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174. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

Chez ces autres hommes éminents que j’ai cités, une volonté froide et supérieure dirigeait la recherche, l’arrêtait à temps, l’appesantissait sur des points médités, et, comme il arrivait trop souvent, la suspendait pour se détourner à des emplois moindres. […] Sa brusque invasion, son accroissement irrésistible, le besoin de la saisir, de la presser dans tous ses enchaînements, de l’approfondir en tous ses points, entraînaient ce cerveau puissant auquel la volonté ne mettait plus aucun frein. […] Lui en effet, si l’on considère sa tournure métaphysique, il n’était pas, comme M. de Biran, la volonté même, dans sa persistance et son unité progressive ; il était surtout l’idée. […] Par malheur, si M. de Biran se tient trop étroitement à cette volonté retrouvée, à cette causalité interne ressaisie, comme à un axe sûr et à un sommet, d’où émane tout mouvement, M.  […] Je ne dis pas qu’ils aient tout à fait tort, le caractère tel quel, la volonté froide et présente, étant déjà beaucoup.

175. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Or, la conscience renferme deux parties : la conscience de soi-même, qui est la Volonté, et la conscience des autres choses, qui est la Représentation (p. 85). […] La Volonté, qui est la Nature, s’y perçoit elle-même au dessous des erreurs de la Représentation. […] Elle atteint à son plus haut degré dans l’inspiration musicale, où la volonté individuelle est réduite au silence, tandis que s’éveille en nous la Volonté universelle, expression de la suprême unité qui est au fond des choses. […] Les distractions d’une grande ville voluptueuse devaient, à peine, attirer Beethoven comme elles eussent amusé un enfant : trop violentes étaient ses impulsions naturelles, sa volonté trop énergique, pour se pouvoir rassasier dans ces occupations superficielles et changeantes. […] Le Voyageur Tu n’es pas — ce que tu te rêves… — La Sagesse de la Première-Mère — va vers-la Fin : — ta Science s’incline — devant ma Volonté. — Sais-tu ce que Wotan veut ?

176. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Renoncer à la Volonté de Vivre était la conclusion de Schopenhauer ; c’est encore le sens philosophique de Parsifal. […] La méchante Volonté première de Schopenhauer, cette âme essentielle des réalités, est ici le Bien suprême. […] Quelle est pour Wagner, cette Nature, cette Réalité, cette Volonté première, cet Être immanent, si prodigieusement bienheureux ? Cet Être n’est point la ridicule Volonté, absolue et inveuillante de Schopenhauer ; cet Être est l’Homme, c’est Moi, c’est la Volonté individuelle, créant le Monde des phénomènes-. […] Le Monde comme volonté et représentation, trad.

177. (1868) Curiosités esthétiques « I. Salon de 1845 » pp. 1-76

Le dessin, on le devine, est aussi d’une grande volonté et d’une grande finesse ; les têtes ont un joli caractère. — Les attitudes sont toutes bien trouvées. — L’élégance et la distinction sont partout le signe particulier de ce tableau. […] La volonté fait une grande partie de sa réputation comme de celle de M. Delaroche. — Il faut que la volonté soit une faculté bien belle et toujours bien fructueuse, pour qu’elle suffise à donner un cachet, un style quelquefois violent à des œuvres méritoires, mais d’un ordre secondaire, comme celles de M. Robert Fleury. — C’est à cette volonté tenace, infatigable et toujours en haleine, que les tableaux de cet artiste doivent leur charme presque sanguinaire. — Le spectateur jouit de l’effort et l’œil boit la sueur […] Masson sont bien dessinés. — Ils doivent être très-ressemblants ; car le dessin de l’artiste indique une volonté ferme et laborieuse ; mais aussi il est un peu dur et sec, et ressemble peu au dessin d’un peintre.

178. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre VI. Premiers pas hors de Saint-Sulpice  (1882) »

La claire vue scientifique d’un univers où n’agit d’une façon appréciable aucune volonté libre supérieure à celle de l’homme devint, depuis les premiers mois de 1846, l’ancre inébranlable sur laquelle nous n’avons jamais chassé. Nous n’y renoncerons que quand il nous sera donné de constater dans la nature un fait spécialement intentionnel, ayant sa cause en dehors de la volonté libre de l’homme ou de l’action spontanée des animaux. […] Les raisonnements du monde en ce qui concerne les rapports des deux sexes sont bizarres comme les volontés de la nature elle-même. […] Ma philosophie, selon laquelle le monde dans son ensemble est plein d’un souffle divin, n’admet pas les volontés particulières dans le gouvernement de l’univers. […] La volonté de Dieu soit faite !

179. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Artiste, exclusivement, et indifférent aux pures discussions spéculatives, le Maître adopta aussitôt, complètement, — semble-t-il — la métaphysique de la Volonté. Il admit la doctrine suivant laquelle la Volonté, substance intime de l’Univers, devenait, en l’homme, la volonté, funeste, de vivre, et supposait le monde sensible, le monde de la Représentation, formé d’individus isolés, avec la lutte pour loi. […] Les efforts sociaux sont vains ; il faut dans ce monde que les volontés particulières soient pliées à la volonté unique et despotique de l’Etat. […] La religion signifie le renoncement à la volonté de vivre et la délivrance par la Compassion, qui, sous les apparences multiples du monde sensible, voit l’unité réelle de l’être. Aussi toute religion divine a-t-elle pour dogme l’amour universel, la défense d’attenter à la vie animale, tandis que la volonté mauvaise porte l’homme, fatalement, à la destruction.

180. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

En tête de cette traduction, restée manuscrite, il disait (janvier 1794) : J’entreprends la traduction de ce livre (De Cive) sans savoir si j’aurai le temps ou le courage ou la volonté de le finir. […] L’anarchie est l’absence du gouvernement et la volonté de chacun substituée à la volonté générale ; en 1792, il y avait une volonté générale, unanime ; il y avait une organisation terrible pour la former, la confirmer, la manifester, la faire exécuter ; en un mot, il existait une démocratie, ou, si l’on veut, une ochlocratie52 redoutable, résidant en vingt-six mille clubs correspondant ensemble et soutenus par un million de gardes nationales.

181. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Tel nous apparaît Maine de Biran dans ce volume, au point de départ ; quinze et vingt ans après, et par le seul mouvement continu de sa pensée, il en était venu à déplacer totalement son point de vue, à le porter, en quelque sorte, de la circonférence au centre, à tout rendre (et même au-delà) à la force intime et à la volonté : L’art de vivre, écrivait-il en 1816, consisterait à affaiblir sans cesse l’empire ou l’influence des impressions spontanées par lesquelles nous sommes immédiatement heureux ou malheureux, à n’en rien attendre, et à placer nos jouissances dans l’exercice des facultés qui dépendent de nous, ou dans les résultats de cet exercice. Il faut que la volonté préside à tout ce que nous sommes : voilà le stoïcisme. […] Je vois maintenant qu’il est inutile de chercher à l’atteindre par les efforts de la volonté. […] Il m’est évident que ce n’est pas moi, ou ma volonté, qui produit cette intuition vive et élevée d’un autre ordre de choses.

182. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

La maîtresse pièce de l’homme, pour lui. c’était la volonté, et l’amour n’était que l’élan dont la volonté se portait au bien aperçu par la raison. […] Le tendre François de Sales, sous l’aménité fleurie de ses discours, arme la volonté, et lui donne tout, pour lui tout demander. Dans ce réveil de l’énergie morale se préparent et la théorie cartésienne de la volonté et la théorie cornélienne de l’héroïsme : et là se trouve l’explication de la faveur que rencontrera le jansénisme, cette forme forte du catholicisme.

183. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

Pierson, empêché par une indisposition. »‌ Hinzelin s’est assuré, dans Vouziers, qu’aucun contemporain n’a oublié le petit garçon qui, à l’école de la ville, exerçait déjà d’une telle manière sa volonté de labeur assidu. […] « Au soir de Wagram, a le droit de dire un Bonaparte, j’étais si fatigué que je suis tombé de sommeil, que j’ai dormi couché tout de mon long dans un sillon : j’étais la semence d’une admirable moisson de dévouement, de belle volonté et d’un lyrisme jusqu’alors inconnu. »‌ Taine parfois justifie la timidité, le repliement sur soi-même et, sous le nom d’« acceptation », certaine servilité.

184. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

Ils ne peuvent pas arriver à voir que la responsabilité est un vain mot quand il s’agit de l’homme et que des forces supérieures, que les investigations scientifiques ne sont pas parvenues à saisir, agissent beaucoup plus sur l’espèce que toute prétendue volonté particulière. […] C’est leur manque absolu de volonté directrice qui les a voués à l’anarchie spirituelle dans laquelle ils cherchent une justification de leur individualité. […] Mais c’est encore une erreur que de diviniser, à l’instar de Nietzsche, la volonté, en la substituant à la raison. La volonté effrénée mène à l’affaiblissement de la volonté. […] Il en est de même pour les accusations contradictoires des ennemis du christianisme relatives à la soumission et à la volonté de combattre.

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