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1840. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

serait-il donc vrai que vous ne m’eussiez pas abandonné ? […] Il est vrai que ces confidences ne vont qu’à l’abbé Jean ; quand il a affaire à d’autres, La Mennais se relève. […] Il y a partout du bien à faire, et ici plus que nulle part… » Et enfin il lâche le grand argument, plus vrai que lui-même ne le croyait, et que toute la suite de sa vie n’a que trop vérifié : « J’ajoute un motif d’un grand poids : j’ai besoin de quelqu’un qui me dirige, qui me soutienne, qui me relève ; de quelqu’un qui me connaisse et à qui je puisse dire absolument tout. […] Et encore, lettre du 18 juillet 1814 : « Je t’écris, stante pede in uno. » Il est vrai que cela se raccommode un peu dans une lettre du 6 avril 1817.

1841. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Il est vrai que tout le monde ne pense pas ainsi : les trop longues habitudes déplaisent au public. […] Mais la gaieté naturelle, une joie de force et d’innocence corrigeait bientôt la langueur ; le calme et l’équilibre étaient maintenus ; tout en redisant quelque ode rustique à la Thompson, ou en moralisant sur les passions à réprimer, elle ajoutait avec une gravité charmante : « Je trouve dans ma religion le vrai chemin de la félicité ; soumise à ses préceptes, je vis heureuse : je chante mon Dieu, mon bonheur, mon amie : je les célèbre sur ma guitare : enfin, je jouis de moi-même. » Elle en était encore à la première saison, à la première huitaine de mai du cœur. […] Elle se fâche tout bas et se pique même contre eux autant que plus tard elle en rira : « Mes sentiments me paraissent bizarres ; je ne trouve rien de si étrange que de haïr quelqu’un parce qu’il m’aime, et cela depuis que j’ai voulu l’aimer : c’est pourtant bien vrai, je te peins au naturel ce qui se passe dans mon âme. » Les lettres à Sophie, dans ces moments de délicate confidence, deviennent plus vives, plus excitées ; il s’y fait sentir un contre-coup de mouvement et d’aiguillon. […] Ailleurs, comme Pauline encore, elle parle de la surprise des sens à la vue de La Blancherie, mais pour dire, il est vrai, qu’il n’y a rien en elle de cette surprise, et que tout vient du rapport de sentiment.

1842. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

Mme Geoffrin, bien observée, me paraît avoir été, par la nature de son esprit, par la méthode de son procédé, et par son genre d’influence, le Fontenelle des femmes, un Fontenelle plus actif en bienfaisance (nous reviendrons tout à l’heure sur ce trait-là), mais un vrai Fontenelle par la prudence, par la manière de concevoir et de composer son bonheur, par cette manière de dire, à plaisir familière, épigrammatique et ironique sans amertume. […] Sa bienfaisance était grande autant qu’ingénieuse, et chez elle un vrai don de nature : elle avait l’« humeur donnante », comme elle disait. « Donner et pardonner », c’était sa devise. […] Il est vrai que si l’on ne s’y prêtait pas, si l’on se dérobait à son envie de conseiller et de redresser, elle n’était pas contente, et un petit accent plus sec vous avertissait qu’elle était piquée dans son faible, dans sa prétention de mentor et de directeur. […] Marmontel, en lui écrivant, avait paru croire que ces attentions dont une simple particulière était l’objet de la part des monarques, allaient faire une révolution dans les idées ; Mme Geoffrin le remet au vrai point de vue : Non, mon voisin, lui répond-elle (voisin, parce que Marmontel logeait dans sa maison), non, pas un mot de tout cela : il n’arrivera rien de tout ce que vous pensez.

1843. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon. » pp. 270-292

Mais bientôt le sentiment de vérité l’emporte ; elle est saisie ; elle est désespérée que Walpole ne soit pas là près d’elle pour jouir de cette incomparable lecture : « Vous y auriez des plaisirs infinis, lui écrit-elle coup sur coup de Saint-Simon, des plaisirs indicibles ; il vous mettrait hors de vous. » Voilà le vrai et l’effet que font ces Mémoires à tous ceux qui les lisent avec continuité ; ils vous mettent hors de vous, et vous transportent bon gré mal gré au milieu des personnages et des scènes vivantes qu’ils retracent. […] À propos d’une de ces querelles d’étiquette et de prérogative que Saint-Simon souleva, Louis XIV ne put s’empêcher de remarquer « que c’était une chose étrange que, depuis qu’il avait quitté le service, M. de Saint-Simon ne songeât qu’à étudier les rangs et à faire des procès à tout le monde », Saint-Simon était possédé sans doute de cette manie de classer les rangs, mais, surtout et avant tout, de la passion d’observer, de creuser les caractères, de lire sur les physionomies, de démêler le vrai et le faux des intrigues et des divers manèges, et de coucher tout cela par écrit, dans un style vif, ardent, inventé, d’un incroyable jet, et d’un relief que jamais la langue n’avait atteint jusque-là. […] Mais il y a, pour ces derniers, une autre manière bien autrement vraie de saisir les gens et les personnages en scène, de les fouiller et de les sonder quoi qu’ils en aient, de les mettre à jour et de les démasquer impitoyablement. […] La vérité, s’écrie-t-il, il l’a eue en vue jusqu’à lui sacrifier toutes choses : « C’est même cet amour de la vérité qui a le plus nui à ma fortune ; je l’ai senti souvent, mais j’ai préféré la vérité à tout, et je n’ai pu me ployer à aucun déguisement ; je puis dire encore que je l’ai chérie jusque contre moi-même. » Pourtant, s’il redresse si haut la tête sur ce chapitre de la vérité, il convient que l’impartialité n’a pas été son fait ; il sent trop vivement pour cela : On est charmé, dit-il, des gens droits et vrais ; on est irrité contre les fripons dont les cours fourmillent ; on l’est encore plus contre ceux dont on a reçu du mal.

1844. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Il y mêlait du pathétique, et il y a, tout au milieu, un vrai mouvement oratoire : « Justice ! […] je vous le dis : ce sont les gens de cour, Dont l’imaginative enfante chaque jour Ces merveilleux conseils… Cette observation, que je dois à l’un de mes lecteurs, est très vraie, et j’avais noté moi-même, chemin faisant, des vers qui sont tout poétiques : J’abandonnai des lieux si chers à mon enfance. […] J’ai quelquefois pensé qu’à cette époque où Courier se servait de ces instruments et de ces prétextes rustiques pour en faire des malices exquises aux gens d’en haut, il y avait en France un autre vrai laboureur et vieux soldat, que je ne donne pas comme un modèle d’atticisme, et qui aurait peu, je crois, goûté Longus, mais qui voulait sans rire l’amélioration du labour et de la terre, et le bien-être du laboureur en lui-même. […] Les vrais amateurs, aujourd’hui, et désormais, je le pense, aimeront mieux Courier dans ses lettres que dans ses pamphlets ; je le goûte plus, pour mon compte, quand il est de la famille de Brunck ou d’Horace que quand il veut se rattacher à celle de Swift ou de Franklin.

1845. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Écrivain, il se recommande encore aujourd’hui par de véritables mérites : ses quatre volumes de Souvenirs sont d’une très agréable et instructive lecture ; ses tragédies, pour être appréciées, ont besoin de se revoir en idée et de se replacer à leur moment ; mais ses fables, ses apologues, plaisent et parlent toujours ; un matin, dans un instant d’émotion vraie et sous un rayon rapide, il a trouvé quelques-uns de ces vers légers, immortels, qui se sont mis à voler par le monde comme l’abeille d’Horace et qui ne mourront plus : c’est assez pour que, nous qui aimons à rechercher dans le passé tout ce qui a un cachet distinct et ce qui porte la marque d’une époque, nous revenions un instant sur lui et sur sa mémoire. […] Arnault, rendu à une entière indépendance par le départ et l’émigration de Monsieur, s’abandonna avec feu à sa verve tragique et littéraire, durant ces années orageuses dont sa jeunesse trompait de son mieux le péril et les atrocités ; il nous a tracé de cette époque, en ses Souvenirs, un tableau vrai, presque amusant, sans passion et sans colère ; il en a peint à merveille quelques-uns des acteurs principaux qu’il eut occasion de rencontrer. […] Mais ces critiques, aujourd’hui faciles, ne doivent point fermer les yeux sur les mérites auxquels les contemporains furent sensibles, et Talma, dans le rôle de Montcassin, jouant en face de Mme Vanhove qui faisait Blanche et qu’il aimait réellement lui-même versait et faisait couler de vrais pleurs : Contarini. […] Voici une anecdote vraie que je m’étais retranchée d’abord : on y verra le contraste de deux humeurs et de deux caractères.

1846. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse esthétique »

Cela est si vrai que, depuis l’origine même de l’art, les écrivains, les musiciens et les peintres n’ont jamais hésité à présenter dans leurs œuvres les spectacles les plus pathétiques, à user des modulations les plus plaintives ; les genres les plus élevés dans l’estime publique sont les genres tragiques ; les plus grandes œuvres que l’art humain a produites, sont des œuvres montrant des images tristes et développant des idées lugubres qui restent grandioses, saisissantes, charmantes et ne font jamais à quelque point qu’on les pousse, de peine nocive, de vrai mal, de mal dont on veuille se défendre6. […] Et la douleur entière, la vraie, le désir de l’éviter, étant les derniers mobiles de toute l’activité animale, humaine et sociale, nous comprenons maintenant pourquoi les suprêmes émotions esthétiques sont improductives d’actes, comme nous l’avons dit au commencement de ce chapitre ; ces émotions comprennent toutes les souffrances harcelantes de l’existence, mais sans les aiguillons des périls, des angoisses, des menaces, des maux prévus ou ressentis. […] Il est vrai que peu d’hommes s’accordent à ressentir le même degré d’émotion à propos de la lecture d’un même livre : que ces différences de plaisir, d’intérêt, de saisissement peuvent aller fort loin.

1847. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Ernest Renan était là à sa vraie place pour faire illusion. […] » Il semblait que dans les jungles du journalisme on entendît miauler — doucement encore, il est vrai, — un tigre de la plus belle espèce et dont la voix devait arriver aux plus terribles diapasons ! […] Renan les met, il est vrai, à l’abri sous cette tolérance chère aux philosophes, sous ce paratonnerre où tombe le mépris ! […] … »« L’intelligence la plus claire et la plus pénétrante, ajoute-t-il ailleurs, fut le partage de l’homme au commencement », ce qui est vrai pour nous qui croyons à la Chute, ce qui est faux pour lui qui n’y croit pas et qui invente aujourd’hui un progrès abécédaire où rien n’est acquis ; où, plus on recule, plus on avance, et où il faut remonter à l’origine de tout pour avoir seulement quelque chose !

1848. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Il est, qu’on me comprenne bien, la résultante nécessaire de sa double nature contradictoire, qui est infiniment grande relativement à l’homme, infiniment vile et basse relativement au Vrai et au Juste absolus. […] C’est le rire de l’homme, mais rire vrai, rire violent, à l’aspect d’objets qui ne sont pas un signe de faiblesse ou de malheur chez ses semblables. […] Il faut l’avouer, la prodigieuse bonne humeur poétique nécessaire au vrai grotesque se trouve rarement chez nous à une dose égale et continue. […] Et pour en revenir à mes primitives définitions et m’exprimer plus clairement, je dis que quand Hoffmann engendre le comique absolu, il est bien vrai qu’il le sait ; mais il sait aussi que l’essence de ce comique est de paraître s’ignorer lui-même et de développer chez le spectateur, ou plutôt chez le lecteur, la joie de sa propre supériorité et la joie de la supériorité de l’homme sur la nature.

1849. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

La bio-sociologie de ces derniers temps, il est vrai, a tenté de rétablir l’équilibre entre les deux termes injustement dissociés, et des travaux considérables ont modifié les idées à cet égard. […] Il est une série de relations au-delà des frontières dont la conception vulgaire du nationalisme a conscience, il est vrai : les relations commerciales ou diplomatiques, par exemple. […] Les meilleurs et les plus pénétrants parmi les hommes font une large place dans leurs cœurs à tout ce que l’humanité contient de vrai et de beau ; et le sentiment de leur petite patrie d’origine ne peut leur voiler l’unité du monde. […] Il faut une propagande aussi active au service d’idées plus larges et plus vraies, si l’on veut un jour que la solidarité prenne la place de l’ignorance et de la haine réciproques.

1850. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Il parcourut l’univers, la science et la vie, montrant que tout spectacle, tout événement et toute pensée y ramènent l’homme, qu’elle est l’œuvre, non d’une curiosité tranquille, mais d’un besoin impérieux et âpre, qu’elle n’est point un divertissement de l’esprit, mais la vraie et la première nourriture du cœur. […] Si cela est, je suis trompé, je les ai confondus en un seul ; j’ai attribué à l’un ce qui n’est vrai que de l’autre ; mon raisonnement est faux. […] « Tout être a une fin ou destinée. » Rien de plus vrai ; il y a toujours dans un être un ou plusieurs faits qui lui sont propres. […] Mais, par un triste hasard, ce changement de sens qui rend vraies les dernières propositions de M. 

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