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777. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Préface » pp. -

L’histoire de la société polie veut, pour être traitée convenablement, une plume légère qui sème à chaque pas de sa course des traits brillants et gracieux, comme Le Petit Chien de La Fontaine qui, en secouant sa patte, en faisait tomber des diamants, des perles et des rubis.

778. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « F. Grille »

Il y a quelque part une Fée aux Miettes, une fille folle et charmante de la sagesse de Nodier… Grille n’est pas une bien grande fée des siennes, et cependant on les lit avec plaisir, et les rats de bibliothèque, les savants, les curieux les grignoteront peut-être en 2050 comme des friandises historiques, tombées de la table du xixe  siècle.

779. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Il lisait durant ce temps un peu au hasard tous les livres qui lui tombaient sous la main, et où se prenait sa curiosité déjà excitée ; elle l’était de préférence toujours dans le sens des connaissances historiques, et un instinct de critique aussi le dirigeait plutôt vers les sources. […] Oxford, comme toutes les institutions riches, sans contrôle, et livrées à elles-mêmes, était tombé peu à peu dans mille abus qu’on assure avoir été en partie corrigés ou diminués depuis. […] L’Exposition de la doctrine catholique par l’évêque de Meaux entama sa conversion, et l’Histoire des variations l’acheva : « C’était tomber, dit-il, sous les coups d’un noble adversaire. » Cette conversion solitaire et toute par les livres caractérise bien Gibbon.

780. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — II » pp. 18-34

Un petit jardin bien planté, et où il vient un peu de tout, s’étend sur le devant jusqu’à un petit ruisseau qui tombe dans la mer. […] Il arrive aussi que l’âme est pénétrée insensiblement d’une langueur qui assoupit toute la vivacité des facultés intellectuelles et l’endort dans un demi-sommeil vide de toute pensée, dans lequel néanmoins elle se sent la puissance de rêver les plus belles choses… Rien ne peut figurer plus fidèlement cet état de l’âme que le soir qui tombe en ce moment. […] Mais l’artiste, en présence de son temple idéal, ne fit que la statue du seuil ; il devait tomber dès les premiers pas.

781. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

La bonne intelligence régna sur les frontières ; le commerce ne fut point interrompu ; l’Empire demeura tranquille, et j’eus le loisir de me pourvoir abondamment de tous mes besoins. » Le grand dessein n’éclate qu’au commencement du printemps (1672) : « J’avais disposé mes projets de guerre de manière que je devais tomber en même temps sur quatre places considérables des ennemis, dans la pensée que j’avais qu’on ne pouvait faire un trop grand effort dans le commencement pour déconcerter les États-Généraux et leur abattre le courage. » Le prince de Condé, à la tête d’une armée, Louis XIV, à la tête d’une autre, débouchent de concert dans la Belgique par les Ardennes et par Charleroi, et sont rejoints au-delà de la Meuse par les troupes venues du pays de Cologne. […] Je fis passer brusquement des troupes, afin de fortifier le corps du prince de Condé ; je fis travailler diligemment à un pont de bateaux sur le Rhin, et je demeurai avec mon frère, le vicomte de Turenne, et le reste de l’armée sur les bords du Rhin, pour m’opposer au prince d’Orange, en cas que, sur l’avis du passage forcé du Rhin, il eût pris le parti de passer brusquement l’Yssel et de marcher à moi pour tomber sur l’armée à demi passée et attaquer mon arrière-garde », Vous aurez remarqué ces mots : « le passage qui fut glorieux pour la nation… » ; Louis XIV ne se donne que comme ayant été présent et reporte la gloire sur la nation même. […] Il est juste ici de tomber d’accord pour le fond avec M. 

782. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

Sans tomber dans le machiavélisme, on peut assurer que si les sauvages, qui sont fins en tout pays, s’aperçoivent d’abord et viennent à soupçonner qu’on ne fera usage de ses armes qu’à la dernière extrémité, ils en abuseront. […] Je ne peux pas dire qu’il me traite en dessous et en enfant, et qu’il ait de la défiance pour moi : au contraire ; il lui échappait l’autre jour un long discours devant moi et comme s’il parlait à lui-même sur les améliorations à introduire dans les finances et dans la justice ; il disait que je devais l’aider, que je devais être la bienfaisance du trône et le faire aimer, qu’il voulait être aimé ; mais il n’a pas énuméré ses moyens d’action, soit qu’il ne les ait pas encore combinés, soit qu’il les garde pour ses ministres ; il leur écrit beaucoup ; c’est au vrai un homme qui est tout en lui, qui a l’air d’être fort inquiet de la tâche qui lui est tombée tout à coup sur la tête, qui veut gouverner en père. […] L’idée fixe, il faut le dire, dès le lendemain des journées d’octobre et pendant toute l’année suivante et au-delà, est de fuir et de sortir des griffes où l’on est tombé.

783. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Elles portent un voile à plis flottants qui descend le long des tempes et vient encadrer le visage ; la guimpe emprisonne les épaules et le cou ; la robe tombe droite jusqu’aux sandales. […] Lorsque les lèvres de la religieuse s’entrouvrent, elles laissent passer un mot court, une sorte de note monotone, comme le bruit d’une goutte d’eau qui tomberait à intervalles réguliers des parois de quelque grotte humide dans cette flaque qui n’a jamais réfléchi la lumière. » Je ne sais si l’habitude que nous autres catholiques avons des couvents m’abuse, mais il me semble qu’il y a dans cette peinture minutieuse, étonnée et un peu effrayée, de l’émerveillement naïf et un peu d’exagération. […] Les eaux sont glacées, de sorte que ce qui y tombe y meurt presque aussitôt.

784. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Le vrai crime de Mirbeau, c’est de consentir à la cage étroite et de se condamner, pour faire tomber les gros sous, à des tours de souplesse, lui qui est vigoureux et a besoin d’espace. […] Son érudition pillarde fait de plus lointaines excursions dans le passé et en rapporte de précieuses épaves légitimement recueillies puisqu’elles viennent de livres « tombés dans le domaine public ». […] Mais l’architecte, qui aime la solidité et qui voit à chaque instant que ça tombe à droite ou que ça croule à gauche, apporte inlassable d’autres aiguilles, multiplie indéfiniment contreforts ridicules et lignes lucratives.

785. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Elle va tomber, s’il l’abandonne. […] Cela peut courir, s’éparpiller, se répandre ; mais il se fait, dans le milieu où elles tombent, je ne sais quel travail de balayage naturel qui rejette incessamment à la voirie ces chiffons malsains. […] A l’accent de ses plaintes et de ses reproches, Maxime reconnaît son père, il tombe dans ses bras… Ce mouvement imprévu a transporté et remué la salle.

786. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Les édifices que l’on bâtit tombent en ruine par l’effet de la pluie et de l’ardeur du soleil ; mais j’ai élevé, dans mon poème, un édifice immense auquel la pluie et le vent ne peuvent nuire. […] Dans les premiers instants, le chef religieux de la ville refusa de lire les prières d’usage sur sa tombe, sous prétexte de cet ancien soupçon d’hérésie, et par crainte sans doute de déplaire au sultan. […] Mais, comme pour le Tasse, ce tardif hommage arriva trop tard pour Ferdousi et ne rencontra qu’une tombe.

787. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

On se demande, en lisant ces passages, de quel droit un homme vivant hier, et qui n’aurait pas ainsi parlé en face, s’est cru le droit de décocher ces traits sanglants aujourd’hui, uniquement parce qu’il s’est abrité derrière la tombe ? […] Le masque est en partie tombé ; mais l’auteur, à chaque moment, le reprend et se le rajuste sur le visage, et, tout en le reprenant, il s’en moque et veut faire comme s’il ne le mettait pas. […] J’ai pensé me casser le cou en voulant grimper sur une montagne… » Maintenant lisez dans les Mémoires le passage où il raconte ce pèlerinage à la fontaine : Pétrarque et Laure en ont tous les honneurs ; ce ne sont que citations de Pétrarque et hymnes à l’amant de Laure : « On entendait dans le lointain les sons du luth de Pétrarque ; une canzone solitaire, échappée de la tombe, continuait à charmer Vaucluse d’une immortelle mélancolie… » Le crime n’est pas bien grand, mais c’est ainsi que la littérature se met en lieu et place de la vérité première.

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