Sa digne mère, dont il est le portrait, continue de vivre pour jouir d’un tel fils, et il suffit d’avoir eu l’honneur de la voir une fois pour sentir tout ce qui a dû présider de pieux, de tendre et d’antique à cette première éducation du foyer. […] Renan avait reçu notamment une très vile impression des idées et des vues de Herder ; cette espèce de christianisme ou de fonds religieux supérieur, qui admet toutes les recherches, toutes les conséquences de la critique et de l’examen, et qui, avec cela, laisse subsister le respect, même l’enthousiasme ; qui le conserve et le sauve en le transférant en quelque sorte du dogme à l’histoire, à la production complexe et vivante, le rasséréna et le tranquillisa beaucoup ; il sentait que, s’il eût vécu en Allemagne, il eût pu trouver des stations propices à une étude indépendante et respectueuse, sans devoir rompre absolument avec des choses ou des noms vénérables, et à l’aide d’une sorte de confusion heureuse de la poésie avec la religion du passé. […] Telle est l’humanité : chaque nation, chaque forme intellectuelle, religieuse, morale, laisse après elle une courte expression qui en est comme le type abrégé et expressif, et qui demeure pour représenter les millions d’hommes à jamais oubliés qui ont vécu et qui sont morts groupés autour d’elle. » Cette conscience, cette mémoire du genre humain, c’est donc comme une Arche de Noë perpétuelle dans laquelle il ne peut entrer que les chefs de file de chaque race, de chaque série. […] Elle doit désirer que son œuvre du moins subsiste, que cette meilleure part d’elle-même où elle a mis le plus vif de sa pensée et toute sa flamme, entre dorénavant dans l’héritage commun, dans le résultat général du travail humain, dans la conscience de l’humanité : c’est par là qu’elle se rachète et qu’elle peut vivre.
Il est vrai que c’est dans une comédie qu’il dit cela, et qu’on ne peut pas prendre tout à fait au sérieux ces sortes de saillies ; mais il faut pourtant reconnaître que, si les honnêtes gens en ce monde sont moins mal partagés d’ordinaire et dans les temps réguliers que Ménandre ne le dit, il est aussi des instants de crise où ils se conduisent de manière à avoir tout l’air en effet de ne venir qu’après les flatteurs, les calomniateurs et ceux qui vivent à petit bruit de la corruption. […] Quelles qu’en puissent être les causes très-complexes, le fait subsiste ; il s’est élevé depuis lors toute une race sans principes, sans scrupules, qui n’est d’aucun parti ni d’aucune opinion, habile et rompue à la phrase, âpre au gain, au front sans rougeur dès la jeunesse, une race résolue à tout pour percer et pour vivre, pour vivre non pas modestement, mais splendidement ; une race d’airain qui veut de l’or. […] A la veille des prochaines divisions, et dans le temps même de cet intervalle, il y eut, nous l’avouons, comme un dernier instant fugitif, que tous ceux qui sont restés fidèles à la Revue ne peuvent s’empêcher de regretter, un peu comme les jeunes filles regrettent leurs quinze ans et leur première illusion évanouie : ce fut l’instant où le groupe des artistes et des poëtes paraissait au complet (M.de Balzac n’en était déjà plus, mais M.Dumas en était encore), et où les critiques vivaient en très-bon ménage avec eux.
Les efforts contradictoires de sa vie — vers la pureté et vers le plaisir — se coalisent en l’effort de sa pensée, quand sonne l’heure de lui donner la forme artistique, avec une intensité qui le met à part de tous les Modernes (à ce point de vue) et qu’il doit sans doute à sa naïve énergie de vivre… N’ayant que ses passions pour matière de son art, plus factice et plus lâche, il n’eût, comme la plupart de nos poètes français, accumulé que des rimes, sans unité d’ensemble : son instinct vital l’a sauvé, l’instinct triomphant qui n’a pas seulement soumis l’intelligence, mais qui, par un miracle, se l’est assimilée, se spiritualisant vers elle, la matérialisant vers lui, réalisant (au sens étymologique du mot) l’idéal, et puis, pour le conquérir, s’ingéniant, sans laisser jamais l’imagination se prendre à d’autres mirages que ceux de la vie elle-même, tels qu’ils sont peints par le hasard, sur le rideau de nos désirs. […] Il a vécu comme un enfant toujours étonné et, malgré sa mort, son souvenir est un de ceux qui n’attristent pas. […] Elles vivent d’un art inédit et spécial ; elles haussent celui qui les écrivit au-dessus des deux poètes dont nous avons parlé. […] Ce sera l’originale gloire de Paul Verlaine d’avoir conçu, vécu et bâti une œuvre d’art, qui, à elle seule, reflète, en l’agrandissant, la renaissance d’idéalité et de foi dont ces dernières années ont vu s’épanouir la floraison.
Si la vie humaine n’avait d’autre horizon que de végéter d’une façon ou d’une autre ; si la société n’était qu’une agrégation d’êtres vivant chacun pour soi et subissant invariablement les mêmes vicissitudes ; s’il ne s’agissait que de naître, de vivre et de mourir d’une manière plus ou moins semblable, le seul parti à prendre serait d’endormir l’humanité et de subir patiemment cette vulgaire monotonie. […] Il faut être juste : jamais on n’a vécu plus à l’aise que de 1830 à 1848, et nous attendrons longtemps peut-être un régime qui puisse permettre une aussi honnête part de liberté. […] Quand quelques millions d’hommes seront morts de faim, quand des milliers se seront dévorés les uns les autres, quand la tête des autres, égarée par ces funèbres scènes, sera lancée hors des voies de l’ordinaire, alors on recommencera à vivre. […] Quelqu’un disait en parlant de la quiétude béate où vivait l’Autriche avant 1948 : « Que voulez-vous ?
Voilà ce qui était fait pour vivre, voilà ce qui a vécu. […] Ne méprisons pas cependant cette chimère, qui a été l’écorce grossière de la bulbe sacrée dont nous vivons. […] Qui sait si le dernier terme du progrès, dans des millions de siècles, n’amènera pas la conscience absolue de l’univers, et dans cette conscience le réveil de tout ce qui a vécu ?
Des amours du roi et de madame de Montespan, commencés, comme nous l’avons vu, en 1667, était née, en 1669, une fille, que le duc de Saint-Simon appelle madame la Duchesse, et qui ne vécut que trois ans. […] » Ces paroles signifient : « Il y a trois ans, quand madame de Montespan vivait bien avec son mari, j’aurais consenti volontiers à élever ses enfants : ainsi qu’on ne croie pas que c’est l’orgueil ou l’ambition qui me font demander un ordre du roi ; qu’on croie encore moins que c’est le désir d’attirer sur moi les regards du prince. » Ici la précaution me semble d’autant plus marquée, que madame Scarron pouvait à bon droit trouver au-dessous d’elle l’éducation des enfants légitimes du marquis de Montespan, bien qu’ils fussent au-dessus des bâtards de la marquise. […] Sa nomination à la place de gouvernante fut donc honorable pour elle, pour la société dans laquelle elle vivait, et pour le roi qui l’y distingua. […] Je m’en tiens à cette décision générale, autrement je ne vivrais pas (c’est ainsi que dans le principe elle prit Gobelin).
Il vit un temps psychologique, et avec ce Temps se confondent tous les Temps mathématiques plus ou moins dilatés ; car au fur et à mesure qu’il écarte les tiges articulées de son jouet — je veux dire à mesure qu’il accélère par la pensée le mouvement de son système — les lignes de lumière s’allongent, mais toutes remplissent la même durée vécue. Sans cette unique durée vécue, sans ce Temps réel commun à tous les Temps mathématiques, que signifierait de dire qu’ils sont contemporains, qu’ils tiennent dans le même intervalle ? […] Quand, se figurant son système en mouvement, il se représentera sa ligne de lumière plus longue, il dira que le temps s’est allongé ; mais il verra aussi que ce n’est plus du temps psychologique ; c’est un temps qui n’est plus, comme tout à l’heure, à la fois psychologique et mathématique ; il est devenu exclusivement mathématique, ne pouvant être le temps psychologique de personne : dès qu’une conscience voudrait vivre un de ces Temps allongés O₁B₁, O₂B₂, etc., immédiatement ceux-ci se rétracteraient en OB, puisque la ligne de lumière ne serait plus aperçue alors en imagination, mais en réalité, et que le système, jusque-là mis en mouvement par la seule pensée, revendiquerait son immobilité de fait. […] Ce ne seraient d’ailleurs que des Temps fictifs, puisqu’ils ne pourraient être vécus comme différents du premier par qui que ce fût, ni par l’observateur en S qui les perçoit tous dans la même durée, ni par aucun autre observateur réel ou possible.
Il vécut à la cour d’Antiochus le Grand en Syrie, et fut commis par ce prince à la garde de la riche bibliothèque des Séleucides ; il écrivit toutes sortes de longs poëmes épiques dont on a seulement les titres, des épigrammes, des élégies qui furent célèbres par leur accent de tendresse. […] Que si seulement j’avais l’honneur de vivre du temps de ces élégants humoristes, MM. […] Le pire qui nous puisse arriver, c’est que nous serons tous plus ou moins immortels, et bien loin que quelques-uns d’un peu intéressants se perdent tout entiers, dignes et moins dignes nous vivrons tous avec part au soleil et presque ex æquo.
Enfin, ménageons-nous une foi, soit dans une confession religieuse, soit dans une doctrine scientifique, ou dans un credo philosophique ; l’essentiel est de mettre un fil qui ne casse pas entre nos jours mal attachés une bonne manie suffit au besoin ; des individus trouvent une raison de vivre dans une collection de tabatières à parachever… Jérôme Coignard est un sage hardi et prudent. […] Prenez-y garde encore : mourir, c’est accomplir un acte d’une portée incalculable. » Ne calculons pas, vivons pour le mieux, au petit bonheur de la fatalité, disait Laforgue. […] Pas à une page, le souci de vivre, en fait, la peine de l’argent n’écorche un seul personnage du récit.
Un écrivain a-t-il vécu, surtout à l’âge où l’âme est de cire pour les impressions du dehors, dans un de ces climats tièdes et parfumés où la poésie semble pousser et fleurir d’elle-même en pleine terre comme les orangers et les lauriers-roses ; il y a gros à parier que son imagination en gardera quelque chose de net et de lumineux. […] Voici l’argument mis en forme : Des hommes ayant vécu dans le même milieu social ont produit des œuvres différentes. […] Je ne connais pas deux hommes, fussent-ils frères, fussent-ils jumeaux, qui aient jamais vécu dans un milieu social identique.
Enfantin (page 44 de sa brochure), je peux les comparer aux tentes que saint Paul tissait et vendait pour vivre, pour avoir la force de semer partout sa parole de vie… Alors pour lui, comme aujourd’hui pour nous, la foi ne donnait pas de quoi vivre. […] Cette civilisation a donné des fruits dont nous vivons toujours, quoique nous les ayons empoisonnés… Eh bien !