Une anecdote nous apprend que ce sont les comédiens qui, pour rendre plus attrayante une tragédie sans amour, forcèrent Voltaire à ajouter ce romanesque épisode2. […] Sa tragédie Iphigénie fut faite selon la même lente méthode et avec les mêmes dictées au coin d’une table de café. […] Le caractère esthétique des pièces qu’il dut choisir pour ce nouveau cadre raviva le goût de la tragédie, tel qu’il régnait en France au XVIIe et XVIIIe siècle. […] Cette renaissance de la tragédie, que Faguet appelait spirituellement le ressemelage de l’antique, fut surtout un renouveau de traduction.
» Il ajoute, au surplus : « Toute cette époque de 1830, à vrai dire, fut un poète ; elle n’eut pas d’autre rôle que de rendre à la poésie tous les genres littéraires qui lui avaient été enlevés, la tragédie, la comédie, le roman et, grâce à Jules Janin, le feuilleton lui-même ! […] « Je me suis borné, en cette occurrence, à suivre l’exemple de la vie, qui ne nous ménage pas les surprises… » Le seigneur Alvise Alvenigo, d’une illustre et puissante famille vénitienne, est un grand amateur de théâtre et fin connaisseur en matière de tragédies où l’histoire et la table se joignent pour le contentement subtil d’un lettré. Sa Seigneurie n’a guère apprécié les fadaises latines de Tito : mais la voix de Tito l’a transporté d’un si fougueux enthousiasme qu’il annonce que Tito est le fils de son cœur et de sa pensée, qu’il saura lui léguer tous ses biens, en échange de quoi Tito sera le plus fameux tragédien moderne, le Roscius moderne de Vicence et, notamment, sera César dans une tragédie du seigneur Alvenigo. […] Hommes et femmes, les gens que vous rencontrez « vivent des tragédies qu’on ne voit pas ».
Bouchardy, dans lesquels on pourrait trouver le sujet d’une vingtaine de drames et d’une quarantaine de tragédies, tant l’auteur fait usage de l’épisode et tant il aime à s’égarer dans des parenthèses indéfinies ! […] Chaque grande tragédie a son chœur qui environne le héros de la pièce. […] L’évêque n’a plus ni présence d’esprit, ni supériorité morale, ni sentiment de sa dignité, ni fermeté de doctrine, ni jugement, ni connaissance de l’histoire ; c’est un comparse infime, un confident de tragédie, amené là pour donner la réplique et pour provoquer, par des paroles complaisamment maladroites, les tirades révolutionnaires de son interlocuteur. […] Victor Hugo, faisant l’office du chœur de la tragédie antique, ajoute, avec une majestueuse gravité : « La réponse était dure, mais elle allait au but avec la rigidité d’une pointe d’acier.
Aucun drame ni ne commence ni ne finit : ni exposition, ni dénouement définitif : tous les débuts poursuivent la tragédie immémoriale : l’angoisse de Cébès est ancienne déjà, et cette femme qu’enterre Simon, son rôle vient de se terminer : ce sont des passions depuis longtemps ardentes qu’apportent Avare et Lambert sur la terrasse de La Ville. — D’autre part, quand s’achève L’Échange, Thomas Pollock se lève et dit simplement : La journée est finie et une autre est commencée56… Enfin c’est bien la pérennité de l’Action tragique, la perpétuité du drame universel que suggèrent les derniers mots de La Jeune Fille Violaine : L’année change, et de nouveau se levant du noir hiver, cramoisi, tout d’or, De nouveau le nouveau soleil se peint sur les fleuves chargés de glaçons57. […] Nous saisissons maintenant à quel titre l’homme est impliqué dans la tragédie universelle et quelle est la spéciale importance de son rôle. […] Je ne pense pas qu’elles lui soient nécessaires pour se soutenir ; mais son émotion est si intime, si uniquement musicale qu’elle ne saurait comment composer d’elle-même son maintien extérieur et qu’elle accepte avec joie un visage tout fait, ainsi que les acteurs des tragédies grecques, n’accordant d’importance qu’à la substance même de leurs paroles, pour les prononcer sur la scène prenaient des masques.
Et sur ce que ce sont deux imprimeurs qui ont dit ces belles choses, Mascurat, qui a voyagé, cite l’exemple des savetiers italiens dont la politique est encore plus raffinée que celle des imprimeurs de ce pays-ci : « Finalement, ajoute-t-il, pourquoi trouver étrange que nous ayons dit tant de choses en un jour, puisque nous voyons tant de tragédies nous représenter en pareil espace de temps des histoires que l’on ne jugeroit jamais, à cause d’une infinité de rencontres et d’incidents, avoir été faites dans l’espace de vingt-quatre heures… Et puis, si le Timée, le Gorgias, le Phédon et les dialogues de Republica et de Legibus de Platon, quoiqu’ils soient bien plus longs que les nôtres, ont bien été faits en un jour…, pourquoi ne voudra-t-on pas que nous ayons dit, depuis cinq heures du matin jusques à sept heures du soir, ce que, s’il étoit imprimé, il ne faudroit guère davantage de temps pour lire ?
En vain, dans ses tragédies latines, Séjan, Catilina, il s’enchaîne dans le culte des vieux modèles usés de la décadence romaine ; il a beau faire l’écolier, fabriquer des harangues de Cicéron, insérer des chœurs imités de Sénèque, déclamer à la façon de Lucain et des rhéteurs de l’empire, il atteint plus d’une fois l’accent vrai ; à travers la pédanterie, la lourdeur, l’adoration littéraire des anciens, la nature a fait éruption ; il retrouve du premier coup les crudités, les horreurs, la lubricité grandiose, la dépravation effrontée de la Rome impériale ; il manie et met en action les concupiscences et les férocités, les passions de courtisanes et de princesses, les audaces d’assassins et de grands hommes qui ont fait les Messaline, les Agrippine, les Catilina et les Tibère124.
En général, Paris a beaucoup changé. » Quand on pense que ce pauvre frileux touchant de ses doigts engourdis le clavecin vermoulu d’une antichambre pour des oreilles inattentives était le Raphaël de la musique, l’auteur futur du Mariage de Figaro et de la tragédie de Don Juan dans un même homme, les yeux se mouillent et le cœur se crispe ; de tous les déboires du génie en ce monde, le plus amer c’est l’ignorance de ses juges.
La tragédie ne suffit pas ici pour fournir les couleurs au tableau, la comédie lui en prête ; Molière, Beaumarchais, Machiavel, Tacite semblent forcés de se réunir dans ces ténébreuses journées de Bayonne pour peindre un rôle où l’intrigue, l’hypocrisie, la violence et la trahison surpassent Alexandre VI, Tartufe et César dans un même acte diplomatique.
Mais ces hommes aimaient l’esprit, aimaient le talent, ils en avaient peut-être eux-mêmes, quoiqu’il soit plus sûr encore pour leur gloire, j’imagine, de ne nous être connus comme auteurs, Pollion, de tragédies, Gallus, d’élégies, que par les louanges et les vers de Virgile.
Corneille, La Fontaine et beaucoup d’autres ont été sans elles ; et sans elles apparemment Racine aurait fait ses tragédies, et Despréaux son Art Poétique ; sans elles notre siècle a produit la Henriade, l’Esprit des Lois, Hippolyte et Aricie, et plusieurs beaux ouvrages des mêmes auteurs et de quelques autres.
Les principaux sont Muzio Gaëta, archevêque de Bari ; un prédicateur célèbre, Michelangelo, capucin ; Nicoló Concina, de l’ordre des Prêcheurs, professeur de philosophie et de droit naturel, à Padoue, qui enseignait plusieurs parties de la doctrine de Vico ; Tommaso Marin Alfani, du même ordre, qui assure avoir été comme ressuscité après une longue maladie, par la lecture d’un nouvel ouvrage de Vico ; le duc de Laurenzano, auteur d’un ouvrage sur le bon usage des passions humaines ; enfin l’abbé Antonio Conti, noble vénitien, auteur d’une tragédie de César, et qui était lié avec Leibnitz et Newton.