Cuvier lui-même développe la même pensée, que la vie est une force qui résiste aux lois qui régissent la matière brute ; la mort ne serait que le retour de la matière vivante sous l’empire de ces lois. […] On peut ainsi dire que jamais la même matière ne sert deux fois à la vie. […] Si le phénomène reparaît, c’est une matière nouvelle qui lui a prêté son concours. […] Il n’y a en réalité pas plus de principe intérieur d’activité dans la matière vivante que dans la matière brute. […] En un mot, la spontanéité de la matière vivante n’est qu’une fausse apparence.
Ainsi, rien ne s’y crée, pas plus de la forme que de la matière. […] La matière ne va pas jusqu’au bout, et l’isolement n’est jamais complet. […] Si vous le niez, vous contestez le principe même du mécanisme scientifique, et vous déclarez arbitrairement que la matière vivante n’est pas faite des mêmes éléments que l’autre. — Nous répondrons que nous ne contestons pas l’identité fondamentale de la matière brute et de la matière organisée. […] C’est que la forme à laquelle la matière s’adapte était déjà la, toute faite, et qu’elle a imposé à la matière sa propre configuration. […] Voir, à ce sujet, Matière et Mémoire, chap. 1.
» La réalité devient une occasion de poser des problèmes techniques, problèmes d’une action sur la matière, soit matière réelle, soit matière inventée. […] Ainsi l’immatérialité même des mathématiques les fait commander à toute matière. […] Une matière mystérieuse que vous avez beau regarder, cela reste, pour vous, de la matière, vous ne savez l’incorporer dans aucun mouvement spontané et suivi. […] Le Satyre ne touche à la métaphysique que parce qu’il est poésie sans matière. […] Mais il lui tourne le dos, comme le symbolisme, et avec le symbolisme, en repoussant toute la matière poétique dont le Parnasse s’était alourdi et qu’il avait mise en vers : matière historique avec Leconte de Lisle, matière de cabinet d’antiquités avec Heredia, matière sentimentale et didactique avec Sully-Prudhomme, matière pittoresque avec Coppée.
C’est du moins toute la certitude qu’on obtient en matière historique ou judiciaire. […] On s’étonne parfois que la science moderne se soit détournée des faits qui vous intéressent, alors qu’elle devrait, expérimentale, accueillir tout ce qui est matière d’observation et d’expérience. […] Mais lorsque, suivant de haut en bas les manifestations de l’esprit, traversant la vie et la matière vivante, elle fût arrivée, de degré en degré, à la matière inerte, la science se serait arrêtée brusquement, surprise et désorientée. […] C’est la matière, et non plus l’esprit, qui eût été le royaume du mystère. […] Mais aujourd’hui que, grâce à notre approfondissement de la matière, nous savons faire cette distinction et possédons les qualités qu’elle implique, nous pouvons nous aventurer sans crainte dans le domaine à peine exploré des réalités psychologiques.
De là devrait résulter cette conséquence que notre intelligence, au sens étroit du mot, est destinée à assurer l’insertion parfaite de notre corps dans son milieu, à se représenter les rapports des choses extérieures entre elles, enfin à penser la matière. […] Nous verrons que l’intelligence humaine se sent chez elle tant qu’on la laisse parmi les objets inertes, plus spécialement parmi les solides, où notre action trouve son point d’appui et notre industrie ses instruments de travail, que nos concepts ont été formés à l’image des solides, que notre logique est surtout la logique des solides, que, par là même, notre intelligence triomphe dans la géométrie, où se révèle la parenté de la pensée logique avec la matière inerte, et où l’intelligence n’a qu’à suivre son mouvement naturel, après le plus léger contact possible avec l’expérience, pour aller de découverte en découverte avec la certitude que l’expérience marche derrière elle et lui donnera invariablement raison. […] Pourtant, la philosophie évolutionniste étend sans hésitation aux choses de la vie les procédés d’explication qui ont réussi pour la matière brute. […] La connaissance intellectuelle, en tant qu’elle se rapporte à un certain aspect de la matière inerte, doit au contraire nous en présenter l’empreinte fidèle, ayant été clichée sur cet objet particulier. […] Car, si elles réussissaient dans leur entreprise commune, elles nous feraient assister à la formation de l’intelligence et, par là, à la genèse de cette matière dont notre intelligence dessine la configuration générale.
— mais il faut dire et redire que la seule matière indispensable à un poète, c’est la langue. […] Le romancier, le dramaturge en elle à jamais chériront la matière même de leurs créations, — s’ils n’y voient encore plus : le modèle, l’exemple. […] Le danger permanent de leur art est ici : qu’ils préfèrent la vivante matière de cet art à cet art même ! […] Ici rien que la forme ; là, toute la matière. […] Trop exploitée, mal exploitée, la matière humaine semble tristement s’épuiser.
Non seulement une telle science ne peut être que tronquée, mais elle manque de matière où elle puisse s’alimenter. […] Quand on croit savoir en quoi consiste l’essence de la matière, on se met aussitôt à la recherche de la pierre philosophale. […] En effet, ce qui fait la matière principale de sa sociologie, c’est le progrès de l’humanité dans le temps. […] C’est donc parmi les premiers que doit être cherchée la matière de cette définition fondamentale. […] C’est seulement au-delà, dans la manière dont cette matière commune est ensuite élaborée, que les divergences commencent.
Quand on domine une matière et qu’on lui donne sa forme, on se trouve appliquer ces préceptes dans ce qu’ils ont de juste et d’utile : il n’y a pas lieu de pousser plus loin le scrupule et de se piquer là-dessus d’une exactitude entière et littérale. […] Il n’y a pas à chercher finesse, et le soin qu’on met souvent à inventer un exorde, à trouver une entrée en matière, à hausser le ton dans la péroraison, et à finir par un mot fort ou fin, par un effet, ce soin est une puérilité. […] Si vous avez bien ordonné votre matière, les idées sortent les unes des autres, une partie entraîne l’autre, il n’y a pas de transitions à chercher : tout se tient d’une suite continue ; nulle part on ne voit de rupture, de bâillement, d’hiatus. […] Ce décousu, dans une lettre, et dans tout écrit dont la matière est déterminée par des causes extrinsèques et particulières, comme dans les écrits périodiques, qui suivent forcément non pas la logique et la nature, mais la date des événements, ce décousu ne peut guère disparaître sans emporter le naturel.
elle a dû principalement révolter ceux de nos écrivains qui pensent qu’en fait de goût comme dans des matières plus sérieuses, toute opinion nouvelle et paradoxe doit être proscrite par la seule raison qu’elle est nouvelle. […] Un des avantages de la philosophie appliquée aux matières de goût, est de nous guérir ou de nous garantir de la superstition littéraire ; elle justifie notre estime pour les anciens en la rendant raisonnable ; elle nous empêche d’encenser leurs fautes ; elle nous fait voir nos égaux dans plusieurs de nos bons écrivains modernes, qui pour s’être formés sur eux, se croyaient par une inconséquence modeste fort inférieurs à leurs maîtres. […] En quelque matière que ce soit, nous devons désespérer de remonter jamais aux premiers principes, qui sont toujours pour nous derrière un nuage : vouloir trouver la cause métaphysique de nos plaisirs, serait un projet aussi chimérique que d’entreprendre d’expliquer l’action des objets sur nos sens. […] Car il ne confondra point le plaisir d’habitude avec celui qui est purement arbitraire et d’opinion ; distinction qu’on n’a peut-être pas assez faite en cette matière, et que néanmoins l’expérience journalière rend incontestable. […] Ainsi dans les matières de goût, une demi-philosophie nous écarte du vrai, et une philosophie mieux entendue nous y ramène.
Comment se fit l’élaboration de la matière épique, et sa mise en œuvre ? […] Chaque état de la matière épique est le résultat d’un intime renouvellement, d’une refonte intégrale. […] La matière aussi a reçu sa forme : elle est distribuée déjà en amples compositions, en récits détaillés. […] Plus ils sont anciens, moins la forme naturellement déguise ou trahit la matière. […] Remaniements de la matière épique.
Notre intention n’est pas d’approfondir la nature de la matière, pas plus d’ailleurs que la nature de l’esprit. […] Chacun de nous est un corps, soumis aux mêmes lois que toutes les autres portions de matière. […] Serait-ce possible, si le souvenir avait été déposé dans la matière cérébrale altérée ou détruite ? […] Pour le développement de ce point, voir notre livre Matière et Mémoire, Paris, 1896 (principalement le second et le troisième chapitres). […] Voir, sur ce point, Matière et Mémoire, chap. 1er.
L’invention en somme, c’est l’analyse, qui distingue toutes les parties dans l’unité brute de la matière. […] Quelles doivent être la pensée maîtresse, la couleur fondamentale, l’impression dominante du développement à faire, voilà ce que tout élève doit savoir distinguer d’abord dans la matière qu’on lui propose, et cela consiste précisément à en extraire l’idée générale. […] Mais un exemple en ces matières est toujours délicat à imaginer : on a beau faire, on sent que tout est convenu, factice, arrangé pour le besoin de la démonstration. […] Profondément incapables, ainsi que Descartes, de comprendre la communication de l’esprit et de la matière, ils ont étudié avec une incroyable finesse l’action et les réactions d’une âme sur une âme, d’une idée sur un sentiment, d’une passion sur une raison : jamais, ou à peu près, l’influence du tempérament, ou du monde sensible.
L’homme de génie ne doit craindre de tomber dans un style faible et négligé, que lorsqu’il n’est point soutenu par sa matière ; c’est alors qu’il doit songer à l’élocution et s’en occuper ; dès qu’il aura de grandes choses à dire, son élocution sera telle qu’elle doit être sans qu’il y pense. […] Si Perrault et Chapelain avaient fait une pareille strophe, quelle matière de plaisanterie ils eussent fournie au satirique ? […] Si la dialectique est nécessaire, c’est seulement dans les matières de dogme ; mais ces matières sont plus faites pour les livres que pour la chaire, qui doit être le théâtre des grands mouvements et non pas de la discussion. […] Ce n’est, ni dans un sermon, ni en vers, qu’il faut entreprendre de prouver aux incrédules la vérité du christianisme ; le recueillement du cabinet et l’austérité de la prose n’ont rien de trop pour une matière si sérieuse. […] L’affectation du style, toujours pénible et choquante, l’est principalement dans les matières philosophiques, qui doivent briller de leur propre beauté, ou l’ornement est le sujet même, et qui rejettent comme indigne d’elles toute parure empruntée d’ailleurs : c’est principalement à ces matières qu’on doit appliquer le beau passage de Pétrone : Grandis, et ut ita dicam, pudica oratio, naturali pulchritudine exurgit.
Est-il besoin de citer des exemples, la loi d’équivalence et de transformation des forces, l’homogénéité de la matière cosmique révélée par l’analyse spectrale ? […] N’y a-t-il pas là pour la poésie une matière inépuisable ? […] On le voit, ce n’est pas la matière qui manque : elle est vaste, et les grands sujets apparaissent de toutes parts. […] Lucrèce n’est ici qu’un prétexte pour l’auteur de montrer son habitude de la réflexion et sa compétence dans ces matières. […] Sur une pareille matière, il fallait répandre à flots la lumière, la couleur, la vie.
Il devra peser sur la matière s’il veut se détacher d’elle. […] Il s’agissait d’énergies physico-chimiques, et d’une science qui portait sur la matière. […] La science s’est attachée à la matière d’abord ; pendant trois siècles elle n’a pas eu d’autre objet ; aujourd’hui encore, quand on ne joint pas au mot un qualificatif, il est entendu qu’on parle de la science de la matière. […] Nous avons indiqué pourquoi l’étude scientifique de la matière avait précédé celle de l’esprit. […] Matière et mémoire, tout le premier chapitre.)
Dans ces conditions peut-il y avoir compensation entre l’action et la réaction, du moins pour un observateur qui ne tiendrait compte que des mouvements de la matière, c’est-à-dire des électrons, et qui ignorerait ceux de l’éther qu’il ne peut pas voir ? […] C’est que l’appareil va reculer, comme s’il était un canon et si l’énergie qu’il a projetée était un boulet, et cela est contraire au principe de Newton, puisque notre projectile ici n’a pas de masse, ce n’est pas de la matière, c’est de l’énergie. […] Cela sauverait le principe de Newton, mais cela n’est pas vrai ; si l’énergie en se propageant restait toujours attachée à quelque substratum matériel, la matière en mouvement entraînerait la lumière avec elle et Fizeau a démontré qu’il n’en est rien, au moins pour l’air. […] On peut supposer aussi que les mouvements de la matière proprement dite sont exactement compensés par ceux de l’éther, mais cela nous amènerait aux mêmes réflexions que tout à l’heure. […] Les explications proposées furent nombreuses ; mais en pareille matière on ne peut pas dire qu’abondance de biens ne nuit pas ; tant que l’une d’elles n’aura pas triomphé des autres, nous ne pourrons pas être sûrs qu’aucune d’entre elles soit bonne.
Je n’ai pas à m’occuper des dispositions de ce projet ni à les discuter ; mais il s’agit d’une matière qui prête à bien des observations littéraires, morales, et je tâcherai d’en toucher quelques-unes. […] Un spirituel écrivain, qui entendait très bien la matière, M. […] Au xviiie siècle, il se fit un grand changement et une révolution dans la manière de voir et de juger ; on se passa volontiers de la Cour en matière d’esprit. […] On chercherait vainement quelque chose qui ressemble à une opinion régnante en matière littéraire. […] En telle matière, le plus simple est encore d’en revenir à l’unité.
Car à supposer que les formes dont on parle, et auxquelles nous adaptons la matière, viennent entièrement de l’esprit, il semble difficile d’en faire une application constante aux objets sans que ceux-ci déteignent bientôt sur elles : en utilisant alors ces formes pour la connaissance de notre propre personne, nous risquons de prendre pour la coloration même du moi un reflet du cadre où nous le plaçons, c’est-à-dire, en définitive, du monde extérieur. Mais on peut aller plus loin, et affirmer que des formes applicables aux choses ne sauraient être tout à fait notre œuvre ; qu’elles doivent résulter d’un compromis entre la matière et l’esprit ; que si nous donnons à cette matière beaucoup, nous en recevons sans doute quelque chose ; et qu’ainsi, lorsque nous essayons de nous ressaisir nous-mêmes après une excursion dans le monde extérieur, nous n’avons plus les mains libres. […] Ce qui domine toute cette théorie, c’est la distinction très nette entre la matière de la connaissance et sa forme, entre l’homogène et l’hétérogène, et cette distinction capitale n’eût jamais été faite, sans doute, si l’on n’eût considéré le temps, lui aussi, comme un milieu indifférent à ce qui le remplit. […] Nous avons donc supposé un Espace homogène, et, avec Kant, distingué cet espace de la matière qui le remplit. […] Nos états psychiques, en se détachant alors les uns des autres, se solidifieront ; entre nos idées ainsi cristallisées et nos mouvements extérieurs des associations stables se formeront ; et peu à peu, notre conscience imitant le processus par lequel la matière nerveuse obtient des actions réflexes, l’automatisme recouvrira la liberté 40.
L’oratorien Malebranche, qu’on n’a jamais appelé un révolutionnaire, pensait assez mal à l’égard de la matière. […] L’âme n’est donc qu’un résultat, une fonction de la matière, infiniment supérieure cependant à la matière, comme l’harmonie de la lyre, suivant l’admirable comparaison de Platon, est supérieure à la lyre elle-même, quoiqu’elle ne soit rien sans elle. […] En tant qu’elle est liée à la matière, elle s’évanouit et se dissipe avec la matière même : elle perd donc la conscience, qui n’est que la résultante des actions du cerveau ; mais l’âme n’est pas tout entière dans la conscience, elle est quelque autre chose de plus. […] Or il y a deux passages infranchissables jusqu’ici à toute science, à toute analyse, à toute expérience, c’est le passage de la matière brute à la matière vivante et de la matière vivante à la pensée. […] La première lui donnerait les propriétés générales de la matière, la seconde les éléments qui la composent, la troisième les conditions particulières de la matière organisée.
Il entendait par nature ces ensembles et lois générales relatives à la matière par qui le monde est gouverné. […] Or qu’est-ce que la matière ? […] On croit que ces nébuleuses subissent graduellement des changements de forme, suivant que la matière, obéissant aux lois de gravitation, se condense autour d’un ou de plusieurs centres. […] Leur nature calcinée les ferait plutôt croire volcaniques : matière élevée dans les airs par la force démesurée de projection, et retombant du haut de l’atmosphère terrestre sur notre hémisphère. […] Mais, comme dans toutes les sphères de la spéculation idéale, à côté de l’espoir d’un butin riche et assuré, est ici le danger des illusions si fréquentes en pareille matière.
Je parle de la matière où il allait appliquer son génie. […] C’est une âme dont toute la matière pour ainsi dire, dont toute la matière spirituelle a été gagnée peu à peu par ce vieillissement. […] Il a voulu être la matière et l’objet de l’exégète et de l’historien, la matière, l’objet, la victime de la critique historique. […] Elles ont enfin et ensemble leur matière et leur instrument. […] (Et même il est seul en face des autres matières).
A l’origine, de l’aveu de presque tous les géologues, la terre était une masse de matière en fusion, et par suite d’une consistance homogène et d’une température relativement homogène. […] Par suite : L’évolution est une intégration de matière accompagnée d’une dissipation de mouvement, pendant laquelle la matière passe d’une homogénéité indéfinie, incohérente, à une hétérogénéité définie, cohérente ; et pendant laquelle aussi le mouvement retenu subit une transformation analogue131. […] L’hypothèse de la nébuleuse ne jette aucune lumière sur l’origine de la matière diffuse, et il faut rendre compte de cette matière diffuse tout autant que d’une matière concrète. […] Que notre harmonieux univers ait autrefois existé, en puissance, à l’état de matière diffuse, sans forme, et qu’il soit lentement arrivé à son organisation présente, cela est beaucoup plus étonnant que ne le serait sa formation, suivant la méthode artificielle que suppose le vulgaire. […] Si, remontant l’évolution des choses, il se permet de supposer que toute matière exista jadis sous forme diffuse, il trouve impossible de concevoir comment cela a pu être ainsi.
Les lecteurs du xviiie siècle, d’autre part, esprits légers, mondains, incapables d’une attention longue et soutenue, avaient besoin qu’on leur divisât extrême-nient la matière : ils ne prenaient rien qu’à petite dose, et il fallait tout morceler. […] C’est son mérite singulier : et c’est par là qu’il a été un incomparable artiste : il a, sans l’altérer, sans la travestir, ni la farder, donné une forme souverainement aimable à une matière rude et sévère. […] Et vraiment, quelque sujet que l’on traite, il est essentiel de garder ainsi par devers soi une certaine quantité de matière, et de ne point tout dépenser à fabriquer son ouvrage. […] Et pourtant il n’est rien qu’on lasse plus fréquemment, faute d’avoir suffisamment réfléchi sur la répartition de la matière entre les diverses parties du sujet. […] Quand la matière est ample, et l’ouvrage étendu, il peut être utile de remettre de temps à autre sous les yeux du lecteur les résultats acquis, de lui faire mesurer le chemin déjà parcouru et celui qui reste à faire.
Il n’y a point de matière, si brute qu’elle soit, qui n’ait une forme : pareillement les pensées, matière des créations de l’esprit, ne peuvent être conçues hors de toute forme, c’est-à-dire sans un certain plan et sans un certain style. […] Elle se portera tout entière d’abord, et aussi longtemps qu’il faudra, sur l’acquisition des idées qui doivent être la matière de l’œuvre : et quand elle en aura amassé un assez grand nombre, quand elle croira que rien d’essentiel ne lui a échappé, elle s’occupera alors de les ordonner et de les placer selon leurs rapports intimes.
La matière, pensent les philosophes, n’est sans doute que l’envers de l’esprit. […] Il est certain qu’on ne peut bien traiter qu’un petit nombre de matières : le reste est affaire de volonté bien plus que de génie. […] Si scrupuleuse que doive être l’attention donnée à la matière, elle ne le sera pas moins pour la forme. […] Il s’agit de déblayer ces amoncellements de matières putrides. […] La matière flottante et confuse de ses longues rêveries se fixe et se cristallise autour du fait révélateur.
Ainsi donc, pour atteindre et venir à la matière que j’ai entrepris de commencer, premièrement par la grâce de Dieu et de la benoîte vierge Marie dont tout comfort et avancement viennent, je me veux fonder et ordonner sur les vraies Chroniques jadis faites et rassemblées par vénérable homme et discret seigneur Monseigneur Jean le Bel, chanoine de Saint-Lambert de Liège, qui y mit grand’cure et toute bonne diligence et les continua toute sa vie le plus exactement qu’il put, n’y plaignant aucuns frais ni dépenses ; car il étoit riche et de grands moyens, et de plus il étoit large, honorable et courtois par nature, et dépensant volontiers du sien… L’histoire alors était un luxe : elle supposait des voyages coûteux, des fréquentations illustres, des relations étendues : ne s’y appliquait pas qui voulait ; c’était comme un office noble attenant aux seigneuries. […] Ainsi ai-je rassemblé la haute et noble histoire et matière ; et tant que je vivrai, par la grâce de Dieu, je la continuerai ; car d’autant plus j’y suis et plus y laboure, et plus elle me plaît ; tout de même que le gentil chevalier et écuyer qui aime les armes, en persévérant et continuant, s’y nourrit et s’y accomplit, ainsi en travaillant et opérant sur cette matière, je m’habilite et délite (je me rends habile et je me réjouis). […] sens, mémoire et bonne souvenance de toutes les choses passées, esprit clair et aigu pour concevoir tous les faits dont je pourrois être informé, âge, corps et membres pour souffrir peine24, je m’avisai que je ne voulois point tarder de poursuivre ma matière ; et pour savoir la vérité des lointaines besoignes et entreprises, sans que j’y envoyasse aucune autre personne en mon lieu, je pris voie et occasion raisonnable d’aller devers haut prince et redouté seigneur monseigneur Gaston, comte de Foix et de Béarn… Le comte de Foix ne l’a jamais vu, mais il le connaît de réputation et a bien souvent entendu parler de lui. […] À toutes ses questions le comte de Foix répond volontiers, et il promet à l’historien pour son ouvrage un crédit dans l’avenir et une fortune que nulle autre histoire ne lui disputera : « Et la raison en est, disait-il, beau Maître, que depuis cinquante ans en çà sont advenus plus de faits d’armes et de merveilles au monde qu’il n’en étoit de trois cents ans auparavant. » Encouragé par un tel suffrage, Froissart s’applique de plus en plus à mettre son langage au niveau des actions qu’il a à raconter ; car il n’a rien tant à cœur que d’étendre et rehausser sa matière, dit-il, et d’exemplier (enseigner par des exemples) les bons qui se désirent avancer par armes. […] C’est ce qui a fait dire de lui à Montaigne, assez pareil de nature, et qui était si bien fait pour l’apprécier et le comprendre (il parle en cet endroit des historiens simples, qui ramassent tout ce qui vient à leur connaissance, et qui enregistrent à la bonne foi toutes choses sans choix et sans triage) : Tel est entre autres, pour exemple, le bon Froissart qui a marché, en son entreprise, d’une si franche naïveté qu’ayant fait une faute, il ne craint aucunement de la reconnoître et corriger en l’endroit où il en a été averti, et qui nous représente la diversité même des bruits qui couroient et les différents rapports qu’on lui faisoit : c’est la matière de l’histoire nue et informe ; chacun en peut faire son profit autant qu’il a d’entendement.
C’est là cette morale pratique dont nous fournissons la matière, et qui nous avertit de nos plus secrets mouvements, non par des analogies plus ou moins éloignées, mais en nous les faisant toucher du doigt. […] Non seulement la matière en est préparée depuis longtemps et à grand prix, mais tout le monde y a mis la main. Puis il s’élève un mortel privilégié, à qui Dieu donne l’instinct qui devine que cette matière est prête, et le génie qui sait la façonner. […] La matière fournit d’elle-même ses formes et ses couleurs à l’écrivain qui y est propre. […] Vouloir fixer par écrit des pensées communes, c’est, dans l’auteur, ou médiocrité d’invention, ou illusion de l’ouvrier qui estime moins la matière que la façon.
Peut-être aussi, comme le pensent quelques-uns, est-il dans la nature des choses que les études des anatomistes rencontrent toujours en ces matières une ou plusieurs inconnues, et cela même serait déjà un fait important à constater. […] Celui qui ne croit qu’à la matière ne doit pas s’attribuera lui-même le monopole de la vérité scientifique et renvoyer au pays des chimères celui qui croit à l’esprit. […] Longet et son Traité du système nerveux, où nous avons puisé beaucoup de faits ; mais l’ouvrage le plus riche et le plus complet sur la matière qui nous occupe est le grand ouvrage de MM. […] Ernest Brémond), ouvrage d’une ordonnance excellente, d’une exposition lumineuse et forte, rempli de faits bien choisis dont quelques-uns sont nouveaux, et sont les découvertes de l’auteur ; en second lieu, un livre du docteur Luys, intitulé Recherches sur le système cérébro-spinal et qui est un des traités les plus approfondis qui aient été faits sur la matière.
Si la vie n’est pas résoluble en faits physiques et chimiques, elle agit à la manière d’une cause spéciale, surajoutée à ce que nous appelons ordinairement matière : cette matière est instrument, et elle est aussi obstacle. […] En fait, l’intelligence humaine doit s’en tenir à une action très limitée sur une matière très imparfaitement connue d’elle. […] Ce n’est plus qu’une ombre ; mais la forme y est, à défaut de la matière. […] Que l’intelligence soit faite pour utiliser la matière, dominer les choses, maîtriser les événements, cela n’est pas douteux. […] Il y a un élan de vie qui traverse la matière et qui en tire ce qu’il peut, quitte à se scinder en route.
On l’a prise pour matière de programme, qu’il faut avoir parcourue, effleurée, dévorée, tant bien que mal, le plus vite possible, pour n’être pas « collé » : quitte ensuite, comme pour tout le reste, à n’y songer de la vie. […] Brunetière : j’ai estimé plus utile, en une matière où il n’y a point de vérité dogmatique ni rationnelle, d’apporter les opinions, les impressions, les formes personnelles de pensée et de sentiment que le contact immédiat et perpétuel des œuvres a déterminées en moi. […] On y apprivoiserait sans peine nos intelligences, inaccoutumées à s’y diriger : d’autant qu’on aurait là pour les plus jeunes élèves de nos lycées une inépuisable et inestimable matière de lectures faciles, attrayantes, sollicitant de mille côtés l’attention des enfants, et tout juste à leur mesure. […] Il m’aurait été même impossible de réduire mon sujet ainsi compris en un seul volume, si je n’avais très rigoureusement défini ma matière. […] Mais aujourd’hui la matière est plus abondante dans tous les sujets : j’aurais étouffé le mien en effleurant à peine les autres.
Leurs actes sont nécessairement immatériels. » — La matière et ses qualités ne « sont que des truchements qui leur servent à faire mutuellement connaissance. Les forces prennent la matière, la conforment et s’annoncent en se peignant à la surface par leurs effets, se signifient et s’interprètent par les qualités qu’elles imposent à la matière. » Par exemple, la circulation du sang est produite par une cause. « Mais est-elle l’acte même de cette cause ? […] Cette pierre est pesante, la matière est étendue, cette plante végète, le soleil est brillant : dans toutes ces phrases, l’attribut est un membre séparé du sujet. L’étendue est une portion du tout qu’on appelle matière ; la pesanteur est une portion du tout qu’on appelle pierre ; la végétation est une portion du tout qu’on appelle plante ; l’éclat est une portion du tout qu’on appelle soleil. […] Ce n’est pas assez de lui donner sa méthode ; il faut encore lui fixer sa matière.
La matière des sensations est-elle saisie par une opération sensitive ? […] I La matière des sensations est-elle saisie par une opération sensitive. […] C’est l’appétit et la volonté qui a ainsi emmagasiné ce que Kant et les platoniciens nomment la « matière » de la connaissance. […] Ce qui est irréductible à la seule action des objets externes, au seul mécanisme, c’est précisément ce que Kant nomme, avec Platon et Aristote, la matière de la connaissance. […] La causalité, disent Wolf et Reimarus, fournit la matière de la pensée, l’identité en est la forme ; elles se supposent réciproquement.
Il s’inquiète peu si sa matière mettra son esprit dans le plus beau jour. […] Les plus travaillés de ces sermons n’offrent pas cet artifice qui accommode une matière au plus grand nombre des esprits. […] C’est le même fond ; il n’y a de différent que la matière des débats et l’habit des combattants. […] La matière en est, dans l’ordre humain, la plus haute qui se puisse traiter. […] Leibniz voulait faire traiter cette matière par les femmes.
Placé entre la matière qui influe sur lui et la matière sur laquelle il influe, mon corps est un centre d’action, le lieu où les impressions reçues choisissent intelligemment leur voie pour se transformer en mouvements accomplis ; il représente donc bien l’état actuel de mon devenir, ce qui, dans ma durée, est en voie de formation. […] Tout le monde admet, en effet, que les images actuellement présentes à notre perception ne sont pas le tout de la matière. […] Une partie de ce travail a été faite dans notre premier chapitre, quand nous avons traité de l’objectivité en général ; une autre le sera dans les dernières pages de ce livre, lorsque nous parlerons de l’idée de matière. […] Nous avons montré, au commencement de ce livre, les conséquences de la première illusion : elle aboutit à fausser notre représentation de la matière. […] Cet équilibre ne sera évidemment faussé que par la perturbation des éléments qui lui servent de matière.
Et qui doute qu’elles ne servent souvent à faire découvrir la vérité ; qu’il ne résulte de grandes lumières du choc des sentimens sur le même sujet ; que les efforts de chaque écrivain, pour défendre son opinion & pour combattre celle de son adversaire, les raisonnemens, les preuves, les autorités, l’art, employés de part & d’autre, ne répandent un plus grand jour sur les matières. […] D’ailleurs, la variété des matières que présente cet ouvrage, pourra piquer la curiosité du lecteur qui ne cherche que l’amusement. […] Dans la première & troisième division, on a suivi l’ordre des temps ; &, dans la seconde, celui des matières.
La matière de la connaissance nous est fournie par le dehors et par les objets extérieurs ; la forme vient de l’intérieur, du sujet même capable de connaître. […] Dans cette proposition : il faut une cause à l’univers ; — il faut une cause, voilà la partie subjective, la forme de la connaissance ; — l’univers, voilà la partie objective, la matière de la connaissance. […] Si l’expérience n’avait jamais montré de meurtre, l’esprit n’aurait jamais eu l’idée d’un meurtrier ; c’est donc l’expérience et l’expérience seule qui peut ici avoir fourni la matière de la connaissance. […] Je prends les deux exemples donnés par Kant. — Dans tout changement du monde matériel, la quantité de matière doit rester la même ; dans toute communication du mouvement, l’action et la réaction doivent être égales. — Ce sont évidemment là des jugemens synthétiques, car l’idée de matière n’implique pas le moins du monde que dans tous les changemens la quantité de matière est la même ; de même on peut avoir l’idée de mouvement sans en déduire que l’action et la réaction sont toujours égales. J’ajoute d’un côté à la notion de matière, de l’autre à celle de mouvement, des notions qui n’y étaient pas contenues, je fais un jugement synthétique.
Nous percevons le monde matériel, et cette perception nous paraît, à tort ou à raison, être à la fois en nous et hors de nous : par un côté, c’est un état de conscience ; par un autre, c’est une pellicule superficielle de matière où coïncideraient le sentant et le senti. À chaque moment de notre vie intérieure correspond ainsi un moment de notre corps, et de toute la matière environnante, qui lui serait « simultané » : cette matière semble alors participer de notre durée consciente 17. […] II et III ; Matière et Mémoire, Paris, 1896, chap. […] Voir Matière et Mémoire, chap. […] Nous l’avons discutée en détail dans plusieurs de nos travaux, notamment dans les trois premiers chapitres de Matière et Mémoire et dans divers essais de L’Énergie spirituelle.
Il serait absurde de parler d’une propriété de la matière qui ne pût pas devenir objet de représentation. […] Bref, l’idéalisme est un système de notation qui implique que tout l’essentiel de la matière est étalé ou étalable dans la représentation que nous en avons, et que les articulations du réel sont celles mêmes de notre représentation. […] Dire que la matière existe indépendamment de la représentation, c’est prétendre que sous notre représentation de la matière il y a une cause inaccessible de cette représentation, que derrière la perception, qui est de l’actuel, il y a des pouvoirs et des virtualités cachées : enfin c’est affirmer que les divisions et articulations visibles dans notre représentation sont purement relatives à notre manière de percevoir. […] Plus la science approfondit la nature du corps dans la direction de sa « réalité », plus elle réduit déjà chaque propriété de ce corps, et par conséquent son existence même, aux relations qu’il entretient avec le reste de la matière capable de l’influencer. […] Comme d’ailleurs notre connaissance de la matière ne saurait sortir entièrement de l’espace, et que l’implication réciproque dont il s’agit, si profonde soit-elle, ne saurait devenir extraspatiale sans devenir extrascientifique, le réalisme ne peut dépasser l’idéalisme dans ses explications.
Il y eut de tout temps, en matière poétique, les novateurs et les conservateurs, les anciens et les modernes. […] Tout est au contraire sujet à varier, en poétique aussi bien qu’en matière industrielle. […] À eux de s’y avancer avec sagesse et prudence ; car toute exagération en pareille matière, loin d’aboutir au but cherché, le renouvellement du rythme, ne ferait, au contraire, que nuire à l’inspiration de la Muse. […] Cela ne peut vraiment choquer les gens de goût, et le souffle poétique, loin d’en être diminué, y peut trouver matière à un élan que la torture des rimes entrave quelquefois. […] Par malheur on lit si peu les Maîtres du xvie siècle qu’on ignore tout de leurs habitudes, spécialement en matière d’hiatus qu’ils ne proscrivirent jamais.
L’utilisation des matériaux, du fer surtout dans la charpente, l’adaptation des formes à la matière employée frappent aussitôt. Pour cet artiste, libéré des traditions fossiles, il est évident qu’il n’y a pas comme unique matière noble, la pierre, et que tous les matériaux sont nobles s’ils sont justement employés. […] Une autre conséquence en surgit, celle-ci, qu’une matière autrefois considérée comme inesthétique en architecture et par conséquent dissimulée, le fer par exemple, demeure apparente dans l’édifice de Horta et devient elle-même un élément de beauté. […] Il est moniste parce que dans l’une quelconque de ses œuvres tout est lié, tout concourt à l’unité : tous les éléments sont organiquement liés, les matières entre elles, l’ensemble de la matière à l’habitant.
S’il fait cette comparaison, il ne verra certainement dans ce qu’on a écrit sur ces matières que des souvenirs confus, que les rêves d’une imagination déréglée ; la réflexion y est restée étrangère, par l’effet des deux vanités dont nous avons parlé (axiome 3). […] Aussi les Épicuriens qui ne voient dans le monde que matière et hasard, les Stoïciens qui, semblables en ceci aux Spinosistes, reconnaissent pour Divinité une intelligence infinie animant une matière infinie et soumise au destin, ne pourront raisonner de législation ni de politique.
Si l’auteur n’a en main ou à portée de la main quand il crée, tous les éléments de son œuvre, la matière verbale, la matière technique et la matière humaine, son art, sa troupe et son public, la rectitude de son « activité créatrice », comme dit Maritain, sera irrémédiablement faussée. […] Jamais si riche matière nationale ne s’offrit à aucun auteur. […] Il travaillera avec sécurité et avec fièvre, dans une matière qui vit. […] Il s’est fait une idée de l’art qui compose avec la matière. […] Si chez lui la matière humaine est grossière, elle est traitée avec force et décision.
Il y a sur la matière de l’Écriture sainte les ouvrages de Wallon, de Bonfierius, de Serrarius et de Dupin. […] Mais comme la méthode de dicter consume en pure perte un temps précieux, que je la bannis de toutes les écoles et que l’étendue des matières la rend souvent impraticable, il faut y suppléer par clés ouvrages imprimés. […] On ne manque pas d’excellents ouvrages sur cette matière ; l’Angleterre et la France en ont produit sans nombre d’après lesquels il serait aisé de composer un bon livre classique. […] Il y a une logique propre à l’ecclésiastique, connue sous le nom de Lieux théologiques ; c’est un parallèle des autorités entre elles : de l’autorité de la raison, de l’autorité de l’Écriture, des conciles généraux et particuliers, des Pères considérés séparément et entre eux sur telle matière ou sur telle autre, des docteurs de l’Église, des grands hommes, de la tradition et des monuments ; logique de théologien à théologien, fort différente de celle d’un homme à un homme et d’un théologien à un philosophe.
L’Académie française, où il n’y a pas de sections, bien que l’on pût à la rigueur en concevoir (sections de langue et de grammaire, de poésie dramatique, de poésie lyrique, d’histoire, d’éloquence proprement dite, de roman, de critique littéraire, j’y reviendrai tout à l’heure), l’Académie française, loin de voir un inconvénient dans le hasard et la mêlée des candidatures, tient à honneur d’être affranchie de tout examen préalable et de tout ordre prévu et réglé en matière d’élection ; elle estime que les qualités générales qui constituent le littérateur distingué, en quelque genre que ce soit, et l’homme de goût, sont suffisamment appréciées et senties par chacun de ses membres, et que prétendre faire plus, vouloir tracer des divisions et des compartiments, ce serait apporter en cette matière délicate une rigueur dont elle n’est point susceptible, et qui en froisserait et en fausserait la finesse. […] Après tout, il serait singulier que cette voix de discussion, qu’on dit bonne en tout lieu et en toute matière, n’eût qu’inconvénients et inutilité au sein de l’Académie. […] Il raisonne en effet très volontiers, — pas mal et quelquefois bien sur les matières politiques et historiques qui sont dans le courant habituel des salons, — pas très bien ni très finement sur les matières littéraires, soit celles du jour, soit celles d’autrefois. […] Ce n’est pas que cette oraison funèbre n’ait son importance ; elle est désormais inséparable d’un Traité sur cette matière, et elle jette un jour rétrospectif sur la fausseté du genre.
C’est la matière du beau vers de Térence, qui a été au cœur de toutes les nations Homo sum humani nihil a me alienum puto. […] L’humanité est la matière de toute la dispute ; mais pendant qu’on examine si c’est une réalité ou si ce n’est qu’un jeu de langage, personne n’en étudie le fond. […] Les matières dont ils s’occupent sont générales ; mais une mauvaise méthode n’en tire que des jeux d’esprit aussi particuliers que les humeurs des écrivains. […] On l’a vu plus haut pour les chroniqueurs : les événements contemporains sont l’unique matière de leurs récits. […] Les mœurs du présent sont la matière des poètes comme les événements sont celle des prosateurs.
La matière est-elle quelque chose ou une conception de l’esprit ? […] Et elle ira ainsi de rêve en rêve, jusqu’à ce que soit usée, non la matière inusable de la connaissance, mais la matière à connaître, le cerveau humain. […] En quoi la matière vivante se distingue-t-elle de la matière inorganique ? […] Il suffit, pour cela, que cet objet soit véritablement achevé, c’est-à-dire qu’on ait donné à sa matière et à sa forme le degré de perfection compatible avec cette matière ou cette forme. […] Le fait dépasse de beaucoup la matière linguistique ; son importance est sociale.
Utilité de l’étude du plan et de la composition des ouvrages qu’on lit Pour se bien pénétrer des conseils qui viennent d’être donnés, et en bien saisir le sens et l’application, il serait bon de s’habituer à connaître l’ordonnance et la composition des ouvrages qu’on lit : disséquez, réduisez à la substance essentielle, dressez des plans, des tables de matières. […] Inversement, quand un livre se présente avec une table de matières ample et exacte, étudiez-en le rapport avec le corps du développement.
C’est donc également une abstraction, c’est-à-dire une force qui nous apparaît comme étant en dehors de la matière. […] En résumé, la matière vivante, pas plus que la matière brute, ne peut se donner l’activité et le mouvement par elle-même. […] Cette définition est absolument vraie pour les analyses et les synthèses de la matière. […] En effet, les propriétés des corps ne résultent pas seulement de la nature et des proportions de la matière, mais encore de l’arrangement de cette même matière. […] Il faut que le physiologiste médecin analyse expérimentalement les phénomènes de la matière vivante, comme le physicien et le chimiste analysent expérimentalement les phénomènes de la matière brute.
C’est qu’on ne touche pas impunément sans précaution à la matière ! […] Blafard et douceâtre écrivain, élégant, mais à la manière des Incroyables de son temps, appliquant aux matières philosophico-médicales la rhétorique effacée de son ami Garat, Cabanis, malgré une médiocrité foncière, a laissé un sillon profond que d’autres ont fécondé, et a exercé une influence décisive sur l’enseignement en France, tel qu’il est encore aujourd’hui. […] Méconnaissance de la nature spirituelle de l’homme qu’on définit un mammifère monodelphe bimane, et rien de plus, négation de l’unité de la race humaine, affirmation de l’activité de la matière, confusion de la physiologie et de l’histoire naturelle, au mépris des traditions médicales, depuis Hippocrate jusqu’à nos jours, enfin l’opinion qui implique le matérialisme le plus complet : « Que la vie ne doit pas être considérée comme un principe, mais comme un résultat, une propriété dont jouit la matière, sans qu’il soit nécessaire de supposer un autre agent dans le corps », toutes ces solutions et beaucoup d’autres de la même énormité sont attaquées et ruinées de fond en comble par le rude jouteur des Études.
La matière dont je vais parler intéresse le gouvernement et la religion, et mérite bien qu’on en parle avec liberté sans que cela puisse offenser personne : après cette précaution j’entre en matière. […] Ce vice naît toujours d’un défaut de logique, quand on écrit de son propre fonds ; ou d’ignorance soit de la matière, soit de la langue, quand on écrit d’après un autre. […] Un auteur qui écrit sur cette matière, doit marquer avec soin ces différences, au moins par des exemples qui donnent occasion au lecteur de les observer. […] De plus, ces matières étant peu cultivées et peu connues des gens du monde, leur dictionnaire est moins sujet à s’altérer, et la manière de les traiter est plus invariable dans ses principes. […] Mais, pour décider cette question, il faudrait être au fait de la prononciation des anciens ; matière totalement ignorée.
Quoi qu’il fasse, il ne peut rien, tout lui résiste ; il ne peut plier la matière à son usage, qu’elle ne se plaigne et ne gémisse : il semble attacher ses soupirs et son cœur tumultueux à tous ses ouvrages ! […] Les puissances unies de la matière sont à une seule parole de Dieu comme rien est à tout, comme les choses créées sont à la nécessité. […] Quelle ample matière de réflexions sur cette histoire de l’arbre de science, qui produit la mort !
Je viens d’indiquer les considérations les plus générales sur lesquelles il faut se guider dans l’ordonnance de la matière qu’on doit développer. […] Quand plusieurs actions se développent pendant une certaine durée en des lieux différents, on combine l’un et l’autre ordre : on choisit une unité de temps, d’après laquelle on coupe chaque action en fragments égaux, et l’on montre successivement de petites séries partielles et simultanées, jusqu’à ce qu’on ait épuisé sa matière. […] Il ne s’agit que de choisir quelques-uns de ces points de coïncidence ou d’intersection, en se conformant à la nature intime du sujet et à l’idée maîtresse qui doit tout dominer : ces points donneront les divisions naturelles de la matière. […] On pourra, selon les matières, se décider pour la forme inductive ou la forme déductive : prouver par l’expérience des faits réels, ou par les conséquences des principes évidents.
Voilà matière à discours pathétiques et à morceaux d’éloquence ! […] Le coup de fusil anonyme qui tuait le pamphlétaire Paul-Louis Courier et qui semblait venger de ses libelles l’usurpateur couronné, aurait pu fournir au même Villiers matière à exercer sa déconcertante ironie. […] Berthelot, est fondée sur l’hypothèse de l’unité de la matière ; elle est aussi plausible, au fond, que les théories modernes les plus réputées. Les opinions auxquelles les savants tendent à revenir sur la constitution de la matière ne sont pas sans analogie avec les vues profondes des premiers alchimistes. » Une élite se prépare à la tâche. […] Toi qui m’écoutes, sépare la terre du feu, l’esprit de la matière.
L’absence de preuves, en ces matières, ne prouve rien. […] Le bois de cerf est la matière ordinaire de leurs outils les plus délicats. […] Si l’éther est quelque chose, il est matière : s’il n’est rien, il est le vide. […] Il semblait donc que la nature dût rester indéfiniment partagée en deux sortes de matières : la matière inorganique et la matière organique. […] — Cf. du même l’auteur L’Evolution de la matière.)
Toutefois, en y regardant de plus près, on verra que toute unité est celle d’un acte simple de l’esprit, et que, cet acte consistant à unir, il faut bien que quelque multiplicité lui serve de matière. […] La science se borne à attirer notre regard sur cette matière : si nous ne localisions déjà le nombre dans l’espace, elle ne réussirait certes pas à nous l’y faire transporter. […] À vrai dire, chacun de nous établit une distinction entre ces deux espèces de multiplicité quand il parle de l’impénétrabilité de la matière. […] Si l’impénétrabilité passe le plus souvent pour une qualité de la matière, c’est parce que l’on considère l’idée du nombre comme indépendante de l’idée d’espace. […] Poser l’impénétrabilité de la matière, c’est donc simplement reconnaître la solidarité des notions de nombre et d’espace, c’est énoncer une propriété du nombre, plutôt que de la matière. — Pourtant on compte des sentiments, des sensations, des idées, toutes choses qui se pénètrent les unes les autres et qui, chacune de son côté, occupent l’âme tout entière ?
Mais que les formules se remplissent de matière et que la matière s’anime — c’est une vie nouvelle qui s’annonce ; nous comprenons, nous sentons qu’une autre morale survient. […] La même forme s’impose ainsi à deux matières, l’une fournie par la société, l’autre issue du génie de l’homme. […] Il va de soi que la matière qui s’encadre dans cette forme, chez un être intelligent, est de plus en plus intelligente et cohérente à mesure que la civilisation avance, et qu’une nouvelle matière survient sans cesse, non pas nécessairement à l’appel direct de cette forme, mais sous la pression logique de la matière intelligente qui s’y est déjà insérée. […] La prétention de fonder la morale sur le respect de la logique a pu naître chez des philosophes et des savants habitués à s’incliner devant la logique en matière spéculative et portés ainsi à croire qu’en toute matière, et pour l’humanité tout entière, la logique s’impose avec nue autorité souveraine. […] Voilà pour la morale qui se réclamerait de la raison envisagée comme une pure forme, sans matière. — Avant de considérer celle qui adjoint une matière à cette forme, remarquons que bien souvent on s’en tient à la première quand on croit arriver à la seconde.
Le mot choses, en effet, a deux sens possibles : il peut signifier d’abord les choses constituées comme elles apparaissent dans notre expérience ; les mouvements de la matière, par exemple, et la matière elle-même, résistante, étendue, durable, etc., sont des choses d’expérience. […] Or, il est clair que le mouvement et la matière, objets particuliers d’expérience, en un mot de sensation et de représentation, ont en eux-mêmes quelque chose d’emprunté à notre sensation et à notre représentation. […] Il en résulte que durée, étendue, mouvement, matière, tous les objets de l’expérience ne peuvent pas entièrement expliquer le fait même de l’expérience, ni la conscience comme telle, ni la pensée. […] Il ne faut donc pas prétendre expliquer la conscience même, le sentiment et la pensée, par les seules relations des choses extérieures et par les mouvements de la matière. […] Le matérialisme aboutit au dualisme d’une matière sans aucun élément psychique d’où sort cependant le sentiment, la pensée, la volonté : le monde est coupé en deux tronçons discontinus qui ne peuvent se réunir.
Ainsi, en chaque matière, histoire ecclésiastique, histoire profane, géographie, le jeune prince excellait par des compositions heureuses, dont quelques-unes se sont conservées. […] Il en savait aussi long sur ces matières statistiques, géographiques, administratives et économiques, que de nos jours un M. […] Il écrivait à l’abbé Fleury dès 1695 : « Son naturel le porte ardemment à tout le détail le plus vétilleux sur les arts et l’agriculture même. » Quinze et dix-sept ans plus tard (1712), il pensait et disait encore la même chose, et cette fois au sujet de la religion : « Il a besoin d’acquérir, si je ne me trompe, une certaine application suivie et constante, pour embrasser, toute une matière, pour en accorder toutes les parties, pour approfondir chaque point principal ; autrement cette lumière, qui est grande, ne ferait que flotter au gré du vent. Il volerait comme le papillon, par curiosité, sur toutes les plus grandes matières, et il ne se rendrait jamais homme d’affaire. Il faut du nerf dans l’esprit, et une autorité efficace… » Fénelon écrivait cela au duc de Chevreuse, quinze jours avant la mort du prince qui était dans sa trentième année ; c’est un dernier mot, et qui revient à dire que le duc de Bourgogne a besoin de coup d’œil, de dominer sa matière, de ne pas s’y perdre et s’y noyer.
Ayant fait une collection des pierres et matières volcaniques vomies par le Vésuve, non sans y joindre une dissertation savante, il en fit présent au pape Benoît XIV, qui ne fut point ingrat. […] Quand on le lit aujourd’hui, s’échappant sur ces matières dans sa Correspondance, il faut faire la part des idées hasardées, des paradoxes, du besoin d’amuser qui le tourmentait toujours, de sa manie de prédire et de prophétiser, enfin des bouffonneries perpétuelles qui viennent se mêler à tout cela. […] Galiani, très au fait de ces questions, et qui les avait étudiées avant son arrivée en France, avait en horreur les idées absolues en telle matière, et surtout la façon dogmatique, tranchante, mystérieuse et ennuyeuse, dont les économistes présentaient les leurs. […] Galiani avait pris à dessein cette forme du dialogue, comme plus française : « Cela est naturel, disait-il ; le langage du peuple le plus social de l’univers, le langage d’une nation qui parle plus qu’elle ne pense, d’une nation qui a besoin de parler pour penser, et qui ne pense que pour parler, doit être le langage le plus dialoguant. » Quant au fond, en combattant les idées absolues et les raisonnements des économistes, Galiani visait à faire entrevoir les idées politiques qui doivent régir et dominer même ces matières. […] « Il est bon à faire des mémoires, des journaux, des dictionnaires, ajoutait-il, à occuper les libraires et les imprimeurs, à amuser les oisifs ; mais il ne vaut rien pour gouverner. » Un homme d’État, selon lui, ne devait pas seulement connaître à fond les matières spéciales, mais aussi connaître la matière par excellence sur laquelle il a à opérer, c’est-à-dire le cœur humain.
Pour ce qui n’était pas, pour ce qui n’avait pas de forme, pour ce qui n’avait pas de pensée, pour ce qui n’avait pas de sentiment, pour ce qui était sans âme et ne possédait plus un atome de matière, pour tout ce néant et toute cette immortalité, le tombeau était encore un habitacle, les heures corrosives, une société. […] Poe conçoit cette force comme la tendance de toutes les particules de la matière à rentrer en une unité originelle. Cette réaction implique une action antérieure contraire, une irradiation de l’unité en pluralité qui dut, en vertu de l’hypothèse nébulaire de Laplace, remplir l’espace de matière diffuse également. Cette force de répulsion entre les molécules l’autre par laquelle les masses s’attirent, constituent les deux propriétés primordiales de la matière, la matière même. […] Ici Edgar Poe, ayant posé en principe que la matière n’existe qu’en fonction de répulsion et d’attraction, conçoit, par un magnifique coup de déduction, que ces deux forces satisfaites ou anéanties, cessant d’être, entraînent dans leur disparition la matière qu’elles constituent.
Histoire et archéologie historique, origines de la monarchie, des institutions, de la langue, de la littérature, actualités historiques et littéraires, tout cela, plus ou moins négligemment classé et distribué, c’est la matière des Recherches et des Lettres. […] Un certain goût, une certaine humeur, enfin une nature d’homme apparaît sans cesse, qui court à son plaisir, suit une curiosité personnelle dans la prise de telle matière, dans ce libre vagabondage à travers tout l’inexploré des sciences historiques et philologiques. […] En un mot, ces livres, dont la matière déjà nous échappe à proprement parler, nous appartiennent au même titre que les Mémoires : pour l’homme voué à l’activité intellectuelle, ses curiosités, sa quête de la vérité, ses découvertes et ses inventions d’idées, ce sont ses ambitions, ses campagnes, ses victoires et son butin ; et quand il raconte comme Pasquier ce qu’en soixante ans d’études il a appris, il fait aussi réellement les Mémoires de sa vie que le soldat qui raconte soixante années de guerres, comme Monluc. […] Puis les guerres civiles, surexcitant toutes les passions, lâchant toutes les ambitions, opposant des adversaires plus détestés et plus connus, leur offrirent une matière familière et domestique, ou les faits, moindres peut-être, sont plus riches de sens et d’émotion.
Il a beau raffiner et, comme ils le prétendent, spiritualiser la matière, c’est un matérialiste au premier chef. […] — comme quelque chose de donné… comme une étoffe qu’il fallait travailler, et c’est ainsi que l’esprit devient matière sous ses mains ! […] La matière ne les sauvera pas. Dans le matérialisme qui s’alourdit tous les jours sur nos têtes, dans ce réalisme, bêtise et boue, qui nous monte d’en bas et peut ensevelir du soir au matin une littérature, les poètes de la forme auront le sort des poètes de l’idée, parce que la forme, le travail de la forme, quand il est exquis ou puissant, est une spiritualisation de la matière.
Ce qu’il m’offrait me parut possible, et dès lors, lui aidant et Le Constitutionnel s’y prêtant en toute bonne grâce, j’entrai en matière résolument. […] [NdE] Sainte-Beuve donna à l’Université de Liège, entre le 30 octobre 1848 et le 30 avril 1849, un cours d’« Ancienne littérature », allant du Moyen Âge au xviiie siècle, qui lui fournit la matière de nombreuses causeries, et un cours sur « Chateaubriand et son groupe littéraire », que le critique reprit en partie dans quatre causeries (aux t.
On y pense d’abord aux faits, puis au récit ; à la matière, puis à l’art. […] Eux aussi font passer l’art avant la matière et la vraisemblance avant la vérité. […] « Peu à peu, dit-il, les matières molles dont les éminences étaient d’abord composées ont fait ces énormes amas de rochers et de cailloux d’où l’on tire le cristal et les pierres précieuses… Toutes sont posées par lits… Les plus pesantes sont dans les argiles et dans les pierres, et elles sont remplies de la matière même des pierres et des terres où elles sont renfermées ; preuve incontestable qu’elles ont été transportées avec la matière qui les environne et qui les remplit… » Ainsi, Buffon crée ce qu’il suppose ; il assiste à ce qu’il prévoit, et ses raisonnements sont comme une suite de tableaux qui se déroulent sous ses yeux, plutôt attentifs à des faits qui s’accomplissent qu’éblouis par une vision. […] Excitez son émulation par la louange, et quoique l’ambition soit un vice, comme elle peut donner matière à certaines vertus, ne craignez pas de la lui apprendre. […] Il annonce une histoire des études, et il ne donne que le tableau un peu vague des connaissances qui, chez les anciens et les modernes, ont formé la matière des études.
À défaut d’invention, on fut trop heureux de trouver un sujet de critique qui, pendant deux ou trois ans, fournit matière à des quantités d’écrits et à toutes les conversations. […] La Motte, qui croyait que l’esprit supplée au talent et qui s’était mis à faire des vers, avant tout raisonnables, dans tous les genres et sur tous les sujets, se dit que l’Iliade d’Homère était une matière qui s’offrait d’elle-même, et il eut l’idée de prendre pour canevas la traduction de Mme Dacier, en y changeant, corrigeant, retranchant tout ce qui lui paraîtrait convenable ; il voulait faire d’Homère quelque chose de bien. […] Elle la regarde apparemment comme un tribunal tyrannique qui ne laisse pas la liberté des jugements en matière d’ouvrages d’esprit ; elle croit que l’admiration religieuse des anciens en est une loi fondamentale, et qu’en y entrant on lui prête serment de fidélité à cet égard. […] Cette prévention, déjà vaincue en physique et dans les matières de science, subsiste encore en littérature : Homère et Aristote sont les deux grands noms, les deux idoles encore debout sur le seuil de la rhétorique et de la poétique. […] Jamais on n’a exprimé la confiance moderne marchant droit devant elle en toute matière, avec plus de résolution et plus d’intrépidité que l’abbé Terrasson.
Un grand nombre de traductions d’ouvrages étrangers sont devenues matières de lecture courante : avec le naturaliste Darwin, l’Angleterre nous a fourni ses philosophes, Stuart Mill, Herbert Spencer, Alexandre Bain922. […] Puis il s’est livré à la science, il en a tenté les deux voies maîtresses, les sciences de la nature, et l’érudition philologique ; celles-là pour en comprendre l’esprit, les méthodes, la portée, et pour compléter sa culture, celle-ci pour y chercher la matière de sa pensée et l’aliment de son activité. […] Ces écrits, pourtant, peuvent se considérer dans leur rapport à l’histoire : ils sont documents d’histoire et la matière d’où la science méthodique extraira plus tard son œuvre. […] Il semble aussi que son éducation esthétique soit au point qu’il est apte à extraire lui-même d’une matière brute les possibilités de plaisir littéraire qu’elle contient, et qu’il se plaise à faire ce travail plutôt qu’à le recevoir tout fait d’un artiste habile. […] Büchner : Force et matière. — Hæckel : Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles ; Anthropogénie. — Schopenhauer : le Monde comme Volonté et comme Représentation (trad.
Comment les rayons caloriques pourraient-ils exercer leur action autrement qu’à la rencontre d’une matière impénétrable quelconque, sinon nécessairement pondérable ? […] Si, au contraire, comme les astronomes le pensent aujourd’hui, d’après les irrégularités et les retards de la course des comètes périodiques, une matière éthérée très subtile remplit l’espace interplanétaire, cette matière subtile ne doit-elle pas, depuis l’infini des temps qu’elle existe, être arrivée à peu près partout à l’équilibre de température ? […] Faudrait-il donc supposer que la matière desdits nuages cosmiques n’est ni pesante, ni conductrice de la chaleur, ni dilatable sous son influence ? […] Babinet n’aurait pas même la ressource de supposer à la matière de ses nuages cosmiques quelque analogie avec la matière des comètes, car la matière des comètes est pesante et dilatable. […] Babinet, il faut leur supposer une nature sui generis, en vertu de laquelle ils seraient soustraits à toutes les lois physiques qui gouvernent la matière sur la terre et dans le ciel.
Aux instants propices où les chaînes de la matière nous emprisonnent moins rudement, qu’on relise Rodenbach. […] Appareils abstracteurs, nos sens, orientés vers l’action pratique, sont discontinus, mais ils travaillent sur une matière continue. […] Autrement dit, la matière, donnée originellement à notre conscience, est un continu ; mettez en présence de la matière une conscience, aussitôt cette continuité se brise, apparaît sous forme de discontinuité, parce qu’on ne peut se représenter la conscience et la matière se développant avec le même rythme de durée. La matière a comme une respiration intérieure plus rapide que la conscience. […] Ainsi j’appréhende dans ces deux mots : nature et vérité, les données de la connaissance et l’opération de l’esprit qui connaît ; la matière et la forme.
Appuyez-y votre doigt, et la matière qui a perdu sa dureté, cédera à votre impression. […] C’est une matière une, dont le statuaire a tiré trois sortes de chairs différentes.
Si l’on veut être juste, on conviendra qu’il n’était pas tout à fait facile de donner un peu de solidité à des matières susceptibles de tant de nuances et qui se prêtent à des interprétations si diverses. […] Je pense très sincèrement avoir rendu service, dans une modeste mesure, non seulement aux lettrés et aux artistes, mais à tous ceux qui désirent simplement voir un peu clair et mettre un peu d’ordre dans ces matières.
Du professeur de matière médicale. […] La cinquième, ils s’appliqueront à la chirurgie et à la matière médicale. […] La septième, ils la donneront au professeur qui traitera des maladies chroniques, avec liberté de revenir sous le professeur de chirurgie et de matière médicale.
Les matières traitées dans le livre de Taine sont terriblement sérieuses et abstraites, et demandent suprêmement l’attention, qui est la première condition pour comprendre. […] Tous les physiologistes de la terre, tous les physiologistes qui piochent leur matière peccante ou saine depuis cinquante ans, y sont ramassés, comme avec une gaule, et s’y poussent, y font foule, s’y montent sur le dos, s’y culbutent comme un troupeau dans un chemin creux. […] il n’est pas possible d’être, implicitement mais plus clairement, matérialiste dans le sens le plus épais du mot, quoique Taine subtilise et prétende ailleurs : « que la matière, substance douée de force, n’existe pas… ».
Dès les premiers Articles, les discussions soulevées naguère par la Légende, trouvent là matière à plus d’âpreté encore. […] De là partirent évidemment la plupart des recherches d’alors et de demain en matière d’expression musicale et rythmique. […] Matière générant une énergie elle-même matérielle qui la doue de mouvement et de la perpétuelle diversité transmutatrice qui est son mode phénoménale. La Matière n’est donc pas à un moment : elle devient éternellement en étant autre, travaillée par son énergie qui la spiritualise progressivement. […] René Ghil en une ellipse figurative de la Matière en perpétuel devenir, meilleur veut-on rêver ».
« L’émotion esthétique a pour cause (étant admise la réalité du monde extérieur, mais comme une réalité de fiction) des différenciations de mouvement de la matière, perçues au moyen des sens. La couleur, le son, le parfum se réduisent en dernière analyse à des vibrations de la matière.
Pour fondre ces trois volumes en deux tomes dans la présente réimpression, divers changements dans la disposition des matières ont été nécessaires ; on a tâché que ces changements fussent des améliorations. […] L’auteur s’en abstiendra donc ici, en se réservant d’exposer ailleurs les idées qu’il a pu recueillir sur ces matières, et, qu’on lui pardonne la présomption de ces paroles, de dire ce qu’il croit que l’art lui a appris.
Sur le dos de la matière flottante s’est étendu l’éther, appuyé à la flamme montante du feu, dans la région où la lune radieuse coupe par la moitié le bas de l’univers. […] « Vers ta cour suprême, vers ton sein, j’élève mon vol allégé à mesure qu’il fuit plus loin de la matière, dans la joie d’arriver à tes célestes parvis. […] Car l’insidieuse matière en renferme deux : l’homme qui, étendant la main sur la table, a touché la potion douce, regrettera le breuvage amer, sous les poids contraires dont il est lui-même entraîné. […] « Accourant vers les prairies tranquilles du Père, je hâte mes pas fugitifs loin du domaine douteux de la matière. […] Sois propice à l’offrande de ces hymnes, en accordant le calme de la vie au chantre qui te les consacre ; suspens pour lui les orages de l’Euripe, et, séchant les flots pernicieux de la matière, détourne les maladies de l’âme et du corps ; assoupis le trouble funeste des passions ; écarte de moi les inconvénients de la richesse et ceux de la pauvreté.
Ces idées ne nous sont point données par les sens ; les sens, étant matière, ne peuvent pas penser, ni par conséquent produire les idées. […] Comment l’âme, qui est immatérielle, peut-elle agir sur nos sens, qui sont matière ? et comment les sens, qui sont matière, peuvent-ils agir sur l’âme immatérielle ? […] Une seule chose l’embarrasse dans cette théologie, c’est l’existence de la matière ; il ne veut pas la reconnaître divine, et cependant il ne veut pas reconnaître que Dieu ait pu créer, lui esprit, une substance si étrangère à sa perfection ; il fait donc coexister la matière avec Dieu. […] « D’où viendraient toutes les dissensions qui naissent parmi les hommes à l’occasion de leurs biens, de leurs femmes et de leurs enfants, lorsque la matière de toute dissension sera ôtée ?
C’était, d’une part, un sujet, c’est-à-dire un corps de vérités sur une matière déterminée, d’où il résultât un enseignement pour la conduite de l’esprit et de la vie ; d’autre part, un langage exact et naturel, approprié à ces vérités. […] Après avoir tracé d’une main ferme la ligne de séparation entre l’esprit et la matière, Descartes pénètre plus avant dans le problème. […] Cette clarté admirable, cette précision, cette généralité du langage, dans une matière d’un intérêt si grand, ôtent tout prétexte de reculer ou de s’abstenir. […] Il ne s’occupe pas des circonstances extérieures qui pourraient faire flotter sa vue, ni de lui-même à titre d’individu offrant matière à un examen peu sûr et peu désintéressé. […] Peut-être même sont-elles inaccessibles à bon nombre d’esprits, ou trop peu cultivés ou trop indifférents à ces grandes matières : mais la faute n’en est jamais à la langue.
Le comique s’installera cette fois dans la personne même : c’est la personne qui lui fournira tout, matière et forme, cause et occasion. […] Il devine, sous les harmonies superficielles de la forme, les révoltes profondes de la matière. […] De sa légèreté ailée cette âme communique quelque chose au corps qu’elle anime : l’immatérialité qui passe ainsi dans la matière est ce qu’on appelle la grâce. Mais la matière résiste et s’obstine. […] Alors le corps deviendra pour l’âme ce que le vêtement était tout à l’heure pour le corps lui-même, une matière inerte posée sur une énergie vivante.
Dans le journal, au contraire, écrit pour lui seul et pour servir de matière à ses souvenirs, il se montre toujours rempli sans doute d’admiration et de respect pour le personnage auquel il appartient, mais son langage n’y aide pas ; ses révélations sont de toutes sortes et sans choix ; il y a des trivialités et des platitudes qu’on regrette de rencontrer. L’abbé Le Dieu était un ecclésiastique estimable, laborieux, auteur par lui-même de quelques ouvrages sur des matières théologiques ; il fut attaché à Bossuet à partir de l’année 1684, et resta auprès de lui près de vingt ans, les vingt dernières années de la vie du grand prélat, en qualité de secrétaire particulier et avec le titre de chanoine de son église cathédrale ; mais il ne faut point voir en lui auprès de Bossuet ce qu’était l’abbé de Langeron pour Fénelon : ce n’était point un ami, mais un domestique dévoué et fidèle. […] D’ailleurs, et dans l’habitude de son éloquence, il prêchait de génie, c’est-à-dire qu’il improvisait autant qu’on peut improviser en de telles matières. […] Sur cette matière informe il faisait une méditation profonde dans la matinée du jour qu’il avait à parler, et le plus souvent sans rien écrire davantage, pour ne se pas distraire, parce que son imagination allait bien plus vite que n’aurait fait sa main.
Sur quoi maintenant se fondent les positivistes pour établir que la matière et ses forces sont le seul objet du savoir humain ? […] Matière et force, dit-il : donc la force est autre chose que la matière ; puis il confond ce qu’il a distingué et croit avoir expliqué le problème, en considérant comme inséparables deux éléments distincts. […] Guizot, par ce fait capital que le monde n’a pas toujours été tel qu’il est ; la vie a commencé sur la surface du globe ; les espèces animales ont aussi commencé ; l’homme a commencé également, Or, à moins d’admettre que la vie est le résultat des forces de la matière, et que l’homme, comme toute espèce animale, est le produit d’une lente élaboration des siècles, on est obligé d’avoir recours à la puissance surnaturelle du Créateur ; mais d’une part la doctrine de la génération spontanée, de l’autre la doctrine de la transformation des espèces, sont des hypothèses arbitraires, repoussées par la science.
Mais ce matérialiste avait vu la guerre, la grande école du sacrifice et du mépris de la matière. […] De plus, le paganisme de Goethe s’appuyait encore à quelque chose de spirituel, à ce panthéisme qui peut tenter les poètes et qui est comme la spiritualisation de la matière ! […] Diderot parle de la matière en se cabrant d’effroi devant elle. […] Mais un homme comme Stendhal matérialiste n’avait plus guères dans le talent que les qualités de la matière, ferme, pénétrant, aiguisé et brillant comme elle, et son esprit finissait par n’être plus qu’un admirable outil d’acier.
Mais ce matérialiste avait vu la guerre, la grande école du sacrifice et du mépris de la matière. […] De plus, le paganisme de Gœthe s’appuyait encore à quelque chose de spirituel, à ce panthéisme qui peut tenter les poëtes, et qui est comme la spiritualisation de la matière ! […] Diderot parle de la matière en se cabrant d’effroi devant elle. […] Mais un homme comme Stendhal, matérialiste, n’avait plus guère dans le talent que les qualités de la matière, ferme, pénétrant, aiguisé et brillant comme elle, et son esprit finissait par n’être plus qu’un admirable outil d’acier.
On trouverait surtout cette idée que la pensée existe d’abord, que la matière est donnée par surcroît et pourrait, à la rigueur, n’exister que comme représentation de l’esprit. […] Celui de la relation de l’esprit à la matière, abordé dans un sens plutôt matérialiste, fut posé cependant par les philosophes français du XVIIIe siècle avec une précision telle qu’il appelait aussi bien, dès lors, d’autres solutions. […] Si les trois siècles précédents avaient vu naître et se développer les sciences abstraites et concrètes de la matière inorganique, — mathématiques, mécanique, astronomie, physique et chimie, — le XIXe siècle devait approfondir en outre les sciences de la vie : vie organique et même, jusqu’à un certain point, vie sociale. […] Conduit à la philosophie, lui aussi, par l’étude des sciences, et en particulier par les mathématiques, Cournot 37 institua une critique d’un genre nouveau, qui, à la différence de la critique kantienne, porte à la fois sur la forme et sur la matière de notre connaissance, sur les méthodes et sur les résultats.
Il a pu croire aux idées plus qu’à la matière et ramener le doute par sa foi trop vive à l’abstraction. […] C’est ainsi que moi-même aujourd’hui je suis transfuge du ciel et voyageur errant. » Cette fiction cependant et bien des vers çà et là conservés par Aristote, sur la puissance des éléments et les passions allégoriques dont Empédocle anime la matière, ne nous permettraient pas de le ranger parmi ceux qu’on a nommés ingénieusement les prophètes de la science. […] Dans son explication des forces vives de la nature, dans son double principe d’affinité et d’antipathie, de réunion et de séparation, d’où il fait sortir l’harmonie et la durée de l’univers, il paraît avoir affecté de combattre ceux qu’on appelait dès lors les athées, et qui réduisaient tout à la matière. […] Aujourd’hui même, en Égypte, le Nil, engraissant de sa chaleur humide la matière qu’il rend charnue, produit des êtres animés. » Empédocle, malgré quelques traditions fabuleuses attachées à sa mémoire, donne une date certaine à ses écrits.
Il se peut que dans les matières d’ordre politique ou social, le journal soit l’expression de l’opinion publique : en littérature, comme en art, comme en fait de finances et dans toute matière trop spéciale pour qu’une opinion générale se forme spontanément, les journaux sont les guides de l’opinion, les porte-parole des écoles, les agents de la réclame esthétique ou commerciale. […] Même aujourd’hui, l’art qu’on aime est un art si simple, si naturel, si éloigné d’être un artifice ou une tricherie, qu’il ne peut convenir qu’à un public exercé à dégager lui-même ses sensations esthétiques de la matière brute : si les journaux ont contribué à nous amener là, leur action cette fois a été bienfaisante.
Aussi bien fallait-il 4 ses facultés aiguisées de raisonneur et de logicien une matière plus subtile : l’apprenti physiologiste se fit psychologue, et, psychologue, il l’est resté. […] Oui, il se collette avec sa matière, il la traite par les acides de son vocabulaire unique. […] Dans la joie de leur honorable travail, les premiers réalistes l’appliquèrent à toute matière.
Le judicieux Du Marsais, un des hommes qui a le mieux entendu le génie des langues, & qui a porté plus loin l’esprit de discussion & d’analyse dans toutes les parties grammaticales, a fait voir qu’en matière d’orthographe, si l’usage étoit un maître dont il convint en général de respecter les loix, c’étoit le plus souvent aussi un tyran dont il falloit sçavoir à propos secouer le joug. […] « L’ancienne nous échappe tous les jours ; &, comme il ne faut point se presser de la rejetter, on ne doit pas non plus faire de grands efforts pour la retenir. » Le changement dans toute matière a des attraits : de même qu’on a changé en grande partie l’orthographe, on a aussi essayé de substituer aux notes ordinaires de la musique d’autres signes ; inventions dont les auteurs n’ont pas été bien reçus du public, & qui les en ont même fait mépriser dès qu’elles ont paru. […] Tous les ouvrages qu’on a publiés jusqu’à présent sur cette matière, sont insuffisans & trop bornés.
« Examinons, disions-nous encore, ce que c’est que l’homme ; oublions que nous sommes nous-même une de ces misérables et sublimes créatures appelées de ce triste et beau nom dans la création universelle ; échappons, par un élan prodigieusement élastique de notre âme immatérielle et infinie, à ce petit réseau de matière organisée de chair, d’os, de muscles, de nerfs, dans lequel cette âme est mystérieusement emprisonnée ; supposons que nous sommes une pure et toute-puissante intelligence capable d’embrasser et de comprendre l’univers, et demandons-nous : Qu’est-ce que l’homme ? » L’homme est une petite pincée de poussière organisée, poussière empruntée pour quelques jours à ce petit globule de matière flottante dans l’espace, appelé par nous la terre. […] Mais l’homme considéré comme ce qu’il est, c’est-à-dire comme être à deux natures, comme point de jonction entre la matière et l’esprit, entre le néant et la Divinité, change à l’instant d’aspect.
Voyons donc si nos sensations diverses correspondent à des qualités naturellement inhérentes à la matière. […] Enfin, elles ne sont que des formes d’autres propriétés de la matière. […] Il ne reste donc plus à la matière que les qualités premières, et l’on arrive à cette définition provisoire : La matière est une étendue susceptible de se mouvoir. […] Celle-ci lui fournit la matière de son œuvre. […] La matière en elle-même n’a aucune valeur esthétique ; elle l’emprunte toute de ce qu’elle exprime.
Qui ne voit, sans tout cela, que le simple est celui qui n’a que des choses simples à dire ; le tempéré, celui qui regarde des matières de pur agrément, & sur lesquelles il ne faut répandre que des fleurs ; le sublime, celui qui roule sur de grands intérêts ? […] On doit voir que l’éloquence est applicable à des matières purement spéculatives. […] Il fit retenir de ses plaintes la plupart des collèges de Paris, & s’attacha principalement à tourner en ridicule un philosophe qui prononçoit sur des matières dont il n’appartenoit qu’aux rhéteurs de connoître.
, il avait exhumé les richesses archéologiques d’Herculanum et fait un livre sur les monnaies, d’une compétence qui avait frappé les connaisseurs en ces matières, quand le ministre Tanucci l’envoya à Paris comme secrétaire de l’ambassade Napolitaine. […] Pour donner une idée de l’exiguïté de sa taille et du peu de hauteur de sa stature, on raconte qu’un jour une duchesse de ce temps matérialiste, qui n’estimait que la matière et à laquelle il s’était permis de faire une déclaration d’amour, le prit d’à genoux où il s’était mis, et, l’enlevant de terre comme un enfant coupable, l’assit d’autorité sur le marbre d’une cheminée qui était haute et sonna pour dire au domestique : « Descendez monsieur ! […] L’abbé Galiani démontrait, en effet, par la petitesse de sa personne, que l’esprit n’a pas besoin d’espace comme la matière, et que toutes ses puissances accumulées peuvent tenir dans une imperceptibilité… Et c’est bien là la beauté de l’esprit, sa force et sa gloire !
Le physicien est, à cet égard, au-dessous même de quelques artistes, de l’architecte, du médecin, qui étudient certaines modifications de la matière, indépendamment de la matière même ; au-dessous du mathématicien, qui étudie abstraitement d’autres modifications ; fort au-dessous, par conséquent, du métaphysicien, qui étudie plus abstraitement encore les propriétés générales de l’être. […] Tout être, toute substance se compose de trois éléments, qu’y peut distinguer la raison : la matière d’abord, qui n’est par elle-même rien de déterminé, et n’est qu’une simple puissance ; la forme, qui détermine l’être, lui donne un nom, le fait ce qu’il est ; puis, en troisième lieu, l’être lui-même, composé de la matière et de la forme, l’être tel que nos sens nous le montrent. […] L’âme, en venant se joindre à la matière organisée, lui apporte donc actuellement la vie. […] De là il résulte que l’âme ne se confond pas plus avec le corps, que la cire ne se confond avec l’empreinte qu’elle reçoit, pas plus que la matière d’une chose quelconque ne se confond avec cette même chose. […] Mais ce que l’âme sait, quand elle en est arrivée à se saisir ainsi elle-même, c’est qu’elle est la souveraine et la dominatrice de la matière à laquelle elle est unie, et que cette matière est son instrument et son compagnon subordonné, quoique trop souvent indocile.
Quand vous allâtes le voir au Collège de France, il s’était déjà procuré lui-même les matières de l’expérience. […] La fermentation est toujours d’origine vitale ; elle vient d’êtres microscopiques qui trouvent dans la matière organique leur nourriture, non leur raison de naître ; le groupe droit et le groupe gauche ne satisfont pas également à la nutrition des microbes. […] En ces délicates matières, chacun a raison par quelque côté. […] Le but du monde, c’est l’idée ; mais je ne connais pas un cas où l’idée se soit produite sans matière ; je ne connais pas d’esprit pur ni d’œuvre d’esprit pur. […] Il ne s’agit pas seulement, en ces obscures matières, de savoir ce qui est possible, il s’agit de savoir ce qui est arrivé.
Un sujet profondément médité, la contemplation, le silence et la solitude, c’étaient là sa matière et ses instruments. […] Après un premier débrouillement, cet homme distinguera la matière animée de l’inanimée, et, de la matière animée proprement dite, il distinguera la matière végétative. […] Tel de ses chapitres sur l’homme semble être d’un idéaliste qui croit à peine à la matière : ses discours sur la nature et ses Époques sont d’un naturaliste qui se passerait aisément de Dieu.
La plus magnifique étude sur le mouvement, point par lequel la matière touche à sa cause, Dieu, est le texte de la Physique d’Aristote ; c’est la dynamique divine. […] Il n’y a pas à prétendre que la métaphysique n’est point de mise dans une telle matière ; car Descartes, Newton et même Laplace ont dû sortir du domaine propre des mathématiques. […] L’union de l’âme et du corps, c’est-à-dire de l’esprit et de la matière, est un mystère dont elle n’agite point la solution, qui appartient à la métaphysique. […] « L’homme aurait d’ailleurs grand tort de se plaindre de cette union de l’esprit et de la matière en lui, redoutable seulement quand il ne sait point en user. […] « Ainsi Platon, distinguant l’esprit et la matière, a sans cesse les yeux fixés sur la vie future, qui complète et qui explique celle-ci.
Mais ce n’est pas là, pour l’art, une veine aussi neuve et aussi profonde que M. du Camp le suppose, et de tout temps, surtout chez nous au xviiie siècle, il y a eu des poètes descriptifs jaloux de prendre à la science ou même à l’industrie ce qui prête au tableau, aux couleurs, et de renouveler ainsi leur matière. […] Des trois divisions du volume, chants divers, chants de la matière, chants d’amour, il n’y a que ceux du milieu, ceux de la matière, qui rentrent dans la voie réputée moderne. […] Cette vivacité, cette légèreté, que je regrette de ne point rencontrer plus souvent chez lui, je la trouve pourtant dans quelques strophes de ses « Chants de la matière », là où il fait parler le Chloroforme, le Gaz, la Photographie ; ce sont de très jolies strophes.
De l’Italie, et de l’antiquité, même de l’antiquité grecque qu’il eut le rare talent de percevoir à travers les insuffisantes traductions, il a tiré son goût délicat, et ce sens de la forme, ce besoin d’une perfection difficile, qui ont réglé l’emploi de ses facultés poétiques : c’est par là qu’il est devenu un artiste, et qu’il a travaillé sa matière en œuvre d’art. […] La Fontaine, d’abord, n’invente rien : il prend sa matière de toutes mains, d’Ésope, de Phèdre, de Babrius, d’Avienus, de Lokman ou Pilpay, d’Horace ou de Marot, de Des Périers ou de Rabelais, de tous les fabulistes de profession et d’occasion qu’il peut connaître. Parfois une anecdote contemporaine l’inspire, comme dans le Curé et le mort : parfois il reçoit le sujet de quelqu’un qui le lui donne à mettre en vers ; jamais de lui-même il n’a inventé sa matière. […] La Fontaine tempère le lyrisme par les éléments narratifs ou dramatiques ; il l’impose ainsi à un public positif, peu rêveur et peu sentimental ; et ce public s’étonne du charme singulier de ces petits récits et de ces petites comédies, sans se douter que cette douceur pénétrante, d’une essence inconnue, vient précisément des émotions lyriques dont cette âme de poète a imprégné sa matière.
Encore une fois, la technique du vers libre est indépendante de sa matière. […] On objectera : l’art est matière à génie, point le métier, parce que seul l’art est créateur. […] Loin de contrarier le génie, le talent lui fournit la matière primaire de sa manifestation, matière qu’il fécondera à sa guise.
On peut dire qu’il y a épuisé la matière. […] Duplessis savait tous ces chemins de la littérature en chaque matière, et était toujours prêt à les indiquer.
*** Si, avec un plus grand détail, on observe à l’égard de la matière l’exercice de ce pouvoir double et contradictoire qui se manifeste dans la production de la réalité objective, on peut considérer le principe de mouvement qui vient d’être décrit comme un pouvoir de division à l’infini, le principe d’arrêt qui lui était opposé comme un pouvoir de cohésion. […] Il apparaît suffisamment qu’il n’est pas de connaissance possible de l’indivisible et du continu que, d’autre part, une matière qui irait se divisant à l’infini, renient à tout moment ses états antérieurs, et répudiant toute détermination, serait de même insaisissable.
Ces explications données comme excuse, et pour qu’on n’essaye pas de me mettre en contradiction avec moi-même, j’entre en matière. […] À cet extrême moment de la discussion, n’étant point d’ailleurs moi-même un jurisconsulte, ne me croyant point une autorité suffisante sur des matières que j’aborde pour la première fois législativement, je me bornerai en quelque sorte au côté moral de la loi, et j’y signalerai la plus grave lacune à mon sens : je veux parler de la juridiction. […] Mais les arguments allégués ne paraissent point concluants à quelques-uns des hommes les plus versés dans ces matières contentieuses, et de ceux même qui ne sont point partisans, d’ailleurs, de la liberté absolue de la presse. […] Est-ce là matière à législation ? […] Les lois précédentes concernant la diffamation suffisaient amplement ; ce luxe de législation en telle matière, s’il est permis de parler ainsi d’une disposition non encore promulguée, prête lui-même et à bon droit au ridicule.
« Et la postérité, ajoute-t-il, lui faisant justice et voyant en lui des mœurs tout conformes à celles de ces grands hommes de l’antiquité, admirera la candeur et l’ingénuité de cet esprit élevé au-dessus du commun, quoique les hommes jaloux maintenant de sa gloire ne veuillent pas reconnaître une vertu si sublime. » C’est sa franchise qui lui attire ces libelles diffamatoires dont les auteurs ont pris dans ce qu’il dit de lui le spécieux prétexte et la matière de toutes leurs accusations. […] Les affaires de religion, les conclaves, l’hérésie, les troubles politiques, la guerre, la paix, en fournissent la matière. […] On a vu, dans les premières années du dix-septième, Charron tenter d’y arriver, former un plan, couper et diviser sa matière. […] Les lettres de Balzac touchaient à tout ce qui occupait alors les esprits : à l’érudition, qui s’était plutôt réglée que ralentie ; à la morale générale ; aux matières de foi, vues d’un esprit plus libre ; à la politique, nouveauté si attrayante alors ; aux événements de l’époque, aux rôles qu’y jouaient les principaux personnages. […] C’est l’éloquence hors de son lieu, sans les grands intérêts qui l’alimentent, sans ce sérieux qui la préserve des hyperboles ou des vaines subtilités du travail à froid, dans une matière qui n’a pas de richesses naturelles.
Philosophie En ce qui concerne la recherche des manuscrits, traitant de matières philosophiques, on n’aura pas à s’occuper beaucoup de ce qui peut s’être fait avant le xiie siècle, 1º parce que les œuvres philosophiques antérieures à ce siècle, comme celles de Saint-Anselme, de Scot Érigène, etc., existent imprimées ; 2º parce que la scolastique, qui est la grande philosophie du moyen âge, n’était pas véritablement fondée ; 3º parce que les auteurs de ces œuvres, antérieures au xiie siècle, appartiennent rarement à la France. […] Dans les genres de moindre étendue, et dont les pièces ne se trouvent souvent point dans les manuscrits à part, mais aux dernières pages seulement ou au milieu de manuscrits qui traitent de matières toutes différentes, vous remarqueriez les chansons, lais, complaintes, rotruenges ; les fabliaux, les fables attribuées aux divers Ysopets ; les estampies, rondeaux, sirvenlois ; les jeux-partis, les proverbes, dicts et sentences, dicts et contredicts ; les proses farcies, les caroles, noëls, sermons en vers, etc. […] Tout ce qu’on en pourra découvrir et recueillir sera porté à l’information des personnes savantes qui se sont occupées plus particulièrement de cette branche de notre littérature, et qui sont désormais maîtres reconnus en pareille matière.
La métaphysique ne tient pas davantage de place dans son œuvre : l’affirmation de Dieu, la négation de la Providence et du miracle, voilà toute la métaphysique de Voltaire ; ajoutez-y ce fameux dada que de longue date il a emprunté à Locke, que Dieu, tout-puissant, a bien pu attribuer à la matière la faculté de pensée. […] De Ferney viennent des catéchismes portatifs, aux titres caractéristiques : Dictionnaire philosophique ou la Raison par alphabet (1764), Évangile de la Raison (1764), Recueil nécessaire (1768), puis, de 1770 à 1772, les neuf volumes de Questions sur l’Encyclopédie, qui ramassent dans toute l’œuvre philosophique de Voltaire les pages les plus efficaces sur toutes les matières. […] La correspondance de Voltaire est un des plus immenses répertoires d’idées que jamais homme ait constitués : elle est en cela l’image de son œuvre ; il n’est pas une branche de la culture humaine, pas un ordre d’activité, qui n’ait fourni matière aux rapides investigations de sa pensée. […] Voltaire a peu de sens : du moins il ne fait pas attention aux sensations que lui fournissent les choses extérieures ; il les emploie à vivre, à penser ; il ne les prend pas elles-mêmes pour matière d’art. […] Dans les matières moins ardues, c’est toujours par des substitutions d’idées et des suppressions d’intermédiaires, par des réductions imprévues à l’évidence ou à l’absurde, que l’ironie de Voltaire fait son effet.
Une certaine matière sensible n’est-elle pas offerte à la vue, à l’ouïe, au toucher, etc., dans le sommeil comme dans la veille ? […] Avec rien le rêve ne fait rien ; et là où nous ne lui fournissons pas une matière sonore, il a de la peine à fabriquer de la sonorité. […] Les sensations qui nous servent de matière sont vagues et indéterminées. […] Quelle est la forme qui imprimera sa décision à l’indécision de la matière ? […] Le souvenir voudrait bien obtenir une matière pour se remplir, se lester, s’actualiser enfin.
Les illustres feuilletons eux-mêmes languissent ; le Juif Errant aux abois s’est jeté sur les jésuites, matière un peu vieille et qui redevient un peu coriace. — L'Ultramontanisme de Quinet a été fort sévèrement et fort judicieusement jugé par Lerminier dans la Revue des Deux Mondes ; Lerminier qui a, lui aussi, en son temps, connu les ivresses de la popularité et qui en a eu ensuite les déboires, était en mesure de faire la leçon à Quinet là-dessus : tout le détail de cet article et les remarques sur cette érudition confuse et fougueuse ont beaucoup d’à-propos et un grand caractère de raison. […] Cousin à la Faculté des Lettres ; le tome Ier vient de paraître ; il contient Plotin et sa théorie. « C'est moins, dit l’auteur dans sa préface, la reproduction de mon cours qu’un ouvrage sur le sujet qui a fait la matière de mon enseignement. » L'auteur y travaille depuis plusieurs années.
Si le lecteur me demande : « La matière est-elle louable ? […] Le milieu est bon à blaguer, la matière large à brasser.
Dans ces matières sans autre solution que la foi, et où tout est livré aux conjectures, le vraisemblable est la seule approximation du vrai ; quand on ne peut pas prouver, on imagine. […] … Non, rien, pas même un atome de matière organisée de plus à son usage. […] etc., etc. » On voit qu’en sens inverse du matérialisme moderne, qui fait naître l’intelligence des sensations brutales de la matière douée d’organes, le spiritualisme déjà raffiné des sages de l’Inde fait naître les phénomènes matériels de l’intelligence. […] Celui-là seul est véritablement sage et sanctifié qui a renoncé à tout fruit temporel de ses actes ; il est délivré des liens de la matière ; il vit déjà dans les régions de l’immuable félicité ! […] « Toutes choses animées ou inanimées sont produites par l’union des deux principes, la matière et l’esprit.
Lors même que, dans le sujet et la fable de Francus, il y aurait eu matière à une composition nationale, il manquait donc la famille des Jules et un Auguste demandant à Virgile L’Énéide au lendemain de son triomphe et de la célébration des jeux de Troie, et comme un magnifique couronnement de la paix du monde. […] Maintenant que je suis sans matière et sans occupation, je puis bien prendre celle-ci pour remplir ma page et satisfaire à votre désir, plutôt tard que jamais. […] Le même défaut de jugement paraît dans son grand ouvrage, non seulement dans ce menu de termes et matières inconnues à ce siècle, mais encore dans le dessein, lequel, par ce que l’on en voit, se fait connaître assez avoir été conçu sans dessein, je veux dire sans un plan certain et une économie vraiment poétique, et marchant simplement sur les pas d’Homère et de Virgile, dont il faisait ses guides, sans s’enquérir où ils le menaient. […] Cette lettre ne vous paraît-elle pas bien justifier l’éloge qu’un jour Balzac adressait à Chapelain : « Si la Sagesse écrivait des lettres, elle n’en écrirait pas de plus sensées ni de plus judicieuses que les vôtres. » Il y aurait peut-être encore quelques remarques à faire sur ce jugement de Ronsard par Chapelain ; mais, à le prendre dans son résumé assez pittoresque : « Ce n’est qu’un maçon de poésie, et il n’en fut jamais architecte », on a l’équivalent du mot célèbre de Balzac : « Ce n’est pas un poète bien entier, c’est le commencement et la matière d’un poète. » Fénelon, Balzac, Chapelain, que faut-il de plus !