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1795. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Autour de deux ou trois idées fondamentales, s’organisa chez eux un système complet de poésie, formé du platonisme en amour, du christianisme en mythologie, et du royalisme en politique. […] Hugo, l’histoire des hommes ne présente de poésie que jugée du haut des idées monarchiques et des croyances religieuses. […] Soumet, sur le ton solennel d’un prône ou d’un ordre du jour : « Les lettres sont aujourd’hui comme la politique et la religion ; elles ont leur profession de foi, et c’est en ne méconnaissant plus l’obligation qui leur est imposée que nos écrivains pourront se réunir, comme les prêtres d’un même culte, autour des autels de la vérité ; ils auront aussi leur sainte alliance ; ils n’useront pas à s’attaquer mutuellement des forces destinées à un plus noble usage ; ils voudront que leurs ouvrages soient jugés comme des actions, avant de l’être comme des écrits ; ils ne reculeront jamais devant les conséquences, devant les dangers d’une parole courageuse, et ils se rappelleront que le dieu qui rendait les oracles du temple de Delphes, avait été représenté sortant d’un combat. » Une fois qu’on en venait à un combat dans les formes avec les idées dominantes, on était certain de ne pas vaincre.

1796. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Les quatre Harmonies qui ont pour unité l’idée de Jéhovah, appartiennent encore à cet ordre majestueux de poésie biblique. […] Mais un éclair de la conscience fait évanouir ces lâches idées. Il entend au dedans de lui une voix secrète qui lui dit : « Puisque l’ombre redouble, que le froid de la nuit se fait sentir, et que tu as marché tout te jour, prends courage, c’est que tu n’es pas loin d’arriver. » Dès lors la chaîne des saintes idées se renoue ; le souvenir de Dieu redescend, de ce Dieu fait homme, dont le dernier soupir, la dernière voix fut aussi une plainte à son père, un pourquoi sans réponse.

1797. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

L’apostasie de nos gouvernants, l’impudente palinodie de certains hommes qui se retournent aujourd’hui contre les idées dont ils sont issus ; l’hésitation de la société à se reconnaître et à reprendre son train progressif au milieu du désappointement qui a suivi la dernière secousse ; toutes ces circonstances ont favorisé chez quelques esprits élevés, mais trop absolus, trop prompts, le dénigrement inconsidéré des principes et des garanties qui sont pourtant devenus plus que jamais l’indispensable condition de la société moderne. […] Reynaud, on a eu tort de tant décrier les formes représentatives ; elles sont précieuses à conserver : c’est un cadre où toutes les idées avancées de réforme peuvent s’introduire ; il ne s’agit que de faire concorder ce cadre dans ses divisions et compartiments avec l’état vrai de la société. […] Nous les engageons à donner de plus en plus à ce côté de leur recueil une attention qui tournera elle-même au profit des idées générales dont ils sont les promoteurs.

1798. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Xénophon viennent élargir les idées. […] On mesure dans cette déclaration la valeur des idées que lentement, sourdement, sur le regard indulgent des puissances séculière et religieuse, par les soins des plus inoffensifs régents, la culture classique fera couler pendant deux | siècles au fond des âmes, y préparant la forme que les circonstances historiques appelleront au jour. […] Nombre d’idées et d’objets étaient pour la première fois désignés ou définis en français : il a fallu trouver et créer des mots.

1799. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVII. Conclusion » pp. 339-351

Si l’on a bien dans la mémoire l’ensemble des œuvres du comique français, on discerne sans peine l’élément important que lui a transmis la double veine, littéraire et populaire, de l’art italien ; élément important, non par le fonds des idées satiriques et morales, mais par l’abondance des moyens d’expression ; élément en quelque sorte matériel, artificiel, mis à la disposition du grand ouvrier. […] Ils lui apprirent surtout à donner un relief vigoureux aux idées comiques ; ces incidents variés à l’infini, ces situations singulières, ces jeux de théâtre, ces pantomimes expressives, jusqu’à ces lazzi que les Italiens multipliaient et prodiguaient souvent sans autre but que l’action elle-même, Molière les employa avec réflexion. […] Molière s’empare de cette idée, il l’introduit dans L’Avare.

1800. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Les imitations religieuses furent aussi grossières ; rien ne pouvait être plus contraire à la religion concrète d’un grec que la divinisation des idées abstraites, que ce culte de la déesse Raison, inauguré avec un appareil emprunté aux rites du paganisme, dans la vieille cathédrale gothique de la Cité, à Notre-Dame. […] « L’idée que l’on s’est faite de la Grèce et de Rome, a-t-il écrit, a souvent troublé nos générations. […] On s’est fait illusion sur la liberté chez les anciens et pour cela seul, la liberté chez les modernes a été mise en péril. »7 D’un point de vue plus général, on pourrait aussi montrer que la Révolution française exprime un Bovarysme idéologique dont le mécanisme caché sera l’objet par la suite d’un complet examen, et qui, en la circonstance, a pour effet de substituer une réalité rationnelle à la réalité historique, de mettre le fait concret sous le gouvernement de l’idée abstraite.

1801. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

Il avoit même là-dessus des idées sévères. […] A Athènes, comme à Paris, dans la représentation d’une pièce nouvelle, les spectateurs se prévenoient pour ou contre, selon que l’auteur étoit de leurs amis ou de leurs ennemis, & que ses idées étoient analogues aux leurs. […] Nous n’avons rien en Europe qui nous donne une idée juste de la comédie des Grecs.

1802. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bayle, et Jurieu. » pp. 349-361

Ce qui lui en donna l’idée, ce fut la crainte que ses frères persécutés ne missent un obstacle à leur retour par leurs cris éternels contre la France & contre le roi. […] Il se confirme aussitôt dans l’idée de garder toujours l’anonyme, & se hâte d’écrire à Bayle pour lui recommander de nouveau le secret. […] Il faudroit qu’une bonne plume s’occupât de cette idée & l’exécutât.

1803. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre V. Le mouvement régionaliste. Les jeunes en province » pp. 221-231

Le Félibrige au même temps qu’il apportait l’idée d’une renaissance latine commença le premier à secouer cet esclavage. […] Par un échange incessant d’idées et de collaboration entre ces divers groupements et Paris s’est créé un minimum de pensées communes qui suffit à rallier toutes ces revues autour du drapeau de la décentralisation. […] À Bruxelles : L’Art Moderne, Le Thyrse, Durendal, le Jeune Effort, L’Idée Libre, La Belgique Artistique et Littéraire, Jadis, L’Essor Littéraire, etc… À Liège : Vallonia, etc… Sans compter les revues disparues, La Jeune Belgique, Le Coq Rouge, Comme il vous plaira, etc… 66.

1804. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre premier. »

Un homme qui s’enfuit dans le désert pour éviter des miroirs : c’est là une idée assez bizarre, et une invention assez médiocre de La Fontaine. […] On le voit à travers un nuage ; cela est si vrai, que La Fontaine est obligé d’expliquer son idée toute entière, et de dire enfin : Et quant au canal, c’est celui Que chacun sait, le livre des Maximes. […] Enfin il finit par s’arrêter sur l’idée la plus affligeante pour le roseau, et la plus flatteuse pour lui-même.

1805. (1879) Balzac, sa méthode de travail

Se débattant plus avec la forme qu’avec l’idée, il revenait constamment à la charge contre son adversaire le style, se mesurant avec lui d’estoc et de taille pour le vaincre2. Les hommes de talent mesuré, dont la phrase sort de premier jet du cerveau, calme et équilibrée, ne connaissent point ces tensions fiévreuses, ces bonheurs, ces promenades d’idées ou de forme qui faisaient sortir Jean-Jacques Rousseau de sa mansarde pour courir après le porteur d’un billet de dix lignes dans lesquelles l’auteur des Confessions croyait avoir employé un mot impropre. […] La prolixité domine dans certains importants morceaux ; la pensée déborde, les faits trop abondants s’enjambent les uns sur les autres et ne donneraient qu’une idée insuffisante de l’écrivain si on l’étudiait dans ses Œuvres diverses.

1806. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

Mon mot sur l’architecture Il ne s’agit point ici, mon ami, d’examiner le caractère des différents ordres d’architecture ; encore moins de balancer les avantages de l’architecture grecque et romaine avec les prérogatives de l’architecture gothique, de vous montrer celle-ci étendant l’espace au-dedans par la hauteur de ses voûtes et la légèreté de ses colonnes, détruisant au-dehors l’imposant de la masse par la multitude et le mauvais goût des ornements ; de faire valoir l’analogie de l’obscurité des vitraux colorés, avec la nature incompréhensible de l’être adoré et les idées sombres de l’adorateur ; mais de vous convaincre que sans architecture, il n’y a ni peinture ni sculpture, et que c’est à l’art qui n’a point de modèle subsistant sous le ciel que les deux arts imitateurs de la nature doivent leur origine et leur progrès. […] J’en appelle à présent de ces idées à l’expérience. […] Où aurait-il puisé les idées du grand, du simple, du noble, du lourd, du léger, du svelte, du grave, de l’élégant, du sérieux ?

1807. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 7, nouvelles preuves que la declamation théatrale des anciens étoit composée, et qu’elle s’écrivoit en notes. Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens » pp. 112-126

Ainsi qu’on ne s’en forme pas l’idée sur la basse continuë de nos opera. Cette idée ne serviroit qu’à faire trouver des difficultez mal fondées sur une chose constante, par le temoignage des auteurs les plus respectables de l’antiquité qui ont écrit ce qu’ils voïoient tous les jours. […] Suivant l’idée que les anciens avoient de la dignité de l’orateur, cet accompagnement dont on ne pouvoit point se passer en déclamant comme on recitoit sur le theatre lui convenoit si peu, que Ciceron ne lui veut pas même souffrir d’avoir jamais derriere lui lorsqu’il parle en public, un joueur d’instrument pour lui donner ses tons, quoique cette précaution fut autorisée à Rome par l’exemple de C.

1808. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Jules Vallès » pp. 259-268

… et voilà la grande critique à faire de son livre, qui ne conclut point, qui n’a aucune des conséquences sévères et absolues auxquelles je m’attendais en ouvrant cet ouvrage, dont le titre est plus grand que l’idée. […] Il a ce style ferme, sain, robuste, qui plaît en France et porte l’idée ; mais, que diable ! il faut une idée à porter.

1809. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

On peut dire que par elle le génie s’étend, l’âme s’élève, l’homme tout entier multiplie ses forces ; et de là les travaux, les méditations sublimes, les idées du législateur, les veilles du grand écrivain ; de là le sang versé pour la patrie, et l’éloquence de l’orateur qui défend la liberté de sa nation. […] Ne l’attendez pas d’un peuple pauvre, je ne dis pas celui qui, resté près de la nature et de l’égalité, borne ses désirs, vit de peu, et met les vertus à la place des richesses, mais celui qui, environné de grandes richesses qu’il ne partage pas, se trouve entre le spectacle du faste et la misère, et voit l’extrême pauvreté sortir de l’extrême opulence ; ce peuple occupé et avili par ses besoins, ne peut avoir l’idée d’un besoin plus noble. […] Enfin nous terminerons cet essai par quelques idées générales sur le ton et l’espèce d’éloquence qui nous paraît convenable aux éloges des grands hommes ; non que nous nous proposions de donner la poétique de ce genre, nous voulons nous instruire et ne pas tracer des règles.

1810. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome IV pp. -328

L’idée seule de faction le révoltoit. […] Mes idées se fortifieront dans des têtes républicaines. […] Marot goûta cette idée, & l’exécuta. […] Il étendit ses idées de réforme au-delà de son abbaye. […] Les idées que le P.

1811. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Et dans le grand silence qui est partout, rien n’éveille, en votre esprit, l’idée d’une activité humaine. […] Nous tremblons devant l’idée ; la moindre interrogation philosophique nous effare. […] Comment, par des mots, donner une idée de cela qui est formidable ? […] Le plan s’en déroule, conformément à cette idée générale, à travers mille aventures et mille fantaisies. […] L’idée est impuissante à percer les clameurs de la mort.

1812. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

Mais ce n’était point dans de simples rimes que François Ier faisait consister l’idée et l’honneur des lettres ; il embrassa la Renaissance dans toute son étendue. […] Si François Ier fut loin d’y réussir aussi bien, l’idée, l’intention du moins était délicate et noble. […] Hâtons-nous de reconnaître qu’il y a dans le Recueil quelques agréables exceptions ; il y en a même d’assez heureuses pour faire naître une idée qu’on ne saurait tout à fait dissimuler. […] Rien de plus naturel à supposer qu’une rencontre d’idées en semblable veine : ce qui ne laisse pas ici de donner à penser, c’est cette petite circonstance qui se retrouve dans les deux pièces, a læva, à main senestre. […] Après cela, si l’on s’étonnait, si l’on souriait encore de voir cette Marguerite si fort en contraste avec la première idée qu’on se fait de l’auteur des Contes et nouvelles, nous répondrions que notre impression ne s’est formée que sur la lecture des pièces qui attestent la suite sérieuse de ses pensées.

1813. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Tant de savoir dans des ordres d’idées si divers, tant de langues mêlées ensemble, tout cet amalgame de l’ancien et du moderne, de la matière et de l’esprit, de l’universel et du particulier, produisit dans cette tête vaste et active une sorte de fermentation d’où naquit cet ouvrage extraordinaire, dans lequel l’érudition est une ivresse, et le génie une débauche d’esprit. […] A toutes ces nouveautés dans tous les ordres d’idées, répondent des développements et des progrès corrélatifs dans la langue. […] Cette langue merveilleuse ne se guinde pas pour exprimer de hautes pensées ; et, de même qu’elle ne s’étonne point quand elle devient éloquente, elle ne croit pas déroger quand elle exprime des idées familières. […] On regrette qu’il n’ait jamais, soit la volonté, soit la force de suivre une idée sérieuse. […] Mais l’autorité de son exemple n’a pu y maintenir un trop grand nombre de grécismes ou de latinismes qu’il y importa, soit qu’il eût été atteint de la pédanterie des érudits dont il s’est moqué, soit qu’il eût besoin de trois langues à la fois pour l’incroyable richesse de ses idées, folles ou sensées, qui débordaient notre idiome.

1814. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Aussi l’idée qu’il a imprimée de lui est celle de la causticité même, d’une sorte de méchanceté envieuse. […] Ses talents, à lui, furent inférieurs à son esprit et à ses idées, et il en souffrit : son énergie, moins justifiée en apparence, se concentra de plus en plus, elle s’aigrit en lui et l’ulcéra. […] »), lui exprimait quelques idées très aristocratiques, qui lui étaient si familières : La nation, lui disait-il, n’est sortie de la barbarie que parce qu’il s’est trouvé trois ou quatre personnes à qui la nature avait donné du génie et du goût, qu’elle refusait à tout le reste… Notre nation n’a de goût que par accident. […] On le voit successivement d’ailleurs s’exercer dans tous les genres convenus ; il n’a pas la force ni l’idée de les renouveler et d’en créer d’autres. […] Chamfort était l’homme qui fournissait le plus d’idées et de vues à ses amis en causant ; il suffisait de le mettre sur un sujet et de l’animer un peu : « Je ne puis me refuser, lui disait Mirabeau, au plaisir de frotter la tête la plus électrique que j’aie jamais connue. » Je n’ose répéter tous les éloges de Mirabeau, qui sembleraient exagérés.

1815. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Plus d’école ni de parti, plus une idée ni un drapeau. […] Je m’ennuie avec les quelques idées monotones et ressassées qui me passent et me repassent dans la tête. […] Viennent là, trois ou quatre Anglais et Allemands, qui apportent leurs pipes, une demi-douzaine d’idées hégéliennes, un très grand mépris pour la politique de la France qu’ils traitent de politique sentimentale. […] Et c’est un bourdonnement fêlé : des lèvres blanches versant dans la conque cireuse des oreilles, des idées en enfance, les marmottages et radotages du passé, hantant ces vieilles cervelles comme un revenant, des paroles édentées, étoupées, bavées entre deux gencives. […] Il se trouvait dans une chambre tendue d’un papier tout ocellé des yeux d’une queue de paon, et sur ce papier, comme illuminé d’une lumière électrique, bondissait, dans une élasticité dont on ne peut se faire une idée, une levrette héraldique faite en ces copeaux rubannés qu’un rabot enlève sur une planche.

1816. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

L’idée de composer trois pièces qui se suivent et forment un grand ensemble, est empruntée des Grecs, qui nommaient ce genre une trilogie. […] Je m’étais appliqué surtout à faire ressortir l’idée principale, la considération décisive, qui impose silence à toutes les objections, et l’emporte sur tous les scrupules. […] Il y en a quelques-unes dans ma pièce dont l’idée même n’est pas dans Schiller. […] Aucun des personnages de femmes que nous voyons sur la scène française n’en peut donner l’idée. […] Les spectateurs français n’auraient pu tolérer dans une jeune fille cette exaltation, cette indépendance, d’autant plus étrangère à nos idées, qu’il ne s’y mêle aucun égarement, aucun délire.

1817. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Homère est l’homme et Virgile est la femme… Idée bien simple, mais que, pour cette raison sans doute, tous les parallèles entre Virgile et Homère ont oubliée… Sainte-Beuve lui-même, qui darde si bien sa lancette dans la veine des sujets dont il veut nous faire voir le sang, Sainte-Beuve a omis comme les autres cette différence de sexe, dans la même nature de génie, qui pose d’un trait le rapport à établir entre Homère et Virgile et que la Critique a toujours manqué ! […] L’auteur de l’Étude a donné, de sa fine main, ce petit soufflet aux idées fausses. […] … C’est qu’il n’était critique que de pure description et d’infatigable analyse niant les principes tout aussi bien en esthétique qu’en morale et en gouvernement, cet homme que des esprits qui ne connaissant pas plus Goethe que lui, appelaient hier le plus grand critique qui ait existé depuis Goethe… Sainte-Beuve a toujours repris toutes ses idées en sous-œuvre pour y ajouter ou y retrancher, tant elles lui semblaient incertaines ! […] Or, la Critique est placée plus haut… Elle n’est pas qu’une sensation, elle est une idée… Dormez-moi donc sur quoi que ce soit les idées générales de Sainte-Beuve ? […] Mais il n’était rien de plus, et quoique cela fût, cela n’était pas le critique, car le critique conclut d’après une idée supérieure à ce qu’il vient de décrire, d’analyser, de disséquer… Et puis, je l’ai dit déjà, le critique est le Stator suprême… S’il revient sur son jugement, ce n’est plus un juge : c’est un pauvre homme qui s’est trompé.

1818. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Remarquez-vous le peu qui est accordé au portrait physique, et combien les expressions mêmes qui servent à peindre sont peu précises, empruntées au vocabulaire des idées, des sentiments et des comparaisons littéraires ? […] Il ne souffrit pas de cet émondage précoce que nous fait subir la vie de collège, enfermée, commune à tous, identique pour des natures si profondément diversifiées, qu’on n’a jamais eu l’idée de semer dans une plate-bande autant d’espèces de tulipes, de lis, de navets, de résédas, de pavots, d’oignons, de pervenches, d’héliotropes qu’il y a de tempéraments groupés dans une classe d’enfants. […] Elle n’a aucune raison de ne pas aimer son mari, et elle est une très honnête femme, qui sait fort bien où est son devoir, et qui n’aura jamais l’idée, et je l’en remercie, de faire des théories pour excuser ses entraînements. […] Ni la critique de Diderot, ni celle de Théophile Gautier, ni celle des écrivains innombrables qui s’encadrent entre ces deux noms et ces deux époques, ne donnent une idée de la critique de Fromentin. […] Il les a ployés au service d’idées et de sensations nouvelles ; il les a détournés du sens habituel, groupés en combinaisons ingénieuses ; il a pris à l’atelier, pour les faire entrer dans la littérature, les termes d’argot vraiment pittoresques et méritants : il a créé une langue pour la critique d’art, dont il est à la fois l’inventeur et le modèle.

1819. (1874) Premiers lundis. Tome II « De l’expédition d’Afrique en 1830. Par M. E. d’Ault-Dumesnil, ex-officier d’ordonnance de M. de Bourmont. »

Il n’était pas de ceux qui n’aimaient dans la conquête d’Afrique qu’une distraction périlleuse et brillante, une occasion d’avancement, ou la satisfaction détournée d’une idée politique à l’intérieur. […] Ses idées là-dessus qui ajoutent un élément de plus, l’élément d’esprit et de vie aux pians d’ailleurs si judicieux du maréchal Clausel, méritent d’être méditées.

1820. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — I »

Cette remarque qui réduisait à néant l’idée d’une vérité régulatrice de l’effort universel, arbitre suprême de la conduite et but de la connaissance, l’idée, en un mot, d’une vérité objective, cette remarque releva la faculté bovaryque de la mésestime où elle était tenue du point de vue de la croyance à cette vérité.

1821. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Amédée Van Loo  » pp. 139-140

Est-ce que l’idée de ce tonneau percé par l’autre satyre ; ces jets de vin qui tombent dans la bouche de ses petits enfants étendus à terre sur la paille ; ces enfants gras et potelés ; cette femme qui se tient les côtés de rire de la manière dont son mari allaite ses enfants pendant son absence, ne vous plaît pas [?] […] Il y a des auteurs qui pensent ; il y a des peintres qui ont de l’idée.

1822. (1912) L’art de lire « Chapitre I. Lire lentement »

» Même sans dessein d’écrire soi-même, il faut lire avec lenteur, quoi que ce soit, en se demandant toujours si l’on a bien compris et si l’idée que vous venez de recevoir est bien celle de l’auteur et non la vôtre. « Est-ce bien cela ?  […] Beyle lisait beaucoup des doigts, c’est-à-dire qu’il parcourait beaucoup plus qu’il ne lisait et qu’il tombait toujours sur l’endroit essentiel et curieux du livre. » Il ne faut pas penser trop de mal de cette méthode qui est celle des hommes qui sont, comme Beyle, des collectionneurs d’idées.

1823. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Par nature, elle était sérieuse, triste même ; elle s’était de bonne heure réfugiée dans les idées religieuses. […] Il écrit à son ami : « Des idées sombres, mais tranquilles, me deviennent plus familières. […] Il pense un instant à consacrer sa vie à Dieu ; mais l’étude de la philosophie le détourne de ces idées. […] Il revenait vite à des idées douces et religieuses, mais alors il s’abandonnait surtout à la pensée de la mort. […] Chassez cette idée-là, je vous en prie, et ne confondez pas trop l’homme avec la souffrance.

1824. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Essayons : Idées de Madame Aubray. […] Mais j’ai une idée. […] Lutte d’idées et lutte de passion. […] L’idée est celle-ci. […] Soyons-en, s’il vous plaît, pour le moment, à l’idée générale, à l’idée initiale seulement.

1825. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre V : Règles relatives à l’explication des faits sociaux »

Comme on n’y voit que des combinaisons purement mentales, il semble qu’ils doivent se produire d’eux-mêmes dès qu’on en a l’idée, si, du moins, on les trouve utiles. […] C’est ainsi encore que les mots servent à exprimer des idées nouvelles sans que leur contexture change. […] C’est donc de l’individu qu’émanent les idées et les besoins qui ont déterminé la formation des sociétés, et, si c’est de lui que tout vient, c’est nécessairement par lui que tout doit s’expliquer. […] Tout au contraire, les considérations qu’on vient de lire se ramènent à cette idée que les causes des phénomènes sociaux ont internes à la société. […] C’est de l’idée contraire que se sont inspirés et les théoriciens du droit naturel et les économistes et, plus récemment, M. 

1826. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

Mais, certainement, là, elles donneront de lui une idée contraire à celle que certains esprits voudraient faire prévaloir sur ce jeune et intéressant écrivain. […] Lorsqu’il publia son roman de Jack, je dis assez que je déplorais la pente sur laquelle il glissait et qui l’entraînait vers des idées qui sont, hélas ! les idées des Jeunes, à ce triste moment de la littérature et des arts, et contre lesquelles protestait la distinction de sa nature. Je ne sache pas, en effet, de nature plus opposée à l’idée du Réalisme, cette Bête du temps, que la nature de Daudet, le poète des Amoureuses, qui, André Chénier volontaire, ne pouvait pas vouloir faire guillotiner sa poésie par le tranchant fangeux de la plus abjecte des théories littéraires. […] Le Nabab de Daudet est une idée générale.

1827. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Le sujet de cette confession est celui-ci : Un jeune homme qui a dix-neuf ans au commencement du récit et vingt et un ans à la fin, Octave, né vers 1810, de cette génération venue trop tard pour l’Empire, trop tard (malgré sa précocité) pour la Restauration, et qui achève, en ce moment, son apprentissage dans le conflit de toutes les idées et sur les débris de toutes les croyances, Octave est amoureux ; il l’est avec naïveté, confiance, adoration, et, jusque-là, il ressemble aux amoureux de tous les temps ; mais au plus beau de son rêve, un soir à souper, étant en face de sa maîtresse, sa fourchette tombe par hasard, il se baisse pour la ramasser, et voit… quoi ? […] Cette conclusion, on le voit, nous ramène à une situation dont les Lettres d’un Voyageur nous avaient déjà donné l’idée. […] La résistance de Mme Pierson, la tristesse résignée d’Octave, les sons de la voix aimée qui n’éveillent plus en lui ces transports de joie pareils à des sanglots pleins d’espérance, sa pâleur, qui réveille au contraire en elle cet instinct compatissant de sœur de charité ; puis, au premier baiser, l’évanouissement, suivi d’un si bel effroi, cette chère maîtresse éplorée, les mains irritées et tremblantes, les joues couvertes de rougeur et toutes brillantes de pourpre et de perles ; ce sont là des traits de naturelle peinture qui permettraient sans doute de trouver en cet épisode la matière d’une comparaison, souvent heureuse, avec Manon Lescaut ou Adolphe, si une idée simple et un goût harmonieux avaient ici ménagé l’ensemble, comme dans ces deux chefs-d’œuvre. […] J’insiste sur cet article de la contexture, parce que les trois quarts des gens jugent un livre d’après une page, sur une beauté ou un défaut, sur une impression isolée, et non par une idée recueillie de l’ensemble.

1828. (1892) Boileau « Chapitre III. La critique de Boileau. La polémique des « Satires » » pp. 73-88

C’étaient ou des libelles ou des apologies passionnées, où les idées et les doctrines n’étaient que les armes de la haine ou de la complaisance. […] Il fut, lui, un vrai critique, et le premier, en exceptant toutefois cet abbé d’Aubignac, si pédant et si injurieux, mais qui du moins bataillait pour des idées et des principes. […] Dans sa pratique comme dans sa doctrine, ce poète-là prenait tout justement, comme Gorgibus, « le roman par la queue » : il appelait « un chat un chat », et du premier coup allait à la nature, au lieu de mener l’esprit à l’idée par de petits chemins tortueux et fleuris. […] S’il se fût attaché à démêler finement le bien et le mal dans l’œuvre de Chapelain et dans celle de Scudéry, il eût brouillé les idées du public sans l’éclairer.

1829. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

Théodore de Banville est un poète lyrique hypnotisé par la rime, le dernier venu, le plus amusé et dans ses bons jours le plus amusant des romantiques, un clown en poésie qui a eu dans sa vie plusieurs idées, dont la plus persistante a été de n’exprimer aucune idée dans ses vers… M.  […] Ces Idylles prussiennes, sur lesquelles je veux particulièrement insister, ne sont pas seulement les plus belles poésies du volume, mais elles portent avec elles un caractère de nouveauté si peu attendu et si étonnant, qu’en vérité on peut tout croire de la puissance d’un poète qui, après trente ans de la vie poétique de la plus stricte unité, apparaît poète tout à coup dans un tout autre ordre de sentiments et d’idées, — et poète, comme certainement jusque-là il ne l’avait jamais été ! […] [L’Idée libre (1898).]

1830. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Leconte de Lisle, Charles-Marie (1818-1894) »

Et ainsi se déroulent devant le lecteur, dans leur souverain éclat, dans leur fidélité locale, dans leurs couleurs éblouissantes, ces poèmes merveilleux et si profondément originaux, où revivent tour à tour les religions mortes, et leurs luttes et leurs reflets sur les civilisations éteintes ; où l’idée philosophique apparaît d’elle-même, sans jamais nuire à l’effet poétique, qui demeure toujours le premier but. […] Mais c’est le mal du siècle tombé dans une nature intellectuelle, et c’est une poésie dont le tissu premier est une trame d’idées. […] Leconte de Lisle… Où Victor Hugo cherche des drames et montre le progrès de l’idée de justice, M.  […] Ferdinand Brunetière Tout diffère dans les Poèmes barbares et dans cette Légende des siècles, à laquelle on les a si souvent comparés : l’inspiration, le dessin, la facture, le caractère, l’effet, la forme et le fond, le style et l’idée.

1831. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Les idées sont « classées », ne nous émeuvent plus, mais la vertu de l’artiste se marque peut-être plus clairement aux yeux moins éblouis… Elle est faite (avec toutes les adresses du « dire ») de conviction et de sourire. […] On est beaucoup à s’éveiller chaque matin avec une admirable idée de roman, mais la journée se passe avant qu’une ligne en soit écrite, et le lendemain on s’aperçoit que le sujet a été traité, pour ne pas s’humilier on dit : gâché, par Maizeroy, par Théophile Gautier ou par Homère, et on a tort de s’en apercevoir et raison tout ensemble, parce que l’idée s’est fanée du jour au lendemain, faute qu’on ait songé à la planter au papier, à l’arroser d’encre vivifiante : la veille, oui, c’était original, le lendemain, oui, c’est banal. […] Sensuel mieux qu’amateur d’idées, ou plutôt actif sans emploi et obligé de porter ses déductions dans sa vie, il ne s’est pas satisfait à dépiquer Lassalle ou Morris, il a tenté une expérience de bonheur social.

1832. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Il s’écrie : « Qu’il y a d’idées inaccessibles à ceux qui ont le sentiment froid !  […] Ceux même des philosophes qui défendent la raison la trahissent : Condillac fait de l’intelligence une dépendance de la sensibilité, puisque les idées ne sont pour lui que des sensations transformées. […] N’y a-t-il pas dans les écrits de Scarron ou de Cyrano de Bergerac des dislocations comiques de style et d’idées, des contrastes violents qui font rire, des bouffonneries énormes et truculentes ? […] De même que ces crises tragiques, un changement dans la nourriture, dans la manière de vivre se répercute en sentiments et en idées que les écrivains expriment, sans en soupçonner souvent l’origine. « Savez-vous, disait Edmond de Goncourt à Taine50, si la tristesse anémique de ce siècle-ci ne vient pas de l’excès de son action, de ses prodigieux efforts, de son travail furieux, de ses forces cérébrales tendues à se rompre, de la débauche de sa production et de sa pensée dans tous les ordres ? 

1833. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

L’idée de ce qui est vivant attachée par les premiers observateurs à l’animal tout entier fut ensuite reléguée, dans la cellule. […] Que nos idées se modifient et se transforment touchant la nature et le siège de la substance vivante, que des perspectives diverses apparaissent, que des états divers du savoir humain se succèdent sur ce point extrême, ces métamorphoses du spectacle qu’il nous est ainsi donné de contempler ne sont point de nature à mettre en péril l’intégrité de notre faculté de connaissance elle-même. […] On y montrait comment l’idée chrétienne, en prêchant le renoncement à la vie immédiate, le détachement des biens terrestres, la fraternité, l’égalité entre les hommes et le mépris du savoir, en modérant par cette doctrine absolue, sans la réduire toutefois, l’énergie excessive du monde, barbare, qui sans ce frein ne fût pas parvenue à se coordonner, a rendu possible l’organisation des sociétés modernes que l’on voit fondées sur le principe de hiérarchie, qui sanctionnent le droit de propriété, qui, par l’accroissement du savoir, tendent à l’accroissement du bien-être, qui, sur tous les points et dans toutes leurs conclusions, contredisent et renient le principe chrétien, ce principe chrétien qui aida à les fonder et qui, développé avec outrance, aboutirait à les supprimer. […] Remy de Gourmont a mis en scène avec un art concret et une clarté parfaite dans son beau livre, la Culture des Idées, ce travail d’association et de dissociation.

1834. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

Si les philosophes du salon de madame Necker reconnaissaient, un soir, « qu’un caractère est toujours simple quand une seule chose l’intéresse », comment un missionnaire, qui n’a que l’idée fixe de sa foi à propager, pourrait-il manquer, quoi qu’il fasse, de cette simplicité qui est la plus haute expression humaine dans l’ordre de l’intelligence ou de la vie ? […] Huc ne craint pas même d’exagérer la dignité, le sentiment humain de son droit, dans l’intérêt supérieur de l’idée chrétienne qu’il représente aux yeux des populations chinoises. […] L’homme qui l’a provoquée et qui la dirige n’est rien de plus qu’un grand voleur à la mode orientale, lequel se sert du drapeau de toutes les idées et de tous les intérêts qu’il trouve sous sa main, comme les corsaires déploient tous les pavillons pour tromper l’ennemi qu’ils veulent aborder. […] Aussi corrompus, aussi lâches, aussi impuissants les uns que les autres, les Chinois de l’attaque lutteront avec des chances diverses contre les Chinois de la défense, et cette lutte pourrait, pendant longtemps, immobiliser le jeu aléatoire de toutes les horreurs, n’était l’idée de la condamnation par le sort de la race Mandchoue (actuellement régnante), qui commence déjà d’envahir ces têtes fatalistes et qui décidera probablement de la victoire !

1835. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Si, en publiant Les Vignes du Seigneur, il a voulu montrer que lui aussi savait jouer avec le rhythme, qu’il en avait étudié les charnières et les jointures, et que la langue de la mesure lui était familière pour revêtir toute idée, si infime qu’elle pût être, il a certainement atteint son but : mais ce but vulgaire était-il digne d’un esprit comme le sien ? […] Mais le mal est moins la calomnie que l’idée qu’il a eue qu’en se comparant à Louvet il ne se calomniait pas… A force de regarder le xviiie  siècle, son regard moral s’est troublé. […] Il faut cependant donner l’idée de celui de Monselet. […] Il nous a donné une notice, bibliographiquement assez complète, sur Rétif de la Bretonne13 ; mais, selon nous, l’idée de raconter, d’atténuer ou d’excuser la vie d’un pareil homme, ne pouvait venir qu’à un écrivain chez lequel le xviiie  siècle a fait fléchir un peu le sens moral.

1836. (1921) Esquisses critiques. Première série

Inapte au jeu des idées, il connaît fort bien les règles de celui des mots. […] Une seule idée commande leurs mouvements et les gouverne. […] Une écriture rapide, voluptueuse, moins confiante qu’on ne la supposerait à l’avance, sert de première traduction à son idée. […] Il a des raffinements d’idées, une certaine inclination vers le rare, le précieux et le maniéré. […] Marcel Boulenger ne saurait se comparer à ce voile transparent et imperceptible que Renan et Anatole France posent sur leurs idées.

1837. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

L’idée du beau, produit d’une conception tout intellectuelle, n’a rien de commun avec ces rêves bâtis d’une imagination sombre et superstitieuse. […] Müller, qu’une sorte d’écriture destinée à raconter des faits et à exprimer des idées, sans aucune pensée esthétique. […] Il était réservé à l’anthropomorphisme grec de rencontrer la beauté souveraine dans l’union étroite de la nature humaine avec l’idée divine. […] Autant que les idées chrétiennes de pénitence et d’ascétisme, les formes élancées de l’architecture du moyen âge commandaient aux figures qu’on y associait l’allongement et la maigreur. […] non pas avec des lignes et des couleurs, comme le peintre, chose facile et simple ; non pas avec des sons, comme le musicien ; mais avec des mots, avec des idées qui ne renferment ni sons, ni lignes, ni couleurs.

1838. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Edmond et Jules de Goncourt »

Champfleury, ils mettaient dans la bouche d’un grotesque les idées et les professions de foi qu’a reprises et développées sérieusement la plume pesante et convaincue de M.  […] Le moderne…, vois-tu, le moderne, il n’y a que cela… Une bonne idée que tu as là… Je me disais ; Coriolis qui a ça, un tempérament, qui est doué, lui qui est quelqu’un, un nerveux, un sensitif…, une machine à sensations, lui qui a des yeux… Comment ! […] Mme Gervaisais a été élevée par un père imbu des idées du XVIIIe siècle ; c’est une femme instruite, presque une femme savante, « une philosophe ». […] Une fois la sottise faite, la forme que prend son repentir, son volontaire abrutissement par l’absinthe, son suicide, tout cela est-il d’accord avec l’idée qu’on nous a donnée de son caractère   Dans Marthe et dans Manette, telles qu’elles nous sont d’abord présentées et telles qu’elles se montrent un assez long temps, qui pourrait soupçonner la petite créature haineuse et féroce et l’épouvantable juive sous qui succombent la raison de Charles et la dignité et le talent de Coriolis ? […] Manette Salomon, Charles Demailly et Renée Mauperin (avec Denoisel) sont, à ce point de vue surtout, trois livres ultra-parisiens, qui pourront, dans cent ans, donner à nos descendants une idée assez juste de la façon dont conversaient les plus spirituels et les plus blasés de leurs pères dans la seconde moitié du XIXe siècle.

1839. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Plus qu’aucun peuple nous tournons dans le cercle vicieux des mêmes formes et des mêmes idées, nous n’osons rompre la barrière, et nous ressemblons à un cheval de manège aveuglé par un bandeau et qui croit faire beaucoup de chemin parce qu’il ne s’aperçoit pas qu’il tourne toujours. […] Il est si doux, si facile, si commode de marcher sans peine sur des routes frayées, de vivre dans des idées toutes faites, de recevoir sa croyance avec l’héritage de son père, et de repousser indifféremment toute chose nouvelle dans la crainte d’avoir un effort à faire. […] Racontant toujours les mêmes histoires, refaisant toujours le même roman, mettant toujours en scène les mêmes personnages, chantant toujours les mêmes rimes sur le même ton, ne vivant absolument que dans des idées absolument épuisées, elle a cru qu’elle ne pouvait se rajeunir que paila forme. […] Qu’elle vienne, et l’occupation ne lui manquera pas ; elle aura fort à faire ; car en ne touchant pas aux idées qui remuent le monde maintenant, nous semblons capitaliser notre propre fortune pour rendre plus riche encore notre jeune héritière. […] Le jour où il est entré dans la vie littéraire, les écailles sont tombées de ses yeux, il a vu et compris qu’il fallait aussi avoir l’Idée, et que sans elle on n’était qu’un sépulcre blanchi.

1840. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Haraucourt, Edmond (1857-1941) »

Edmond Haraucourt est un poète très riche en idées. On me dira que, des idées, il n’est point si malaisé d’en acquérir et qu’il n’est pas si nécessaire qu’un poète en ait beaucoup.

1841. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11

Collé ne les avoit point composées pour le Public, mais pour la récréation de ses amis, ou plutôt pour celle du Prince auquel il est attaché ; & quand on ne travaille que pour un Théatre de Société, il est très permis de céder aux idées d’autrui, quoique peu conformes aux principes. […] Quoique connu dans les meilleures Sociétés, par des Chansons, des Vaudevilles, des Parodies, des Amphigouris, & d’autres Productions marquées au coin de l’agrément & de la gaieté ; néanmoins une grande modestie, beaucoup de défiance de lui-même, une juste idée des difficultés de l’Art, l’empêchoient de se produire sur le Théatre de la Nation.

1842. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Avant-propos » pp. 1-5

Comme l’on n’a point communement de la musique des grecs et des romains, l’idée que je viens d’en donner, et comme on croit qu’elle fut renfermée dans les mêmes bornes que la nôtre, l’on se trouve embarassé quand l’on veut expliquer tout ce que les auteurs anciens ont dit de leur musique et de l’usage qui s’en faisoit de leur temps. […] En premier lieu je donnerai une idée generale de la musique speculative et des arts musicaux, c’est-à-dire, des arts qui parmi les anciens étoient subordonnez à la science de la musique.

1843. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Préface de l’auteur »

Notre admiration pour ce physicien, la conviction qu’il ne nous apportait pas seulement une nouvelle physique mais aussi certaines manières nouvelles de penser, l’idée que science et philosophie sont des disciplines différentes mais faites pour se compléter, tout cela nous inspirait le désir et nous imposait même le devoir de procéder à une confrontation. […] C’étaient donc un peu les idées de tout le monde que nous allions confronter avec la théorie d’Einstein.

1844. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Est-ce que Titien, Raphaël ou Rubens ne vous peignent pas des sentiments ou des idées ? […] Semblables à des interprètes que nous employons dans les pays étrangers pour communiquer avec les hommes et les choses du pays, ils nous traduisent la matière en idée et l’idée en matière. […] Sa puissance s’accroît de tout ce qu’elle perçoit et de tout ce qui se produit d’idées ou de sentiments en elle par ces perceptions. […] Les arts mêmes ne paraissent avoir été accordés à l’homme que pour accroître indéfiniment cette puissance d’impressionnabilité, d’idées, de sensations, de sentiments, dans l’âme de l’homme. […] Comme Socrate, il ne produisait plus, mais il aidait les autres à produire : accoucheur de tableaux, comme Socrate accoucheur d’idées.

1845. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Croyez bien que toute ma vie est à vous ; je n’ai d’autre idée que vous. […] Tout m’avertit ici qu’il faut me retirer : ma santé, le caractère de mes idées, la fatigue et l’ennui de tout. […] Ma retraite des affaires pour toujours est devenue dans ma tête une idée fixe ; je la porte dans le monde et à la promenade. […] Vous figurez-vous tout cela, et les idées que cette scène faisait naître ? […] Sans mentir, je serais fâché de ne plus garder une idée de vous.

1846. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Si la relation générale du plaisir et de la douleur avec la vie demeure certaine, la nécessité d’une intelligence régulatrice par ses idées ne l’est pas moins. […] L’explication biologique de Darwin et de Spencer, en faisant appel à l’idée d’espèce ou de vie spécifique, et même à l’idée de vie individuelle, considère des résultats généraux et des faits ultérieurs. […] On peut voir une idée profonde dans cette théorie d’Épicure que la cessation de la douleur n’est pas l’indifférence, mais le bien-être, un calme heureux, un contentement consolidé et constitutif, ἡδονή ϰαταστηματιϰή. […] Ainsi s’introduisent dans la question les idées d’harmonie et de conflit entre l’agent extérieur et l’organe, puis entre les divers organes. […] Mais, à un degré plus haut de l’échelle des êtres, le plaisir devient, par l’intermédiaire de l’idée qui l’anticipe, le sur aiguillon de l’activité.

1847. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

* * * — De son mari, malade, poitrinaire, et qui a les caprices d’estomac de la mort, ma femme de ménage disait : « Il mange ses idées !  […] Le causeur à idées de Magny est en ce moment le docteur Robin, dont la parole est pleine d’aperçus neufs, de découvertes, de trouvailles, allant des plus hautes aux plus petites questions de la médecine. […] Sa figure se contracte du dégoût de nos idées et d’une espèce de répugnance peureuse d’enfant. […] Et il faut travailler, s’isoler la tête, la faire créer, et trouver des idées et des mots artistes dans la souffrance de l’un compliquée de la souffrance de l’autre, et dans l’agacement infernal, produit par la maison que nous habitons. […] Excitation de la musique sur nous, excitation plus nerveuse qu’autrefois, et plus avivante du travail littéraire et plus éveilleuse d’idées.

1848. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Les deux hommes modernes qui ont remué le plus d’idées par l’éloquence et le plus d’hommes par la guerre, Mirabeau et Napoléon, sont des Toscans transportés sur la scène de la France. […] Les idées ont ainsi, comme la terre, de ces germinations de plantes précoces et étranges qui fleurissent en hiver. […] Cette idée était mesquine et indigne du poète. […] Cette atmosphère cordiale adoucissait toutes les aspérités entre les idées. […] Il rapporte avec justice l’idée générale du poème à cet incomparable fragment de la philosophie, de la raison et de l’éloquence antique dans Cicéron, intitulé le Songe de Scipion.

1849. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

C’est une idée voluptueuse. […] Rien ne le dit ; et c’est une idée bien tirée par les cheveux. […] Et chienne de bête, si tu n’as point d’idées, que n’en vas-tu chercher chez ceux qui en ont, qui t’aiment, qui estiment ton talent et qui t’en soufleroient. Je scais bien qu’en peinture, ainsi qu’en littérature on ne tire pas grand parti d’une idée d’emprunt ; mais cela vaut encore mieux que rien. […] C’est une foule d’idées fines qui ne peuvent se rendre, ou qui rendues seroient sans effet.

1850. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

j’ai beaucoup examiné et comparé, et je puis vous assurer qu’à partir d’une certaine date de notre histoire (car je ne parle pas des premiers siècles et des premières races), Mézeray est encore notre meilleur historien. » Ce jugement m’était resté dans la pensée, lorsque peu après je rencontrai une réimpression d’une partie de l’Histoire de France de Mézeray, Le Règne de Henri III, que venait de publier en province M. le pasteur Scipion Combet25, en y joignant une notice sur Mézeray qui confirmait de tout point les idées du premier juge. Cette coïncidence m’a frappé, et je me suis dit que pour que deux esprits sérieux, appliqués, travaillant en conscience et loin du bruit, l’un à Dijon et dans un ordre d’idées et de considérations catholiques, l’autre à Alais dans la communion protestante, que pour que ces deux esprits, ayant fait chacun de Mézeray une étude spéciale, se fussent ainsi rencontrés dans une opinion commune, il fallait que l’historien, à bien des égards, le méritât. […] De telles idées nationales et élevées sont perpétuelles chez Mézeray. […] Avoir vu un grand homme régnant ou administrant, rien n’est tel pour l’historien que ce genre de démonstration vivante, même lorsque ensuite on passerait aux idées d’indépendance et de liberté. […] Il sait y faire entrer les circonstances qui parlent et qui animent un récit : « Quand il allait par les champs, dit-il de Louis XII, les bonnes gens accouraient de plusieurs journées pour le voir, lui jonchant les chemins de fleurs et de feuillages, et, comme si c’eût été un Dieu visible, essayaient de faire toucher leurs mouchoirs à sa monture pour les garder comme de précieuses reliques. » J’essaie, en ramassant tous ces exemples, de donner l’idée et le sentiment du genre de mérite et de charme que je trouve au style ou plutôt à la langue et à la touche éparse de Mézeray ; il me reste à insister sur ses parties sérieuses d’historien, et aussi à traiter des originalités ou bizarreries de l’homme.

1851. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

» J’irai tout d’abord au fond, et je dirai : L’idée qu’on prend du duc de Bourgogne quand on a lu Fénelon n’est pas exactement la même que celle qui nous est donnée par la lecture de Saint-Simon. […] on prend avec Saint-Simon une idée, une impression du duc de Bourgogne bien plus grande et plus favorable qu’avec Fénelon. […] Ses idées et ses plans divers demanderaient une longue explication, dont le dernier mot et la conclusion seraient, je crois, un doute. […] Il n’a jamais donné aux siens la dernière main et ne les a jamais proposés que comme de premières idées qu’il faudrait ensuite serrer de plus près dans la pratique. […] Fénelon, courtisé de nouveau durant quelques mois, puis délaissé derechef, put se rafraîchir l’idée qu’il avait de la vanité et de la misère du monde.

1852. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Né le 8 février 1551, en Saintonge, d’une mère qui mourut en le mettant au monde, et d’un père énergique qui l’éleva sans mollesse et sans ménagement, il fut appliqué de bonne heure aux lettres et langues anciennes, et en même temps on l’initia à l’idée qu’il avait à venger les chefs et martyrs de sa cause, injustement immolés. […] Ses petits Mémoires, destinés à ses enfants, et qu’on publie aujourd’hui dans un texte plus exact, c’est-à-dire dans une langue plus inégale qu’on ne les avait précédemment, ne doivent point, si l’on veut prendre de lui une entière idée, se séparer jamais de la grande Histoire à laquelle il renvoie sans cesse, et où il se montre par ses meilleurs et ses plus larges côtés. […] L’idée de religion particulière et de secte l’emportait chez lui sur celle de nationalité et de patrie ; et c’est ici qu’on reconnaît combien Henri IV fut un roi vraiment roi, supérieur à son premier parti, et d’un tout autre horizon. […] On en voit le thème : il s’indigne pour les siens, pour les hommes de sa cause, à cette seule idée de se faufiler dans l’armée royale ; ce serait abjurer le passé : Ce serait, dit-il en commençant, fouler aux pieds les cendres de nos martyrs et le sang de nos vaillants hommes, ce serait planter des potences sur les tombeaux de nos princes et grands capitaines morts, et condamner à pareille ignominie ceux qui, encore debout, ont voué leurs vies à Dieu, que de mettre ici en doute et sur le bureau avec quelle justice ils ont exercé leurs magnanimités ; ce serait craindre que Dieu même ne fût coupable ayant béni leurs armes, par lesquelles ils ont traité avec les rois selon le droit des gens, arrêté les injustes brûlements qui s’exerçaient de tous côtés, et acquis la paix à l’Église et à la France… Je dis donc que nous ne devons point être seuls désarmés quand toute la France est en armes, ni permettre à nos soldats de prêter serment aux capitaines qui l’ont prêté de nous exterminer, leur faire avoir en révérence les visages sur lesquels ils doivent faire trancher leurs coutelas, et de plus les faire marcher sous les drapeaux de la Croix blanche qui leur ont servi et doivent servir encore de quintaine (point de mire) et de blanc. […] Pour nous, lecteurs d’aujourd’hui, à qui échappent un bon nombre des termes, des qualifications en usage et des métaphores courantes qu’il emploie, autant vaudrait donner dans une forêt de piques que de nous jeter dans ses récits d’Arques ou de Coutras, si on n’avait pas d’autre narration plus distincte pour en prendre idée.

1853. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Bien des années après en être sorti et dans son dernier séjour à Venise, Léopold Robert à qui il était arrivé une fois par exception de recevoir d’avance d’un ami le prix d’un tableau qui n’était pas commencé, en ressentait presque un remords : Rien ne me tourmente plus que l’idée de faire un travail dû ; elle est toujours là… Jamais je ne consentirais avec personne d’être payé avant d’avoir livré un tableau qui me serait demandé. […] Je ne peux m’expliquer autrement cette différence qu’en me persuadant qu’ils ont le moral et le physique en rapport parfait, et que chez nous le moral l’emporte beaucoup : ce qui fait qu’en ayant plus d’envie de faire le bien que de moyens de le faire, qu’ayant des idées qui nous sortent trop de notre sphère individuelle, et que, souffrant de mille manières inconnues aux hommes qui aiment trop leur personne, nous ne pouvons nous défaire d’un fonds de tristesse et de mécontentement intérieur qui perce plus ou moins. […] On ne peut pas cependant leur ôter une belle dose d’imagination et d’idées particulières. […] En novembre 1825, il félicite son ami Navez du mariage ; c’est une idée qui reviendra souvent et qui tient une grande place dans la réflexion mélancolique et dans le regret moral de Léopold Robert : « Je te félicite d’avoir enfin pris le parti de te marier et d’avoir trouvé surtout une aimable moitié qui trouvera plus son plaisir d’être chez elle que de sortir. […] Mais, cher ami, ne soyez pas étonné, je vous prie, de ce que je vous dis ; il me semble que des idées élevées, tout en mettant dans l’âme de grands principes de bonheur, donnent aussi au talent quelque chose d’original et le sortent de l’ornière que l’on suit trop généralement.

1854. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Pour nous, qui nous contentons de sentir sa force, son mérite, mérite toujours contrarié et traversé de certaines ombres, il nous attire surtout à titre d’écrivain, et nous voudrions par ce côté nous en rendre compte à nous-même en présence de nos lecteurs, sans rien ajouter à l’idée, fort élevée d’ailleurs, qu’on se doit faire de lui, et sans rien exagérer. […] Il avait l’idée d’abord de pousser jusqu’en Orient et de voir l’empire des Turcs, « non par superstition », dit-il, comme la plupart de ceux qui y vont seulement pour visiter Jérusalem, mais pour s’instruire en ces années actives d’apprentissage et pour considérer la diversité des pays et des peuples. […] Il pensa à l’établir grandement et le fît duc et pair (1602) : il avait eu l’idée d’abord de le marier à une princesse de Suède ; ce projet n’ayant pas eu de suite, Rohan épousa la fille de Sully et devint le gendre de l’homme qui gagnait chaque jour en importance dans l’État et en crédit auprès du maître. […] Il roulait comme il pouvait, quelquefois trois mois durant, avec ces troupes sans paye, tenant tête aux armées ennemies, faisant plusieurs sièges, et il était forcé après cela de se désister de ce qu’il était près d’atteindre, « tant à cause de la mauvaise humeur de ses mestres de camp, que parce que les moissons approchaient, qui est un temps où les pauvres gens gagnent gros au bas Languedoc. » Ce ne sont là que des aperçus, mais qui donnent idée de la nature de génie et de constance qu’il lui fallut pour faire si bonne mine en un tel genre de guerre : je laisse à d’autres à l’en admirer. […] » Car, de même, continue Plutarque, que la poésie d’Antimaque et les peintures de Denys, ces deux enfants de Colophon, avec tout le nerf et la vigueur qu’elles possèdent, donnent l’idée de quelque chose de forcé et de peiné, tandis qu’aux tableaux de Nicomaque et aux vers d’Homère, sans parler des autres mérites de puissance et de grâce, il y a, en outre, je ne sais quel air d’avoir été faits aisément et coulamment : c’est ainsi qu’auprès de la carrière militaire d’Épaminondas et celle d’Agésilas, qui furent pleines de labeur et de luttes ardues, celle de Timoléon, si on la met en regard, ayant, indépendamment du beau, bien du facile, paraît à ceux qui en jugent sainement l’œuvre non pas de la fortune, mais de la vertu heureuse.

1855. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

. — Oui, ennuyeux tant que vous voudrez ; ils parlaient de ce qu’ils ne savaient pas bien, ils entreprenaient un jeune homme qui y était peu propre, ils allaient comme sont allés si souvent nos théoriciens prêcheurs, tout droit devant eux et à tort et à travers ; mais l’idée pourtant, l’idée française d’une histoire suisse à faire, — du besoin qu’on avait d’une histoire suisse, — restait attachée à l’imagination et enfoncée dans l’esprit de Bonstetten ; il emportait sans y songer l’aiguillon ; et lorsque trois ans après, il rencontre Jean de Muller au seuil de sa magnanime entreprise, mais encore incertain sur la forme, sur l’étendue, sur la plénitude du dessein, Bonstetten se souvient à l’instant et se sert de l’aiguillon qu’il a reçu, et, devenu prêcheur à son tour, il pousse, excite et soutient son ami dans la grande carrière. […] Mandé chez l’avoyer, il s’attendait à ce que celui-ci lui parlât affaires et s’ouvrît avec lui des secrets d’État : il repassait en idée, au moment de l’audience, son Machiavel et son Montesquieu. […] Il y avait chez ces hommes une fécondité d’idées, d’absurdités et de croyances superstitieuses de toute espèce : tout cela se croisait et s’enlaçait si bizarrement ensemble, que je me croyais dans les déserts de l’Amérique où de superbes forêts rendues inaccessibles par les lianes recèlent d’impénétrables ténèbres… Je certifie qu’avec les meilleures intentions je n’ai pu, pendant les trois années de ma charge (1795, 1796, 1797), faire le bien de personne. […] Le grand préjugé contre l’usage de la pomme de terre comme aliment pour l’homme, venait de l’idée qu’elle était per le creature, c’est-à-dire pour les porcs.

1856. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

 » Je ne m’inquiète pas du fond de la pensée ni de savoir s’il est exact de supposer à ce vieux cœur breton de telles tendresses, mais on a peine à comprendre, quand on a vu M. de Lamennais, que l’idée de Clorinde ait pu venir à personne à son sujet. — D’autres fois, c’est la parfaite justesse qui manque aux idées de Mme Swetchine. […] J’ai dans l’idée, en parlant ainsi, un passage où le témoignage d’Horace est invoqué : elle avait lu saint Augustin plus qu’Horace, etces quelques lignes, en effet, ne lui appartiennent pas30. […] J’ai voulu, en contraste a ces idées de Mme Swetchine, me donner ce que j’appelle une douche de sens naturel et d’humble sens commun, dussé-je avoir beaucoup à rabattre des trop hautes prétentions humaines. […] On s’en fera quelque idée, si l’on est curieux, en cherchant dans le numéro du journal religieux le Monde, du 29 avril 1862, un article signé Roger de Sezeval, une plume de qualité.

1857. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Œuvres complètes d’Hyppolyte Rigault avec notice de M. Saint-Marc Girardin. »

Il n’avait aucun entraînement, nul abandon de jeunesse, et semblait de bonne heure fort préoccupé du but : ses camarades, dans l’idée qu’ils avaient de sa prévoyance, disaient de lui qu’il ne regardait pas à droite ni à gauche au hasard, qu’il ne faisait rien indifféremment. […] Si franchement converti qu’il est aux idées classiques, lui qui paraît ne pas aimer les conversions, M. Sainte-Beuve n’est pas homme à oublier cependant, dans la ferveur d’une réaction, que parmi les idées nouvelles il y en avait de très raisonnables. […] Celui qui écrit tous les jours ou très habituellement dans les journaux, même quand il aurait tout l’esprit du monde, est en danger parfois de souffrir de la disette d’idées ou de sujets : mais ayez un adversaire, et il n’y a plus à vous inquiéter ; l’adversaire, au besoin, vous fournira chaque matin la moitié de vos idées : vous n’avez qu’à retourner les siennes contre lui.

1858. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Il faut le dire, il y a deux idées différentes et presque contraires, qui ont présidé à la constitution de l’Académie française, telle qu’elle existe à présent, sous sa forme moderne, et il convient d’autant plus de les démêler que l’une s’est insensiblement substituée à l’autre et la masque tout à fait aujourd’hui. […] Il y avait bien dans ]’Institut une Classe qui répondait à ce qu’avait été l’Académie française ; mais cette Académie elle-même existait alors si peu comme un corps identique à l’ancien, qu’on a un mémoire rédigé par Fontanes vers cette date et en vue de son rétablissement : Napoléon, qui avait sans doute demandé le mémoire, ne donna pas suite à l’idée. […] L’Académie, qui dispose aujourd’hui de plus de 57,000 francs de rente, en emploie plus de 35,000 chaque année en prix et récompenses littéraires qu’elle distribue en parfaite connaissance de cause, après examen, rapport, discussion ; mais, enfin, cette idée aristocratique du rien faire et du parfait loisir pour tous ceux qui sont une fois arrivés au fauteuil, prévalut dans l’opinion et s’autorisa des prétentions mêmes, affichées par l’Académie en 1816. […] De remplacer le plus fécond, le plus inventif, le plus adroit et le plus heureux des auteurs et arrangeurs dramatiques de ce temps ; de celui qui, pendant quarante ans, n’a cessé d’alimenter tous les théâtres et de desservir toutes les scènes ; qui est mort sur le champ de bataille, pour ainsi dire, en plein travail, au moment où, une idée en tête, il courait au galop chez un collaborateur. […] Gozlan est un homme d’esprit dans la force du terme ; il a d’heureux mots, comme on en cite d’autrefois : il a des fantaisies qui réussissent à la scène, des nouvelles dont l’idée est piquante.

1859. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

Si l’on se transporte en idée à un autre siècle de distance, à l’année 1963, quel sera, quel pourra être en pareille matière le nouveau progrès conquis et gagné ? […] L’indifférence religieuse, malgré les réveils apparents ou en partie réels que j’ai signalés, est grande et au-delà de ce qu’elle a jamais été ; l’anarchie, en cet ordre d’idées, est croissante et s’étend chaque jour. […] Entre les croyants et les incrédules proprement dits, il y a une masse flottante considérable, indécise, qui n’ira jamais ni aux uns ni aux autres, et qui, livrée aux soins positifs de la vie, vouée aux idées moyennes, aux intérêts secondaires, aux sentiments naturels et honnêtement dirigés, à tout ce qui est du bon sens, est capable et digne d’instruction, et en est curieuse à certain degré. […] Havet, un écrivain qui sort tous les trois ou quatre ans de sa retraite et de son silence pour nous produire chaque, fois un chef-d’œuvre de critique en son genre, — que ce soit sur la Rhétorique d’Aristote, sur Pascal ou sur Isocrate, — a publié cette fois encore, dans la Revue des Deux Mondes, un essai de premier ordre pour le fond des idées comme pour l’élégance et la fermeté de l’expression ; il y a traité excellemment de cette Vie de Jésus. […] Aux âmes simples, aux fidèles qui vivent rangés et soumis autour de la houlette pastorale, je ne conseillerai pas de le lire ; mais on sait que le nombre de ces fidèles et de ces humbles n’est pas infini ; et pour tous les autres, sceptiques, indifférents, hommes d’étude et d’examen, gens du monde, gens d’affaires, pour peu que vous ayez un coin sérieux de vacant et de libre en vous, je dirai avec confiance : Lisez et méditez, lisez et relisez ces beaux chapitres, Éducation de Jésus, Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus, Prédications du lac et apprenez le respect, l’amour et l’intelligence de ces choses religieuses auxquelles il n’est plus temps d’appliquer la raillerie et le sourire.

1860. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Cette idée de grâce, les Grecs la portaient en tout ; pour dire les gens comme il faut, les gens bien élevés, les honnêtes gens, même au sens politique, les Conservateurs, ils avaient ce mot charmant : et [caracteres grecs illisibles] , comme qui dirait : les gracieux, les agréables. […] Egger, auparavant, s’informe de la nature et de la qualité des textes, de l’historique des écrits, de tout ce qui les a précédés, motivés, de ce qui infirme ou appuie les idées reçues. […] Quelques-uns seulement y auront perdu : Aristarque, je le sais, tel que l’analyse nous l’offre, ne répond plus tout à fait à l’idée proverbiale et grandiose qu’en avaient conçue les Anciens ; c’est le sort et le malheur des plus excellents critiques, dont les services se consomment en quelque sorte sur place, et qui travaillent à se rendre inutiles. […] Plus tard, la place est occupée ; les affaires, les soucis, les soins de chaque jour la remplissent, et il n’y a plus guère moyen qu’avec un trop grand effort de repousser la vie présente qui nous envahit de tous côtés et qui nous déborde, pour aller se reporter en idée à trois mille ans en arrière19. […] Un moraliste à la façon de Nicole les a très-bien définis en ces mots : « Ce sont des esprits trop remplis d’eux-mêmes et des images présentes qui les occupent, pour pouvoir s’ouvrir et faire place en eux à d’autres idées que les leurs, et surtout quand il s’agit d’admettre et de comprendre les choses du passé. » De ces esprits exclusivement voués au monde moderne, aux impressions actives de chaque jour, et qui ne sauraient s’en déprendre, il en est, d’ailleurs, je le sais, de bien fermes et, à tous autres égards, d’excellents.

1861. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Dans les Harmonies, il perce déjà beaucoup d’idées de transformation chrétienne, mais arrêtées à temps. […] Seulement M. de Lamartine, bien qu’il n’aille pas moins à pleines voiles dans cette idée, a gardé dans la forme, dans l’application en politique, dans l’extrême tolérance pour les personnes, tout ce qui faisait de lui dès l’abord un poëte d’harmonie, d’onction et de grâce ondoyante ; il procède toujours par voie d’expansion et non d’éruption.  […] Le bon public, qui ne crée pas, comme Jéhovah, l’homme à son image, mais qui le défigure à sa fantaisie, croit que j’ai passé trente années de ma vie à aligner des rimes et à contempler les étoiles : je n’y ai pas employé trente mois, et la poésie n’a été pour moi que ce qu’est la prière… » Nous concevons ce qu’a d’impatientant pour le poëte, et pour tout écrivain célèbre, l’idée absolue qu’on se forme de lui, et sur laquelle, bon gré, mal gré, on veut le modeler après coup. Mais, selon cette idée que se fait le bon public, on n’est pas défiguré toujours, on est idéalisé quelquefois : n’en faudrait-il pas prendre son parti alors, composer avec cet idéal, et ne le pas secouer avec ce sans façon ? […] Adolphe Dumas, reprenant les idées de la préface, les redouble agréablement, et tend à consacrer tout à fait cette théorie de négligence et de laisser aller indéfini que trop d’autres pièces confirment sans en parler.

1862. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre IV »

Le Dr Dumontpallier, qui resta longtemps son confident et son guide, a dit sa curiosité des nouvelles Idées. […] C’est dire que, selon l’idée que je me fais du roman moderne, le romancier est tenu d’avoir des connaissances universelles. […] Deux sœurs vivantes : l’une continuellement obsédée d’idées obscènes, l’autre simplement égoïste et revêche. […] un déménagement complet, des idées de se casser la tête contre le mur, des hurlements qui empêchaient les autres malades de dormir » (p. 433). […] Puis, il avait eu l’intuition de la théorie que Weissmann devait faire triompher plus tard, il s’était arrêté à l’idée d’une substance extrêmement fine et complexe, le plasma germinatif, dont une partie reste toujours en réserve dans chaque nouvel être pour qu’elle soit ainsi transmise, invariable, immuable, de génération en génération. »80 Il est impossible d’accorder à ces deux paragraphes un intérêt supérieur à celui d’un manuel désuet et vieillot.

1863. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Ses idées sur l’éducation. […] Développement de Rabelais Le grand mouvement d’idées que la découverte de l’antiquité détermina chez nous pendant le premier tiers du xvie  siècle ne s’était fait encore sentir qu’incidemment dans la littérature, quand soudain il éclata dans le premier livre de Pantagruel (fin de 1532), bientôt suivi de son père Gargantua 175. […] Bien assuré par un privilège du roi, il se découvre dans son troisième livre, merveilleux de verve, mais dont l’ample satire évite lestement les actualités dangereuses : c’est, sur le thème gaulois du mariage, une débauche érudite d’idées, un jaillissement étrange de vie dans ce défilé de personnages et ce cliquetis de dialogue ; et parmi tout cela la traditionnelle raillerie des moines, une attaque enveloppée contre le célibat monastique, une longue parodie des lenteurs de la justice. […] Rabelais aime la vie, non par système et abstraitement, mais d’instinct, par tous ses sens et toute son âme, non une idée de la vie, non certaines formes de la vie, mais la vie concrète et sensible, la vie des vivants, la vie de la chair et la vie de l’esprit, toutes les formes, belles ou laides, tous les actes, nobles ou vulgaires, où s’exprime la vie. […] Aux mêmes idées se rattache la pédagogie de Rabelais : et par là s’explique qu’il ait si vigoureusement exprimé dans ses programmes encyclopédiques les plus profonds désirs et les plus effrénées espérances de son temps.

1864. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

L’idée première de son roman, la préface, le cadre, quelques aventures viennent du Marcos Obregon de Vicente Espinel. […] Il est visible que l’auteur, depuis onze ans, a pris une meilleure idée du personnel qui gouverne. […] Il me semble qu’il faut prendre garde de trop louer l’idée philosophique qui a déterminé le caractère de Gil Blas. […] Et pourtant cet ouvrage contient quelque chose de rare dans la vie, et que le roman avait rejeté depuis Mme de la Fayette comme une pure idée de roman : il y a une grande passion, une passion qui absorbe deux êtres, dévorant leurs âmes et leurs existences. […] Restif de la Bretonne504 délaye les idées du maître dans des œuvres aussi vulgaires que nombreuses ; il n’appartient presque plus à la littérature, et je ne le nommerais pas sans le réalisme intime et sérieux de quelques parties de Monsieur Nicolas.

1865. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

L’idée d’emporter furtivement d’un salon quelque objet précieux à son snobisme lui répugnerait, sans doute. […] D’une tenue moins hautaine et moins sévère que son ami Barbey d’Aurevilly, trapu et plébéien et souvent grossier, il donne l’idée d’une force plus grande et, moins étonnant peut-être, il est plus sympathique de sincérité brutale. […] Rencontrent-ils chez un adversaire une idée un peu nouvelle, aussitôt leur rire éclate, leurs mains claquent bruyantes sur leurs cuisses et ils entraînent le bon badaud à se gausser avec eux d’une aussi joyeuse folie. […] « C’est consternant et même un peu diabolique, s’écrie-t-il, de lire ce bavardage monstrueux, infini, ce déluge de mots, pendant des pages, pour ne jamais aboutir, pour ressasser indéfiniment un lieu-commun misérable, sans espoir de rencontrer, je ne dis pas une idée, mais une image, un semblant d’image qui n’ait pas servi un million de fois ! […] Guillaume est moins séduit par la beauté de Suzanne que par l’idée de l’inceste.

1866. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Il a, en ce sens, bien du rapport avec Voltaire, avec qui il partage l’honneur d’être peut-être l’homme le plus spirituel de son temps ; je prends le mot esprit avec l’idée de source et de jet perpétuel. […] ) Ô vous qui me reprochez mon père, vous n’avez pas l’idée de son généreux cœur. […] Le grand financier Pâris-Duverney, devenu, dans sa vieillesse, intendant de l’École militaire, dont il avait inspiré la première idée à Mme de Pompadour, et dont il avait dirigé la fondation, souhaitait ardemment que la famille royale honorât d’une visite cet établissement patriotique où il mettait sa dernière pensée. […] Beaumarchais est le premier de nos écrivains qui ait ainsi porté la verve, et, jusqu’à un certain point, l’attendrissement, dans l’idée de spéculation financière et de fortune. […] Beaumarchais, même sans avoir réussi, laissa à tous ceux qu’il avait vus en Espagne une favorable idée de sa capacité et de ses talents.

1867. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Voltaire nous donne là une belle idée du goût de ses contemporains. […] Depuis, les idées religieuses s’étant extrêmement affaiblies, l’intérêt de cette pièce a diminué : ce combat ne produit plus le même effet sur les spectateurs. […] Sévère, dans Polyeucte, est aussi un personnage créé d’après les idées de la galanterie chevaleresque. […] Dans leurs idées, des milliers de tyrans n’étaient pas contraires à cette singulière liberté ; un seul chef la détruisait. […] Les vers sont faibles, mais les idées sont justes.

1868. (1813) Réflexions sur le suicide

Le remords tient nécessairement à l’idée qu’on se fait de la Justice divine, car si nous ne comparions pas nos actions à ce type suprême de l’équité, nous n’aurions dans la vie que des regrets. […] L’occupation rend de la saveur à l’existence, et les beaux-arts ont tout à la fois l’originalité des objets particuliers et la grandeur des idées universelles. […] Le martyr sert la cause de la vertu en livrant son sang pour l’enseignement du monde : celui qui se rend coupable du Suicide pervertit toutes les idées de courage et fait de la mort même un scandale. […] Mais dès que leurs passions sont irritées, ils bravent la douleur, et cette dernière douleur que nous appelons la mort, dont ils n’ont sans doute aucune idée. […] Il y a des exemples de Suicide chez la nation Française, mais ce n’est d’ordinaire, ni à la mélancolie du caractère ni à l’exaltation des idées, qu’on peut les attribuer.

1869. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

« Jamais les idées du Chevalier ne sont affaiblies, subtilisées ni refroidies par une vaine métaphysique. […] Il n’emprunte les idées ni les expressions de personne ; ce qu’il voit, ce qu’il dit, il le voit et il le dit pour la première fois. […] Elles achèveront l’idée de cette liaison tendre, passionnée, délicate et légère. […] Or, si vous deveniez déraisonnable et capricieuse, l’idée qu’on a d’une Aïssé toujours juste, tendre, douce, égale, s’évanouiroit. […] Les lettres qu’on a publiées de Mme de Tencin au duc de Richelieu ne sont pas faites pour diminuer l’idée qu’on a de son ambition effrénée et de ses manéges, mais elles sont propres à donner une assez grande idée de la fermeté de son esprit.

1870. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

Rose me dit qu’elle est malade de l’idée qu’elle n’aura plus d’argent dans sa poche : l’argent de la vente allant et venant sous le tablier. […] Vous savez, il a eu l’idée en musique, quand les paroles étaient tristes, de faire trou trou trou au lieu de tra tra tra. […] Une preuve indiscutable de cela, c’est le tombeau du Christ, rien qu’une idée, pour laquelle l’Europe entière se remuait encore hier. […] L’idée est pourtant là, attirante et insaisissable, comme une belle et méchante fée dans un nuage. […] Point de hautes idées, point de grandes expressions, point de ces images qui détachent en bloc une figure.

1871. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Bien plus, les accords de leur lyrisme fondamental éveillent les idées belles et générales, communes à tous les hommes, du souffle sûr des justes images. […] En France, crier : « Vive quelqu’un » implique l’idée : « À bas Machin. » C’est absurde et bon pour des politiciens. […] Ses vers ont la triple force du Rythme, de, la langue et de l’idée. […] Or, l’artiste exerce une influence d’autant plus vaste qu’il consent davantage à s’abstraire, au profit d’idées générales. […] tu fis croire Que jaillissait l’idée au cliquetis des mots.

1872. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

Il est rare que les ouvrages de génie ne renferment pas une idée dominante, qui est l’origine de toutes les autres. L’idée fondamentale de notre auteur est la Providence. […] Ô puissance sublime des idées religieuses ! […] Comment généraliserez-vous ses idées ? […] Quand nous étions dans le néant, si nous eussions été capables de penser, aurions-nous pu nous former une idée de notre existence ?

1873. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

Là-dessus, il me fait cette confession : dans le principe, il avait eu l’idéeidée devant laquelle il avait reculé ensuite — de faire la résurrection de l’amour, et la ressoudure de la chair, en la griserie du crime, accompli par le mari sur le jeune prince d’Olmutz, avec la complicité de la femme. […] C’est lui qui éveille en eux les sentiments engendreurs des idées, dont ils vivent, et qu’ils s’efforcent de fixer en réalités sociales. […] Alors il saute à bas de son lit, et cherche l’oubli de cette opération, dans le travail, la lecture, la mise de sa pensée, dans quelque chose qui la distrait de son idée fixe. […] Puis Finot saute à Tolstoï, et affirme qu’il est seulement le vulgarisateur et le développeur de beaucoup d’idées, appartenant à des sectes : ainsi l’idée de la résistance au militariat, prêchée par un ancien maçon, passé apôtre, et habillé de blanc, sur le besoin, que les théories ont de parler, pour ainsi dire, physiquement à l’imagination des peuples. […] Je ne fais pas le procès à l’idée de l’exposition, je le fais seulement à l’exposition du jour, d’aujourd’hui.

1874. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Or, une nation obligée de se rapetisser et de se taire pour vivre perd bientôt sa langue avec ses idées. […] Ceux-là mêmes qui avaient adoré nos idées répudiaient nos excès et se repentaient à haute voix d’avoir bien espéré de nos principes. […] Il n’y avait point d’idée, mais il y avait un mouvement, un intérêt immenses dans son drame. […] Il avait, sur toute chose, des idées solitaires, c’est-à-dire en contradiction avec le sens vulgaire de ce bas monde, qu’on appelle le bon sens, dont il est aussi dangereux d’être trop loin que d’être trop près sur cette terre. […] Il parlait le premier, il parlait le dernier, il écoutait peu les répliques : mais il parlait avec une justesse, une audace, une fécondité d’idées qui lui faisaient pardonner la volubilité de ses lèvres.

1875. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

De là on saute à l’idée de sensations inextensives par essence, et qui constitueraient l’étendue en se juxtaposant. […] Dans la première, des sensations inextensives de la vue se composeront avec des sensations inextensives du toucher et des autres sens pour donner, par leur synthèse, l’idée d’un objet matériel. […] Mais le psychologue a une très grande peine à accepter cette idée du sens commun. […] L’actualité de notre perception consiste donc dans son activité, dans les mouvements qui la prolongent, et non dans sa plus grande intensité : le passé n’est qu’idée, le présent est idéo-moteur. […] Mais nous devons présenter cette même idée sous une troisième forme encore, pour bien établir comment le problème de la mémoire est à nos yeux un problème privilégié.

1876. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Autran, Joseph (1813-1877) »

Ponsard, de la vogue de Mademoiselle Rachel, de cette vieille route longtemps abandonnée, qui semblait tout à coup se rouvrir, et dont le poteau indicateur était glorieusement relevé par un poète de talent et une actrice de génie, il m’avoua qu’il venait d’écrire, sous cette impression nouvelle, une tragédie, moins que cela, une étude empruntée à un autre temps et à un autre ordre d’idées que Lucrèce, mais également inspirée par ce retour aux sources antiques, un moment taries ou troublées sous le souffle du romantisme. […] Elle n’enlève pas légèrement sur son front limpide tout un monde d’idées ou de sentiments, comme les Cariatides de

1877. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 234-238

Il avoit une mémoire prodigieuse, une érudition vaste, une pénétration active, le tact de l’esprit subtil, une adresse merveilleuse à présenter ses idées, & par-dessus tout une dextérité de discussion propre à séduire quiconque ne seroit pas en garde contre ses prestiges. […] Tel est le travers ordinaire de ces esprits versatils, que l’intempérance des idées porte indiscrétement au pour & au contre sur chaque objet.

1878. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Pierre » pp. 200-201

Ils ne vous donneront pas le génie, parce qu’on l’apporte en naissant ; mais ils vous remueront, ils élèveront votre esprit, ils dégourdiront un peu votre imagination ; vous y trouverez des idées et vous vous en servirez. […] D’abord quelle plate idée que d’avoir mis Hersé à sa toilette !

1879. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVIII »

On n’est pas toujours maître de se modérer quand on rompt avec les idées reçues. […] Culture des idées, p. 21 (NdA) 53.

1880. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Les livres se multiplièrent, & déjà leur nombre étoit assez considérable au seizième siècle, pour faire naître l’idée de former, du nom seul des Auteurs & du titre de leurs Ecrits, un ouvrage non moins utile qu’intéressant. […] Plus les connoissances augmentent, plus les idées naissent en nombre, se développent, s’étendent, s’agrandissent, & plus les images qui les expriment, varient, s’animent & se multiplient. […] Le Sauvage, & même le peuple des nations policées, a peu d’idée de son ignorance, & n’en a point du tout du savoir qui lui manque. […] Les traces de la savante Antiquité étoient tellement effacées, qu’on n’en avoit pas même conservé la plus légère idée. […] Quelque imparfaites que fussent ces Traductions, elles donnoient du moins une idée de l’Antiquité, & inspiroient le desir de connoître les originaux & de les consulter.

1881. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

Reprenant alors le texte même de l’arrêté du 12 octobre 1851, on n’a eu qu’à relire l’article 4, ainsi conçu : “Une prime de cinq mille francs pourra être accordée chaque année à l’auteur d’un ouvrage en cinq ou en quatre actes, en vers ou en prose, représenté avec succès à Paris, pendant le cours de l’année, sur tout autre théâtre que le Théâtre-Français…, et qui serait de nature à servir et à l’enseignement des classes laborieuses par la propagation d’idées saines et le spectacle de bons exemples. […] Il restait quelques ouvrages encore qui avaient appelé son attention au premier choix : l’un82, une agréable pièce de jour de l’an, qu’animait une inspiration sensible, une jolie idée née du cœur ; l’autre83, un grand drame touchant, construit de bonne main et avec habileté, plein de larmes, de repentirs, de fautes intéressantes cruellement expiées, et de naïves vertus ignorées de ceux qui les pratiquent. […] La commission, en terminant un travail qui, cette année comme la précédente, est resté sans fruit, ne se hasarderait pas toutefois à exprimer ce vœu, monsieur le ministre, si elle ne sentait qu’elle va en cela au-devant de vos désirs, et si elle ne confiait l’idée à votre goût.

1882. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Un jour, on cherchera des rapports d’idées ou de sentiments ; le lendemain, des analogies de structure ou de style. […] Il en est des idées comme des plantes ; elles ne peuvent passer d’un pays à un autre et y prospérer que si elles y rencontrent un sol et un climat favorables. […] Pourquoi, d’une part, l’Angleterre a-t-elle été la première à réagir contre les mœurs et les idées de la France de Louis XIV ?

1883. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

Ceux qui se sont fait de Julie de Rambouillet une idée romanesque, veulent nous persuader qu’après que le duc de Montausier eut demandé sa main, elle le fit languir treize ans, le soumit à toutes les épreuves imposées aux amours fabuleux des romans du temps, exigea qu’il parcourût, dans toute son étendue, le royaume de Tendre, dont mademoiselle de Scudéry n’eut l’idée et ne publia la carte que dix ans plus tard. […] Pour faire briller la finesse et la délicatesse de son esprit, on alambiqua toutes ses idées.

1884. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Mes petites idées sur la couleur C’est le dessin qui donne la forme aux êtres ; c’est la couleur qui leur donne la vie. […] Il fait mieux : il la regarde où il l’a préparée, et il la transporte d’idée dans l’endroit où elle doit être appliquée. […] C’est l’abbé le Blanc qui s’est présenté à mon idée, et j’ai bâillé d’ennui.

1885. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Il plaint même, pour ainsi dire, les idées capables de faire beaucoup d’honneur à l’inventeur, d’être nées dans d’autres cerveaux que dans les cerveaux de ses compatriotes. […] Ce goût se forme en nous-mêmes et sans que nous y pensions. à force de voir des tableaux durant la jeunesse, l’idée, l’image d’une douzaine d’excellens tableaux se grave et s’imprime profondément dans notre cerveau encore tendre. […] L’idée de ces douze tableaux qui nous est présente, produit une partie de l’effet que les tableaux mêmes produiroient, s’ils étoient à côté de celui dont nous voulons discerner le mérite et connoître le rang.

1886. (1762) Réflexions sur l’ode

Vous en verrez d’excellentes, chacune en leur genre, comme l’ode à la Fortune et l’ode à la Veuve, dont le caractère est absolument différent, quant aux idées, quant au style, quant à la nature même des stances et de la mesure ; et vous viendrez après cela nous tracer des règles. […] Avec une oreille sensible et sonore, un choix heureux d’expressions, que le goût seul peut donner, et surtout des idées et de l’âme, on sera poète lyrique ; c’est bien assez de conditions, sans y ajouter encore la tyrannie de quelques lois arbitraires. […] Je me souviens d’en avoir lu il y a quelques années de françaises, faites par un Italien de beaucoup d’esprit ; les idées en étaient nobles, la poésie facile, correcte, et pourtant mauvaise.

1887. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Soit cette admiration naïve comme en ont souvent les esprits qui vivent sur les idées d’un grand homme, car la moyenne de l’humanité n’est guère plus qu’une plèbe servile de rabâcheurs, soit la spéculation qui déchiquète à son profit toute célébrité nouvelle, les imitateurs de Cervantes se levèrent de toutes parts au premier coup de cloche de sa gloire. […] Un des critiques de France, qui remue le plus de faits et d’idées, Philarète Chasles, avait déjà voulu percer l’obscurité qui couvre ce personnage littéraire, réel ou fictif, d’Avellaneda, et il a entassé une science énorme sur la pointe d’aiguille d’une sagacité par trop fine peut-être… Selon nous, c’était une peine de trop. […] c’est un fou complet dont l’intelligence tout entière est dévorée par l’idée fixe et dont la maladie s’écoule en bavardages insensés et perpétuels.

1888. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Taine »

Ce n’est plus l’Histoire de la Littérature anglaise, qui, nul dans l’idée générale sur laquelle il repose, n’en est pas moins un livre très intéressant dans sa partie littéraire, et d’un écrivain qui martèle son style, mais qui, à force de le marteler, le rend brillant et solide. […] Si vous réduisiez ce livre, impudent de citations, aux idées strictes de Taine, tout se réduirait à quelques pages dont l’idée même ne lui appartiendrait pas : « Sensation et image, — dit-il en commençant, — voilà toute l’intelligence humaine ! 

1889. (1868) Curiosités esthétiques « III. Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » pp. 199-209

Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle Tous les mille ans, il paraît une spirituelle idée. […] Nos expositions annuelles, turbulentes, criardes, violentes, bousculées, ne peuvent pas donner une idée de celle-ci, calme, douce et sérieuse comme un cabinet de travail. […] Nous avons entendu maintes fois de jeunes artistes se plaindre du bourgeois, et le représenter comme l’ennemi de toute chose grande et belle. — Il y a là une idée fausse qu’il est temps de relever.

1890. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

Son tort fut de croire qu’il fallait pour cela transporter la matière à l’intérieur de l’esprit et en faire une pure idée. […] À celui qui aborde sans idée préconçue, sur le terrain des faits, l’antique problème des rapports de l’âme et du corps, ce problème apparaît bien vite comme se resserrant autour de la question de la mémoire, et même plus spécialement de la mémoire des mots : c’est de là, sans aucun doute, que devra partir la lumière capable d’éclairer les côtés plus obscurs du problème. […] Là est une des idées directrices du présent ouvrage, celle même qui a servi de point de départ à notre travail.

1891. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Ce ne sont pas ces livres-là qu’on écrit pour une idée. […] Il a trop circonscrit l’idée du travail et de l’étude. […] Ce ne sont pas des Italiens qui auraient eu une pareille idée. […] L’idée de l’immensité y est admirablement rendue. […] L’idée était bonne.

1892. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Daudet se plaint d’avoir, pour le moment, en littérature deux idées sur toutes choses, et c’est le duel de ces deux idées dans sa tête, qui lui fait le travail difficile, hésitant, perplexe. […] Aujourd’hui, au Grenier, Rosny déclare qu’il n’estime que les livres qui contiennent des idées, oui des idées, et que la fabrication d’un livre lui est bien égale, maintenant qu’à l’heure présente, les derniers des derniers savent très bien faire remuer des gens communs. […] » Berendsen m’apporte aujourd’hui, traduit en danois, le volume d’Idées et sensations. […] Des amis viennent me voir et s’exclament : « Oh cette salle, on ne peut s’en faire une idée !  […] Ils ont eu l’idée de me donner un dîner, de m’entourer un peu de la chaleur de leur affection, et ça m’a été une jouissance de cœur, de savoir que c’était Geffroy qui avait eu cette idée.

1893. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Joseph de Maistre »

Je sais bien qu’il l’interprétait pour son compte en un sens rigoureux et orthodoxe, mais de plus libres que lui peuvent varier en idée la nuance. […] Mais c’était à son imagination qu’il accordait ce plaisir, sans jamais laisser entamer l’idée ni la foi. […] Son esprit positif et précis ne pouvait s’accommoder d’une vague idée et d’un à-peu-près de Providence, ne se manifestant que çà et là. […] M. de Maistre nous dira que, lui, il ne rêve pas, qu’il y a possession pour son idée, qu’il y a le fait subsistant et reconnu ; mais ce fait lui-même est une question. […] ce n’est pas à nous de connaître le temps, etc. » Cette perspective d’une explosion prochaine était devenue son idée fixe.

1894. (1856) À travers la critique. Figaro pp. 4-2

— Est-ce une concession aux idées modernes représentées par Verdi ? […] Il a pris au premier ce clapotement du mot, qui ne permet pas de voir au fond de l’idée, et s’il y a une idée, et emprunté au second le procédé économique de l’alinéa. […] En admettant les idées de l’écrivain en matière de style (et j’en suis à cent lieues !) […] Matharel de Fiennes, le seul feuilletoniste qui puisse donner, loin de Paris, l’idée du théâtre parisien. […] Voulez-vous me passer une comparaison triviale, mais qui va servir à rendre palpable une idée juste ?

1895. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Véron.] » pp. 530-531

On voulut bien remarquer en particulier que, lié comme je l’étais avec lui et même lui ayant dû la première idée et la mise en train de ces Causeries du lundi, je ne lui en avais jamais consacré une seule comme à un écrivain de quelque valeur, à un auteur de mémoires. […] cherchez ; j’y consens d’avance… d’être un excellent conseil pour ce qu’écrivent les autres, de leur donner des avis et même des idées… Mais il y a une chose que je ne lui délivrerai jamais, c’est un brevet d’écrivain pour lui et à son compte.

1896. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mérat, Albert (1840-1909) »

Albert Mérat excelle à produire, avec l’harmonie prestigieuse des mots, l’illusion des choses ; il semble à première vue qu’une idée habite des sonnets si élégamment construits. […] Depuis ses premiers recueils, il a marché à pas de géant ; maintenant son vers, précis et correct, a toujours le ton juste, le mot décisif qui ouvre un monde d’idées et de rêves, et la netteté d’expression qui est le signe et comme la marque du bon ouvrier.

1897. (1887) Discours et conférences « Discours à la conférence Scientia : Banquet en l’honneur de M. Berthelot »

cela fixe singulièrement mes idées. […] Ils seraient emprisonnés fatalement dans l’hypothèse géocentrique, dans les idées, familières à la vieille théologie, d’un développement divin se déroulant à leur profit exclusif.

1898. (1888) La critique scientifique « Avant-propos »

Tandis que les écrits de la première sorte s’attachent, en effet, à critiquer, à juger, à prononcer catégoriquement sur la valeur de tel ou tel ouvrage, livre, drame, tableau, symphonie, ceux de la seconde poursuivent, comme on sait, un tout autre but, tendent à déduire des caractères particuliers de l’œuvre, soit certains principes d’esthétique, soit l’existence chez son auteur d’un certain mécanisme cérébral, soit une condition définie de l’ensemble social dans lequel elle est née, à expliquer par des lois organiques ou historiques les émotions qu’elle suscite et les idées qu’elle exprime. […] Ces idées furent introduites en France en 1881 (Théorie scientifique des couleurs et leurs applications à l’art et à l’industrie, Germer-Baillière) ; elles eurent en particulier une grande influence sur Seurat et les néo-impressionnistes.

1899. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XI. Des Livres sur la Politique & le Droit Public. » pp. 315-319

Mais on s’est plaint que cet ouvrage peu méthodique est un labyrinthe sans fil ; que le vrai & le faux y sont trop souvent mêlés ensemble ; que presque toutes les citations sont fausses ; que ses idées systématiques sur le climat, sur la religion, souffrent beaucoup de difficultés ; que tout le livre est fondé sur une distinction chimérique, &c. […] On trouvera des idées beaucoup plus justes, des principes plus certains, des réfléxions plus sages dans la Science du Gouvernement, où l’on explique les droits, les devoirs des Souverains, ceux des Sujets, &c. en huit vol.

1900. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième cours d’études. Une classe de perspective et de dessin. » pp. 495-496

Il me vient une idée que peut-être Sa Majesté Impériale ne dédaignera pas : la plupart de ceux qui entrent dans les écoles publiques écrivent si mal, ceux dont le caractère d’écriture était passable, l’ont si bien perdu quand ils en sortent, et il y a si peu d’hommes, même parmi les plus éclairés, qui sachent bien lire, talent toujours si agréable, souvent si nécessaire, que j’estime qu’un maître de lecture et d’écriture ne s’associeraient pas inutilement au professeur de dessin. […] « Nous ne le suivrons pas davantage dans les détails où il entre sur les trois facultés de médecine, de jurisprudence et de théologie, et qui, s’appliquant à des professions particulières, n’ont point assez de rapport aux idées générales de l’éducation, pour que ce soit ici le lieu d’exposer et de discuter les opinions plus ou moins justes, les réflexions plus ou moins piquantes de l’auteur sur ces différents sujets.

1901. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre IV. Pourquoi le génie d’Homère dans la poésie héroïque ne peut jamais être égalé. Observations sur la comédie et la tragédie » pp. 264-267

À chacun de ces caractères les peuples grecs attachèrent toutes les idées particulières qu’on pouvait y rapporter, en considérant chaque caractère comme un genre. […] De là deux lois éternelles en poésie : d’après la première, le sublime poétique doit toujours avoir quelque chose de populaire ; en vertu de la seconde, les peuples qui se firent d’abord eux-mêmes les caractères héroïques, ne peuvent observer leurs contemporains civilisés [et par conséquent si différents], sans leur transporter les idées qu’ils empruntent à ces caractères si renommés.

1902. (1890) Le massacre des amazones pp. 2-265

Il y a entre les idées des différences, des distances inégales, mais réelles, et ce sont précisément ces distances, ces différences entre les idées que la ponctuation et les divers signes de la ponctuation ont pour objet de marquer. […] Elle ignore « la distance naturelle qu’il y a entre les idées ». […] Les grandes idées, une fois entrées dans son cerveau, en ressortent pastiches minces et frêles et maniérés. […] L’idée d’une seconde conversation est redoutable. […] La Fronde lui est aujourd’hui une tribune commode, et elle y expose copieusement ses idées sociales.

1903. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Il s’agit d’un étudiant en droit, devenu garde mobile malgré lui, et dont le ventre grouille à la seule idée d’un casque à pointe. […] Quelques-uns de ses conseils ont été entendus, et deux ou trois de ses idées les plus chères ont triomphé. […] Paul Bourget nous donnera, sans doute, un jour, les idées et les impressions qu’a éveillées en lui le spectacle très complexe de l’Italie contemporaine. […] Mais il ne faut pas vous faire des idées comme ça… Dieu ! […] Fonder un couvent est une idée dont nous portons tous le germe au fond de nous.

1904. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

Les seuls titres des poèmes fameux, désormais rendus à notre étude, réveilleront en vous une foule d’idées qu’on étouffait dès leur naissance. […] Ce simple fait s’agrandit de toutes les idées qui rappellent l’origine du peuple le plus renommé de l’univers par sa piété, par sa discipline, par son code, par sa majesté sénatoriale. […] La fable touchante et sublime de la Messiade correspond avec les idées et les sentiments de tous les temps, de tous les pays, quel que soit l’aspect sous lequel on l’envisage. […] Tel est l’avantage égal aujourd’hui des inventions puisées dans nos mystiques annales ; elles nous saisissent plus intimement en se rattachant aux idées dont on berça notre enfance. […] La plupart censurèrent ma fiction et me conseillèrent de la supprimer ; ils disaient que l’idée de personnifier un désert aride était folle, et plus gigantesque que grande.

1905. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Elles sont, en un mot, les truchements de l’intelligence qui nous distingue des brutes, dont la grossièreté muette manque de signes comme d’idées. […] Le développement de ces-seules idées comprend tout l’art. […] Le sublime continu est une suite nombreuse des plus hauts sentiments et des plus hautes idées. […] Eschyle étonne par l’éminence des idées, par la sublime concision des maximes, et par le choix des caractères prédominants. […] Pareillement, l’esprit ou le cœur ne se passionne jamais mieux que pour une idée ou pour un sentiment unique.

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