/ 3766
961. (1886) De la littérature comparée

Or, c’est précisément cette vie persistante des œuvres littéraires qui rend très-difficile l’enseignement de la littérature. […] Et le discours sur la dignité de l’homme, de Pic de la Mirandole, caractérise nettement le changement radical qui s’est opéré dans la conception de la vie. […] Prenez n’importe quelle branche de composition en prose ou en vers, et vous verrez bientôt que, directement ou indirectement, son existence implique certaines conditions de vie sociale. » — M. Posnett ne s’en tient pas là : après avoir constaté que les faits d’influence permanente, tels que le climat, le sol, etc., constituent les influences statiques dont dépend le développement de la littérature, il croit en trouver le principe dynamique dans la loi de l’évolution de la vie commune à la vie personnelle. […] Il l’a recherché à travers « l’évolution graduelle de la vie sociale, du clan à la cité, de la cité à la nation, de la nation à l’humanité cosmopolite ».

962. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Machiavel, en des années de disgrâce où il se voyait forcément mêlé à une vie vulgaire, ne les lisait qu’à une certaine heure du jour, et après avoir fait sa toilette comme pour se rendre digne de les approcher. […] Pline appartient à cette classe d’esprits élevés et éclairés, tels que l’ancienne civilisation en possédait un assez grand nombre avant le christianisme, qui ne séparent point l’idée de Dieu de celle de l’univers, qui ne croient pas qu’elle en soit distincte, et qui, dans le détail de la vie et l’usage de la société, condescendent d’ailleurs aux idées reçues et aux préjugés utiles : « Il est bon, dans la société, de croire que les dieux prennent soin des choses humaines… La religion, répète-t-il en plus d’un endroit, est la base de la vie. » Mais ce n’est qu’une religion toute politique comme l’entendaient les Romains. […] Il y eut, sous le règne de Tibère, une disette de papier, au point qu’il fallut nommer des sénateurs pour en régler la distribution ; autrement les relations de la vie auraient été troublées. » Oh ! […] Il avait toujours estimé « qu’une mort subite est la dernière félicité de la vie ». […] Ses lettres, que chacun peut lire dans l’agréable traduction de Sacy, nous offrent tous les détails de la vie publique, de la vie domestique et littéraire d’un Romain éclairé et honnête homme, sous Trajan, à la belle époque finissante de l’Empire.

963. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

De purs mystiques, hantés par un idéal du passé, imprégnés de l’esprit chrétien, des êtres de rêve, séparés de la nature et de la vie par une barrière de préjugés. […] Par réaliste, j’entends, dans un sens large, celui qui, ne méprisant aucun fragment, aucun aspect de la nature, en respectant la vie réelle des choses, de la communion même de ce monde extérieur avec son être propre, fait jaillir une expression vivante. […] Certes il y a de la tristesse aussi dans ce visage âpre et brusque, mais il y a de la force avant tout, et de la vie ! […] Il a replacé les choses dans le milieu où elles baignent en rendant à l’atmosphère son rôle aussi capital dans l’art que dans la vie. […] Il repousse toute « intention » en ceci qu’il ne cherche pas à rendre à travers une forme notoirement insuffisante et sans vie, quelque idée sublime.

964. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Comme un marin qui n’observe le ciel et les astres que pour prévoir les dangers, diriger sa course et atteindre le port, il n’étudiait la nature et l’homme que pour régler sa vie et conjecturer ce qui suit la mort. […] Leurs opinions sont des sentiments, leurs croyances sont des passions, leur foi est leur vie ; et quand le raisonnement intérieur leur défend de croire, c’est comme s’il leur commandait d’abjurer leur père et leur pays. […] Les jours qui suivirent cette découverte furent les plus tristes de ma vie. […] Il lui semble, non sans raison, que la vie est un mal, et s’il ne tombe pas dans la misanthropie méchante de Swift, il n’a de refuge que la gaieté douloureuse de Candide, ou la quiétude mathématique de Spinoza : refuge inutile, qui laisse la blessure aussi cuisante. […] Devant des parents et des fonctionnaires, il osa dire, en style de poëte : « Le sommet de la vie vous en dérobe le déclin ; de ses deux pentes, vous n’en connaissez qu’une, celle que vous montez.

965. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Et le lignard doit être un Dumanet ingénu et mystique, pour la composition duquel, je lui recommande de se remettre sous les yeux le jeu et la physionomie de l’acteur Burguet, dans La Lutte pour la vie. […] La femme montée sur un tabouret, et atteignant le paquet des vêtements de sa vie libre, et lisant les deux dates de son entrée et de sa sortie, de sa sortie qu’elle sent être dans un lointain, où elle n’existera plus. […] Il est question de Hugo, et Mme Lockroy donne des détails sur sa vie à Guernesey. […] … Cette vie remplie de chefs-d’œuvre, lui mérita, quoi ? […] Et Daudet compare la vie vivante de cette chose silencieuse, au silence vivant des étoiles de Pascal.

966. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

On comprend qu’à cette époque de sa vie il ait fait ce petit sacrifice à l’envie, divinité de la rue qui vit aussi de fumée, comme les divinités antiques. […] Il est donc très naturel qu’à mon entrée dans la vie et dans les lettres, j’aie porté et signé le nom qui était légitimement celui de notre famille. […] C’est elle qui a pourvu cent fois à toutes mes nécessités dans les moments pénibles de ma vie. […] Non, elle s’appelle aussi progrès dans les fortes têtes capables de contenir plus d’une idée pendant la durée d’une longue vie. Cette vie ne change-t-elle pas constamment le point de vue de l’homme et l’aspect des choses ?

967. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Jamais on n’a mieux concentré la vie d’un homme en quelques lignes pour tranquillement l’en écraser. […] Toute la vie de Cassagnac, qui fit éclat dès sa jeunesse, s’est passée dans le bruit, les passions et les luttes de la politique et du journalisme le plus militant. […] Il n’a ni abdiqué la politique, ni renoncé au genre d’action qui fut toute sa vie. […] Cela seul expliquerait toute sa vie. […] Il préféra cette cause à tout, et il ne vécut sa longue vie que pour elle.

968. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Mais d’autres esprits plus actifs rêvaient au-delà ; ce n’était pas la vie extérieure qui les occupait, c’était la vie antique. […] La vie féodale était étrangère aux Arabes ; mais le plus grand luxe du moyen âge, ce cortège de nombreux vassaux, se retrouvait dans la vie arabe. […] La vie désordonnée du clergé prêtait à l’amertume de cette censure laïque. […] Quant aux romans nés du Cid, ils ont un caractère tout particulier : vous y apercevez le reflet de la vie arabe et de la vie espagnole. […] La vie entière du temps est là.

969. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — I » pp. 432-453

Mais il faut, pour être sage, pouvoir durer avec soi-même (car l’ennui est la source de tous les écarts), donner à la vie la consistance qu'elle a, qui est bien peu de chose ; et, si tous ces calculs ne font pas rire, ils empêchent souvent de pleurer. […] II. — Première vie de Mme de Créqui. — Devoir ; régularité ; religion. — Expérience et désabusement. […] Elle nous dit elle-même, en parlant de sa santé : « Je n’ai jamais connu ce bien-là, ni celui de la jeunesse. » Toute la première moitié de sa vie est simple, uniforme, et dans la ligne stricte du dévouement et du devoir. […] La vie de cœur de Mme de Créqui paraît s’être concentrée, durant ses belles années, sur deux personnes, ce fils unique et son oncle le bailli de Froullay. […] Son grand intérêt dans la vie, et plus tard son amertume profonde et sa plaie secrète, fut ce fils auquel elle sacrifia tout et qui, en devenant un homme assez distingué, du moins à la surface, se montra des plus indifférents et des plus méconnaissants envers sa mère.

970. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Ceci rentre dans le chapitre de sa Vie qui aurait pour titre : M. de Harlay, académicien. […] N’écrivant point la vie du prélat, je n’ai pas à le suivre dans le détail des dernières années. […] Et qu’était-ce quand il s’agissait du pasteur même, et d’un pasteur au terme d’une vie sans repentance, surpris et enlevé comme dans un dernier flagrant délit de diversion mondaine ? […] Plus on regarde dans la vie de cet archevêque, et plus on y découvre de maîtresses ; c’est le cas de tous les libertins. […] Laissant la question de l’éternité à part, c’est quelque chose, dirons-nous, que d’avoir su s’acquérir en cette vie des amis si affectionnés et si fidèles.

971. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Les souvenirs de cette première vie d’enfance se reproduiront plus loin sous la plume de la jeune Marceline, née la dernière et la mieux douée. […] La vie, dès les premiers pas, s’annonçait-elle assez inique et assez cruelle ! […] Son organe est aussi doux ; il a autant de charme et de puissance… » Le malheur de Mlle Desbordes comme actrice fut la vie errante que lui imposa la nécessité : elle fut condamnée toute sa vie à débuter toujours. […] Et puis les soirs, au moment où la vie lui laissait un peu de trêve, quand elle revenait à ses souvenirs de théâtre, elle avait toutes sortes d’agréables récits. […] Les correspondances de cette époque font défaut : ce n’est que vers le déclin de la vie et quand est venu l’âge du souvenir, que l’on songe à conserver les lettres.

/ 3766