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24. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Sont-ce les matelots qui chantent dans le danger ? […] Sont-ce là les matelots qui chantaient dans le danger ? […] Des ilienses chantent en filant mille rouets ronronnent dans cette gracieuse mélodie. […] Quant aux personnages, pourquoi chanteraient-ils ? Chanter les empêche de parler, surtout d’agir.

25. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

C’est l’homme, ici, qui a chanté comme aurait pu chanter la femme, et la femme, comme l’homme n’a pas chanté· II Je ne crois pas, du reste, que dans la littérature de ce vieux monde moderne, qui se croit moderne et qui n’est que vieux, inspiration pareille à celle de ces poésies ait déjà passé. […] Pour nous, le vers dans lequel chante maintenant le poète athée peut être intrépide à bon marché et ne pas trembler. Et, de fait, pour qu’il chantât comme le voici qui chante, il fallait les temps où nous sommes arrivés. […] Elle donne horreur de l’implacable Erreur qu’elle chante et à laquelle elle ne fait pas croire, quoique, pour elle, ce soit la Vérité. Au moins, dans tous les autres poètes qui chantent les angoisses familières aux âmes passionnées, ou même dans Baudelaire, le Vampire, ce pourlécheur des pourritures devant lesquelles, vivantes, le malheureux se prosternait, il y a, au milieu des ruines et des désolations de la créature qui se sent mourir et qui croit que tout va finir avec elle, des pages éclairées, des tableaux qui passent accentués plus ou moins de fraîcheur et de mélancolie, des souvenirs qui attirent et retiennent comme des yeux fascinateurs rouverts, des caresses qui se reprennent aux beaux cadavres pressés autrefois sur le cœur.

26. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Mystères. » pp. 35-37

Ils chantaient les miracles des saints, leur martyre, et certaines fables auxquelles la créance des peuples donnait le nom de visions. Ces pèlerins, allant par troupes et s’arrêtant dans les places publiques, où ils chantaient, le bourdon à la main, le chapeau et le mantelet chargés de coquilles et d’images peintes de différentes couleurs, faisaient une espèce de spectacle qui plut, et qui excita quelques bourgeois de Paris à former des fonds pour élever un théâtre où l’on représenterait ces moralités les jours de fêtes, autant pour l’instruction du peuple que pour son divertissement. […] Ces sortes de spectacles parurent si beaux dans ces siècles ignorants, que l’on en fit les principaux ornements des réceptions des princes, quand ils entraient dans les villes ; et comme on chantait noël, noël, au lieu des cris de vive le roi, on représentait dans les rues la Samaritaine, le Mauvais Riche, la Conception de la sainte Vierge, la Passion de Jésus-Christ, et plusieurs autres mystères, pour les entrées des rois. On allait au-devant d’eux en procession avec les bannières des églises ; on chantait à leur louange des cantiques composés de passages de l’écriture sainte, cousus ensemble pour faire allusion aux actions de leurs règnes.

27. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Le père de Jasmin, qui ne savait pas lire, faisait d’instinct la plupart des couplets burlesques chantés aux charivaris si fréquents dans le pays. […] Il dit tout cela, mais il sait aussi, avec sérieux, qu’il est du peuple et pauvre, qu’il l’a été tout à fait d’abord, et que d’autres le sont, pour qui il chante. […] Ils avancent du côté du château, vers la petite église à la façade noircie et pointue, où chante l’orfraie. — « Paul, dit la jeune fille, finis avec ta crécelle ! […] dit l’enfant ; n’entends-tu pas chanter l’orfraie sur le clocher ? […] sur le toit alors l’orfraie chanta, et, notre père mort, ici même, tiens !

28. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

Nous ne pouvons réellement guères accorder que le chant du cygne, pour la poésie individuelle, soit définitivement chanté ! […] Lamartine et Victor Hugo étaient, quand ils chantaient l’Empereur, des royalistes ardents, presque romanesquement dévoués au gouvernement qui avait remplacé l’Empire, et Béranger lui-même, qu’on a voulu dernièrement nous donner comme impérialiste et qui n’est que républicain, Béranger n’eut jamais non plus l’amour de l’Empereur ni la foi aux choses de l’Empire. S’il les chanta, qui ne le sait ? […] Aujourd’hui, Belmontet vient à son tour se placer parmi tous ces poètes que la grandeur des gloires ou des mélancolies de l’Empire a fait chanter comme malgré eux. Mais quant à lui, le dernier venu, ce n’est pas malgré lui qu’il chante, et le dieu ne le violente pas !

29. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

Il joue ses vers, il les dit et il les articule aussi bien qu’il les chante. […] Il recommencerait le succès de Thomas Moore, au commencement du siècle, quand il chantait dans les salons de Londres ses touchantes Mélodies irlandaises. Seulement, ce ne serait pas un poète rose comme Little Moore, qui chantait l’amour et ses beautés visibles ; c’est, lui, un poète noir, qui chante ses épouvantes de l’invisible et qui nous les fait partager… Ce jeune homme, sombre comme Manfred et comme la nuit dont son cœur est l’image, s’appelle Maurice Rollinat. […] Il les chantait lui-même sur une musique jumelle, puisée à la même source d’inspiration que sa poésie. […] Le musicien s’est évaporé dans les airs qu’il chantait avec cette voix chaude et vibrante qui n’a jamais manqué son coup sur les cœurs et qu’aucun musicien ne chantera jamais plus comme il les chantait.

30. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Appendice. Histoire raisonnée des poètes dramatiques et lyriques » pp. 284-285

Ils disent qu’il trouva le dithyrambe 88, et aussi le chœur ; qu’il introduisit des satyres qui chantaient des vers ; que le dithyrambe était un chœur qui dansait en rond, en chantant des vers en l’honneur de Bacchus. […] Chez les Latins les premiers poètes furent les auteurs des vers saliens, sorte d’hymnes chantés dans les fêtes des dieux par les prêtres saliens. […] Alors parurent les poètes lyriques semblables à l’Achille de l’Iliade, lorsqu’il chante sur sa lyre les louanges des héros qui ne sont plus 90. […] Pindare vint au temps où la vertu grecque éclatait dans les pompes des jeux olympiques au milieu d’un peuple admirateur ; là chantaient les poètes lyriques.

31. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Indubitablement, selon moi, le caractère épique, si l’on veut bien y réfléchir, est quelque chose de plus intime qu’une question de plénitude, résolue avec plus ou moins de puissance, et il vient bien moins de ce que le poète chante que de sa manière de chanter. […] Il sera possible dans toutes les langues et quelle que soit celle dans laquelle il chante, — que ce soit une langue qu’on ne parle plus ou une langue qu’on parle mal encore, — que ce soit un idiome incertain ou usé ! […] Il sera possible enfin dans tous les sujets, soit qu’il chante le combat, à coups de bâton d’un bouvier, dans un cabaret, ou la rêverie d’une buandière battant son linge au bord du lavoir ! […] Frédéric Mistral, nouvellement découvert, et dont le nom, beau comme un surnom, convient si bien à un poète de son pays, un homme né et resté dans la société qu’il chante, ayant le bonheur d’avoir les mœurs de ses héros et d’être un de ces poètes complets, dont la vie et l’imagination s’accordent, comme le fut Burns, le jaugeur. […] Ils ont un cénacle là-bas… On l’imaginait assis sur du varech, ce Théocrite homérique qui « chante cette fille de la glèbe dont en dehors de la Craw il s’est peu parlé » et pas du tout, il fait partie d’un canapé dont il nous nomme les doctrinaires… Le mistral n’est plus qu’un vent coulis !

32. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Il chanta d’abord Jupiter, qui abandonna le séjour des dieux (tel est l’empire du tout-puissant amour). […] « Le mélodieux musicien chanta ensuite Bacchus, Bacchus toujours jeune et beau. […] Il chante mélodieusement sur le mode lydien et dispose l’âme au plaisir. […] L’opéra tragique de Gluck, Alceste, même a été chanté par les bouffes. […] Chante-t-il encore ?

33. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Il se plaît à entendre l’hymne du matin chanté par le barde d’Erin. […] Qu’on prépare ma fête ; que nos bardes chantent. […] Les jeunes filles qui chantaient alentour se sont retirées. […] Je veux chanter encore. […] Ainsi chantait Minona, et une aimable rougeur colorait son visage.

34. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

En retour de la doctrine de vie, chantons ingénument le petit Enfant tout-puissant ! Chœur pacifique, né du Christ, peuple modeste et sage, chantons ensemble le Dieu de la paix !  […] donne-nous de te chanter, roi et seigneur ! […] De nouveau chante, ô mon âme ! […] C’est toujours un platonicien, qui ne chante plus que le Christ.

35. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

C’est dans ce rayon lumineux qu’elles vivent et qu’elles chantent, éblouies de leur propre clarté intérieure. […] Abordons avec la Muse saphique dans l’île des Sirènes, nous nous apercevrons qu’elles ne chantent pas pour attirer le désir des hommes, mais pour se charmer entre elles. […] Sachons enfin chanter les roses du matin, Ô nous qui replions les ailes de notre âme ! […] Alors, elle chante, elle comble cette solitude, du bruit cadencé de sa poésie, et retrouve par ces rythmes émus l’état de plénitude qui lui manque. […] C’est d’abord pour elle-même qu’elle chante et qu’elle se grise des harmonies de son chant ; écoutons-la : sa voix est pure et d’une belle sonorité, grave et sensuelle.

36. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

Comme Virgile, il a pu chanter : Je suis né parmi les pasteurs ! […] Il a chanté Dieu et un Dieu inconnu à Virgile, et, depuis Virgile, nul poète chrétien dans les nations chrétiennes ne l’a chanté avec de tels accents· Voilà le mérite absolu de Lamartine parmi les poètes. […] On ne s’étonne plus de la grâce de bucolique qui, partout, dans ses œuvres poétiques, se mêle sans cesse au lyrisme grandiose de Lamartine, quand on voit de quel nid était sorti le rossignol qui chantait inextinguiblement en lui, quand l’aigle, qui y était aussi, ne criait pas… La première impression que reçut son génie, cette première impression dont nous restons marqués à jamais, fut l’impression de la maison de son père, où il était né parmi les pasteurs, comme Virgile, et les vendangeurs du Mâconnais. […] Réfugié en Suisse pendant les Cent-Jours, il y vécut tête-à-tête avec la Nature, en face des lacs qu’il a chantés comme personne ne les chantera plus, aussi nature lui-même que cette nature !

37. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Paté, Lucien (1845-1939) »

Paul Pionis Je viens de lire ce livre de poésie, Le Sol sacré, de poésie qui chante et qui claironne, qui chante avec les cloches l’amour du pays natal, qui claironne avec les fanfares la charge pour la défense du sol sacré. […] Lucien Paté vient de faire paraître un livre plein de beaux vers et de hautes pensées ; ce sont, pour la plupart, des pièces où il chante la France et ses gloires qui composent un volume dont je voudrais citer bien des morceaux… Parmi les pièces les plus émouvantes de ce recueil de belles inspirations, je signalerai, entre bien d’autres : Le Berceau, la Mort de Démosthène.

38. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIIe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin » pp. 225-319

Écoute surtout ce petit sifflement qui sort parfois de dessous la braise comme une voix qui chante. Rien n’est plus doux et plus pur, on dirait que c’est quelque tout petit esprit de feu qui chante. […] Vraiment, toute l’âme chante à la belle venue de Dieu, qui s’annonce de tous côtés par des cantiques et par le joli carillon. […] J’aimerais à les voir faire et à écouter le merle qui chante dans la haie du ruisseau ; mais je veux lire. […] C’est plaisir de trotter dans ces parfums, et d’entendre les petits oiseaux qui chantent par ci par là dans les haies.

39. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VI. Des éloges des athlètes, et de quelques autres genres d’éloges chez les Grecs. »

Les poètes immortalisaient la patrie et les noms de ces hommes robustes ; et les concitoyens d’Homère et de Platon, d’Euripide et de Socrate, chantaient dans les assemblées et sous les portiques d’Athènes, des vers destinés à célébrer la souplesse ou la force des muscles d’un lutteur. […] On n’ignore pas que toutes les odes de Pindare sont des éloges de ce genre, et je m’y arrêterai peu ; leur impétuosité, leurs écarts, leur désordre, et surtout les longs détours par lesquels il passe pour trouver ou fuir son sujet, tout cela est connu ; il semble que Pindare a peur de rencontrer ses héros, et qu’il les chante, à condition de n’en point parler. […] Outre ces éloges chantés ou prononcés une fois, les Grecs avaient des espèces d’éloges périodiques ou anniversaires, en l’honneur des citoyens qui avaient fait quelque action extraordinaire, ou rendu de grands services à l’État. […] À Athènes, les chants de Callistrate célébraient tous les jours les deux héros qui avaient délivré la ville de la tyrannie des Pisistratides ; ces chants étaient dans la bouche de tous les citoyens, et à la fin des repas, dans ces moments où l’on couvrait la table de fleurs, où les jeunes esclaves distribuaient des couronnes sur toutes les têtes, et où les vins délicieux de l’Archipel animaient déjà les convives, chacun prenant dans sa main des branches de myrte, faisait une libation aux Muses, et chantait l’hymne d’Armodius et d’Aristogiton.

40. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, le 8 décembre 1885. »

Chantez, voix ! […] … Chant du Très-Saint, chante ! […] David dit que pour être maître il faut trouver « un nouveau mode », et c’est ce mode que chante Eva dans le quintette, page 315, sixième mesure. […] Il est une modification du motif 79, et c’est à dessein que Wagner a fait chanter à Eva le motif même qui la donne à Walther comme prix du concours. […] Le 47 surtout que nous avons placé du côté d’Eva, représente la belle couronne de fleurs que chantent ironiquement les apprentis autour de Walther.

41. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Casanove » pp. 192-197

Chantez de nous ce que vous en aurez vu, que notre mémoire dure éternellement dans notre patrie, et que ce soit la récompense du sang que nous aurons versé pour elle. " ces hommes sacrés étaient également respectés des deux partis. […] On dit qu’un vainqueur féroce ayant fait égorger les bardes ennemis, un seul échappé au glaive monta sur une haute montagne, chanta la défaite de ses malheureux compatriotes, chargea d’imprécations leur barbare vainqueur, lui prédit les malheurs qui l’attendaient, le dévoua lui et les siens à l’oubli, et se précipita du rocher. […] Ossian, chef, guerrier, poëte et musicien, entend frémir pendant la nuit les arbres qui environnent sa demeure, il se lève, il s’écrie : " âmes de mes amis, je vous entends ; vous me reprochez mon silence. " il prend sa lyre, il chante, et lorsqu’il a chanté, il dit : " âmes de mes amis, vous voilà immortelles, soyez donc satisfaites, et laissez-moi reposer. " dans sa vieillesse, un barde aveugle se fait conduire entre les tombeaux de ses enfans ; il s’assied, il pose ses deux mains sur la pierre froide qui couvre leurs cendres, il les chante.

42. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 18, reflexions sur les avantages et sur les inconveniens qui resultoient de la déclamation composée des anciens » pp. 309-323

Ces inconveniens n’arrivoient point lorsque la declamation étoit notée, ou du moins ils ne pouvoient arriver que comme ils arrivent à l’opera quand un acteur chante faux. […] Ainsi l’acteur mediocre qui chante le rolle d’Atis ou celui de Roland ne le chante point comme le chante un bon acteur, quoique tous les deux ils entonnent les mêmes notes et qu’ils suivent la mesure de Lulli. Le bon acteur qui sent l’esprit de ce qu’il chante, presse ou bien rallentit à propos quelques notes, il emprunte de l’une pour prêter à l’autre, il fait sortir de même ou bien il retient sa voix, il appuïe sur certains endroits, enfin il fait plusieurs choses propres à donner plus d’expression et plus d’agrément à son chant qu’un acteur mediocre ne fait pas ou qu’il fait mal à propos.

43. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Béranger] » pp. 333-338

Béranger depuis des années ne chantait plus, mais la France, en le perdant, a senti à quel point il lui était toujours cher et présent, et combien l’âme de ses chants faisait partie de son âme, à elle, de son génie immortel, comme race et comme peuple. […] Béranger a vu ce jour, il y a applaudi, il y avait tous ses amis mêlés et engagés, et tous plus ou moins ministres ; et cependant il ne l’a pas chanté, ce jour-là, ce jour de demi-triomphe. […] Ce n’est pas à croire, et il n’y a pas moins d’inspiration pour le vrai poète à chanter une victoire fièrement achetée qu’une défaite généreuse. Béranger, en 1830, et dans les années qui ont suivi, a peu ou point chanté, parce qu’il n’était qu’à demi satisfait alors dans ses sentiments de patriote.

44. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Signoret, Emmanuel (1872-1900) »

Signoret, lui, arrive et, sans se soucier des insanités qui purent contaminer la beauté des choses, il chante, les bois, les eaux, les nuages, les roses, toutes banales vérités qui ont cependant la sublimité éternelle de Dieu et qui sont les prototypes primitifs des fortes œuvres des hauts génies, depuis Virgile jusqu’au vicomte de Chateaubriand et au divin vieux maître Camille Corot. […] Il y a de belles Étoiles au ciel, l’Enfant baigne dans la source la blancheur de ses pieds, les statues se découpent sur l’émeraude du Parc et le Poète chante, chante à voix hautaine et vibrante, si forte qu’elle briserait bien Syrinx et si douce ; parfois, qu’elle ferait pleurer de joie les choses. […] Emmanuel Signoret égalent en fougue harmonieuse toutes celles qu’il chanta jamais ; et c’est une grande tristesse de penser que la vie est dure à ce poète épris de lumière et de beauté qui, dans la pire détresse matérielle, invente encore, pour notre joie, des formes magnifiques et charmantes.

45. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

Le génie et la fantaisie se tiennent par la main pour rêver et chanter ensemble à leur heure, ou bien pour (comme dit Virgile, connaisseur en indolence). […] C’est la loi du pays, c’est de ce qu’ils appellent la spécialité : retire-toi de notre soleil, chante quand il faut parler, cache-toi quand il faut combattre, et fais l’amour en cheveux blancs !  […] Ce nouveau venu de la couvée de nos poètes commence, comme ces oiseaux jaseurs, à chanter comme s’il avait peur de sa voix. […] Souvenez-vous d’Homère suspendant une guirlande fleurie au seuil de la demeure où il avait passé la nuit, et de l’hymne qu’il chantait devant la porte avant de la quitter. […] Ces vers ne chantaient pas, ils frémissaient : leur seule musique était leur vibration en touchant l’âme.

46. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Tous nos oiseaux chantaient ce matin, pendant que je faisais ma prière. […] À présent, je te dirai qu’en ouvrant la fenêtre, ce matin, j’ai entendu chanter un merle qui chantait là-haut sur Golse à plein gosier. […] Tout chante et fleurit. […] Tout verdit, tout fleurit, tout chante, tout l’air est embaumé comme s’il sortait d’une fleur. […] Heureuses gens qui suent et qui chantent !

47. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rameau, Jean (1859-1942) »

Rameau a une rare connaissance du rythme et, par-dessus tout, un souffle de grand poète panthéiste qui donne son âme aux choses de la Nature, les rend vivantes comme l’homme et chante passionnément l’éternelle vigueur de l’existence universelle. […] Doué d’une réelle originalité, il a, comme l’a fort bien dit un critique, une rare connaissance du rythme et, par-dessus tout, un souffle de grand poète panthéiste qui donne son âme aux choses de la Nature, les rend vivantes comme l’homme et chante passionnément l’éternelle vigueur de l’existence universelle. […] Jean Rameau chante quand il veut parler, et c’est tant mieux, ses accents n’en sont que plus pénétrants.

48. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Il était enterré dans sa gloire, et les fidèles chantaient ses hymnes sans savoir qu’elles fussent de lui. […] Santeul, en s’occupant à chanter les saints, et à remplacer leurs anciennes louanges réputées grossières par des hymnes plus polies et plus dignes des concerts célestes, n’avait fait que changer la forme de son orgueil poétique et de sa vanité. […] Le Tourneux, qui vise à réformer en lui le cœur, est attentif à poursuivre en lui ce déguisement nouveau de l’amour-propreb : « Considérez, lui écrit-il, mon cher frère, qu’on peut bien, dans l’Église visible et militante, chanter et composer les louanges de Dieu avec un cœur impur et des lèvres souillées, mais qu’on ne chantera pas les louanges de Dieu dans le ciel avec un cœur impur et des lèvres souillées… Vous avez donné de l’encens dans vos vers, mais c’était un feu étranger qui était dans l’encensoir. […] si vous étiez comme moi, ou plutôt si nous étions tous deux comme nous devons être, nous tremblerions de peur d’avoir osé, vous chanter, et moi prêcher la sainteté de Dieu, sans l’avoir respecté. […] On raconte que, lorsque ses hymnes eurent été adoptées dans les bréviaires et qu’elles se chantèrent dans les offices, il ne se tint pas de joie ; il courait les églises où on les chantait ; il grondait ceux près de qui il était placé lorsque leur ton n’était pas à son gré, et quand le chant lui paraissait convenir à la beauté des paroles, il sautait et grimaçait tellement qu’il lui fallait sortir, de peur d’esclandre.

49. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

… Cette exclamation nous est inspirée par la mémoire d’un homme qui vient de chanter et de mourir comme un rossignol au printemps, ivre de mélodie, de rayons et de gouttes de rosée. […] VI Rien n’est donc de plus légitime quand on est jeune, spirituel, oisif, amoureux, libre de soucis et de deuils, délicatement voluptueux, légèrement grisé de la sève du cœur ou de la sève du raisin ; rien n’est si naturel du moins que de chanter nonchalamment couché à l’ombre du pin qui chante sur votre tête, au bord du ruisseau qui court et qui chante à vos pieds, au coucher du soleil, au lever de la lune, heure où chante le rossignol, sur l’herbe où chante la cigale, tenant à la main la coupe où chante d’avance dans la mousse qui pétille la demi-ivresse du buveur insoucieux ; cette poésie du passe-temps et du plaisir, quelque futile qu’elle soit, a eu des échos tellement conformes à notre nature et tellement sympathiques aux légèretés de notre pauvre cœur humain, que ces échos se sont prolongés depuis Anacréon jusqu’à Béranger, et depuis Hafiz jusqu’à Alfred de Musset, cet Hafiz de nos jours. […] Elle était lasse de rêver, de prier, de pleurer, de chanter, elle voulait se détendre. […] Il t’a chanté ce que tu demandais qu’on te chantât, les seules choses que tu voulais entendre : la beauté de chair et de sang, le plaisir sans choix, le vin sans mesure, Qu’importe le flacon, pourvu qu’il ait l’ivresse ! […] Que t’importe à toi ce qui passe dans la rue, pourvu que l’or roule, que le verre écume, que la courtisane chante, et que la baïonnette étincelle au soleil ?

50. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 5, explication de plusieurs endroits du sixiéme chapitre de la poëtique d’Aristote. Du chant des vers latins ou du carmen » pp. 84-102

Cet auteur se demande encore à lui-même dans un autre ouvrage, pourquoi le choeur ne chante pas dans les tragedies sur le mode hypodorien ni sur le mode hypophrygien, au lieu qu’on se sert souvent de ces deux modes dans les rolles des personnages, principalement sur la fin des scenes, et lorsque ces personnages doivent être dans une plus grande passion. […] Voila donc pourquoi, conclut Aristote, les choeurs ne chantent point sur le mode hypodorien ni sur le mode hypophrygien. […] Les critiques modernes ont donc entendu cantus comme s’il signifioit toujours un chant musical, quoique dans plusieurs endroits il veuille dire seulement un chant en general, une recitation assujetie à suivre une melodie écrite en notes : ils ont entendu canere comme s’il signifioit toujours ce que nous appellons proprement chanter. De-là principalement est venuë l’erreur qui leur a fait croire que le chant des pieces dramatiques des anciens étoit un chant proprement dit, parce que les auteurs anciens se servent ordinairement des termes de chant et de chanter, lorsqu’il parlent de l’execution de ces pieces. Ainsi avant que d’appuïer mon sentiment par de nouvelles preuves tirées de la maniere dont la déclamation composée s’executoit sur le théatre des anciens, je crois qu’il est à propos de faire voir que le mot de chant signifioit en grec comme en latin, non seulement le chant musical, mais aussi toute sorte de déclamation, même la simple recitation ; et que par conséquent on ne doit pas inferer de ce qu’il est dit dans les anciens auteurs, que les acteurs chantoient ; que ces acteurs chantassent, à prendre le mot de chanter dans la signification que nous lui donnons communement.

51. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 9, de la difference qui étoit entre la déclamation des tragedies et la déclamation des comedies. Des compositeurs de déclamation, reflexions concernant l’art de l’écrire en notes » pp. 136-153

Lucien, dans son traité de la danse, dit qu’un acteur tragique se démene sur le théatre, qu’il s’y tourne et retourne comme un furieux, et qu’il y chante des complaintes supportables à peine dans la bouche d’une femme. […] Aussi voïons-nous que Quintilien se fâche, qu’il invective presque contre les professeurs en éloquence qui faisoient chanter ou déclamer leurs écoliers comme on déclamoit sur le théatre. […] Ciceron, après avoir parlé de l’usage que les pythagoriciens faisoient de la musique dans leur régime, pour ainsi dire, et après avoir dit que Numa le second roi des romains, tenoit de l’école de Pythagore plusieurs usages qu’il avoit introduits dans son petit état, cite comme une preuve de ce qu’il venoit d’avancer la coutume de chanter à table les loüanges des grands hommes avec un accompagnement d’instrumens à vent. […] Leurs organes se plieroient à cette intonation, à cette prononciation de notes faite sans chanter, comme ils se plient à l’intonation des notes de notre musique ordinaire. […] Certainement la difficulté qui se rencontreroit dans l’execution d’une pareille note, n’approcheroit pas de celle qu’il y a de lire à la fois des paroles qu’on n’a jamais lûës, et de chanter et d’accompagner du clavessin ces paroles sur une note qu’on n’a pas étudiée.

52. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Convenons qu’un poëte élégiaque n’est pas nécessairement tenu à de tels frais d’originalité ; il chante dans la langue de son temps, heureux et applaudi quand il y chante le mieux, et il n’a pas charge de refaire avant tout son instrument. […] Son chant, comme celui des oiseaux qui ne chantent que durant la saison des amours, s’en irait mourir vaguement dans les bois. […] Les Muses sont des déesses, et les déesses chantent les dieux, tandis que nous, nous sommes des mortels, et les chants des mortels s’adressent aux mortels. […] C’est alors que la Poésie en moi chanta ; mais c’était toi, c’était le Plaisir amèrement désiré, qui la fit dès l’abord douce et profonde. […] Ce que la Muse a chanté par ma voix de plus pur, de plus chaste et religieux, c’est au retour de tes violents embrassements, ô Plaisir !

53. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Il a chanté des aventures, il n’a pas chanté l’épopée. […] Homère a fait le poème épique, le Tasse a fait le poème romanesque de son temps ; l’un a chanté une épopée, l’autre a chanté des aventures. […] Malfilâtre se proposait de chanter la dernière ; les Muses regrettent encore que ce jeune poète ait été surpris par la mort avant d’avoir exécuté son dessein. […] Or c’est un autre principe de toute vérité, qu’il faut travailler sur un fond antique, ou, si l’on choisit une histoire moderne, qu’il faut chanter sa nation. […] Les anges ne chantent-ils plus sur Golgotha, et le torrent de Cédron a-t-il cessé de gémir ?

54. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre premier. Musique. — De l’influence du Christianisme dans la musique. »

C’est la religion qui fait gémir, au milieu de la nuit, la vestale sous ses dômes tranquilles ; c’est la religion qui chante si doucement au bord du lit de l’infortuné. […] C’est là qu’elle élève la voix vers le firmament, au milieu des concerts de la nature : la nature publie sans cesse les louanges du Créateur, et il n’y a rien de plus religieux que les cantiques que chantent, avec les vents, les chênes et les roseaux du désert. […] Il a sauvé la musique dans les siècles barbares : là où il a placé son trône, là s’est formé un peuple qui chante naturellement comme les oiseaux.

55. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Comment l’idée d’un poëte sacré, dominant par l’harmonie jusqu’aux bêtes féroces et aux rochers, n’aurait-elle point apparu dans cette Grèce, où nous voyons, aux époques historiques, un vrai législateur chanter en vers élégiaques, sur la place publique d’Athènes, les conseils qu’il donne à ses concitoyens ? […] On montrait sa tombe en Thrace ; et les habitants assuraient que les rossignols qui avaient eu leurs nids sur cette tombe chantaient avec plus de douceur. […] Un pâtre, endormi sur sa tombe, s’était mis à chanter dans le sommeil ; et les bergers accourus pour l’entendre, ayant, de leur foule tumultueuse, renversé la colonne qui portait l’urne funèbre, le soleil avait vu les restes d’Orphée. […] « Les Lycomèdes, dit-il, les savent par cœur et les chantent dans les sacrifices. […] Il avait dans ses hymnes chanté la Fortune, divinité inconnue au temps d’Homère ; mais il l’avait supposée fille de la Prudence et sœur du Bon Gouvernement.

56. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre II. Quelques traditions sur Pindare. »

Dos abeilles, qui volaient sur lui, déposèrent du miel autour de ses lèvres, et depuis il eut le don des vers et chanta. […] Le jeune homme, averti, commence un nouveau chant sur ce ton : Vais-je chanter Ismène, ou Mélias aux fuseaux d’or, ou Cadmus, ou la race sacrée des hommes nés des dents de serpents, ou la force toute-puissante d’Hercule, ou… » Comme il récitait ce début à Corinne : « Il faut semer par pincées », dit-elle avec un sourire, et non renverser tout le sac27. » C’était bien juger ce luxe de souvenirs mythologiques et d’épithètes sonores, dont le génie de Pindare ne s’est pas toujours assez défendu. […] Dans cette petite maison, dont Pausanias marque la place sur le bord de la fontaine Dircé, et d’où le poëte entendait, la nuit, les prières chantées tout auprès dans le temple de Cybèle, Pindare passa des jours paisibles et purs, comme l’affirme plus d’un témoignage exprimé dans ses vers. […] Pindare lui apparut aussitôt après sa mort, et, pendant le sommeil, lui chanta un hymne nouveau à Proserpine.

57. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Ackermann, Louise (1813-1890) »

C’est l’homme, ici, qui a chanté comme aurait pu chanter la femme, et la femme, comme l’homme n’a pas chanté.

58. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe » pp. 81-160

Ô chantez ! sonnez, chantez encore, anges et cloches ! […] Les convives boivent, chantent, se racontent leurs amours. […] Elle est toute troublée ; elle chante pour se rassurer la ballade du roi de Thulé, comme Desdémona chante la romance du Saule : le chant est un compagnon de l’âme peureuse. « J’étouffe ici !  […] Ainsi chante-t-elle en elle tout le long du jour, la moitié des nuits !

59. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

C’est un récit chanté. […] En second lieu, un poème épique suppose un héros, un dieu, un personnage quelconque, historique ou fabuleux, accomplissant le fait chanté par le poète. […] Le véritable héros, s’il y en avait un, ce serait saint Thomas d’Aquin, car ce sont ses pensées que chante le poète. […] Des soleils y chantent, des roues y argumentent, les chefs des ordres monastiques y défilent devant le poète ; le pape et les cardinaux y sont injuriés comme des déserteurs de cette crèche de Nazareth où l’ange de Dieu replia ses ailes. […] Les feux conversent, les flammes chantent ; le poète lui-même, interrogé sur la foi, répond des choses plus dignes du pédantisme de l’école que des évidences célestes dans lesquelles il nage.

60. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIe entretien. Trois heureuses journées littéraires » pp. 161-221

Est-ce que je ne fais pas bien chanter mes gouttes d’eau dans mon bassin de mousse, pour attirer le rossignol nocturne, qui vient boire ce ses mélodies dans ma source, sous les pervenches du jardin ?  […] Rossini chante des sensations et des ivresses ; il a plus de verve que de sensibilité : c’est le Boccace de la musique. […] — Je l’ai compris dès vos premiers vers, lui dis-je : vous n’êtes pas un poète comme nous ; vous êtes plus que poète, vous êtes un prêtre de la parole chantée. […] La poésie est absolue, et ne doit chanter que les choses absolues comme elle ; la politique est relative, passagère, locale, nationale, circonstancielle. […] Voilà pourquoi, hors quelques exceptions très rares, nous regrettons de voir de grands lyriques prêter, même dans un intérêt de vertu, leurs sublimes indignations chantées à la politique.

61. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « La comtesse Diane »

Qui donc disait que la voix d’or s’était brisée à force de chanter tous les jours, partout et à travers les deux mondes ? […] Et, par là-dessus, elle a sa voix, dont elle sait tirer parti avec la plus heureuse audace  une voix qui est une caresse et qui vous frôle comme des doigts  si pure, si tendre, si harmonieuse, que Mme Sarah Bernhardt, dédaignant de parler, s’est mise un beau jour à chanter, et qu’elle a osé se faire la diction la plus artificielle peut-être qu’on ait jamais hasardée au théâtre. Elle a d’abord chanté les vers ; maintenant, elle chante la prose. Et son influence n’a pas été médiocre sur nombre de comédiens et de comédiennes qui chantent aussi prose et vers, ou qui du moins essayent de les chanter ; car, voyez-vous, il n’y a qu’elle ! […] Mais avec Fédora, nous avons retrouvé la vraie Sarah, l’unique et la toute-puissante, celle qui ne se contente pas de chanter, mais qui vit et vibre tout entière.

62. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

Le culte chanté par le poëte est tout politique. […] Qui chantera les œuvres de Jupiter ? […] Le poëte, dans cet éloge de Ptolémée, sur un accent tout lyrique, imite au début Aratus, cet autre poëte de la même cour, qui chantait les merveilles des cieux. […] En expiation de cette poésie, le même Théocrite avait chanté les bergers de Sicile sur des accents passionnés et nouveaux. […] Sur le nombre, douze sont choisies de noble race, gloire de Lacédémone, qui le soir, dans la chambre nuptiale, chanteront l’épithalame et mèneront les chœurs de danse.

63. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Franc-Nohain (1873-1934) »

Il chante l’angoisse des Chandelles d’hôtel meublé attendant le client imprévu qui les fera témoins, jusqu’à l’aube, de quelque frénétique adultère, ou de ses cauchemars… ou de ses indigestions ; — il chante la tristesse et la solitude de la pauvre bottine de l’invalide qui a son autre jambe en bois ! il chante les nostalgies de la petite éponge qui s’étiole parmi les objets de toilette et songe à sa jeunesse vécue sur un libre rocher couvert d’algues vertes, en pleine mer, dans la familiarité sauvage des crabes, des homards et des crevettes… Les fables de Franc-Nohain, ingénues, falotes et charmantes, sont certes d’une puissante gaîté.

64. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

Sitôt que l’acteur chante, la scène se repose (je dis, s’il chante pour chanter), et, partout où la scène se repose, l’intérêt est anéanti. Mais, direz-vous, si faut-il bien qu’il chante, puisqu’il n’a pas d’autre idiome ! […] Aussitôt Walter est invité à prendre place et à chanter ; et, sans balancer, il prélude. […] Tout le peuple est présent qui grouille, et qui crie, et qui chante et qui danse. […] Tout d’un coup il chante : cela peut-il bien s’appeler chanter ?

65. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVe entretien. Ossian fils de Fingal »

La harpe est moins douce que sa voix, lorsqu’elle chantait sa douleur. […] Les bardes chantent les combats des guerriers ou les charmes des belles. […] Ils signalèrent leur jeunesse dans les combats ; ils sont chantés par les bardes. […] Les bardes chanteront le nom de Fingal et les pierres parleront de sa gloire ; mais toi, jeune Ryno, tu as péri, et les bardes n’ont point encore chanté ta renommée. […] chante et rappelle à notre mémoire les tristes habitants de la tombe.

66. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Paul Fort n’avait point chanté les ruisseaux. […] Pour chanter les choses de la terre, l’enthousiaste amour est utile. […] Et il a cru les chanter. […] * *   * Pour moi, si je chante la lumière, le précieux printemps ou les belles campagnes, je ne le fais jamais que dans l’extase.

67. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Naturellement, ce n’est pas lui, mais Moïse, David, Isaïe et tout le chœur des prophètes, que prit pour modèles Racine, si harmonieux lyrique, mais n’osant pas imiter la grande poésie d’Athènes jusqu’à porter sur notre théâtre, même dans les sujets grecs, avec la mélopée tragique, les intermèdes chantés de Sophocle et d’Euripide. […] Enfin on peut s’étonner que, si Boileau préférait l’autre étymologie plus gracieuse du mot rapsode, il n’ait pas ailleurs emprunté de Pindare une allusion directe à cette coutume antique de chanter les vers d’Homère, un rameau de laurier à la main. […] Car, pour chanter sur le mode lydien Asopique dans mes vers, je suis venu. […] Elle sommeille, durant l’activité du corps ; mais souvent, aux hommes endormis, elle révèle en songe le partage de joies ou de peines qui les attend14. » Et ailleurs il avait chanté, avec plus de ferveur encore, sans doute dans le sanctuaire d’un temple : « Au-dessous de la voûte céleste, à l’entour de la terre, volent les âmes des impies dans de cruelles douleurs, sous l’étreinte de maux qu’on ne peut fuir. […] Il n’a pas seulement, comme le dit Horace, chanté les dieux et les rois issus des dieux : il a aimé cette forme de puissance ; il l’a louée, en la voulant soumise aux lois.

68. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Il faut chanter non pas dans l’unique but de créer des strophes inanimées. […] Il le chante dans une molle campagne, fraîchement arrosée, dorée d’épis, sous un tiède soleil. […] « Ils ne s’expriment pas, ces carriers, par les vaines oraisons qu’ils chantent. […] La rose chantée par le poète surpasse en grâce toute rose, elle est la rose véritable et réelle, et les merveilles de toutes les autres s’y cristallisent et y chantent. […] Les pierres chantent.

69. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Ce talent naturel comme la voix, n’allez pas croire pourtant que cette rêveuse, cette abandonnée, cette troublée qui jetait ses cris éloquents autour d’elle ou laissait tomber ses soupirs, chantât comme Ophélie entre le saule et l’eau : non ! […] Non, la spontanée a travaillé vingt ans ; elle a essayé de se faire une langue pour chanter quand elle ne criait pas, car la poésie n’a pas que des cris, il y a du bleu entre les étoiles, et minuit, disait lord Byron, n’en est pas tissé ! […] Elle est trop longue pour être citée tout entière, mais elle a toutes ses strophes dans ce goût, ce mouvement et ce rythme charmant : J’appris à chanter en allant à l’école, Les enfants joyeux aiment tant les chansons ! […] Ce nom, comme un feu, mûrira vos pensées, Semblable au soleil qui mûrit les blés d’or, Vous en formerez des gerbes enlacées Pour les mettre un jour sous vos têtes lassées Comme un faible oiseau qui chante et qui s’endort ! […] En piquant le mil, l’oiseau sait bien le dire, Et le chanter aussi par un double bienfait.

70. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

Il n’était poète que de génie, mais il n’avait pas l’effroyable légèreté des poètes, de ces oiseaux charmants qui chantent et qui s’envolent, et dont le monde, dans un sens plus amer que ne le disait Lamartine : Ne connaît rien d’eux que leur voix ! […] Il chantait, mais ne s’envolait pas ! […] La Poésie, oiseau mort, s’est aplatie sur le sol et ne chante plus… mais, dans le plus poignant des calmes et avec un gosier déchiré, elle dit, à voix basse, des notes plus touchantes que si elle les chantait. […] Eh bien, je ne peux m’empêcher d’admirer cette fin de poète, d’un poète qui a perdu sa Muse, — la Muse humaine qui ne doit plus le faire chanter !

71. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

. — Le temps s’enfuit, Dit-il, entendez-vous le coq chanter ? […] On sent que l’homme qui chante va bientôt pleurer. […] Que chantent tes oiseaux ? […] comme les vieux airs qu’on chantait à douze ans Frappent droit dans le cœur aux heures de souffrance ! […] Il répond à la muse qui lui reproche de ne plus chanter.

72. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

On revit là ce qui s’était déjà produit dans l’Antiquité aux origines de la tragédie : on le sait, la tragédie antique ne fut dans les premiers temps qu’une ode sacrée, toute simple, puis chantée par un double chœur qui tournait et retournait autour de l’autel ; le dialogue s’y introduisit subsidiairement et n’y fut d’abord que secondaire. […] Et ce ne sont pas là de simples manières de dire ; dans les proses, liturgiques latines les plus-anciennes qui se chantaient et se chantent encore à Pâques, le chœur où les disciples s’adressent brusquement à Marie-Madeleine qui revient du sépulcre et qui ; la première, a vu Jésus ressuscité : « Dic nobis, Maria… Dis-nous, Marie, qu’as tu-vu sur le chemin ?  […] Le lecteur lit de scène en scène, et en latin, les versets de la Bible qui correspondent au développement du drame, et le chœur, avec accompagnement de musique sans doute, chante les répons. […] Et tout d’abord la lecture commence par le premier chapitre de la Bible : In principio creavit Deus cœlum et terram, qui est comme l’ouverture et le prologue du drame ; et le chœur chante aussi un ou plusieurs versets qui font, symphonie. […] Chaque verset ainsi chanté est comme le coup d’archet, le petit air de violon à nos théâtres du boulevard, qui signale la fin ou le commencement d’une scène.

73. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Chœur. » pp. 21-24

La tragédie n’était, dans son origine, qu’un chœur qui chantait des dithyrambes en l’honneur de Bacchus, sans autres acteurs qui déclamassent. […] Quand le chœur ne faisait que parler, un seul parlait pour toute la troupe ; mais quand il chantait, on entendait chanter ensemble tous ceux qui composaient le chœur.

74. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre II. Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. L’Enfer du Dante, la Jérusalem délivrée. »

Il n’y a dans les temps modernes que deux beaux sujets de poème épique : les Croisades et la Découverte du Nouveau-Monde : Malfilâtre se proposait de chanter la dernière ; les Muses regrettent encore que ce jeune poète ait été surpris par la mort avant d’avoir exécuté son dessein. […] Or, c’est un autre principe de toute vérité, qu’il faut travailler sur un fonds antique, ou, si l’on choisit une histoire moderne, qu’il faut chanter sa nation. […] Les anges ne chantent-ils plus sur Golgotha, et le torrent de Cédron a-t-il cessé de gémir ?

75. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Lui, continua, indifférent, à chanter son âme. […] Dans la plus grande partie des Poèmes Saturniens, il échappe à l’influence parnassienne et nous chante, en toute simplicité, son âme mélancolique et charmante de ce temps-là. […] Comme il la chante merveilleusement, la paix de la tour protectrice, La paix où l’on aspire alors qu’on est bien soi ! […] Le rossignol chanta moins bien, les yeux crevés. […] Dans une préface accordée à je ne sais plus quel volume de vers socialistes, il regrette que l’auteur n’ait pas chanté le patron comme l’ouvrier, n’ait pas magnifié « l’héroïsme de travail » du patron et pleuré sur les « heures d’angoisses » ; du patron.

76. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers populaire  »

Or, en même temps qu’Ovide, en même temps que Musée, en même temps, sans aucun doute, que tel poète d’aujourd’hui, — un rapsode inconnu, ignorant Ovide, Musée et tout ce qui est écrit, puisant dans une tradition strictement orale chantait, lui aussi, mais pour un autre public, « Héro et Léandre ». Allez en France, allez en Flandre, en Allemagne ou en Suède, priez la vieille qui tricote ou la jeune fille qui bêche de vous chanter « l’histoire de l’amoureux qui se noya en nageant vers sa belle, l’histoire où il y a une tour et dans la tour un flambeau  » : si elle daigne ou si elle ose, la vieille ou la jeune vous chantera, version flamande214 : « Ils étaient deux enfants de roi, ils s’aimaient si tendrement. […] La ballade de Lénore si médiocrement sentimentale chez Burger, se révèle, au contraire, dans sa forme orale, telle qu’une admirable vision fantastique ; et le Plongeur, — une des plus populaires des chansons connues, comme il y a loin de celle de Schiller, qu’apprennent les écoliers, à celles que chantent les vieilles « le soir à la chandelle » ! […] La synérèse se rencontre à chaque instant : quand une syllabe muette gêne pour la mesure, on la laisse tomber dans la prononciation ; (6) Il ne faut qu’un petit vent (6) Pour envoler les fleurs… (8) Elle fait l’hiver, elle fait l’été (6) Sous le pli de sa mante… (8) Elle fait le rossignol chanter (6) A minuit dans sa chambre (8) Elle fait la terre reverdir (6) Sous ses pieds, quand elle danse… (5) Gentil coquelicot Mesdames (5) Gentil coquelicot Nouveau (Les syllabes soulignées ne comptent pas dans la mesure du vers.)

77. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

… Tels étaient les échos pour qui la Muse de Saint-Maur aimait à chanter. […] Lamartine sema autour de lui des adorateurs, qui chantèrent, à leur tour, sur ce mode nouveau qu’il avait inventé ; car c’est le destin des grands poètes de produire des imitateurs qui vengent la médiocrité humaine de la supériorité du génie, et l’empêchent d’avoir trop d’orgueil en le forçant de se regarder dans le miroir diminuant de leurs œuvres. […] Un cimetière autour, sans aucun ornement, Quelques tertres verdis par places inégales, Que traverse une chèvre, où chantent les cigales, Tout embaumé de lys sauvages, — c’est charmant. […] Un troisième jour encore, c’est le Date lilia qu’il chante, cette poésie dont la première partie, celle qui va jusqu’aux vers : N’exigez pas de moi que je le remercie, Ce Dieu qui m’a fait orphelin ! […] Elles n’oublieront pas la manière dont il a chanté en pleurant sa fille morte, et c’est elles qui commenceront sa gloire.

78. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Il ne s’est pas contenté de saisir cet aperçu à l’état moral, il l’a voulu suivre sous forme théologique : il a chanté le sacré triangle, c’est trop. […] Il fait jouer plus d’un air à l’enfant, et toute son Armorique lui repasse à l’horizon, jeune fille, Océan, blanche fée ; et, complétant sa pensée dans l’avenir, il ajoute : Un jour, si le corn-boud chante aux brouillards d’Arvor, Je dirai : Levez-vous devant moi, pays d’or ! […] Brizeux a composées, et qu’on chante dans le pays, avaient été quelque peu falsifiées et remaniées : c’est le sort de toute poésie populaire. […] Aux luttes, il les chante ; il les chante aux Pardons ; Et le tisserand les répète En poussant sa navette entre tous ses cordons. […] Des forêts à la mer poursuivez votre quête ; Qu’on redise après vous les Conscrits de Plô-Meûr : Ne chantez pas à pleine tête, Faites pleurer les yeux et soupirer le cœur.

79. (1899) Esthétique de la langue française « Le vers libre  »

Des petites filles tournent enchaînées par les mains ; elles chantent ; elles sautent ; elles miment ; et, au printemps, l’odeur des acacias se mêle au jeu et tous les sens sont pris et charmés. […] Les trouvères allaient par deux, comme encore les chanteurs des rues (les coutumes se superposent sans se détruire) : l’un jouait de quelque viole, l’autre chantait ou psalmodiait. […] Les vers cessèrent bientôt d’être chantés et même d’être récités ; depuis l’imprimerie ils sont imposés pour les yeux (hormis les exceptions que l’on sait). […] et pour : On eût dit que chantaient flûtes et violons sur la largeur douce de la plaine. […] Quoique nous ne le comprenions pas très bien, il existe ; il fut cultivé pendant trois ou quatre siècles ; il satisfaisait les oreilles délicates accoutumées aux nuances du chant neumatique ; il se chantait d’abord, mais il se lisait, puisqu’on en faisait des recueils en le séparant de sa mélodie.

80. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Elle crie ses marrons à vendre comme une autre chanterait. […] Ma Chanson d’Ève est peinte autant que chantée. […] Chantons la joie ! […] Heredia, lui aussi, a chanté la Renaissance ! […] Verhaeren chante les petits métiers de Flandre en leur attribuant un sens général, éternel.

81. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Le poète déjà connu est toujours le Narcisse éternel qui a chanté ses cheveux noirs, qui va chanter les blancs, qui palpite pour lui et qui s’effraie pour lui, et s’imagine que tout l’intérêt des lecteurs va s’absorber dans cette incroyable contemplation de fakir ! […] Il chante Lise, mais autrement que M.  […] Hugo a chanté. […] Mais enfin il l’a chanté avec des accents qui honoreraient un homme de génie. […] Fait pour chanter la guerre avant toutes choses, — car sa première impression d’enfance fut pour lui, comme pour Astyanax, le panache du casque de son père, — fait pour chanter la guerre, et après la guerre tous les spectacles qui arrivent à l’âme par les yeux, M. 

82. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Et du dernier soupir qui lui restait encore,         Le mourant se mit à chanter. […] Le malheur se ressemble, et le malheur s’assemble, Ensemble nous chantions, ou nous pleurions ensemble         Tous les jours et toutes les nuits. […] ce don de Dieu, qui chantait tout à l’heure, Je pleure et je l’attends, je l’appelle et je pleure. […] Et notre Ève est partout, partout le mauvais ange, Un bel oiseau qui chante, un chien fou qui le mange,         Voilà le sort de la vertu. […] Lui-même avait commencé aussi, dans la langue provençale, à chanter avec ces Mélibées de son cher pays.

83. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

Un des Valois se marie, Richelieu foudroie La Rochelle, le prince Eugène gagne une bataille, le vaisseau le Vengeur s’abîme avec gloire, et voilà tous nos poëtes qui ont chanté. […] Qu’à son heure, à son jour, l’Esprit saint les réclame, Les touche l’une et l’autre, et leur dise : Chantez ! […] L’autre endroit que je voudrais corriger est celui où l’auteur montre la cloche et l’âme chantant et sonnant à la voix du Seigneur, quelles que soient les souillures contractées ; le passage finit par ce vers : Chante, l’amour au cœur et le blasphème au front. J’aimerais mieux : Chante, l’amour au cœur et la couronne au front ; car, du moment que le chant part et s’élance, plus de blasphème ! […] Un mortel peut toucher une lyre sublime Et n’avoir, qu’un cœur faible, étroit, pusillanime, Inhabile aux vertus qu’il sait si bien chanter, Ne les imiter point et les faire imiter.

84. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre II » pp. 12-29

Et ce temps n’est pas le seul où les poètes aient donné un nom poétique aux femmes qu’ils ont chantées ; depuis Horace jusqu’à nos jours, cet usage a été pratiqué. […] Quelques années après, il le donna à madame d’Hervart ; « pour la chanter, disait-il, il faut bien lui donner un nom du Parnasse. […] Boileau, Racine, Molière, Voltaire ont aussi donné des noms du Parnasse aux femmes qu’ils ont chantées. […] Dans l’Art poétique, il les cite tous deux comme dignes d’éloges dans deux genres différents : Malherbe d’un héros peut vanter les exploits ; Racan chanter Philis, les bergers et les bois. […] Après avoir cité quelques vers du style héroïque, il dit : Sur un ton si hardi sans être téméraire Racan pourrait chanter à défaut d’un Homère.

85. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 4, de l’art ou de la musique poëtique, de la mélopée. Qu’il y avoit une mélopée qui n’étoit pas un chant musical, quoiqu’elle s’écrivît en notes » pp. 54-83

Notre auteur après avoir donné quelques regles generales sur la composition, et qui conviennent aussi bien aux chants, qui pour ainsi dire ne se chantent point, c’est-à-dire, à la simple déclamation, qu’aux chants musicaux, ajoûte, (…). […] Certainement Athénes et les autres villes de la Grece qui pouvoient avoir un usage semblable à celui des atheniens, ne faisoient point chanter leurs loix, à prendre le terme de chanter dans la signification qu’on lui donne communement dans notre langue, lorsqu’elles les faisoient publier. […] L’autre son qui s’appelle le son mélodique, est assujeti à des intervalles reglez, et c’est le son que forment ceux qui chantent ou qui executent une modulation, et qu’imitent ceux qui jouent des instrumens à vent ou des instrumens à corde. " Porphyre explique ensuite assez au long la difference qui se trouve entre ces deux especes de sons, après quoi il ajoute " voila le principe que Ptolomée établit au commencement de ses reflexions sur l’harmonie, et qui n’est autre que le principe enseigné generalement parlant par les sectateurs d’Aristoxéne. " nous avons déja dit qui étoit Aristoxéne. […] Martianus Capella dit : " le son de la voix se peut diviser en deux genres de sons… etc. " or, comme nous le dirons plus bas, carmen signifioit proprement la déclamation mesurée des vers qui ne se chantoient pas, à prendre le mot de chanter dans la signification qu’il a parmi nous.

86. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Des savants expriment à présent des doutes ; ils affirment même que c’est une autre Laure que Pétrarque avait aimée et chantée. […] Alors ses vers chantent pour lui ce qu’il n’ose dire. […] Belleau y chante sur la lyre, y souffle dans le bombyx et dans les chalumeaux. […] Pour obéir à Mme la duchesse de Bouillon, La Fontaine entreprit de chanter cette seconde panacée. […] Vite il accordait sa grande lyre pour chanter noblement.

87. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Les barbares en sont dépourvus ; aussi les premiers poètes héroïques des Latins chantèrent des histoires véritables, c’est-à-dire les guerres de Rome. Quand la barbarie de l’antiquité reparut au moyen âge, les poètes latins de cette époque, les Gunterius, les Guillaume de Pouille, ne chantèrent que des faits réels. […] Pétrarque, avec toute sa science, a pourtant chanté dans un poème latin la seconde guerre punique ; et dans ses poésies italiennes, les Triomphes, où il prend le ton héroïque, ne sont autre chose qu’un recueil d’histoires. — Une preuve frappante que les premières fables furent des histoires, c’est que la satire attaquait non-seulement des personnes réelles, mais les personnes les plus connues ; que la tragédie prenait pour sujets des personnages de l’histoire poétique ; que l’ancienne comédie jouait sur la scène des hommes célèbres encore vivants.

88. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Après qu’enfin on eut retrouvé le calme et le loisir, on se mit à rappeler le temps passé ; on le rêva dans le présent, on le chanta avec ses joies sans retour évanouies. […] Il aimait en effet les plaisirs, et c’est parce qu’il les a chantés, que son nom vivra. […] Pourtant, nous l’avons dit, ce latin du xvie  siècle est aussi du latin original ; et, quoi de plus naturel à Jean Second que de chanter sa maîtresse dans cette langue de Lesbie, qui avait été, après tout, la langue d’Héloïse ?

89. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rollinat, Maurice (1846-1903) »

Et si l’on recherche dans le livre du poète la raison d’un si mauvais état de conscience, et sur la face de l’acteur, pourquoi il se convulse, élève sa moustache en découvrant la bouche, cligne des yeux terribles, montre les dents et prend un air de tigre pour chanter les papillons, on voit que cette raison est la femme. […] D’une puissante originalité, d’un esprit profondément imbu des plus hautes pensées, il chante les désenchantements de la vie, les horreurs de la mort, la paix du sépulcre, les espérances futures, les déchirements du remords. […] Il joue ses vers, il les dit et il les articule aussi bien qu’il les chante.

90. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Le poète français ne peut pas chanter comme l’oiseau sous la feuille ; c’est là sa misère et sa grandeur, qui est incomparable. […] Mais l’homme qui, sous un ciel moins indulgent, dans une nature moins affectueuse, travaille et lutte contre les hommes et les choses et sent qu’il joue son sort, celui-là éprouve le besoin de chanter son amertume, son impatience, sa détresse. […] Un homme heureux, s’appelât-il Lamartine, ne chante point. […] Cependant, les Muses ne cessent de chanter sur la Montagne… Au fond, M.  […] Et toutes nos académies et toutes nos écoles ne feront jamais chanter l’olivier des Alpilles ou les roseaux de la Durance autrement qu’en provençal.

91. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

Cet homme a dû chanter tra deri dera, puis tra leri lera, puis luri, lura, comme le prouve le refrain connu de turlurette. […] De patients versificateurs chantent (cela s’appelle chanter !) […] Ils chantent jusqu’à l’alphabet et à la versification ! […] La science devient encore et surtout poétique, parce qu’elle transforme et renouvelle en nous la conception du monde, parce qu’elle fait naître une philosophie plus complexe et plus large que les vieux systèmes désormais dépassés. « La poésie, écrivait Lamartine123, sera de la raison chantée. […] Saint-Lambert, le médiocre auteur des Saisons, a dit ce mot profond : « Les anciens aimaient et chantaient la campagne ; nous chantons et aimons la nature. » Et qu’est-ce que la nature ?

92. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Dans le premier poème, Sigurdarkvida Fafnirsbana (premier chant de Sigurd vainqueur de Fafnir), le héros chante au sage Griper : « Je suis Sigurd, fils de Siegmund ; Hiœrdis est la mère du héros. […] Voici un passage du texte original : « Odin chanta devant cette tombe l’évocation des morts, regarda le Nord et traça des runes ; il demanda une réponse, Wola se leva enfin, et chanta les paroles de mort : Wola « Quel est parmi les hommes cet homme à moi inconnu qui répand la tristesse dans mon esprit ? […] Ecoutez cet oiseau qui chante dans la forêt : tout le moyen-âge a retenti ce ce chant. […] Car, dans l’idée du moyen-âge, l’oiseau est le symbole de l’âme, qui ne connaît point les limites de l’espace et du temps ; c’est l’être le plus divin de la nature extérieure : il est libre, il vole, il chante. […] Enfin, cette voix de l’oiseau, c’est l’écho même de nos pensées ; c’est de notre désir qu’elle parle, elle ne nous annonce que nos propres rêves : « Joyeuse dans la peine, ma chanson chante l’amour … les cœurs seuls la comprennent, qui désirent ! 

93. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxiiie entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff »

Un grillon chantait dans le coin, … la pluie battait contre le toit et les vitres ; nous étions tous silencieux. […] comme il nous a chanté ça ! […] L’entrepreneur chante vraiment bien. […] Chante comme Dieu te l’accordera. — Et il reprit l’attitude attentive qu’il avait gardée en écoutant l’entrepreneur. […] On se mit à boire. — Tu nous chanteras encore quelque chose, — répétait sans cesse Obaldouï en levant les bras. — Tu chanteras jusqu’au soir… Je sortis après avoir jeté une dernière fois les yeux sur Iakof.

94. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Brahm, Alcanter de (1868-1942) »

. — Éros chante (1896). — Critique d’Ibsen (1898). — L’Ostensoir des ironies (1900). […] Anonyme Si, dans Éros chante, la langue de M. de Brahm n’est pas toujours exempte d’imprudence et de néologismes, l’expression en est souvent un joli tour de volupté, d’une inspiration hautaine, suave, et tour à tour choisie.

95. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Mais où trouver l’âme sacrée qui chante ? […] Un bon nombre des psaumes ou cantiques, qui composent l’Homme de Désir, pourraient passer pour de larges et mouvants canevas, jetés par notre illustre contemporain, dans un de ces moments d’ineffable ébriété où il chante : Encore un hymne, ô ma lyre ! […] Ton merveilleux laurier sur chacun de tes pas  Étendait un rameau que tu n’espérais pas ; L’écho te renvoyait tes paroles aimées ; Les moindres des chansons anciennement semées  Sur ta route en festons pendaient comme au hasard ; Les oiseaux par milliers, nés depuis ton départ, Chantaient ton nom, un nom de tendresse et de flamme, Et la vierge, en passant, le chantait dans son âme.  […] Là, l’élégie, la scène circonscrite, la particularité individuelle, n’existent presque plus ; je n’entends qu’une voix générale qui chante pour toutes les âmes encore empreintes, à quelque degré, de christianisme. Cette voix chante les beautés et les dangers de la nuit, l’ivresse virginale du matin, l’oraison mélancolique des soirs ; elle devient la douce prière de l’enfant au réveil, l’invocation en chœur des orphelins, le gémissement plaintif des souvenirs en automne, quand les feuilles jonchent la terre, et qu’au penchant de la vie soi-même, on suit coup sur coup les convois des morts.

96. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bernard, Charles (1875-1961) »

Bernard, Charles (1875-1961) [Bibliographie] Et chanta la feuillée (1896). — La Belle Douleur (1897). […] Georges Rency Charles Bernard, un des nôtres, dont la Belle Douleur m’a charmé, nous donna jadis Et chanta la feuillée, poème exquis, suite de sensations merveilleuses et délicates, qui vivaient pour elles-mêmes, et que n’unissait le lien d’aucune idée.

97. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Et, en vérité, quel effet prodigieux feraient le premier et le second acte chantés et joués par des Italiens qui seraient à la hauteur de la tâche ! […] Tristan et Isolde chantent fort souvent des paroles différentes, en même temps ; c’est la règle. […] Elle chante « saintes » lorsque, lui, il chante ténèbres », etc. […] Il y a ici aussi des répétitions qui font que le texte chanté n’est pas identique à celui du poème. […] De nombreux interprètes italiens ont chanté Wagner.

98. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Dînant chez le peintre Guérin (1812) avec Arnault, Roger et Auger, tous deux rédacteurs alors du Journal de l’Empire, on lui fit chanter de ses chansons, et il obtint un petit triomphe : « Je n’en ai chanté que des gaillardes ; toutes ont obtenu des applaudissements extraordinaires ; Auger, surtout, me les a demandées avec instances ; et, si grands que soient les éloges que tous m’ont donnés, il m’a semblé qu’ils y mettaient de la bonne foi. Je n’avais jamais eu un auditoire aussi redoutable ; aussi ai-je chanté assez mal… » Il a eu peur, c’est bon signe : de ce côté, l’amour-propre lui est venu désormais, et si bien qu’après ce premier succès, de peur de le compromettre, il refuse le dimanche suivant de rester à dîner chez M.  […] Désaugiers chante on ne peut mieux, joue très bien dans ses chansons, et toutes paraissent bonnes dans sa bouche ; je n’ai point cet avantage, et, dans une maison étrangère où je ne serais pas bien soutenu, j’aurais tout à craindre d’une pareille rencontre. […] Un jour, en 1815, au milieu de l’effervescence des passions politiques, entrant chez des amis, comme on lui demandait ce qu’il avait vu en venant, il lui arriva de répondre : « Ça va mal, ils chantent la Marseillaise !  […] chantez-vous ?

99. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Clerfeyt, René Mary »

Clerfeyt, René Mary [Bibliographie] La nature chante et j’écoute (1899). […] Vers qui chantent en une sourdine délicieusement émue — tels des gazouillis d’hirondelles, des sanglots susurrants de source, des bruissements légers de feuilles.

100. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Rêves et réalités, par Mme M. B. (Blanchecotte), ouvrière et poète. » pp. 327-332

et chante ! […] Si l’on voit dans mon œil quelque larme furtive, Si l’on sent dans ma voix quelqu’écho déchirant, Chantez, amis ! […] Je n’irai plus jeter à la vague, à l’étoile, Les secrets de mon cœur que vous sûtes trop bien. » — Ainsi chantait un jour, loin des rives natales.

101. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Car lorsqu’on chante comme vous savez chanter, produire c’est charmer, et lorsqu’on écoute comme je sais écouter, admirer c’est aimer. […] La pensée novice, la croyance indécise, les premières amours rencontraient, dans la vague même des douleurs chantées, la plus caressante expression de leur inquiétude confuse. […] Doucement élevé, en pleine campagne, par des femmes et par un prêtre romanesque, n’ayant pour livres que la Bible, Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand, il s’en va rêver en Italie et se met à chanter. […] Il ne s’est jamais travaillé ; il chantait comme l’on respire.

102. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mathieu, Gustave (1808-1877) »

Il chante l’amour, il chante le vin, certes, mais sans ivrognerie, sans gaudriole.

103. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Vous les eussiez vus moult se démener, et saillir, et chanter », avec les éclats d’une grosse joie bruyante85. […] Rien de plus opposé à leur génie que les vrais chants et les profondes hymnes, telles que les moines anglais en chantent encore sous les voûtes basses de leurs églises. […] D’autres chantent de vraies chansons amoureuses, parfois sensuelles : « Entre mars et avril118 — quand les branches commencent à bourgeonner — et que les petits oiseaux ont envie — de chanter leurs chansons,  — je vis dans l’attente d’amour — pour la plus gracieuse de toutes les choses. —  Elle peut m’apporter des délices ; — je suis à son commandement. —  Un heureux lot que j’ai eu là !  […] — L’herbe croît, la prairie est en fleurs — et le bois pousse. —  Chante, coucou. —  la brebis bêle après l’agneau,  — la vache mugit après le veau. —  Le taureau tressaille,  — le chevreuil va s’abriter (dans la fougère). —  Chante joyeusement, coucou,  — coucou, coucou !  […] Ils ont chanté, mais leurs ballades ignorées, puis transformées, ne nous arrivent que sous une rédaction tardive.

104. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « BRIZEUX et AUGUSTE BARBIER, Marie. — Iambes. » pp. 222-234

La cadette, je suppose, est restée recueillie en elle-même et discrète ; elle s’est rattachée par un retour pieux au foyer domestique, au bourg natal, aux mœurs, au paysage du lieu, aux amours de sa blonde enfance ; elle a gardé son culte simple ; elle peut retrouver au besoin son accent du pays ; elle se rappelle encore tous les noms, et s’enferme souvent pour chanter ses airs anciens et pleurer plus à l’aise à ses souvenirs. […] Sans projets, sans envie, Ne cherchons désormais que l’oubli de la vie : Que chaque objet qui passe, ou noble ou gracieux, Nous attire, et sur lui laissons aller nos yeux ; Vivons hors de nous-même ; il est dans la nature, Dans tout ce qui se meut, et respire, et murmure, Dans les riches trésors de la création, Il est des baumes sûrs à toute affliction : C’est de s’abandonner à ces beautés naives, D’en observer les lois douces, inoffensives, L’arbre qui pousse et meurt où nos mains l’ont planté, Et l’oiseau qu’on écoute après qu’il a chanté. […] Quel bonheur ineffable et quelle volupté D’être un rayon vivant de la divinité ; De voir du haut du ciel et de ses voûtes rondes Reluire sous ses pieds la poussière des mondes, D’entendre à chaque instant de leurs brillants réveils Chanter comme un oiseau des milliers de soleils ! […] L’auteur ici a rétabli les noms celtiques dans leur pure orthographe, il les a multipliés : an lieu de chanter désormais sa Bretagne du point de vue adouci du Cénacle et du Musée, il semble vouloir la venger au point de vue de sa nationalité propre.

105. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Cantatrice plus de nature que d’art, elle avait une voix qui faisait pleurer, en attendant que les mots plaisants ou cruels, dits par elle au lieu d’être chantés, fissent rire la gaieté ou saigner l’amour-propre. Sophie Arnould commença par chanter dans les églises, à la Cour, puis à l’Opéra, où cette voix expressive, cette voix d’esprit, lutta contre la vraie musique, — la musique de Gluck qu’elle avait appelée « une bête » et contre laquelle elle se brisa. Ce fut encore l’esprit qui fit le succès et la beauté de cette voix, dont Galiani disait : « Jamais asthme n’a si bien chanté ». […] C’est par là que l’asthme chantait.

106. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 17, quand ont fini les représentations somptueuses des anciens. De l’excellence de leurs chants » pp. 296-308

Justin martyr qui vivoit dans le second siecle, on en trouve une, qui décide que les fideles pouvoient emploïer à chanter les loüanges de Dieu des airs composez par les payens pour des usages prophanes, à condition qu’on executât cette musique avec modestie comme avec décence. […] Ainsi ce que Justin ne veut pas, c’est qu’en chantant dans les églises les airs composez par les payens, on les y déclame, il veut qu’on les chante sans faire aucun geste. […] L’office ambrosien qui se chante encore dans plusieurs églises est composé ou reglé par ce saint, mort cent cinquante ans avant le sac de Rome par Totila.

107. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre I. Les chansons de geste »

On chanta les quatre fils Aymon en Ardenne, Raoul de Cambrai en Vermandois. […] Ils avaient leurs scôpas qui s’accompagnaient de la harpe, et leurs guerriers aussi parfois composaient et chantaient. […] Mais ce poète, plus ou moins éloigné des événements, qui le premier les chanta, quelle forme leur donna-t-il ? […] Celle que nous avons n’est pas celle certainement que, à la bataille de Hastings, Taillefer, « qui moult bien chantait », chanta devant le duc Guillaume et devant l’armée, en allant contre les Saxons. […] Le « trouvère », qui jadis était parfois un soldat, tourne à l’homme de lettres : il ne fait plus que son métier d’écrivain ; rarement même il chante son œuvre.

108. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Maurice et Eugénie de Guérin. Frère et sœur »

Ce matin.j’ai vu un beau ciel, le marronnier verdoyant, et entendu chanter les petits oiseaux. […] Puis il m’a fait descendre ma guitare qui pend à la muraille pour voir ce que c’était ; il a mis sa petite main sur les cordes, et il a été transporté de les entendre chanter […] (Qu’est-ce que c’est que ça qui chante là) ? […] Tous nos oiseaux chantaient ce matin pendant que je faisais ma prière. […] Je m’arrête pour écouter ; puis je reprends, pensant que les oiseaux et moi nous faisons nos cantiques à Dieu, et que ces petites créatures chantent peut-être mieux que moi.

109. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

La grande affaire, c’est que les poètes de vingt ans ne se contentent pas de chanter entre eux et de se complaire, mais qu’ils puissent rendre le public attentif à leurs jeux qui deviennent des œuvres. […] Et, par exemple, on chante encore au Caveau : la lignée de Désaugiers n’est pas morte. […] Berthelemy adresse des Chansonnettes (1851) et les dédie « à ceux qui chantent encore ». […] Quelques-uns de ces tableaux, tels que La Foire aux bœufs et la scène des Lutteurs, suffiraient pour assigner à cette production un rang des plus distingués, bien que l’absence d’action et aussi le manque d’un certain charme empêchent, selon moi, le poème d’atteindre tout son objet ; et l’objet de tout poème de ce genre est de faire aimer ce qu’on chante. […] Les sentiments qui, dans leur ténuité, pourraient à la rigueur suffire s’ils étaient analysés et déduits, y sont présentés d’une manière brusque, elliptique ; les chansons qui sont destinées à les traduire et à charmer les intervalles de l’absence, ne chantent pas assez : elles sont courtes et sèches ; elles sont déjà finies lorsqu’on croit que le poète n’a que commencé à préluder.

110. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Ce n’était pas non plus la poésie subtile et savante des hymnes de Callimaque, mais une simple liturgie chantée par deux chœurs de jeunes filles et de jeunes garçons. « Nous sommes au service de Diane176, jeunes filles et jeunes adolescents ; jeunes garçons et jeunes filles, chantons Diane. […] Ils vont chanter ce qu’il leur est donné de voir. […] Nul doute cependant que, formé par l’étude de plusieurs âges de la poésie grecque, Catulle n’en ait retrouvé et mêlé habilement les couleurs dans une autre œuvre de son art, dans un autre souvenir qu’Hésiode lui-même179 avait chanté, l’épithalame de Thétis et de Pélée. […] « Ainsi prophétisant, jadis les Parques avaient chanté l’heureux hymne du destin de Pélée.

111. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Pas un oiseau ne chante. […] Je chante, et les fontaines répètent mes strophes. […] On entend chanter les gouttières. […] On entend chanter les moissonneurs. […] Chantez pour apaiser son tourment.

112. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Merrill, Stuart (1863-1915) »

Ce qu’on y voit encore, c’est un retour vers la campagne, vers la maison de douce solitude… Après avoir chanté les plus glorieuses des légendes dans les Fastes, puis la douceur de l’automne avec les Petits Poèmes, le voici qui chante simplement la beauté des choses. […] Alors, c’est en lui la révolte de cette spontanéité, que j’ose qualifier de contre-nature et contre-Dieu, qui chante en lui et l’a voué depuis toujours à l’amour, à la bonté.

113. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Retté, Adolphe (1863-1930) »

Nous avons suivi Jacques Simple en poète ; avec lui, nous avons rencontré le Sphynx, Jésus-Christ, les Salamandres, la Vieille Fée, le Barbare, les Thaumaturges, les Rois ; et la Forêt, qui symbolise l’erreur, une fois franchie, nous avons abordé en Arcadie, où chante la joie définitive ; or, nous avons écouté, sans plus, l’émotion verbale de ses chansons. […] Aux cris de douleur, à l’amertume des souffrances premières, la saine et sainte joie succède, chantée par toutes les lyres d’une conscience droite et haute. […] Les substances prennent les traits de son visage et de son émotion, elles se groupent dans son organisme, elles s’ordonnent dans son sang’, elles trouvent une bouche pour y chanter.

114. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pottier, Eugène (1816-1887) »

par les amis et admirateurs d’Eugène Pottier, à la tête desquels Gustave Nadaud… Ce qu’il chantait en 48, il le chantait encore trente ans plus tard, et son dernier soupir, comme ses premiers cris, fut d’apitoiement sur ceux qui souffrent, dans les bagnes du travail.

115. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Musset »

il ne l’a que chantée. Byron aussi avait chanté la sienne. […] Alfred de Musset, bien moins orgueilleux que Byron, bien plus rêveur et bien plus tendre, exhale son histoire avec ses soupirs, et quand il a chanté, toute son histoire est finie ! […] Mais quoi qu’il en ait été, du reste, ce qui est certain c’est que plus il chanta, plus Alfred de Musset perdit l’accent  byronien, et plus il fut lui-même, dans une genuiness incomparable.

116. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Tout est de circonstance dans son génie ; il ne s’est jamais placé dans la chaire de l’homme de lettres ou sur le trépied du poète pour dire : Écoutez-moi, je vais raisonner ou je vais chanter. […] « Quand l’hôte perfide de Ménélas traînait après lui, de mers en mers, sur des vaisseaux construits des pins du mont Ida, Hélène ravie à l’hospitalité de son époux, Nérée imposa aux flots un calme funeste pour chanter au ravisseur les secrets menaçants de l’avenir. […] » Mais, plus sensible au beau qu’au patriotisme, le voilà qui chante l’héroïque suicide de la reine d’Égypte, Cléopâtre, se réfugiant dans [ la mort, après sa flotte détruite, contre la vengeance des Romains. […] L’homme qui les chantait ainsi était-il un débauché ou un véritable amant ? […] Depuis deux mille ans que nous chantons dans toutes nos langues, nous n’avons pas retrouvé la note du dialogue d’Horace et de Lydie.

117. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Il a préféré les crier et simplement les chanter. […] Et puisse aussi le sublime amour parer d’héroïques flammes ceux des jeunes hommes qui l’ont chanté déjà. […] Qu’il chante et qu’il chante encore, avec tout son talent, toute sa tendresse et tout son cœur. […] C’est toute une suite de proses, écrites — chantées plutôt — à la gloire d’une saison. […] Il faut que ses poèmes comme l’Odeur sacrée, l’Ode à Corot, le Gouffre, la Nuit de Juin, Au Jardin, Forêt d’Hiver, chantent et chantent encore dans les mémoires bien parées.

118. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Ils ont chanté gaîment, gaîment : « Chacun son tour. […] Il faut se dire soi-même, chanter sa propre musique, quitte à chanter moins bien, parfois, que si on récitait, sur des airs connus, les paroles traditionnelles. […] Max Elskamp chante comme chante un enfant ou un oiseau de paradis. […] Et elle disait qu’elle pourrait me chanter des présages. […] Ghil chante avec force la vie, la terre, les usines, les villes, les labours, la fécondité des ventres et des glèbes.

119. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

Dans l’un et dans l’autre de ces poèmes différemment divins, Homère est égal à lui-même, c’est-à-dire supérieur à tout ce qui a été raconté ou chanté avant lui. […] Ils n’ont pas respiré en naissant l’âme des champs, des montagnes, des cieux et des mers, qui s’exhale de la nature à l’aube de la vie et qui fait chanter ou adorer du moins les chants des poètes épiques ! […] Le poète, c’est-à-dire celui qui raconte aux hommes cette histoire en l’embellissant, ne la raconte pas seulement, il la chante. […] « Homère était un de ces historiens qui chantent au lieu de raconter. […] Il avait chanté une guerre entre les Grecs et les Troyens d’Ilion, appelée l’Iliade ; après cette histoire, il voulut chanter une histoire moins héroïque et plus familière, dans laquelle, non pas les héros seulement, mais tout le monde, depuis le héros jusqu’au berger, depuis la princesse jusqu’à la servante, retrouvât l’image de sa propre vie.

120. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

D’ordinaire ils ont débuté par chanter l’amour ; tout autre intérêt, tout autre charme se perdait dans celui-là : mais, à mesure que ce ravissement intérieur a cessé, leur âme s’est élargie vers plus d’objets. […] Celui qui, dans les Préludes, nous avait chanté d’une voix attendrie : Je suis né parmi les pasteurs, réalise et déploie en ce tableau son premier vœu. […] Elle existe depuis longtemps en Allemagne, en Angleterre surtout ; on ferait une douce et piquante histoire de tous les pasteurs, recteurs, curés ou vicaires, qui ont été poëtes ou que les poëtes ont chantés. […] Jocelyn est notre premier curé de campagne qui ait chanté.  Jocelyn, remarquons-le bien, chante, tant qu’il n’est pas tout à fait guéri encore ; il chante, tant que l’image de Laurence le trouble et continue de partager son cœur.

121. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Comment faire chanter des personnages tragiques, si ce n’est en vertu de cette convention. […] Concert Colonne : Ouverture de Tannhæuser ; Prière de Rienzi (chantée par M. Bosquin) ; la Walküre : Adieux de Wotan (chantés par M. Soum) ; Chant d’amour (chanté par M.  […] Victor Wilder traduisit tous les drames musicaux de Wagner et fut le premier à proposer une version chantée de l’Anneau du Nibelung (1835-1892).

122. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 6-7

Malherbe d’un Héros peut vanter les exploits, Racan chanter Philis, les Bergers, & les Bois. […] Sur un ton si hardi, sans être téméraire, Racan pourroit chanter, au défaut d’un Homere.

123. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

Cependant Jasmin, arrivé à l’âge de gagner sa vie, s’était fait coiffeur ou barbier, et dans sa boutique proprette, dans son petit salon de la promenade du Gravier, il chantait selon l’instinct de sa nature, en usant de cette facilité d’harmonie et de couleur qu’offre à ses enfants l’heureux patois du Midi. Il rasait bien, il chantait mieux, et peu à peu chalands et curieux de venir, si bien qu’un peu d’aisance, un petit ruisselet argentin, comme il dit, le visita, lui le premier de sa race, et qu’il devint même propriétaire de sa modeste maison. […] C’est celle de Marthe qui chante cette ravissante complainte, dont voici le premier couplet : « Les hirondelles sont revenues, je vois mes deux au nid, là-haut ; on ne les a pas séparées, elles, comme nous autres deux ! […] L’église a six pontifes, la poésie n’a qu’un sous-diacre, mais il faut qu’il chante officiellement son hymne, ou il la remportera vierge, et sans que personne l’ait entendue. […] Illustre Scaliger, il ne s’est jamais trouvé si gentiment chanté et célébré.

124. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre VI. Le beau serviteur du vrai »

Vous dites : La muse est faite pour chanter, pour aimer, pour croire, pour prier. […] Chanter qui ? […] Non, voici le vrai : Chanter l’idéal, aimer l’humanité, croire au progrès, prier vers l’infini. […] Ils craignent qu’une male chanson ne soit chantée. […] Parce que, dans l’occasion et pour le devoir, il aura poussé le cri d’un peuple, parce qu’il a, quand il le faut, dans la poitrine le sanglot de l’humanité, toutes les voix du mystère n’en chantent pas moins en lui.

125. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, romans (1832) »

Le jeune homme a le cœur plein ; qu’il parle, qu’il chante, qu’il soupire ! […] Ivresse d’une part, âcreté de l’autre ; ici tout le nectar, là tout le venin, c’est ainsi qu’il arrange la création. — Chantez, Poëte, chantez ! Exhalez donc l’allégresse ou le désespoir ; épuisez votre superbe, combattez votre combat ; ou envolez-vous plus haut, aux régions de la féerie ; les cordes nombreuses de la lyre vous appartiennent : chantez !

126. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

Le poète, pâmé aux pieds de sa maîtresse — non toujours à ses pieds pour dire vrai  chante son chant extatique et lamentable. […] Puis le poète soupire des Vers pour être chantés, des romances où il y a des fleurs et des oiseaux comme dans celles que chantaient nos mères du temps de Louis-Philippe. […] Et, après ces sonnets vaguement platoniciens, le poète chante les Vestales, la beauté chaste, « la fleur spirituelle dont il veut boire, après la mort, les longs parfums ».

127. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

Ce n’est plus l’homme qui chante, ou qui parle, ou qui agit en lui ; c’est la Divinité. […] C’est la géographie chantée et l’histoire en peinture. […] Le septième et le huitième chant, bien que chantés avec la même sublimité de vers, n’ajoutent rien à l’intérêt de la situation épique. […] » Homère, dans ce passage, pleure comme il chante, aussi incomparable de naturel dans l’élégie que dans la bataille. […] l’encyclopédie chantée par un poète universel aux hommes de son temps ?

128. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

Et puis… c’est le grand Pan qui chante. […] Remy de Gourmont a raison de dire : « L’orgue n’est pas le violon. » Il a raison… mais voilà… le violon chante dans l’orgue ! […] J’aime trop la nature pour cela, et c’est à peine si j’ai le temps d’écouter tout ce que, autour de moi, en moi, elle chante. […] Il fut un prestigieux virtuose, mais ce sont les mots qu’il a fait chanter bien plus que sa pensée et que son cœur. […] Hugo écrit, mais Lamartine chante.

129. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

« Comme le morceau capital dans l’ancien Opéra était l’air monologué, et que le chanteur avait coutume de le chanter en plein visage du spectateur, il s’ensuivait que les duos, trios, ensembles, se chantaient de la même façon. » Qui ne comprend qu’il est absurde, et contre toute vérité, qu’un chanteur vienne chanter, la face tournée vers le public, surtout quand il doit s’adresser à un personnage en scène ? […] C’est, en effet, de l’importance donnée, contre toute vraisemblance, à l’air monologué qu’est résultée cette habitude de se tourner vers le public pour chanter, même dans les ensembles. […] Après avoir chanté son air, l’acteur remonte un peu vers le fond de la scène et finit de parler à quelques seigneurs sans importance ; lorsque c’est un duo, les deux acteurs chantent, faisant face au public, toujours avec des mouvements alternés des bras ; pendant la ritournelle, ils font une sorte de chassé-croisé, l’un passant derrière l’autre, et se retrouvent en place pour chanter le second couplet. […] Nous avons, jusque maintenant, négligé de parler des acteurs ; mais il nous faut ici parler de Mlle Malten, quand cela ne serait que pour la donner comme exemple à tous nos acteurs : elle arrive, dans ce dernier acte, où elle n’a rien à chanter, où elle ne fait que jouer, à un degré de perfection, qui nous cause presque de l’éblouissement à nous autres, spectateurs français, tant ses poses sont justes, et admirable son expression de figure. […] Seguin est toujours le Wotan puissant et superbe ; Engel a fait une excellente création de Siegmund ; Mlle Litvinne, en dépit d’une indisposition persistante, soutient vaillamment le poids de son rôle de Brünnhilde ; Mlle Martini est vraiment dramatique dans les scènes du premier et du deuxième acte et Mlle Balensi chante avec beaucoup d’autorité le rôle de Fricka.

130. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blanchecotte, Augustine-Malvina (1830-1897) »

Alfred Marchand Mme Blanchecotte chante les doux espoirs évanouis, les aurores pâlies, les illusions mortes, l’amour trompé ou méconnu, le bonheur flétri et perdu pour toujours. […] Blanchecotte procède de Lamartine et de Mme Desbordes-Valmore ; tout en restant originale, elle a, comme ces deux poètes, une tendance à écouter tout ce qui chante en elle, à le traduire avec abondance et facilité.

131. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Il chante, il s’égaye, il soupire, et, dans son gémissement s’en va, un soir, au vent d’automne, comme une de ces feuilles dont la chute est l’objet de sa plus douce plainte ; il incline la tête, comme fait la marguerite coupée par la charrue, ou le pavot surchargé par la pluie. […] J’avais lu la plupart de ces petits chants, j’avais lu ce Charlemagne, cet Alfred, où il en a inséré ; je trouvais l’ensemble élégant, monotone et pâli, et, n’y sentant que peu, je passais, quand un contemporain de la jeunesse de Millevoye et de la nôtre encore, qui me voyait indifférent, se mit à me chanter d’une voix émue, et l’œil humide, quelques-uns de ces refrains auxquels il rendit une vie d’enchantement ; et j’appris combien, un moment du moins, pour les sensibles et les amants d’alors, tout cela avait vécu, combien pour de jeunes cœurs, aujourd’hui éteints ou refroidis, cette légère poésie avait été une fois la musique de l’âme, et comment on avait usé de ces chants aussi pour charmer et pour aimer. […] Je recommanderai encore, d’après mon ami qui la chantait à ravir, la romance intitulée le Tombeau du Poète persan, et ce dernier couplet où la fille du poëte expire sous le cyprès paternel : Sa voix mourante a son luth solitaire Confie encore un chant délicieux, Mais ce doux chant, commencé sur la terre, Devait, hélas ! […] Millevoye avait chanté l’un, et commençait à fêter l’autre. […] Il y a une piquante épigramme de Martial où ce qu’il dit de ses Épigrammes mêmes peut s’appliquer aux élégies, à toute cette poésie vivante et vraie : « Tu crois, dit-il à un de ces estimables conseillers, que mes épigrammes n’ont rien de sérieux ; mais c’est le contraire ; celui-là véritablement n’est pas sérieux qui nous vient chanter pour la centième fois avec emphase le festin de Térée ou de Thyeste… C’est pourtant là ce qu’on loue, ce qu’on estime, me diras-tu, ce qu’on honore sur parole. — Oui, on le loue, mais moi, on me lit. » Nescis, crede mihi, quid sint epigrammata, Flacce, etc.

132. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Je me méfie un peu de ces adolescents comme il s’en rencontre aujourd’hui, qui, à l’âge où de plus forts qu’eux chantaient naïvement les roses, vous font tout de suite des romans ultra-naturalistes avec des descriptions d’éviers ou de paniers aux ordures, et de froides insistances sur les malpropretés de la vie physique. […] A Lyon, où il fait souvent l’école buissonnière et passe des journées dans les bois ou le long de l’eau ; au collège de Sarlande, où il invente des histoires pour les « petits », à Paris même, où, fraîchement débarqué, de ses yeux de myope encore tout pleins de songerie, il s’essaye à regarder ce monde nouveau qu’il peindra si bien, le petit Chose, délicat et joli comme une fille, timide, fier, impressionnable, distrait, continue de rêver effrontément, fait des vers sur des cerises, des bottines et des prunes, chante le rouge-gorge et l’oiseau bleu, soupire le Miserere de l’amour, et adresse à Clairette et à Célimène des stances cavalières qui semblent d’un Musset mignard et où l’ironie, comme il convient, se mouille d’une petite larme. […] Vous rappelez-vous les Deux auberges80, l’une neuve, bruyante et bien achalandée, l’autre déserte et misérable ; et la maîtresse de cette pauvre bicoque pleurant toute seule et perdant la tête, quand par hasard un client entre chez elle, tandis que son mari chante et boit dans l’auberge d’en face chez la belle Arlésienne. […] me dit-elle tout bas, c’est mon mari… N’est-ce pas qu’il chante bien ? […] Ainsi le duo de Robert le Diable chanté par Tartarin avec Mme Bézuquet la mère, et le fameux : « Nan !

133. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

À mesure qu’on s’approche du xive  siècle, on prend l’habitude d’user des rimes alternées dans les pièces à chanter, comme on peut le voir en parcourant les poésies de Charles d’Orléans, ou celles, plus anciennes, de ce Colin Muset, dont M.  […] Quand la pièce ne doit pas être chantée, des rimes de même nature se succèdent le plus souvent. […] De ce qui précède, on peut donc inférer qu’à l’origine la loi de la succession des rimes a été dictée par la musique, et ce qui porte à croire cette assertion, c’est la phrase de Joachim du Bellay : « Il y en a qui fort superstitieusement entremeslent les vers masculins avec les vers féminins… afin que plus facilement on les peust chanter sans varier la musique pour la diversité des mesures qui se trouveroient en la fin des vers. » Ronsard, qu’on ne peut jamais trop consulter, s’exprime ainsi sur la rime dans son Art poétique : « La Ryme n’est autre chose qu’une consonance et cadance de syllabes, tombantes sur la fin des vers, laquelle je veulx que tu observes tant aux masculins qu’aux féminins, de deux entières et parfaictes syllabes, ou pour le moins d’une aux masculins pourveu qu’elle soit résonante et d’un son entier et parfaict. » Mais nulle part, il ne promulgue une règle à suivre sur l’alternance des rimes. […] C’est une habitude contractée par analogie avec des pièces chantées. […] Et quand, solennel, le soir Des chênes noirs tombera, Voix de notre désespoir, Le rossignol chantera.

134. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fleury, Albert (1875-1911) »

Ce n’est pas un aède qui chante, d’une voix sympathique, sur un rythme uniforme. […] Les vers libres qu’il lui offre sont gauches quelquefois, émus souvent, exquis toujours, et des leitmotivs de sa passion nous gardons de doux murmures : Rien qu’une fois, elle a passé dans le chemin, Elle a chanté de charmantes caresses, Elle a fait oublier l’ennui morne des heures.

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