Il ne faut pas dire que Chrysale soit Molière, ni même que Gorgibus soit Molière, ni que le Cléante de Tartuffe soit Molière (et ici j’ai peur que, si on le croyait, on ne se trompât plus qu’ailleurs), ni même que le Clitandre des Femmes Savantes soit Molière encore, quoique ici j’estime qu’on serait plus près de la vérité. […] De même on l’a accusé de louer, d’autoriser et de recommander « la plus infâme complaisance chez les maris », parce que c’est le personnage raisonnable de l’École des Femmes qui, à un certain moment, vante à Arnolphe les délices de l’état de mari trompé. […] C’est ce qui trompe le moins. […] On voit aussi que cette recherche est difficile et qu’il n’y manque pas de chances de se tromper ; ce n’est qu’une raison de plus pour la faire, quand il s’agit de plaisir, et, dans le petit livre que j’écris, il n’est question que de cela ; le risque de se tromper aiguise le désir de voir juste et relève le plaisir d’avoir probablement raison, et il y a un plaisir, je ne dirai pas plus grand, mais plus piquant, à être à peu près certain qu’on a raison, qu’à en être pleinement sûr.
C’est ce qui ne trompe pas du tout M. […] Je me suis trompé absolument. […] Il est trompé de tous les côtés. Il a deux fils : il est trompé par l’un comme mari, et il est trompé par l’autre comme roi. […] S’il est agaçant quand il se trompe, il est miraculeux quand il ne se trompe pas, et il lui arrive encore assez souvent de ne pas se tromper.
Ce futur savant de l’École franco-grecque, envoyé à Athènes par dévotion au paganisme pour nous en rapporter de pieux souvenirs, trouve piquant de tromper l’espoir de ses maîtres. […] Ce n’est qu’une imposture de froideur qui ne trompe personne. […] Ou nous nous trompons infiniment, d’ailleurs, ou About est naturellement fait pour emboîter les opinions reçues.
Enfin, voyez, par tant d’exemples où Montaigne et ses contemporains pensent au hasard et sans objet, combien cette curiosité et cette jalousie de son libre arbitre peut tromper d’excellents esprits. […] Les images abondent, par cette illusion de l’esprit qui, n’ayant pas en vue une proposition considérable à prouver, donne à chaque détail un prix exagéré et force le langage, moins pour tromper les autres que parce qu’il se trompe lui-même. […] Tous deux se trompent par la même illusion, en donnant trop aux mots, que l’un trouve trop peu nombreux, et l’autre trop peu significatifs pour ce qu’ils ont à dire. […] Le doute du maître fait son plaisir ; le disciple a essayé de tromper le sien par la rigueur d’une méthode ; mais des deux parts, c’est le même doute. […] Charron, trompé par son honnêteté même, ou entraîné par l’exemple des licences du maître, fait tout voir grossièrement, ne croyant pas son âme complice de l’impureté de son intelligence.
Rebell est quelqu’un et c’est tout ce qu’il faut : l’essentiel n’est peut-être pas de ne point se tromper, mais d’avoir sa façon à soi de se tromper, et quand on est soi, on a raison.
Comme les premiers auteurs d’une opinion de philosophie ont pû se tromper, ils ont pû successivement abuser de generation en generation tous leurs sectateurs. […] Les disciples sont persuadez que ces personnes connoissent la verité mieux que les autres, et qu’elles ne veulent pas les tromper. […] Il l’a formé sur ce qu’il a senti en lisant, et l’on ne s’abuse point sur les veritez qui tombent sous le sentiment, comme on se trompe sur les veritez où l’on ne sçauroit aller que par voïe du raisonnement. […] Les personnes dont je parle ne sçauroient s’être trompées de bonne foi, puisque c’étoit de leur propre sentiment qu’elles rendoient compte.
L’envie qu’ils ont d’être crus donne à leurs paroles une certaine ardeur qui trompe ; touchez la main de ces amants, elle est glacée. […] Il se trompa sur son dessein ; il se trompa sur lui-même et sur autrui ; il se trompa sur l’effet de son livre. […] Les plus sincères s’y trompent et ne se cherchent pas toujours où ils se trouveraient. […] Il leur voit des visages d’abord ouverts qui se voilent ; des yeux qui, après l’avoir regardé en face, se détournent : nul doute, ce sont des ennemis venus avec des dehors pacifiques pour mieux le tromper. […] Comment ne se serait-il pas trompé sur les hommes ?
Il est probable que, par manque de termes de comparaison, nous nous trompons très fréquemment et que l’auteur qui nous dit : « Ces personnages que vous trouvez invraisemblables, je les ai connus » a raison. […] Les amateurs d’exceptionnel en littérature et qui l’aiment, non point parce qu’ils sont blasés sur le normal, mais par goût de s’évader de la vie réelle, se trompent donc, je crois, en s’adressant à la littérature, y entretiennent en se plaisant à lui un genre qui, en littérature, est un genre faux, et feraient mieux, je crois, de s’adresser, selon leurs tempéraments particuliers, à l’un ou à l’autre des deux autres arts que j’ai dits. […] Le lecteur qui n’aime que le roman réaliste est généralement un esprit juste, droit, pondéré, qui a de bons yeux, un bon raisonnement, qui ne se trompera guère, que l’on ne trompera pas souvent et qui se tirera bien de l’affaire de la vie. […] Le lecteur de livres idéalistes où les personnages ont des vertus extraordinaires et des délicatesses de sentiments inattendues est généralement une lectrice : « J’ai pour moi les jeunes gens et les femmes », disait Lamartine, et George Sand aurait pu le dire aussi sans se tromper aucunement.
Becq de Fouquières, jeune officier, avait conçu cette idée d’homme de goût et d’érudit dans le temps où, « un André Chénier à la main, il trompait les longues oisivetés de la vie militaire » ; devenu libre, il s’est empressé de se mettre à l’œuvre, et, d’abord, de se pourvoir de tous les instruments indispensables à l’exécution, parmi lesquels il faut compter au premier rang une connaissance des plus fines de la langue grecque. […] Il se trompe rarement lui-même dans l’emploi d’un mot ; il en connaît la portée, la valeur, non seulement dans l’usage accoutumé, mais à l’origine. […] Il a fallu bien des années, bien des efforts et des bégayements de l’admiration et de la critique pour arriver à le refaire et à le compléter ainsi ; mais ces efforts n’ont pas été vains, mais on ne s’était point trompé dans un premier élan d’enthousiasme et de sympathie filiale ou fraternelle ; on ne l’avait point porté trop haut, et l’étude attentive, approfondie, n’a fait que justifier les désirs du cœur et confirmer les pressentiments du goût.
Dès qu’on parle de l’expression enflammée d’une passion vraie, il est de bonne rhétorique de citer les Lettres portugaises, et les esprits les plus forts d’appréciation comme les plus faibles, les esprits qu’on bride le plus et les esprits qu’on bride le moins, ou qui sans bruit vont sur la foi d’autrui, reprennent alors la phrase d’admiration qui traîne partout et y ajoutent leur petite arabesque… Écoutez tous ceux qui ont dit leur mot sur les lettres de la Religieuse portugaise, depuis madame de Sévigné, la Célimène de la maternité… — et qui ne sait pas plus que l’autre Célimène ce que c’est qu’une passion trahie, ce que c’est que cette morsure de l’Amour, qui s’en va après l’avoir faite, — jusqu’à Stendhal, le Dupuytren du cœur, et qui n’aurait pas dû se tromper sur les tressaillements de ses fibres, et vous entendrez de tous côtés le même langage : une symphonie de pâmoisons. […] Dès les premiers mots de cette larmoyante élégie, soupirée lâchement aux pieds d’un homme et où le tonnerre du grand nom du Dieu qu’on outrage ne retentit pas une seule fois, l’imagination est cruellement trompée. […] Madame de Sévigné s’y est trompée, mais la pauvre sœur Louise de la Miséricorde, interrogée, aurait répondu, du fond de ses Carmélites de Chaillot, que les passions qui souffrent ont d’autres accents dans les maisons du Seigneur… Madame de Sévigné, le xviiie siècle, Saint-Simon, et plus tard Duclos, toute la terre enfin, ont été dupes de quelque mystification inconnue.
Ceci, si je ne me trompe, est un bon sophisme que je vais tâcher de développer. […] Nous n’avons que le secours de quelques grammairiens que l’on ne croit pas moins, quand ils se trompent, que quand ils parlent juste. […] On ne sçauroit se tromper en étendant cette régle jusqu’aux plus petites circonstances. […] Oüi, sans doute, il peut tromper, et il est étonnant qu’on le demande dans le tems même qu’il trompe effectivement, et que par un songe imposteur, il se jouë de la crédulité du pauvre Agamemnon. […] Voilà, si je ne me trompe, le vrai caractere de l’iliade, beaucoup de sentences et peu de morale.