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241. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Fromentin en analyse finement les progrès : « L’absence, dit-il, a des effets singuliers… L’absence unit et désunit, elle rapproche aussi bien qu’elle divise, elle fait se souvenir, elle fait oublier ; elle relâche certains liens très solides, elle les tend et les éprouve au point de les briser ; il y a des liaisons soi-disant indestructibles dans lesquelles elle fait d’irrémédiables avaries ; elle accumule des mondes d’indifférence sur des promesses de souvenirs éternels. […] Il aimait à courir la campagne, moins encore pour tendre les pièges aux oiseaux, que pour prêter l’oreille à la nature, qui déjà lui murmurait je ne sais quoi de secret, et pour converser avec l’esprit voilé de ces verts et doux paysages. […] » — « Mais je lui tendis, sans répondre, la page que je venais d’écrire. » II. […] Sa voix, toujours caressante et timbrée pour l’expression des mots tendres, avait acquis je ne sais quelle plénitude nouvelle… Elle marchait mieux, d’une façon plus libre… » Par cette manière d’entendre le portrait, comme par la façon dont il traite le paysage, M. 

242. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN DERNIER MOT sur BENJAMIN CONSTANT. » pp. 275-299

Hier encore, un estimable journal, du très-petit nombre de ceux dont les jugements comptent, le Semeur 86, tout ému de charmantes lettres d’amour écrites en 1814 par Benjamin Constant, et dont M.de Loménie a publié des extraits, semblait en conclure que nous avions perdu notre cause, comme si nous nous étions mêlé de cette délicate matière, et comme si nous avions rien dit qui pût faire injure à ces tendres billets. […] On m’assure que le xviiie  siècle était coutumier de ces sortes de propos dans les correspondances familières, même entre hommes et femme s ; ainsi je trouve un de ces mots un peu gros dans une lettre que l’aimable et tendre chevalier d’Aydie (l’amant de Mlle Aïssé) écrivait à Mme Du Deffand. […] Pendant que je me moque d’elle avec vous, je lui écris, de temps en temps, par honnêteté, de tendres ou pompeux galimatias, et, si quelqu’un comparait mes lettres à elle avec mes lettres sur elle, on me regarderait avec raison comme un fou méchant et faux. […] Ce singulier fragment nous apprend bien des choses, et d’abord qu’il ne faudrait pas absolument se fier aux lettres d’amour qu’il écrivait, pour y trouver l’expression toute vraie de sa pensée ; car enfin ce qu’il appelle ici du tendre galimatias pourrait bien, si on le retrouvait sans comme ntaire, paraître tout simplement de la tendresse exaltée.

243. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

Quand l’émotion, au contraire, est extrême, exaltée, infinie sur les fibres sensitives de l’instrument humain, quand l’imagination de l’homme se tend et vibre en lui jusqu’à l’enthousiasme et presque jusqu’au délire, quand la passion imaginaire l’exalte, quand l’image du beau dans la nature ou dans la pensée le fascine, quand l’amour, la plus mélodieuse des passions en nous parce qu’elle est la plus rêveuse, lui fait imaginer, peindre, invoquer, adorer, regretter, pleurer ce qu’il aime ; quand la piété l’enlève à ses sens et lui fait entrevoir, à travers le lointain des cieux, la beauté suprême, l’amour infini, la source et la fin de son âme, Dieu ! […] Or, soit que les fils fussent moins tendus, soit qu’ils fussent d’une nature plus élastique et plus plaintive, soit que le vent soufflât plus doux et plus fort dans l’une des petites harpes que dans l’autre, nous trouvâmes que les esprits de l’air chantaient plus tristement et plus harmonieusement dans les cheveux blancs que dans les cheveux blonds d’enfant ; et, depuis ce jour, nous importunions souvent notre tante pour qu’elle laissât dépouiller par nos mains son beau front. […] Quand, jeune et déjà mère, autour de mon foyer, J’assemblais tous les biens que le ciel nous prodigue, Qu’à ma porte un figuier laissait tomber sa figue Aux mains de mes garçons qui le faisaient ployer, Une voix s’élevait de mon sein, tendre et vague. […] L’esprit, la pénétration brillaient en lui de toutes parts jusque dans ses violences ; ses reparties étonnaient, ses réponses tendaient toujours au juste et au profond ; il se jouait des connaissances les plus abstraites ; l’étendue et la vivacité de son esprit étaient prodigieuses et l’empêchaient de se fixer sur une seule chose à la fois.

244. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre I. La littérature sous Henri IV »

La littérature où la raison tend à dominer, s’oriente vers l’universel : elle reconnaît pour son objet ce dont chacun trouve en soi, la vérité et l’usage ; rien ne lui sera plus propre que la vie humaine, que les faits moraux, les forces et les freins que met en jeu dans Taine l’existence de chaque jour. Le technique tend donc à être rejeté hors de la littérature, qui aura pour objets principaux la peinture des mœurs et la règle des mœurs ; l’une appartiendra surtout à la poésie, et, par l’autre, la philosophie et la théologie resteront des genres littéraires. […] Le tendre François de Sales, sous l’aménité fleurie de ses discours, arme la volonté, et lui donne tout, pour lui tout demander. […] L’esprit qui tendait à prévaloir abolissait le sens historique par l’attention exclusive qu’il donnait à la commune et immuable essence de l’humanité.

245. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Diderot. (Étude sur Diderot, par M. Bersot, 1851. — Œuvres choisies de Diderot, avec Notice, par M. Génin, 1847.) » pp. 293-313

Les dernières études qu’on a faites sur Diderot ont cela de commun qu’elles tendent à le mettre à sa place avec justice, sans colère et sans trop de zèle. […] Il a remarqué que, dans son pays de Langres, les vicissitudes de l’atmosphère sont telles, qu’on passe en vingt-quatre heures du froid au chaud ; du calme à l’orage, du serein au pluvieux, et qu’il est difficile que cette mobilité du climat n’aille pas jusqu’aux âmes : Elles s’accoutument ainsi, dès la plus tendre enfance, dit-il, à tourner à tout vent. […] J’avais en une journée cent physionomies diverses, selon la chose dont j’étais affecté : j’étais serein, triste, rêveur, tendre, violent, passionné, enthousiaste ; mais je ne fus jamais tel que vous me voyez là… » Et il ajoute, car il nous importe dès l’abord de le bien voir : « J’avais un grand front, des yeux très vifs, d’assez grands traits, la tête tout à fait d’un ancien orateur, une bonhomie qui touchait de bien près à la bêtise, à la rusticité des anciens temps. » Représentons-nous donc Diderot tel qu’il était en effet, selon le témoignage unanime de tous ses contemporains, et non tel que l’ont fait les artistes ses amis, Michel Van Loo et Greuze, qui l’ont plus ou moins manqué, à ce point que la gravure d’après ce dernier le faisait ressembler à Marmontel : « Son front large, découvert et mollement arrondi, portait, nous dit Meister, l’empreinte imposante d’un esprit vaste, lumineux et fécond. » On ajoute que Lavater crut y reconnaître des traces d’un caractère timide, peu entreprenant ; et il y a lieu de remarquer en effet qu’avec l’esprit hardi, Diderot avait le ressort de conduite et d’action un peu faible. […] Cette attitude était tout le contraire de celle de Diderot, qu’on se représente la tête en avant, les bras tendus, la poitrine ouverte, toujours prêt à être hors de lui et a vous embrasser, pour peu que vous lui plaisiez, à la première rencontre.

246. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

Rien de plus aimable et de plus intéressant que sa figure ; rien de plus tendre et de plus chaste que les sentiments qu’elle inspirait. […] L’épisode de la princesse Czartoryska, de cette intéressante femme dont il a dit : « Rien n’était perdu avec une âme si tendre, on ne pouvait être plus aimable à aimer » ; cet épisode serait touchant s’il était le dernier, et s’il couronnait une vie de légèreté et d’erreurs par un sentiment fidèle et sincère. […] Les Mémoires de Lauzun en cet endroit, surtout si on les complète par les exemplaires manuscrits qui contiennent quelques détails de plus, tendent à montrer qu’il n’eût tenu qu’à lui, à un certain jour, d’abuser de la tendre préférence que lui témoignait la reine : « Je fus tenté, dit-il, de jouir du bonheur qui paraissait s’offrir.

247. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Ce duel changea la situation de Grimm à l’égard de Mme d’Épinay : bon gré, mal gré, il était devenu son chevalier ; il en résulta pour elle un tendre embarras, qui laissa voir presque aussitôt une intime reconnaissance. […] retournez toutes ces propositions si vous voulez lui plaire : ne vous occupez guère de lui, mais ayez l’air de vous en occuper beaucoup ; parlez de lui sans cesse aux autres, même en sa présence, et ne soyez point la dupe de l’humeur qu’il vous en marquera. » Il ajoutait avec raison et ne cessait de redire que, déjà atteint de manie secrète, cette solitude absolue de l’Ermitage achèverait d’échauffer son cerveau et d’égarer son idée : et vers la fin de ce séjour, au moment où les soupçons et les extravagances de Rousseau commençaient à éclater : « Je ne saurais trop le dire, ma tendre amie, écrivait Grimm, le moindre de tous les maux eût été de le laisser partir pour sa patrie il y a deux ans, au lieu de le séquestrer à l’Ermitage. […] À peine il l’a quittée, il lui écrit de Metz ces tendres et presque féminines paroles : « Qu’il me tarde d’apprendre de vos nouvelles ! […] Grimm (disons-le à son honneur) n’était pas aussi insensible qu’on le supposerait à ce désaccord entre les mœurs et les préceptes, et il en souffrait : Une des choses, ma tendre amie, écrivait-il, qui vous rendent le plus chère à mes yeux, est la sévérité et la circonspection sur vous-même que vous avez surtout en présence de vos enfants… Les enfants sont bien pénétrants !

248. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Ils sont donc le terme vers lequel l’être tend ou aspire, et l’objet d’une tendance ou aspiration est ce que nous appelons un bien. La plante tend à végéter : donc la végétation est un bien pour elle, Cet animal aspire à se mouvoir : donc pour lui le mouvement est un bien. […] Les faits dominants qui composent la vie d’un être sont sa destinée ; donc il y a en lui des forces capables de les produire : donc il y tend et ils composent son bien. — Nous ne sommes pas sûrs qu’il les produise ; car, à titre de faits, ils sont précaires et dépendent des circonstances extérieures ; donc, étant donné un être, il n’est pas certain qu’il atteigne sa destinée. — Il aspire à l’atteindre, quoique souvent il ne parvienne pas à l’atteindre ; donc ils sont un bien, et dès cette vie il a raison d’y aspirer. […] On peut donc dire que la plante tend à se nourrir, et que la nutrition n’est point pour elle un moyen, mais une fin.

249. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat. (suite et fin) »

Jamais Bossuet n’a été plus tendre, plus persuasif, plus invitant à entrer, jamais plus facile et plus large dans l’explication d’une parole qui est un scandale pour la nature, jamais d’une expansion plus charitable, ni d’une plus belle et plus désirable catholicité de doctrine. […] Ce discours était très tendre et très édifiant, et M. de Meaux l’a prononcé avec toutes ses grâces, et aussi avec une voix nette, forte, sans tousser ni cracher d’un bout à l’autre du sermon : en sorte qu’on l’a très aisément entendu jusqu’aux portes de l’église, chacun se réjouissant de lui voir reprendre sa première vigueur.

250. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

On dirait en effet, après ce qui s’est passé dans les rues de Paris pendant trois jours, qu’il n’y a plus qu’à accorder le moins de nouvelle liberté possible ; car chaque part de liberté nouvelle devant augmenter l’appétit démocratique, nous serions bientôt en proie au parti populaire ; la chambre des députés, qui se trouve précisément dans le cas de la Constituante, serait vite dépassée par une Législative ; et Dieu sait ce qu’il adviendrait alors ; il n’y aurait plus qu’à se voiler la tête et à tendre le cou comme les Girondins, à moins d’oser être Montagnard : Di meliora piis ! […] En 89, tout était à détruire, clergé d’État, noblesse à privilèges, monarchie prodigue et dévorante, parlements usurpateurs et stationnaires ; le tiers état, accablé d’humiliations et de charges, se ressaisissait de ses droits ; une philosophie hostile battait en brèche la religion ; une politique absolue, éprise de certaines formes, tendait à se réaliser dans les lois.

251. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Prosper Mérimée. »

Il nous dit, se peignant sous le nom de Saint-Clair : « Il était né avec un cœur tendre et aimant ; mais, à un âge où l’on prend trop facilement des impressions qui durent toute la vie, sa sensibilité trop expansive lui avait attiré les railleries de ses camarades. […] Il put celer aux autres les émotions de son âme trop tendre ; mais, les renfermant en lui-même, il se les rendit cent fois plus cruelles.

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