir être sincères, l’auteur du Petit Ami n’ait pas voulu leur laisser le monopole de la franchise.

1440. (1926) L’esprit contre la raison

Crevel prêche par l’exemple : se laisser porter par l’écriture plutôt que de cultiver l’illusion de maîtrise permet l’illustration en acte de la nouvelle définition de l’esprit qu’il entend poser.  […] Ses phrases se laissent décortiquer. […] Ainsi, entre autres bienfaits, un livre du genre du Manifeste du surréalisme eut celui de nous montrer combien, au fond de l’homme, dur doit être le noyau d’injustice, d’indignité à devenir libre pour qu’il ait si aisément consenti à se laisser enfermer sans regimber au milieu du bric-à-brac réaliste. […] Il est un fait que, depuis deux annéesbv, le problème de l’Esprit et de la Raison, plus nettement que jamais posé par le surréalisme, n’a plus laissé indifférent quiconque a le goût des choses de l’intelligence. […] La poésie qui nous délivre des symboles plante la liberté elle-même et son ascension laisse très loin derrière, très bas sous elle, les sons, les couleurs qui l’expriment.

1441. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Les lettres aussi l’entraînaient… Seulement, où qu’il allât dorénavant et quoi qu’il devînt, l’Église lui avait mis la main sur le front, et jamais cette main ne se pose sur une tête humaine sans y laisser quelque chose de supérieur à l’homme. […] L’honneur des peuples est comme l’honneur des femmes : si les violées de l’histoire sont des héroïnes parce qu’elles ont tué leurs Tarquins ; un peuple catholique, violé dans sa conscience et violé dans son territoire, devait-il laisser faire ses profanateurs ? […] Audin nous aurait donné le chiffre exact de cette contestable valeur… Augmentée par les protestants, à qui les écrivains catholiques ont laissé tout dire, comme les rois (Louis XIV excepté) ont laissé tout faire, Elisabeth est la vivante preuve du peu qu’il faut, à certains moments, pour mener les peuples. […] Laissons-le parler. […] Les passions même comprimées, même vaincues, laissent au front des stigmates de leur flamme ou les obscurcissements de leur fumée.

1442. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Laissons ces railleries et voyons l’acte en lui-même : il est noble et délicat, il est bien d’une époque où de grandes choses se firent et où l’on sentait le prix de les bien représenter. […] Mézeray est d’humeur libre et non servile, d’humeur même républicaine, à prendre le mot dans l’antique acception de nos pères ; il n’a qu’à se laisser aller pour être caustique et satirique. […] Cette Histoire commençant, selon l’usage, par Pharamond, on a eu la décence de laisser en blanc le portrait de ce roi problématique. […] En parlant ainsi, il exagérait un peu, et on trouverait dans la masse des notes historiques qu’il a laissées plus d’érudition qu’il n’en avoue.

1443. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

. — Ainsi la galanterie de Ségur, la piquante indifférence de Fitzherbert (l’ambassadeur d’Angleterre), qui n’en rendait sa petite louange que bien plus fine, ayant l’air de ne la laisser échapper qu’à regret ; la flatterie des uns, la courtisanerie des autres enivraient cette princesse. […] … Je sais que votre nation peut s’aguerrir et qu’elle est capable des plus grandes choses par la supériorité de talents en tout genre : mais on ne sera pas assez maladroit, j’espère, pour vous laisser faire. […] Il ne tarde pas cependant à être plus circonspect, moins pressé en pronostics : les puissances coalisées n’ont pas fait ce qu’il souhaitait ; elles ont laissé à la France le temps de s’aguerrir. […] C’est en y songeant le moins qu’il nous la peint le mieux, et qu’il nous fait voir d’un même trait sa bonté et sa grâce : Elle s’occupait si peu de sa toilette, dit-il en un endroit, qu’elle se laissa, pendant plusieurs années, coiffer on ne peut pas plus mal, par un nommé Larceneur qui l’était venu chercher à Vienne, pour ne pas lui faire de la peine.

1444. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Et encore : « Vous êtes trop accoutumé à laisser votre esprit s’appliquer. […] Le duc de Chevreuse, pour peu qu’on le laisse faire, est tenté de passer sa vie dans son cabinet à lire, à étudier, à se morigéner sans cesse, à s’imposer pour soi ou pour les autres des occupations de tout genre, politiques, théologiques, des occupations dont quelques-unes en elles-mêmes peuvent sembler fructueuses et nourrissantes. […] Au nom de Dieu, qu’il ne se laisse gouverner ni par vous, ni par moi, ni par aucune personne du monde. […] Quelque louables que soient de telles maximes, elles laissent presque entière la question de politique proprement dite ; une politique vraiment nouvelle, si nécessaire après Louis XIV, aurait eu besoin, pour réussir dans l’application, de tous les correctifs et de toutes les précautions qui plus tard manquèrent : car enfin Louis XVI n’a échoué que pour avoir trop fidèlement pratiqué, mais sans art, cette maxime du vertueux Dauphin son père et du duc de Bourgogne son aïeul.

1445. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — II » pp. 18-35

. — On apprit à Chambord la mort du bonhomme Corneille, fameux par ses comédies ; il laisse une place vacante dans l’Académie. » Le bonhomme Corneille ou le grand Corneille, cela revient au même ; Dangeau avait été du jeune monde, et, comme nous dirions, de la jeune école. […] Deux jours après, à Fontainebleau, on apprend la mort de M. de Cordemoy, qui laisse une seconde place vacante dans l’Académie. […] M. de Ruvigny a permission de se retirer en Angleterre avec sa femme et ses deux fils : « Le roi lui laisse son bien et lui conserve même ses pensions. » Le maréchal de Schomberg eut également permission de se retirer en Portugal « avec madame sa femme et M. le comte Charles son fils ; il conservera, dit Dangeau, son bien et les pensions que Sa Majesté lui donne. » Duquesne, lieutenant général de la mer, eut permission de se retirer en Suisse avec sa famille ; mais, avant d’en pouvoir profiter, il mourut subitement à Paris. […] [NdA] En parlant d’odieux, je rends la première impression que nous fait cette confiscation dont profite un frère ; mais en réalité c’était une moindre injustice de laisser ou de rendre à la famille et aux prochains héritiers les biens dont on dépouillait les membres qui étaient en fuite.

1446. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Il ne laisse pas de s’en plaindre dans une pièce de vers à Perrault, ce premier commis de Colbert et ce partisan déclaré des modernes : Affer opem, Peralte, meos ne despice questus ;     Obruitur quantis noster Apollo malis ! […] Pellisson qui, depuis qu’il s’était converti, avait beaucoup de zèle, et qui de plus avait titre et qualité spéciale d’économe de Cluny, engagea un jour Santeul à mieux employer son talent, et à faire des chants religieux, des hymnes qui lui seraient une occupation également lucrative et plus décente, plus digne d’un religieux : « Laissez là, lui disait-il, tous ces artifices menteurs des muses et d’Apollon ; c’est assez donner à Phébus et aux muses ; ces sortes de jeux ne siéent qu’à la jeunesse, et, pour n’être que des jeux, on y trouve aussi quelque gloire. […] Tout cela est poétique ; mais quand je pense à la sainteté et à la majesté redoutable de Dieu, à qui nous devons rendre compte de toute notre vie, et qui condamnera tout ce qui n’aura pas été fait pour lui, en vérité, mon cher monsieur, il faut trembler, et j’aimerais mieux lui demander pardon par mes pleurs que faire encore des vers où, en avouant mes fautes, je ne laisse pas de demander récompense de mes ouvrages. […] Au reste, sans être Santeul, on comprend la joie, l’enivrement presque légitime qui devait inonder son cœur lorsque lui, fragile, mais croyant et fidèle, perdu dans la foule, il entendait le chœur entier des lévites et de l’assistance entonner quelqu’une de ces hymnes aux nobles accents, dont l’une au moins, le Stupete gentes, a été comme touchée du souffle sacré et mérite, ce me semble, de vivre. — Dans ce vent soudain sorti du sanctuaire, et qui tend aujourd’hui à tout balayer de Santeul et à n’y rien laisser de sa mémoire, s’il était permis de faire entendre un humble vœu littéraire, je demanderais grâce pour une seule hymne de lui, et pour celle-là.

1447. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Il a laissé de son voyage une relation destinée à fixer ses souvenirs, à contenter ses amis, et dédiée à sa mère. […] pour nous, et cependant qui peut être estimée pour son regard, et selon le monde, heureuse. » Et il explique en quoi et en quel sens (un peu païen et antique) cette mort fatale est heureuse pour le héros, une mort sans appréhension, sans douleur, commune à plusieurs grands personnages du passé, et qui laisse l’imagination rêver un avenir de gloire plus grand encore que ce qu’il avait obtenu. […] Au reste, il ne laisse pas entrevoir d’abord une politique bien différente. […] Il roulait comme il pouvait, quelquefois trois mois durant, avec ces troupes sans paye, tenant tête aux armées ennemies, faisant plusieurs sièges, et il était forcé après cela de se désister de ce qu’il était près d’atteindre, « tant à cause de la mauvaise humeur de ses mestres de camp, que parce que les moissons approchaient, qui est un temps où les pauvres gens gagnent gros au bas Languedoc. » Ce ne sont là que des aperçus, mais qui donnent idée de la nature de génie et de constance qu’il lui fallut pour faire si bonne mine en un tel genre de guerre : je laisse à d’autres à l’en admirer.

1448. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Le malheur du prince Guillaume, son tort, était d’avoir désespéré trop tôt, d’avoir cru trop aisément à la ruine de la patrie et à l’impossibilité d’une victoire, de s’être laissé paralyser par cette idée qu’il n’y avait pas d’issue ; mais la trempe ne se donne pas, et ce fut la trempe seule du caractère de Frédéric qui fit alors le salut de cette patrie. […] Frédéric revient et insiste sur cette disposition fondamentale du cœur de son frère, en des termes qui ne laissent rien à désirer pour l’explication morale : Vous savez avec quel soin j’ai recherché votre amitié ; que je n’ai épargné ni caresses, ni ce qui se peut appeler des avances, pour gagner votre cœur. […] Frédéric, vers le même temps, déclarait à son frère qu’il s’était proposé de ne point l’abandonner à lui-même avant de lui voir un caractère fixe et assuré. — Ces premières mortifications, ces rudes remontrances laissèrent des traces indélébiles dans une nature plus réfléchie et plus fine que généreuse. […] C’est ce qui, malgré mes autres chagrins, ne laisse pas de me faire un sensible plaisir, et ce qui était fort à désirer pour l’avantage de l’État, surtout pour celui des pauvres orphelins qui me sont confiés. » Il lui parle toujours alors comme à un tuteur naturel indiqué pour la chose publique et pour les siens, dans le cas où il disparaîtrait lui-même.

1449. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Ses maîtres l’appréciaient fort, et si une telle analyse ne nous échappait ici par son détail et sa ténuité, on pourrait faire remarquer qu’ils lui laissèrent chacun quelque chose de leur empreinte ; il gardait non seulement de leur influence, mais de leur forme, de leur pli. […] C’était le temps héroïque des études classiques, messieurs, le temps où Ronsard et son ami Baïf, couchant dans la même chambre, se levaient l’un après l’autre, minuit déjà sonné, et, comme le dit un vieux biographe, Jean Dorât, se passaient la chandelle pour étudier le grec sans laisser refroidir la place. […] Laissons de côté Addison, si Anglais sous ses airs d’élégance, et qui ne se laisse pas importer aisément ; mais M. 

1450. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Virgile et Apollonius, soyez à jamais bénis de tous les esprits délicats et de tous les cœurs tendres pour nous avoir laissé votre Didon et votre Médée : créations enchanteresses et immortelles ! […] La Bible dont je sais que vous vous autorisez, vous et d’illustres Sémitiques avec vous, pour conclure de là à la Phénicie et ensuite à Carthage (ce qui ne laisse pas d’être un peu loin), la Bible est remplie de scènes et de figures qui, au milieu des duretés et des épouvantements, reposent et consolent. […] Je laisse de côté, en ce point, toutes les susceptibilités françaises et les aversions trop promptes de nos critiques dégoûtés. […] « Mais j’ai vu cela de mes yeux, me dira le voyageur ; j’ai même goûté de cette fameuse sauce verte dont il est question dans le festin des Mercenaires. » Laissons le voyageur, je parle à l’artiste.

1451. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

La réaction de 1815 peut s’étudier dans deux ordres principaux et parallèles de faits où elle s’est concentrée, déchargée, où elle a fait éruption : à savoir les condamnations capitales avec accompagnement de massacres organisés dans les départements du Midi, et les propositions de la Chambre introuvable, cette Chambre où il ne fut pas même permis de parler de ces massacres comme d’un on dit et par manière d’hypothèse, et de laquelle, pour peu qu’on l’eût laissée faire, toute une contre-révolution sociale allait sortir, au risque de faire éclater et sauter sur place la seconde Restauration dès sa naissance. […] Il jugea, nous dit M. de Viel-Castel, « qu’il ne suffisait pas d’accabler des plus cruels outrages la mémoire des généraux Faucher avec qui on assure qu’il avait eu jadis des relations assez intimes, de les présenter comme des scélérats vieillis dans le crime, dont La Réole garderait longtemps l’effrayant souvenir ; il se laissa emporter contre MM.  […] Royer-Collard lui-même sur son banc, à côté d’un de ses voisins les plus sages, avait été fort impatienté et mécontent de cette sortie de M. d’Argenson et l’avait laissé voir tout haut selon son habitude : tant les hommes modérés se sentaient en minorité et peu en faveur dans ce milieu-là, et tant ils étaient eux-mêmes poussés comme malgré eux à l’extrême limite de la modération. […] J’ai assez dit les crimes et les excès : qu’on me laisse revenir à mon aise et reposer un peu mon regard sur ces nobles et graves figures qui apparaissent dans leur lointain, avec quelques autres également respectables, comme les bons génies si peu écoutés de la Restauration.

1452. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

La prudence conseillait de ne point subordonner l’avenir de la France à des combinaisons cupides qui, une fois satisfaites, laisseraient la Prusse indifférente, peut-être même hostile à nos intérêts ; moins encore à la mobilité d’un prince aussi fantasque que Paul Ier. […] Il ne se laisse point éblouir par l’alliance de Tilsitt et par ce concert entre les deux colosses « qui n’était nullement une œuvre pacifique, mais bien au contraire la plus formidable combinaison de guerre qui ait jamais été conçue. » Il indique et dénonce dans le duché de Varsovie, formé dès lors (1807) et comme déposé au sein de l’alliance, un germe de dissensions futures. […] Armand Lefebvre, et je le laisse parler ; on est en 1806, au lendemain de la paix de Presbourg : « Dans la terrible situation que nous ont faite nos fautes (à la paix de Lunéville), les violences de nos ennemis et nos désastres maritimes (Trafalgar), nous sommes jetés en dehors des voies de la politique régulière. […] Il n’a rien laissé sur les événements de 1814, sur la campagne de France ni sur le Congrès de Vienne.

1453. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Sir Henry Bulwer, homme d’État et étranger, moins choqué que nous de certains côtés qui ont laissé de tristes empreintes dans nos souvenirs et dans notre histoire, a jugé utile et intéressant, après étude, de dégager tout ce qu’il y avait de lumières et de bon esprit politique dans le personnage qui est resté plus généralement célèbre par ses bons mots et par ses roueries ; « L’idée que j’avais, dit-il, c’était de montrer le côté sérieux et sensé du caractère de cet homme du XVIIIe siècle, sans faire du tort à son esprit ou trop louer son honnêteté. » Il a complètement réussi à ce qu’il voulait, et son Essai, à cet égard, bien que manquant un peu de précision et ne fouillant pas assez les coins obscurs, est un service historique : il y aura profit pour tous les esprits réfléchis à le lire. […] Je reprends le personnage où je l’ai laissé. […] Contentons-nous donc de dire désormais que si la plupart du temps, dans les écrits signés de son nom, Talleyrand laissait la besogne et le gros ouvrage aux autres, il se réservait dans les occasions et aux bons endroits la dernière touche et la fin17 . […] Mais avec lui les absents bientôt avaient tort : il aima mieux oublier l’Orient, laisser le conquérant lointain courir ses risques, et rester à Paris ministre d’une politique qui était sans doute beaucoup trop révolutionnaire et propagandiste pour qu’il l’acceptât sincèrement, mais à laquelle aussi, à travers les remaniements des petits États, il y avait beaucoup pour lui à gagner, à pêcher, comme on dit, en eau trouble.

1454. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Toutefois, un certain besoin de perfection et de beauté concentrée, une vérité et une justesse de plus en plus soigneusement recherchée, la difficulté croissante du goût à l’égard de soi-même, l’absence du théâtre aussi et d’un cadre qui incessamment sollicite, bien des causes peuvent faire, en avançant, que les produits de ce genre d’imagination ne remplissent pas toute une vie et y laissent vacantes bien des heures. […] Ils tentèrent de s’échapper par un souterrain ; mais, ne l’ayant pu, ils ne voulurent pas laisser à leurs ennemis la joie de les voir mourir. « A cette époque, dit l’historien, la fureur des combats de gladiateurs avait fait inventer une espèce de suicide à deux. […] C’est alors qu’il y a plaisir à se laisser aller et à tenter l’aventure. […] Mais il fallait finir ; le but était atteint, la Corse était peinte ; l’auteur n’a pas craint de se trahir dans le dernier trait et de laisser voir le jeu.

1455. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Il nous a laissé la relation de cette première entrevue. […] Il laisse éclater son doute désespéré dans le Don du poème. […] Il n’a laissé que de rares fragments. […] Laissons les mystiques se débrouiller dans cette poésie fantôme et la sculpter à leur image.

1456. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Au reste, à notre place nous laisserons parler ici un meilleur juge. […] L’exercice de l’intelligence produit un certain nombre d’émotions, tandis que les associations par contiguïté, fondées sur une simple routine, nous laissent indifférents. […] Laissons parler maintenant M.  […] Ce titre laisse voir que le côté psychologique l’a moins préoccupé que M. 

1457. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Tout d’abord, Cygneroi ne veut rien en croire, il déclare connaître la rubrique des aveux qu’on a laissé échapper, dans un accès de franchise, et qu’on essaie ensuite de rattraper en les rétractant. […] La thèse est du reste posée plutôt que plaidée : laissons la thèse et voyons le drame. […] La princesse Georges rentre dans sa chambre, la tête en feu, le cœur déchiré : son mari la trahit, la ruine, l’abandonne ; il va la laisser seule, comme dans un désert, à un veuvage désolé par toutes les horreurs de la jalousie. […] Prise d’une nausée amère, à la vue de ces princes du sang, de ces grands seigneurs avilis par l’ivresse et par la luxure, elle s’écria que les princes et les laquais « avaient été faits de la même pâte, que Dieu avait, dans la création, séparée de celle dont il avait tiré tous les autres hommes. » Il va donc aller à ce rendez-vous où l’attend la mort ; la princesse n’a qu’à le laisser partir pour être vengée.

1458. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Une lecture bien faite d’un beau morceau d’éloquence ou d’une pièce de théâtre est une sorte de représentation au petit pied, une réduction, à la portée de tous, de l’action oratoire ou de la déclamation dramatique, et qui, tout en les rapprochant du ton habituel, en laisse encore subsister l’effet. […] Il faut d’abord les tâter, comme dirait Montaigne, les essayer longtemps, les laisser courir devant soi dans la liberté de leur allure. […] Je voudrais qu’on se contentât de dire que c’est une des plus belles, et qu’on laissât entrevoir que le monde n’a pas commencé et ne finit pas à nous. […] Souvestre a pris, de plus, le soin d’y noter l’effet que les divers morceaux ont paru produire sur l’auditoire ; on a là une sorte d’échelle dans les impressions populaires, qui ne laisse pas d’être instructive et curieuse.

1459. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

On sent, à plus d’un passage, que Chaulieu (leur aîné de quinze ans) les juge ; mais il est juge à la fois et complice, et, tout en essayant de les diriger sans doute sur quelques points, il se laisse aller sur le reste avec eux. […] Faisant allusion aux parades solennelles qui se jouent en ces jours de cérémonie et à toutes ces plates représentations de la comédie humaine, il écrivait à sa belle-sœur : Si Don Quichotte est à Rouen, Trivelin prince est ici ; ce sont là des farces que les gens de bon sens doivent bien mépriser ; mais il faut se laisser emporter au torrent, et, puisque le monde n’est que comédie, il faut prendre la queue de lapin et l’épée de bois comme les autres. […] Chaulieu, jusque dans l’âge le plus avancé, se disait en sage qu’il faut laisser sa place à l’illusion, créer et favoriser le charme dès qu’il veut naître, et le prolonger aussi loin qu’on peut : Vous savez bien, écrivait-il à Mlle de Launay, que nous décidâmes l’autre jour que les chimères doivent avoir place parmi les projets des hommes… Croyez-moi, faites durer le charme au lieu de le faire cesser. […] Mais il a laissé des Mémoires sérieux, intéressants, d’un jugement ferme, élevé, indépendant, et qui le classent au premier rang des esprits éclairés d’alors.

1460. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Je laisse, on le voit, de côté le but politique, l’intention calculée peut-être, et je ne m’en prends qu’à ce qui est de la couleur littéraire presque inévitable et involontaire chez un talent du genre de celui de M. de Lamartine. […] On eût dit que sa tête, naturellement petite, s’était agrandie pour laisser plus librement rouler entre ses tempes les rouages et les combinaisons d’une âme dont chaque pensée était un empire. […]  » Je laisse à ceux qui ont connu M.  […] Quand arrive l’heure de la Restauration, M. de Lamartine pourtant ne peut s’empêcher de redevenir l’homme de 1814, et de saluer l’ère véritable de laquelle il date et où il a reçu, lui et nous tous, le baptême de l’esprit : « Le règne des épées finissait, dit-il, celui des idées allait commencer. » Les hommes politiques encore existants qui ont vu de près ces grandes choses de 1814, l’arrivée des Alliés devant Paris, les négociations d’où sortit le rétablissement des Bourbons, et qui ont assisté ou qui ont été immiscés à quelque degré à ces conseils des souverains, en laisseront sans doute des récits dignes de foi et circonstanciés ; ces hommes trouveront immanquablement à redire en bien des points aux vastes exposés de M. de Lamartine.

1461. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Car, dans l’ordre d’histoire ingénieusement et savamment construite et déduite, comme professeur il a peu laissé à faire, et parmi ceux même qui se croient assez loin de lui, je ne lui vois que des disciples. […] Mais laissons les regrets. […] Ce sont là des mots napoléoniens ; mais il me paraît très douteux qu’il ait ajouté, en parlant du soin qu’il mit à rallier les chefs de file de tous les partis : « Sauf deux ou trois opiniâtres, je ne laissai rien de considérable en dehors, et j’enveloppai tout dans ma toge consulaire. » Toge consulaire, il n’a pas dit cela. […] Un léger tort, qui tient de près au savoir-faire, c’est, en réimprimant ces morceaux, d’en dissimuler l’origine et la destination première, et de laisser croire que c’est du nouveau pour le public, un fond de portefeuille inédit.

1462. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

Ses douces nuées, à lui, ne renferment pas d’orage, et, en s’écartant, elles ont laissé voir un fond de ciel serein, à peine voilé par places, mais pur et délicieux. J’exprime là le sentiment que laissent certains de ses ouvrages, et celui particulièrement qu’on vient de réimprimer et dont je dirai un mot. […] Parlant de cet excellent livre, qui a pour titre De l’imitation de Jésus-Christ, il en dit : L’ascétisme du Moyen Âge a laissé un monument inimitable, que les catholiques, les protestants, les philosophes se sont accordés à admirer de l’admiration la plus belle, celle du cœur. […] …………………………………………………… J’ai sondé d’un regard leur poussière bénie,                    Et j’ai compris Que leur âme a laissé comme un souffle de vie                    Dans ces débris ; Que dans ce sable humain, qui dans nos mains mortelles                    Pèse si peu, Germent pour le grand jour les formes éternelles                    De presque un dieu !

1463. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Sa vie fut pleine de singularités pour son temps ; c’est aux journaux qu’il a laissés qu’on doit d’en connaître les plus curieuses circonstances : il est à regretter que d’autres contemporains ne nous aient rien dit de plus particulier sur son compte, et n’aient pas joint leurs renseignements aux siens. […] Dans ce voyage extrême de Laponie, après avoir aperçu du haut d’une montagne la mer Glaciale et toute l’étendue de la contrée, après avoir laissé sur une pierre une inscription en vers latins, signée de ses compagnons, et de lui, et destinée à n’être jamais lue que des ours, Regnard, qui s’est frotté, comme il dit, à l’essieu du pôle, songe au retour ; il ne revient point pourtant en France directement, et il achève le cours de ses pérégrinations instructives par la Pologne et par l’Allemagne. […] Dans d’autres légers croquis tels que Le Retour imprévu, la liaison et l’activité des scènes ne laissent pas un instant de trêve. […] Regnard en a souvent de tel ; ainsi, dans Les Ménechmes, quand celui des deux jumeaux, fraîchement débarqué de Picardie, a affaire à un marchand fripier, syndic et marguillier, de plus créancier de son frère, et qui lui défile tous ses titres en le prenant pour son débiteur, le franc Picard s’irrite, il s’emporte contre ce faux créancier qu’il ne connaît pas et qu’il prend pour un imposteur : « Laissez-moi lui couper le nez !

1464. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Il commence par nous pénétrer de leurs beautés, et ne mêle rien d’abord à ses louanges : ce n’est qu’ensuite qu’il nous instruit en relevant leurs défauts ; mais ici l’approbation est sans cesse accompagnée d’un avertissement indirect, d’une demi-réserve, d’une discrète ironie, qui ne nous laissent pas jouir un seul instant en paix de notre admiration. […] Au contraire, tout ce qu’il a écrit sur la monarchie n’est qu’une censure indirecte et amère du gouvernement de Richelieu et de Louis XIV, qui, « ayant détruit tous les pouvoirs intermédiaires », n’ont plus laissé d’issue « que l’état despotique ou l’état populaire ». […] Qui sera assez éclairé pour faire ce partage avec assurance et ne rien laisser à l’honneur de ce pauvre grand homme dans cette lutte misérable avec lui-même ? […] En éducation, Rousseau a répandu des principes dont on peut abuser, dont il abuse lui-même, mais qui sont d’une grande portée : laisser agir la nature et parler à la raison.

1465. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Comme une vague qui grossit, s’enfle, soulève toute la mer, puis s’abaisse et décroît insensiblement jusqu’à s’aplanir sans laisser de traces, on vit l’esprit analytique, positif et critique, s’élever sous Voltaire, monter au comble sous les encyclopédistes, puis s’atténuer et s’effacer. […] Pendant trente ans, tout jeune homme fut un Hamlet au petit pied, six mois durant, parfois davantage, dégoûté de tout, ne sachant que désirer, croire ou faire, découragé, douteur, amer, ayant besoin de bonheur, regardant au bout de ses bottes pour voir si, par hasard, il n’y trouverait pas le système du monde, entre-choquant les mots Dieu, nature, humanité, idéal, synthèse, et finissant par se laisser choir dans quelque métier ou dans quelque plaisir machinal, dans les coulisses de la Bourse ou de l’Opéra. […] On se lança dans le prodigieux univers de Proclus, mosaïque de triades, où la subtilité athénienne décompose et classe les illuminations du mysticisme oriental. — Cependant tout cela était étranger, et laissait un mécontentement secret. […] On finit par faire des avances au clergé, présenter la philosophie comme l’alliée affectueuse et indispensable de la religion, offrir le dieu de l’éclectisme comme une base « qui peut porter la trinité chrétienne », et l’éclectisme tout entier comme une foi préparatoire « qui laisse au christianisme la place de ses dogmes, et toutes ses prises sur l’humanité99. » Il eût été bien difficile de ne pas réussir avec tant d’adresse, avec tant de soin pour séduire, amuser, entraîner et ménager les esprits, avec tant de précautions pour suivre ou devancer leur marche.

1466. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

À la fin, nous lui montrâmes le pardon du roi et la laissâmes aller. […] En trois ans, sous Marie, près de trois cents personnes, hommes, femmes, vieillards, jeunes gens, quelques-uns presque enfants, plutôt que d’abjurer, se laissèrent brûler vivants. […] Ils peuvent résister dorénavant, et, poussés à bout, ils résistent ; ils aiment mieux prendre les armes que de se laisser acculer à l’idolâtrie et au péché. […] Et j’entendis dans mon rêve qu’il leur fut dit : Entrez dans la joie de votre Seigneur. —  À ce moment, comme les portes s’ouvraient pour laisser entrer ces hommes, je regardai après eux et je vis la cité briller comme le soleil. […] Échappé de leurs mains, il tombe dans celles d’un Géant, Désespoir, qui le meurtrit, le laisse sans pain dans un cachot infect, et, lui présentant des poignards et des cordes, l’exhorte à se délivrer de tant de malheurs.

1467. (1875) Premiers lundis. Tome III « Eugène-Scribe. La Tutrice »

Léopold, apprenant de Conrad, avant d’avoir vu Amélie, que la jeune chanoinesse est loin de mener une vie exemplaire, s’emporte et laisse, pour la première fois, voir assez clairement le fond de son cœur. […] Scribe y songe : la haute muse comique, qui à la vue des excès du vaudeville est blessée au cœur et nous boude avec raison, a tendu la main à l’auteur de la Camaraderie, et le protégerait de préférence à beaucoup d’autres, si, au lieu d’éparpiller ses forces, il s’appliquait à les réunir ; s’il livrait plus souvent de véritables combats, au lieu d’escarmouches sans fin ; s’il donnait à son observation plus d’étendue et de profondeur, et s’il ne dédaignait pas aussi ouvertement cette puissance ombrageuse qui ne se laisse captiver que par de continuels sacrifices, mais qui seule aussi peut faire vivre l’écrivain : c’est du style que je veux parler.

1468. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les legs de l’exposition philosophie de la danse »

Je m’étais laissé dire, quand j’habitais Alger, que, pour former les moukères à cette danse éminemment significative, on était obligé de les prendre toutes petites, et qu’elles piochaient ferme, et que ces exercices déterminaient souvent, chez les jeunes sujets, des désordres intestinaux, si j’ose m’exprimer ainsi. […] Elle laisse au spectateur les yeux et l’esprit assez libres pour goûter un plaisir d’art.

1469. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 169-178

Diderot, quand on l’apprécie en lui-même, sans se laisser éblouir par les déclamations des avortons de la Philosophie, dont il a fait entendre le premier les grands hurlemens parmi nous. […] Il est vrai que les pensées du Chancelier d’Angleterre deviennent méconnoissables par la maniere étrange dont elles sont travesties : c’est un corps robuste duquel on n’a fait qu’un squelette, sans y laisser la moindre apparence de nerfs & de muscles ; tout y est en germe, tout y est si recondit & si obscur, qu’on peut regarder cette Interprétation comme beaucoup plus inintelligible que le texte.

1470. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Lucrèce Borgia » (1833) »

À ceux qui trouvent, par exemple, que Gennaro se laisse trop candidement empoisonner par le duc au second acte, il pourrait demander si Gennaro, personnage construit par la fantaisie du poète, est tenu d’être plus vraisemblable et plus défiant que l’historique Drusus de Tacite, ignarus et juveniliter hauriens. […] Il laissera quelquefois le carnaval débraillé chanter à tue-tête sur l’avant-scène ; mais il lui criera du fond du théâtre : Memento quia pulvis es.

1471. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Platon, et Aristote. » pp. 33-41

Son stile est simple & uni, mais serré & nerveux : celui de Platon est grand & élevé, mais lâche & diffus : celui-ci dit toujours plus qu’il n’en faut dire ; celui-là n’en dit jamais assez, & laisse à penser toujours plus qu’il n’en dit : l’un surprend l’esprit, & l’éblouit par un caractère eclatant & fleuri ; l’autre l’éclaire & l’instruit par une méthode juste & solide….. […] Les trois disciples de Platon, instruits de ce qui s’étoit passé, reconnoissent leur imprudence de l’avoir laissé sans aucun d’eux, se la reprochent, & songent à la réparer.

1472. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 31, que le jugement du public ne se retracte point, et qu’il se perfectionne toujours » pp. 422-431

Mais comme il met en oeuvre hardiment, c’est là toute sa verve, comme il emploïe sans se laisser géner aux regles de notre sintaxe, les beautez ramassées dans ses lectures, elles semblent nées de son invention. […] Après ce que je viens d’exposer on voit bien qu’il faut laisser juger au temps et à l’expérience quel rang doivent tenir les poetes nos contemporains parmi les écrivains qui composent ce recueil de livres que font les hommes de lettres de toutes les nations, et qu’on pourroit appeller la biblioteque du genre humain.

1473. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XVIII. La bague aux souhaits »

Avant qu’il le fasse, la guinnârou lui dit : « Ahmed, une fois marié, il ne faut pas laisser voir ta bague à ta femme. […] La guinnârou alors s’en vient trouver Ahmed : « Le jour où je t’ai donné la bague, lui reproche-t-elle, je t’ai recommandé de ne pas laisser ta femme s’en emparer : Maintenant il te faut rester ici trois mois.

1474. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

Cependant, plus tard peut-être, comme un germe qui a besoin d’être longtemps couvé, elles reparaîtront pour bouleverser le monde qu’elles avaient d’abord laissé tranquille. […] Laissons-en tout l’opprobre aux factieux et aux intrigants, toujours si habiles à se saisir des circonstances.

1475. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Ce n’est qu’en Allemagne que la bonté est toujours bonne… » À mesure qu’il s’avançait vers le Nord proprement dit, il sentait le calme descendre en lui, sa gaieté prête à renaître, même au milieu de la mélancolie légère que lui apportait l’aspect des landes uniformes et des horizons voilés : « L’atmosphère brumeuse était partout embellie par le caractère et la bonté des habitants. » Sortant d’un pays où il laissait ses biens en séquestre, sa réputation calomniée, où il avait entendu siffler de toutes parts l’envie, et vu se dresser la haine, il entrait dans des régions paisibles où la bienveillance venait au-devant de lui : « Les hommes, dit-il spirituellement, qui ne témoignent leur bienveillance qu’après y avoir bien pensé, me font l’effet de ces juifs besogneux qui ne livrent leur marchandise qu’après en avoir reçu le payement. » Je ne puis ici raconter tout ce qu’il apprit et découvrit dans ces régions du Nord. « Pour écrire sur l’histoire de ce pays, il faut vivre aux bords de la Baltique, avec les hommes distingués et les livres que l’on ne trouve que là. » Il ne s’en tint pas au Danemark ; il fit une petite excursion en Scanie, et en reçut des impressions vives : « Quand j’eus passé la Baltique, je me sentis dans un pays nouveau : le ciel, la terre, les hommes, leur langage, n’étaient plus les mêmes pour moi. […] Il visitait les ateliers (studi) et y laissait, ne fût-ce que par ses jugements et ses louanges, des traces de ce patronage fin, délicat, généreux, qui était sa vocation véritable. […] Prenez l’habitude de ne fixer aucune pensée, gardez-vous de tout travail sérieux et suivi, tâchez de ne rien observer, d’être les yeux ouverts sans voir, de parler sans avoir pensé : alors, dans l’ennui qui vous dévore, laissez-vous aller à toutes vos fantaisies, et vous verrez les progrès rapides de voire imbécillité. […] [NdA] Il faut convenir qu’il était un peu ingrat envers le français qui se laissait si bien manier par lui. […] Il donnait tout ce qu’on lui demandait en ce genre et laissait le reste s’égarer.

1476. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de la Mennais (suite et fin.)  »

Et comme en tout ceci il ne s’agit de donner tort à personne (ce qui serait puéril), mais seulement d’étudier à fond la situation morale d’une âme, je produirai la suite des passages qui ne laissent rien à désirer et qui sont comme la confession de La Mennais sur ce point capital et décisif de sa carrière. […] » Mais l’abbé Carron, avec cette ténacité de direction que les plus doux ont souvent à l’égal des plus sévères, le serrait de près et ne lui laissait ni répit ni trêve ; il écrivait à leur ami commun, M.  […] Je ne tracasse personne ; qu’on me laisse en repos de mon côté : ce n’est pas trop exiger, je pense. […] Il avouait qu’il n’était pas né pour la prêtrise, qu’il s’y était laissé inconsidérément entraîner par le vertueux abbé Carron ; qu’il lui fallait la vie laïque en plein vent et en plein soleil ; qu’il regrettait de n’être pas marié, de n’avoir pas une femme, des enfants ; mais que, pour se former une famille, il était déjà trop âgé lorsqu’il rompit avec le sacerdoce. » Certes, La Mennais, en 1810, eût probablement frémi de s’entendre s’exprimer de la sorte ; mais l’aveu qui devait sortir plus tard de ses lèvres couvait déjà dans l’amertume cruelle et irrémédiable dont il se sentait abreuvé au fond de l’âme. […] Parmi les détails les moins agréables qui reviennent souvent sous sa plume, et qui se rattachent aux affaires de ménage et de finance, il en est un de pur trafic ecclésiastique qui ne laisse pas de choquer ; c’est l’article des messes, qui est chose toute simple apparemment pour le prêtre catholique, mais qui étonne toujours le chrétien ou mène seulement celui qui a lu l’Évangile et qui sait que Jésus a chassé les vendeurs du Temple.

1477. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

Au point de vue élevé où il se plaçait, et dans le regard sommaire sous lequel il embrassait et resserrait une longue suite d’événements, il arrivait à y saisir les points fixes, les nœuds essentiels, les lois, et déjà il laissait échapper de ces mots, de ces maximes, chez lui familières et fondamentales, qui exprimaient ce qu’on a pu appeler son système. […] M ignet en eut surtout la vigueur, qu’il appliqua aussitôt dans toute son intégrité ; il ne laisse apercevoir aucun tâtonnement, aucune dispersion : c’est là un des traits qui lui appartiennent le plus en propre. […] Il est juste et doux de reconnaître que, depuis ce moment-là, il n’a fait autre chose que marcher en avant, poursuivre, étendre les mêmes études en les approfondissant, se perfectionner sans jamais dévier, cueillir le fruit (même amer) des années, sans laisser altérer en rien la pureté de ses sentiments ni sa sincérité première. […] Ce détail infini des intentions et des motifs divers ne donne, selon lui, que le temps avec sa couleur particulière, avec ses mœurs, ses passions et quelquefois ses intérêts ; mais les circonstances déterminantes des grands événements sont ailleurs, et elles ne dépendent pas de si peu ; la marche de la civilisation et de l’humanité n’a pas été laissée à la merci des caprices de quelques-uns, même quand ces quelques-uns semblent les plus dirigeants. […] La lecture de cette histoire d’un nouveau genre, au moment où on l’achève, laisse une singulière impression.

1478. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Au dix-huitième siècle, des romanciers contemporains, et qui sont eux-mêmes de l’âge classique, Fielding, Swift, Defoe, Sterne, Richardson, ne sont reçus en France qu’avec des atténuations et après des coupures ; ils ont des mots trop francs, des scènes trop fortes ; leurs familiarités, leurs crudités, leurs bizarreries feraient tache ; le traducteur écourte, adoucit, et parfois, dans sa préface, s’excuse de ce qu’il a laissé. […] Quand Corneille et Racine, à travers la pompe ou l’élégance de leurs vers, nous font entrevoir des figures contemporaines, c’est à leur insu ; ils ne croyaient peindre que l’homme en soi ; et, si aujourd’hui nous reconnaissons chez eux tantôt les cavaliers, les duellistes, les matamores, les politiques et les héroïnes de la Fronde, tantôt les courtisans, les princes, les évêques, les dames d’atour et les menins de la monarchie régulière, c’est que leur pinceau, trempé involontairement dans leur expérience, laissait par mégarde tomber de la couleur dans le contour idéal et nu que seul ils voulaient tracer. […] Il n’y a de vivant au dix-huitième siècle que les petites esquisses brochées en passant et comme en contrebande par Voltaire, le baron de Thundertentrunck, mylord Whatthen, les figurines de ses contes, et cinq ou six portraits du second plan, Turcaret, Gil Blas, Marianne, Manon Lescaut, le neveu de Rameau, Figaro, deux ou trois pochades de Crébillon fils et de Collé, œuvres où la familiarité a laissé rentrer la sève, que l’on peut comparer à celles des petits-maîtres de la peinture, Watteau, Fragonard, Saint-Aubin, Moreau, Lancret, Pater, Baudouin, et qui, reçues difficilement ou par surprise dans le salon officiel, subsisteront encore, lorsque les grands tableaux sérieux auront moisi sous l’ennui qu’ils exhalaient. […] Ceux-ci ont beau se dire sectateurs de Bacon et rejeter les idées innées ; avec un autre point de départ que les cartésiens, ils marchent dans la même voie, et, comme les cartésiens, après un léger emprunt, ils laissent là l’expérience. […] « Bien que nous ayons retranché la moitié de ses phrases et de ses mots, nous ne laissons pas de trouver dans l’autre moitié presque toutes les richesses dont nous nous vantons et dont nous faisons parade. » — Comparez le lexique de deux ou trois écrivains du seizième siècle et de deux ou trois écrivains du dix-septième.

1479. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

Le berger laisse ses dix pains et ses dix fromages aux mains des gardes des bagages, aux barrières du camp. […] Et pourquoi as-tu laissé ce peu de brebis abandonnées au désert ? […] La tendresse de sa jeune épouse, Michol, veille sur lui, découvre les assassins, fait descendre David par la fenêtre et place une statue revêtue d’un casque sur sa couche, afin de faire croire aux gardes que son mari dort et de lui laisser, par ce subterfuge, plus de temps pour la fuite. […] Laissez évaporer la vapeur du vin qui vous agite. […] L’homme le plus capable de le comprendre par l’intuition littéraire et de le transvaser d’une langue dans une autre sans laisser perdre une goutte de cette poésie, c’est parmi nous M. 

1480. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

« Outre ses enfants légitimes, Côme laissa aussi un fils naturel, Charles de Médicis, qu’il fit élever avec soin, et qui, par les vertus dont il donna l’exemple, effaça la tache de sa naissance. […] Après avoir préparé son âme à attendre avec calme ce grand et terrible événement, ses inquiétudes se portèrent sur le bonheur des personnes de sa famille qu’il laissait après lui ; il désirait leur communiquer d’une manière solennelle le résultat de l’expérience d’une vie longue et toujours active. […] IX Côme, en mourant, laissa son héritage à Pierre de Médicis, son fils, et son génie à Laurent de Médicis, son petit-fils. […] Ces rares perfections me captivèrent au point, que bientôt il n’y eut pas une puissance ou une faculté de mon corps ou de mon âme qui ne fût asservie sans retour ; et je ne pouvais m’empêcher de considérer la dame dont la mort avait causé tant de douleurs et de regrets comme l’étoile de Vénus, dont l’éclat du soleil éclipse et fait disparaître entièrement les rayons. » Telle est la description que Laurent nous a laissée de l’objet de sa passion, dans le commentaire qu’il a fait sur le premier sonnet qu’il écrivit à sa louange16 ; et à moins que l’on n’en mette une grande partie sur le compte de l’amour, toujours partial dans ses jugements, il faut avouer qu’il y a eu bien peu de poëtes assez heureux pour trouver un objet aussi propre à exciter leur enthousiasme, et à justifier les transports de leur admiration. […] On peut juger, d’après le récit qu’il a fait de l’origine de sa passion, que Lucretia était la maîtresse du poëte, et non de l’homme : il cherchait un objet propre à fixer ses idées, à leur donner la force et l’effet nécessaires à la perfection de ses productions poétiques, et il trouva dans Lucretia un sujet convenable à ses vues, et digne de ses louanges ; mais il s’arrêta à ce degré de réalité, et laissa à son imagination le soin d’embellir et d’orner l’idole à son gré.

1481. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Il ne laisse jamais errer son idée toute nue telle qu’elle descendit de son souvenir et ne l’abandonne qu’ornée de scintillants joyaux, de soies aux plis flottants et de métaux orfévris. […] que le vers acquît une plus totale fermeté, qu’un labeur patient achevât ce que les dons innés commencèrent, que l’artiste arrachât les quelques négligences laissées par le poète, — que ce fût par exemple la trame élastique et indéchirable des vers de Stéphane Mallarmé ou l’infrangible et sonore métal frappé du sceau de Hérédia ; que ce fût aussi l’impeccable et classique syntaxe des Trophées, ou cette autre syntaxe d’une intellectuelle logique, souple, fuyante mais impressive, étroitement serrée et pourtant impalpable, qui étonne et séduit dans l’Après-midi d’un faune ou dans Hérodiade. […] Plusieurs passages des chapitres précédents ont déjà laissé voir la particulière clarté douce et grave de l’âme ainsi révélée. […] Carrière, — mais ce n’est pas elle qui les grandit ; le plus souvent, comme pour les musiciens que j’ai cités, elle indique dans les idées une certaine inquiétude impuissante, en s’unissant pourtant chez Chopin à une distinction mièvre et anémiée, maladive, passionnée par intermittences, — chez Grieg à une compréhension originale et vive du génie populaire et de la légende, à de claires et juvéniles visions, à des trouvailles de cantilènes peu profondes mais douces et qui donnent à songer, — chez Schumann à une organisation musicale brillante et riche, à une sentimentalité très vulgaire mais intense et à un instinct des naïvetés qui, au bout d’une longue avenue de mélancolie laisse entrevoir un merveilleux jardin où sourient des enfants espiègles. […] Selon le précepte de Flaubert celle-ci se dérobe pour devenir cette « impersonnalité » haute et pure, où le poète laisse parler son œuvre plutôt qu’il ne parle lui-même. — Tandis que M. 

1482. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Montesquieu nous le laisse à chercher, au risque de ne le trouver pas et, en attendant, de décider de la chose à la légère. […] Les livres qui traitent de la politique, de l’histoire, des gouvernements, où nous sommes la plupart ignorants ou prévenus, ne doivent pas nous laisser la décision ; car ce qui nous reste de telles lectures, c’est la vanité d’être institués juges de telles choses, et le penchant à critiquer d’autant plus vif qu’on sait moins ce qu’on critique. […] Les Considérations me laisseraient croire que je n’ai point à m’aider pour être bien gouverné, et que ceux qui gouvernent m’ont pris ma place. […] Mais cette préférence ne me gâte ni le plaisir que j’ai à apprendre dans Montesquieu des choses si considérables avec si peu d’efforts, ni les nouveautés de cette étude du cœur humain transportée de l’homme aux sociétés, et de l’individu aux nations, ni les beautés de ces portraits des grands personnages historiques, tirés de la demi-obscurité où les avait laissés l’art ancien, et qui nous font lire dans ces âmes profondes avec l’œil de Montesquieu ; ni tout cet esprit des Lettres persanes, assaisonnant les vérités les plus élevées ; ni cette langue si neuve, qui a gardé la justesse et la propriété de l’ancienne, et qui la rajeunit sans y mettre de fard. […] Il donne les raisons des lois ; il en laisse chercher la morale à l’hésitation du lecteur.

1483. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

Ses Salons, parmi beaucoup de critiques justes et piquantes, ont le défaut de confondre les limites des arts, et de demander à la palette et au ciseau ce qu’il faut laisser à la plume. […] Cependant les exagérations du temps y ont laissé leurs traces. […] Mais rien n’égale, pour la grâce et la pureté de la peinture, cet amour qui naît comme à l’abri de l’amitié fraternelle ; cet éveil des sens chez le jeune homme qui se trahit le premier, parce qu’il se défie le moins de ce qu’il sent : les troubles de la pudeur qui agitent la jeune fille avant que sa conscience soit avertie, et qui lui parlent sans paroles ; le malaise secret dans ce qui ressemble le plus au bonheur, le premier amour ; les joies permises qui ne laissent guère plus de paix à l’âme humaine que les joies défendues. […] J’ai lu bien des fois Paul et Virginie, pour éprouver ce que le temps m’avait ôté ou laissé de mon admiration première. […] Il était bien digne de retrouver la langue de ce siècle, alors qu’il gardait encore de ses mœurs littéraires la docilité aux conseils du « censeur solide et salutaire », et qu’il aimait la gloire à la façon des grands écrivains d’alors, non comme une affaire à laquelle on travaille de sa personne, mais comme une fortune qu’on laisse faire à ses œuvres.

1484. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Persuadées qu’elles possèdent le fin mot de l’énigme, ces bonnes âmes sont importunes, empressées ; elles veulent qu’on les laisse faire, elles s’imaginent qu’il n’y a que le vil intérêt et le mauvais vouloir qui empêchent d’adopter leurs systèmes. […] Il leur est facile, à eux qui ne tentent rien et nous laissent faire les expériences à nos dépens, de rire quand nous faisons un faux pas sur ce terrain inconnu. […] Alors viennent les empiriques avec leur triste naïveté ; chacun d’eux a trouvé du premier coup ce qui embarrasse si fort les sages, chacun d’eux promet de pacifier toute chose, ne mettant qu’une condition au salut de la société, c’est qu’on les laisse faire. […] L’humanité est ainsi dans la position d’un malade qui souffre dans toutes les positions et pourtant se laisse toujours leurrer par l’espérance qu’il sera mieux en changeant de côté. […] Cela devient par la suite un obstacle, quand il faut briser ; mais dites donc aussi qu’on ne devrait bâtir que des chaumières de boue ou des tentes susceptibles d’être enlevées en une heure et qui ne laissent pas de ruines, parce qu’en bâtissant des palais on aura beaucoup de peine quand il faudra les démolir.

1485. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Il aime mieux se laisser massacrer avec toute l’arrière-garde de l’armée. […] Mais il a raison de rappeler aux écrivains qu’ils manient des armes dangereuses, dont la portée dépasse leurs prévisions ; qu’une idée lancée par le monde est, comme la balle du fusil, une force déchaînée qui va sans qu’on puisse la faire rentrer dans sa prison ; que par suite il convient, avant de la laisser aller, de s’assurer, par tous les moyens dont on dispose, qu’elle est conforme à ce qui est ou à ce qui doit être. […] Oui, La nouvelle Héloïse peut laisser une tache sur une âme blanche comme un lys, de même qu’elle peut épurer une âme souillée. […] Quand d’Holbach et ses amis, au siècle dernier, devenant des fanatiques à rebours, voulurent imposer autour d’eux une sorte d’athéisme obligatoire, Duclos, le philosophe, qui n’était guère chrétien, s’écriait avec humeur : « Ils en diront tant, qu’ils me feront aller à la messe. » On raconte qu’un avare, voyant l’Harpagon de Molière souffler une chandelle inutile, laissa échapper ce cri de joie : « Voilà une leçon dont je profiterai. » Leçon d’avarice tirée d’une pièce contre l’avarice ! […] ; lecteurs ou spectateurs tendent à incliner dans le sens où l’auteur a penché lui-même, et ils y sont entraînés d’autant plus volontiers que celui-ci, au lieu d’asséner ses opinions, laisse à moitié deviner le fond de sa pensée.

1486. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIV, l’Orestie. — Agamemnon. »

Alors, Clytemnestre se laissa corrompre ; sa vertu se retira d’elle avec la Muse harmonieuse qui l’avait gardée. […] … Si l’armée laissait derrière elle des dieux offensés, la ruine des vaincus susciterait leur vengeance, même quand d’autres crimes n’auraient point été commis. » — Sombre discours qui pense d’un côté et parle de l’autre, où l’équivoque louche, où le vœu ricane et sous-entend la menace. […] » Il retrouvera sa femme fidèle, telle qu’il l’a laissée : « chienne de la maison, douce pour lui, mauvaise à ses ennemis ». […] » — Elle appelle les Érynnies au secours, et d’un accent si poignant que le Chœur s’écrie ; « C’est comme si j’avais reçu un coup de lance. » — Mais les Érynnies laissent faire : le voile se déploie, la hache se lève derrière l’homme entrant dans son bain : — « Hélas ! […] Le dieu qui la fatigue s’arrête par instants ; alors la vierge peut laisser respirer son âme : on croit la voir essuyer la sueur de ses joues, l’écume de ses lèvres.

1487. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Nerva refuse de répondre et se laisse mourir de faim. — « Ceux qui étaient dans le secret de sa pensée, — rapporte Tacite, — disaient qu’en voyant de plus près les maux de la République, il avait voulu, par colère et par crainte, finir honorablement, respectable et respecté. » La toute-puissance ne défend pas les Césars de ce désenchantement mortel. […] Ce qui semble difficile à croire, c’est que le grave Monteprade continue à se laisser mystifier par l’escogriffe altéré que la donzelle lui donne pour son frère. […] La scène où il se laisse griser par Fabrice est une franche lippée d’esprit et de verve. […] La Grèce se laissa faire, comme le dieu, et répandit une odeur d’ambroisie sur sa jeune suppliante. […] Pourquoi ne pas lui laisser le pieux silence et l’altitude résignée de sa mélancolique abnégation ?

1488. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Je ne dirai plus les amours et les songes séduisants des hommes : il faut quitter la lyre avec la jeunesse. » Cette jeunesse, qui s’enfuyait en effet, bien qu’elle dût avoir encore tant de retours, laissait M. de Chateaubriand au milieu de la vie avec un talent puissant, une ardeur dévorante, une ambition qui ne savait où chercher son objet. […] Un homme politique véritable aurait pu entrer dans la carrière par une brochure violente et incendiaire ; mais il l’eût laissée de côté en avançant, et se serait bien gardé de chercher à réveiller et à raccommoder ce qui n’est pas conciliable ni compatible. […] Si M. de Chateaubriand n’avait pas écrit cette partie politique de ses Mémoires, et s’il eût laissé le souvenir public suppléer à ses récits, on lui eût trouvé sans doute des écarts bien brusques et des inconséquences ; mais la grandeur du talent, la chevalerie de certains actes, la beauté historique de certaines vues, auraient de loin recouvert bien des fautes ; je ne sais quel air de générosité aurait surnagé, et jamais on n’eût osé pénétrer à ce degré dans la petitesse des motifs et des intentions. […] Encore une fois, c’est bien de préférer l’hirondelle et l’abeille, mais laissez alors les nations et le soin de leurs intérêts, et ne prétendez pas à les régir. […] Considérant que la collection de ces papiers et de ces lettres renferme toute ma correspondance confidentielle, qui remonte à 1812 ; que, pendant une portion considérable de cette période de temps, j’ai été employé au service de la Couronne, et que, quand je n’ai pas occupé de fonctions publiques, j’ai pris une part active aux affaires du Parlement ; qu’il est très probable que cette correspondance offrira de l’intérêt et sera de nature à apporter quelque lumière sur la conduite et le caractère des hommes aussi bien que des événements de cette époque, je donne à mes exécuteurs testamentaires tout pouvoir de choisir dans cette correspondance ce qui leur paraîtra devoir être publié ; je les laisse juges de l’opportunité de cette publication, ayant la conviction complète qu’ils y mettront une discrétion sans égale ; que toute confidence que j’aurais reçue et qui ne serait pas honorable, ne sera pas trahie, qu’aucuns sentiments privés ne seront froissés sans nécessité, et qu’aucun intérêt public ne sera compromis par une publicité indiscrète ou prématurée.

1489. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Je laisse à d’autres le soin de parcourir le monde immense de la faim matérielle. […] Découverte étrange et poignante que celle qui prétend mettre à jour dans l’antique nature et dans la vieille humanité un visage et un cœur jusqu’alors inconnus… Pour éclairer ce qui semble un mystère, je laisse la parole à ces hommes qui ont embrassé d’une telle étreinte le monde vivant, qu’il est sorti de leurs bras débordant de jeunesse et d’ivresse. Laissons parler trois d’entre eux, déjà lointains et profondément éloignés l’un de l’autre. […] Nous avons vu les dieux changer selon les âges et, en disparaissant graduellement, laisser la place à l’homme. […] Le chauvinisme, cette plaie, que j’oserais appeler française, si elle n’existait aussi néfaste chez presque tous les peuples, ne s’obstine à vivre que dans les cerveaux laissés en chemin par l’évolution.

1490. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Mais pour établir ainsi entre la perception et la réalité le rapport de la partie au tout, il fallait laisser à la perception son rôle véritable, qui est de préparer des actions. […] Précisément parce qu’il attribue à la conscience, dans la perception, un rôle spéculatif, de sorte qu’on ne voit plus du tout quel intérêt cette conscience aurait à laisser échapper entre deux sensations, par exemple, les intermédiaires par lesquels la seconde se déduit de la première. […] Tout se passera comme si nous laissions filtrer l’action réelle des choses extérieures pour en arrêter et en retenir l’action virtuelle : cette action virtuelle des choses sur notre corps et de notre corps sur les choses est notre perception même. […] La fonction de l’entendement est de détacher de ces deux genres, extension et tension, leur contenant vide, c’est-à-dire l’espace homogène et la quantité pure, de substituer par là à des réalités souples, qui comportent des degrés, des abstractions rigides, nées des besoins de l’action, qu’on ne peut que prendre ou laisser, et de poser ainsi à la pensée réfléchie des dilemmes dont aucune alternative n’est acceptée par les choses. […] Une latitude de plus en plus grande laissée au mouvement dans l’espace, voilà bien en effet ce qu’on voit.

1491. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Laissons donc là les « mouches » ou les « orangs-outangs » : nous n’en avons que faire ; et on ne les met que pour brouiller. […] Paléologue ; et peut-être qu’il n’a pas trouvé le moyen de la poser, mais elle manque ; et la ressemblance ne laisse pas d’en être altérée. […] Mais un instinct involontaire me forçait à leur faire du bien sans le leur laisser connaître. […] Nous qui le croyons comme lui, nous ne nous pardonnerions pas de laisser échapper l’occasion de le dire ; — et, si nous le pouvons, de le prouver. […] S’ils ne lui laissaient pas prendre, dans leurs discours, plus de place qu’elle n’en doit occuper, ils en usaient pourtant !

1492. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Il ne se réprime pas, il se laisse aller, il coule sur sa pente, sans trop choisir son lit, sans se donner de digues, bourbeux, mais à grands flots et à plein lit. […] Vous persuadez à Tom Jones faussement, mais pour un instant, que mistress Williams, dont il a fait sa maîtresse, est sa mère, et vous laissez longtemps le lecteur enfoncé dans l’infamie de cette supposition. […] L’impression que laisse le livre de Goldsmith est à peu près celle-là. […] Je ne juge plus les caractères, je laisse là les règles morales. […] Laissons à la porte nos répugnances, et regardons les choses comme font les gens de ce pays, non par le dehors, mais par le dedans.

1493. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Alors le vieillard se laissait aller à dire : « Ça, c’est du bon Forbin !  […] laisse échapper Sainte-Beuve, en se penchant vers moi : il faut avoir fait le tour de tout et ne croire à rien. […] On dîne, seulement on dîne un peu vite, pour laisser le temps de dîner à Marie Caillot. […] Elle se laissa enlever par Hertz, qui lui donnait des leçons de piano. […] Deux fenêtres donnent sur la Seine, et laissent voir la grande eau et les bateaux qui passent.

1494. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Elle tient aujourd’hui auprès du public sérieux la place laissée libre par plusieurs autres genres littéraires. […] Les succès de Pixérécourt ne les laissaient pas dormir. […] Toutefois, on n’a pas tardé à apercevoir tout ce que la critique ainsi pratiquée laisse en dehors d’elle-même. […] Aucun soin, aucun détail, si mince fût-il, ne le laissait indifférent. […] Sur ces questions délicates nous laissons la parole à son biographe.

1495. (1856) Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Tome II

L’animal fut ensuite laissé à l’abstinence pendant douze heures, et sa salive parotidienne, de nouveau examinée, avait une densité de 1,0074. […] Du reste, il est transparent et ne laisse jamais déposer des sels par le refroidissement. […] La salive, recueillie de nouveau, contenait de l’iodure en grande quantité ; incinérée, elle laissait constater la présence du fer d’une manière évidente. […] J’ai laissé ces matières abandonnées à elles-mêmes à la température ambiante, pendant la saison chaude de l’été. […] Comme dans les cas précédents, l’injection ne parut pas douloureuse, la plaie fut recousue et l’animal laissé en repos.

1496. (1932) Les idées politiques de la France

La République lui avait livré le dernier lambeau d’esprit gallican que laissait subsister le concile de 1870. […] Paul Bourget, que l’Église accepte franchement toute la science et toute la démocratie. » Laissons la science de côté. […] Et dans ce cas, mieux vaut laisser dormir la question, parler d’autre chose, prendre d’autres plates-formes, remuer d’autres idées et d’autres passions. […] Comme le roman, elle laisse jouer à tous les délégués de la vie, à tous les délégués à la vie, leur libre jeu. […] Il s’agit pour lui de ne pas laisser ensemble, de l’un ou de l’autre des deux côtés, les deux qui se dévoreraient.

1497. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Ils vous mettent en goût, et ils ne tiennent pas, ou ils ne tiennent qu’à demi ; ils commencent, et ils vous laissent en chemin. Or, il n’y a rien qui fasse moins défaut et qui vous laisse moins, il n’y a rien de moins paresseux et qui se décourage moins vite que Saint-Simon. […] Une telle nature de grand écrivain posthume 95 ne laissait pas de transpirer de son vivant ; elle s’échappait par éclat ; il avait ses détentes, et l’on conçoit très bien que Louis XIV, à qui il se plaignait un jour des mauvais propos de ses, ennemis, lui ait répondu : « Mais aussi, monsieur, c’est que vous parlez et que vous blâmez, voilà ce qui fait qu’on parle contre vous. » Et un autre jour : « Mais il faut tenir votre langue. » Cependant, le secret auteur de Mémoires gagnait à ces contretemps de la fortune. […] Ma curiosité, indépendamment d’autres raisons, y trouvoit fort son compte ; et il faut avouer que, personnage ou nul, ce n’est que de cette sorte de nourriture que l’on vit dans les cours, sans laquelle on n’y fait que languir. » L’ambitieux pourtant ne laissait pas sa part d’espérances : il était jeune ; le roi était vieux ; Louis XIV vivant, il n’y avait rien à faire ; mais après lui le champ était ouvert et prêtait aux perspectives. […] C’est ainsi qu’on lit dans une des lettres de Madame, mère du régent : En France et en Angleterre, les ducs et les lords ont un orgueil tellement excessif qu’ils croient être au-dessus de tout ; si on les laissait faire, ils se regarderaient comme supérieure aux princes du sang, et la plupart d’entre eux ne sont pas même véritablement nobles (Gare !

1498. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

. — Et n’étant échauffé, comme un érudit, par aucune flamme idéale, illusionné par aucun rêve, il a écrit froidement ; il a remplacé par quelques traits d’esprit les généreuses erreurs que le rêve ajoute en ce genre à la vérité ; il a laissé à Platon son idéal, quelquefois brillant, souvent absurde, de sa République ; à J. […] On laisse le mal, si l’on craint le pire ; on laisse le bien, si l’on est en doute du mieux. […] Il ne partit qu’après avoir achevé d’accabler les Grecs ; il ne se servit de cet accablement que pour l’exécution de son entreprise ; il ne laissa rien derrière lui contre lui. […] « Mais quel était ce système de tyrannie produit par des gens qui n’avaient obtenu le pouvoir politique et militaire que par la connaissance des affaires civiles, et qui, dans les circonstances de ce temps-là, avaient besoin, au dedans, de la lâcheté des citoyens pour qu’ils se laissassent gouverner, et de leur courage, au dehors, pour les défendre ? […] Laissez-lui faire les choses frivoles sérieusement, et gaiement les choses sérieuses. » Plus loin, il rend justice au gouvernement chinois en montrant qu’il fut le seul gouvernement philosophique : « Les législateurs de la Chine firent plus : ils confondirent la religion, les lois, les mœurs et les manières ; tout cela fut la morale, tout cela fut la vertu.

1499. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

Le Misanthrope laisse Alceste en face de Célimène ; il pourra, s’il veut, revenir chez elle le lendemain : ce ne sera pas la première contradiction de ce faible amoureux. […] Mais ces médecins en causant nous découvrent tous les travers de la profession médicale au xviie  siècle et — je me le suis laissé dire — quelques-uns qui durent encore de notre temps. […] On entrevoit le peuple, par quelques silhouettes de rustres, porteurs de chaise ; un monde louche d’intrigants, entremetteuses, spadassins, se laisse deviner, c’est de là que sortent et là qu’ont leurs attaches les valets impudents et fripons. […] Mais le Tartufe ne laisse aucun doute. […] Il est naturel que ceux qui ont eu part au bonheur laissent s’approcher les autres de la table : c’est la loi que les enfants aient leur tour après les parents.

1500. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Suivons dans le passé la marche de ce développement : elle pourra éclairer pour nous l’avenir et le laisser entrevoir. […] Leur science n’a donc pu se constituer et se développer qu’à cette condition : laisser au début tout un ensemble de questions non résolues et abandonnées aux discussions des philosophes. […] Il leur faudra partir de quelque postulatum, de quelques vérités rationnelles ou expérimentales, ne point s’arrêter aux questions de principes et laisser à la philosophie ces discussions. […] Laissez-nous espérer dans les phénomènes de la pensée quelque généralisation qui les rattache, par exemple, à ceux de la vie, que l’histoire nous livre en partie au moins son secret. […] Rapprochez maintenant par la pensée toutes ces données expérimentales du peu que l’antiquité nous a laissé sur ce sujet.

1501. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Il réalise ce qu’il peut de la fortune de sa femme, la laisse achever en Bretagne toute seule sa lune de miel et file sur Paris : en un rien de temps il gaspille dans des maisons de jeu et de débauche l’argent de sa légitime. […] Il pleura lamentablement pour exciter la pitié, « ma mémoire, autrefois heureuse, est usée par le chagrin… Je suis attaqué par une maladie qui me laisse peu d’espoir ». […] — Ernesta, par la citoyenne d’Antraigues, (1799), — les femmes écrivaient beaucoup, pendant que la tribune et le champ de bataille absorbaient l’énergie des hommes, — est un roman d’un réalisme qui ne laisse rien à désirer ; du reste, tous les romans de cette époque s’annonçaient comme des études d’après nature. […] Miss Atala est toute imprégnée de la morgue britannique, elle méprise les Indiens avec qui le sort la condamne à vivre et, jusqu’à la venue de Chactas, elle n’éprouve aucune difficulté à ne pas laisser entamer ce que M.  […] Mais sa nature gauloise se rebella, et, ainsi que la Rosine de Beaumarchais, elle ouvrit au séducteur son cœur à deux battants, elle se laissa vaincre sans résistance.

1502. (1870) La science et la conscience « Chapitre I : La physiologie »

Et quand la passion de la vérité eût fait commettre à la science cet attentat d’une expérience sur l’homme vivant, elle n’y eût peut-être rien gagné, l’organisme humain ne permettant guère une opération qui, en faisant l’ablation de certains organes, laisserait les organes voisins intacts dans leur constitution et leur fonction propres. […] De même, en enlevant le cervelet à un animal auquel on laisse le cerveau, on trouve qu’il conserve la faculté de percevoir et de se mouvoir spontanément, tout en perdant la faculté de coordonner ses mouvements. […] Moreau, de Tours, se laisse aller à dire que les lobes cérébraux veulent la contraction musculaire sans l’exciter, sauf à rectifier son langage quelques lignes plus bas. […] On se laisse abuser par une analogie qui ne devrait jamais prévaloir contre la conscience ; on fait des mobiles et des motifs de nos actions des forces qui entraînent, des lois qui déterminent fatalement la volonté. […] « En vérité, dit-il, quand on se laisse pénétrer des faits et des raisons, non-seulement on reconnaît que le libre arbitre n’est pas, mais encore il paraît inintelligible et contradictoire.

1503. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Nous voudrions développer une thèse semblable à propos de l’histoire, et faire voir comment, par une méthode analogue à celle des sciences naturelles, certaines écoles historiques ne laissent guère plus de place au libre jeu des facultés et des volontés humaines que telles écoles de physiologie et de philosophie positive. […] Alors, derrière l’exhibition toute superficielle et toute dramatique de la scène extérieure, se laisse apercevoir au fond du théâtre une action moins animée, moins brillante, moins intéressante pour un simple public de spectateurs, mais bien plus propre à fixer les regards de l’observateur curieux de savoir le mystère des choses. […] Oui, un dieu les remplit et les agite, un dieu qui se change parfois en démon, et qui leur laisse à peine le sentiment du droit et la libre possession d’eux-mêmes. […] Il faut bien l’avouer, même en écartant la doctrine de la nécessité, qui lui ôte tout son relief dramatique et tout son intérêt moral, il est manifeste que l’histoire, traitée par les méthodes nouvelles, ne laisse plus à la personnalité humaine le rôle que lui assignait l’antiquité dans la destinée des sociétés. […] Au lieu donc de nous laisser aller à des pensées de découragement ou à des résolutions de sagesse contemplative, nous trouvons que jamais il n’y a eu plus de raisons d’espérer dans le triomphe des forces morales, dans la puissance politique et pratique de ceux qui les comprennent le mieux, c’est-à-dire des philosophes et des savants.

1504. (1825) Racine et Shaskpeare, n° II pp. -103

Laissons les mots ; cherchons des exemples. […] La justesse admirable de votre esprit va m’attaquer, j’en suis sûr, par une petite porte que j’ai laissée entrouverte à la critique. […] Cousin parle trop bien pour que jamais on le laisse reparler. […] Villemain, qui préside l’Académie ce jour-là, remporte le prix d’adresse, et elle se laisse enlever, sans mot dire, le droit de conférer ce prix. Le prix est ridicule ; mais il l’est encore plus de se laisser avilir à ce point, et par quelles gens encore ?

1505. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Smithers vous dira que j’étais décidée à vous laisser toute ma fortune. […] En vrai prince, il a pour ennemi principal son fils aîné, héritier présomptif du marquisat, qu’il laisse jeûner et qu’il engage à faire des dettes. […] Pour ses filles, il les laisse vagabonder dans la loge du jardinier, où elles prendront l’éducation qui se trouvera. […] L’auteur laisse de parti pris cent nuances fines qu’il aurait pu découvrir et nous montrer. […] Dès lors on rentre dans le monde réel, on se laisse aller à l’illusion, on jouit d’un spectacle varié, aisément déroulé, sans prétention morale.

1506. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Laissons à la chronique le soin peut-être superflu de distinguer et d’envisager ses liaisons successives. […] Et il est exact que ce passage nous laisse de l’un des deux une idée bien désagréable. […] Cette estime allait même à sa peinture, qui nous laisse aujourd’hui assez froids. […] Ces froissements, cette longue mésintelligence, laissèrent en lui tout un côté desséché. […] C’est qu’ils eussent compliqué et affaibli cette œuvre, n’eussent pas laissé toute la place au drame d’amour.

1507. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. de Falloux » pp. 311-316

Au reste, ce début si brillant de la vie politique du comte Molé n’aura pas et ne peut avoir d’autre historien que lui-même ; il a laissé des Mémoires dont les commencements au moins, pour tout ce qui est de cette époque, doivent être achevés, et il aura su joindre, en écrivant ce qu’il racontait si bien, la perfection de son bon goût à la netteté de ses souvenirs. […] Patin pour lecteur) a répondu par un compliment fort agréable, comme on en faisait dans l’ancienne Académie, comme on s’en permet trop peu dans la nouvelle, pas trop long, pas du tout théorique, où la fleur est sans épine, où l’anecdote pique sans arrière-pensée, et où les douceurs toutes bienveillantes ne laissent en rien apercevoir ce que M. 

1508. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

 » Cependant si cette première manifestation, qui a si bien réussi et qui a généralement imprimé une direction très-heureuse à l’opinion, ne laisse aucune trace sensible, elle tombera dans l’oubli ; et dans un mois d’ici il ne sera plus question de rien. […] Ce sera le moyen de le tenir en laisse par une correspondance suivie et qui soit de nature à pouvoir être publiée dans les journaux, afin qu’il soit presque toujours en scène.

1509. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

Le style est ce qui, dans l’ouvrage, paraît laisser le plus à désirer ; le plus souvent on n’y songe pas, tant ce style est simple, facile et courant. […] Sa Clytemnestre, moins pompeuse, laissera plus de souvenir ; elle a marqué un moment dans les fastes dramatiques de la Restauration.

1510. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Andrieux »

Le Cid d’Andrieux, ce sont ses Étourdis ; il y laissa presque tout son aiguillon. […] Andrieux est mort, content de laisser ses deux filles unies à deux hommes d’esprit et de bien, content de sa médiocre fortune, de sa grande considération, content de son siècle, content de voir la Révolution française triomphante sans désordres et sans excès. » M. 

1511. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

Que son idéal social, prêché d’une certaine façon aux intéressés, ne caresse en réalité que leurs instincts et leurs appétits et les pousse à des révoltes qui, même justes à l’origine, se corrompent chemin faisant, leur deviennent rapidement désastreuses et les laissent à la fois moins bons et plus misérables, l’esprit révolutionnaire n’en a point souci. […] Le parti n’étant encore qu’une minorité imposante, la discipline ne laisse pas d’y être assez forte.

1512. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VII. Le théâtre français contemporain des Gelosi » pp. 119-127

La Farce qu’il nous raconte n’aurait, comme une infinité d’autres, laissé aucune trace sans doute dans l’histoire de notre théâtre, si elle n’avait touché à la politique. […] L’un trahissait pourtant de naïves vigueurs et laissait deviner un vaste avenir.

1513. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVI. Jésus au tombeau. »

Une loi juive 1193 défendait de laisser un cadavre suspendu au gibet au-delà de la soirée du jour de l’exécution. […] Mais telle était la trace qu’il avait laissée dans le cœur de ses disciples et de quelques amies dévouées que, durant des semaines encore, il fut pour eux vivant et consolateur.

1514. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Hartley »

« Lorsqu’elles ont été souvent répétées, elles laissent certaines traces ou images d’elles-mêmes que l’on peut appeler idées simples. » (Prop. 8.) Ce n’est pas tout ; la vibration, c’est-à-dire le fait purement physiologique, en se répétant laisse dans le cerveau une tendance à se reproduire sous forme de vibrations beaucoup plus faibles que Hartley appelle des vibrationcules, et qui sont à ses yeux « des miniatures de la vibration. » Ainsi, en résumé, la vibration produit d’abord la sensation, puis la vibrationcule qui, à son tour, produit les images.

1515. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

Élevé à Constantinople, où il avait été livré comme otage, il y prit les connaissances des Grecs, et leur laissa leurs vices et leur mollesse. […] On dit qu’Anastase, empereur de Constantinople, le renvoya dans un vaisseau à demi-brisé et prêt à faire naufrage, avec défense de le laisser aborder dans aucun port de la Grèce.

1516. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

Mais pour ne point laisser de doute sur cette succession naturelle, nous examinerons comment chaque état se combine avec le gouvernement de l’état précédent ; mélange fondé sur l’axiome : lorsque les hommes changent, ils conservent quelque temps l’impression de leurs premières habitudes. […] Pomponius dans son histoire abrégée du droit romain caractérise cette loi par un mot plein de sens, rebus ipsis dictantibus regna condita . — Voici la formule éternelle dans laquelle l’a conçue la nature : lorsque les citoyens des démocraties ne considèrent plus que leurs intérêts particuliers, et que, pour atteindre ce but, ils tournent les forces nationales à la ruine de leur patrie, alors il s’élève un seul homme, comme Auguste chez les Romains, qui se rendant maître par la force des armes, prend pour lui tous les soins publics, et ne laisse aux sujets que le soin de leurs affaires particulières.

1517. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Première série

malheur à celui qui laisse la débauche… ? […] Coppée a mis ou laissé le plus de son cœur. […] Encore que plusieurs morceaux en soient bons, le poème laisse une impression douteuse. […] L’impression que laisse la lecture de ses ouvrages est complexe et ambiguë. […] Ce don, joint aux autres, ne laisse pas de lui faire une robuste originalité.

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