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699. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

Quant aux femmes je ne dis pas qu’elles aient dû et qu’elles puissent inspirer des têtes de Vierges, comme on pourrait en trouer en d’autres pays ; elles sont trop brunes, le regard trop brillant pour cela ; mais elles ont une fermeté d’expression, une démarche si distinguée, une taille si souple, qu’il devait suffire de comprendre la nature dans ce qu’elle a d’élevé pour la traduire en peinture, de manière à laisser dans la pensée du regard quelque chose de noble et de généreux. […] Mais il nous suffit d’indiquer, sans la forcer, cette nuance dernière. […] Pas trop de poètes on de peintres métaphysiques, je t’en conjure ; pas trop de messieurs de l’Empyrée, ni d’abstracteurs de quintessence : deux ou trois, par génération, suffisent ; mets-les à part et en haut lieu pour la rareté et pour la montre, garde-les pour tes grands dimanches ; mais, les jours ouvrables, sois heureuse encore et contente de retrouver de tes favoris et de tes semblables, de ces talents ou de ces génies faciles, qui, de tout temps, t’ont défrayée et charmée, qui te parlent ton langage et t’y entretiennent, qui te font passer tes plus agréables heures, et non pas les moins salutaires, en t’offrant à toi-même en spectacle sous tes mille aspects vivants, avec tes qualités et défauts divers : crânerie, héroïsme, gaieté, sentiment, humeur légère, audace brillante, coup d’œil net et bon sens pratique37.

700. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Diderot »

Sans nous prononcer entre ces deux compagnes de grands hommes, il paraît en effet que, bonne femme au fond, madame Diderot était d’un caractère tracassier, d’un esprit commun, d’une éducation vulgaire, incapable de comprendre son mari et de suffire à ses affections. […] Diderot dit que c’était une des plus puissantes affections de l’homme : « Un cœur paternel, repris-je ; non, il n’y a que ceux qui ont été pères qui sachent ce que c’est ; c’est un secret heureusement ignoré, même des enfants. » Puis continuant, j’ajoutai : « Les premières années que je passai à Paris avaient été fort peu réglées ; ma conduite suffisait de reste pour irriter mon père, sans qu’il fût besoin de la lui exagérer. […] Il nous suffira de dire que son matérialisme n’est pas un mécanisme géométrique et aride, mais un vitalisme confus, fécond et puissant, une fermentation spontanée, incessante, évolutive, où, jusque dans le moindre atome, la sensibilité latente ou dégagée subsiste toujours présente.

701. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Mais prenons garde : si mon article est trop bien composé et conçu, s’il met le lecteur au fait, s’il le dispense de recourir aux comptes rendus officiels, si, en un mot, cet article net et lucide se suffit à lui-même comme il est de règle en bonne littérature politique, en bonne rhétorique du genre, je suis en faute, en contravention, et me voilà condamné ipso facto. […] Eh bien, messieurs, il est à craindre qu’il n’en soit rien, car la nouvelle loi, si hérissée, est des moins engageantes ; on trouvera encore et toujours des plumes pour braver la police correctionnelle et la prison ; mais les gros capitaux disposés à suffire à toute une échelle progressive d’amendes, on ne les trouvera plus. […] Les lois précédentes concernant la diffamation suffisaient amplement ; ce luxe de législation en telle matière, s’il est permis de parler ainsi d’une disposition non encore promulguée, prête lui-même et à bon droit au ridicule.

702. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre III »

Enfermée d’abord dans le réservoir aristocratique, la doctrine a filtré par tous les interstices comme une eau glissante, et se répand insensiblement dans tout l’étage inférieur  Déjà en 1727, Barbier, qui est un bourgeois de l’ancienne roche et ne connaît guère que de nom la philosophie et les philosophes, écrit dans son journal : « On retranche à cent pauvres familles des rentes viagères qui les faisaient subsister, acquises avec des effets dont le roi était débiteur et dont le fonds est éteint ; on donne cinquante-six mille livres de pension à des gens qui ont été dans les grands postes où ils ont amassé des biens considérables, toujours aux dépens du peuple, et cela pour se reposer et ne rien faire578 »  Une à une, les idées de réforme pénètrent dans son cabinet d’avocat consultant ; il a suffi de la conversation pour les propager, et le gros sens commun n’a pas besoin de philosophie pour les admettre. « La taxe des impositions sur les biens, dit-il en 1750, doit être proportionnelle et répartie également sur tous les sujets du roi et membres de l’État, à proportion des biens que chacun possède réellement dans le royaume ; en Angleterre, les terres de la noblesse, du clergé et du Tiers-état payent également sans distinction ; rien n’est plus juste. » — Dans les dix années qui suivent, le flot grossit ; on parle en mal du gouvernement dans les cafés, aux promenades, et la police n’ose arrêter les frondeurs, « parce qu’il faudrait arrêter tout le monde ». […] Cela suffit ; le duc a beau « pousser les attentions jusqu’à la recherche », Beugnot, si pliant, n’a nulle envie de revenir  On leur garde rancune, non seulement des saluts trop courts qu’ils font, mais encore des révérences trop grandes qu’on leur fait. […] À cela la logique de l’Ecole suffit, et la rhétorique du collège fournira les tirades  Dans ce grand vide des intelligences, les mots indéfinis de liberté, d’égalité, de souveraineté du peuple, les phrases ardentes de Rousseau et de ses successeurs, tous les nouveaux axiomes flambent comme des charbons allumés, et dégagent une fumée chaude, une vapeur enivrante.

703. (1824) Observations sur la tragédie romantique pp. 5-40

Le dénouement de la première n’est point ajourné à la seconde, ou à la troisième ; et celle-ci se suffit à elle-même, sans qu’on ait besoin pour la comprendre, d’avoir vu les deux précédentes. […] De savoir si cette modification est heureuse, c’est une autre question que je n’examine pas ; il me suffit de montrer que le système romantique laisse encore tant de liberté aux poètes. […] « Shakespeare, malgré toutes ses qualités, a cependant de nombreux défauts, et des défauts qui suffisent pour effacer tout autre mérite. » 4.

704. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

Nous retrouvons là le chef de groupe, grandi dans un cénacle, avec le clou d’une idée fixe enfoncé dans le crâne… Le grand défaut de Justice est d’être une création en l’air, tout comme s’il s’agissait d’un poème… À quoi bon une thèse lorsque la vie suffit ? […] … Cette longue scène, mouvementée, émouvante, pleine de surprises et de péripéties qui se passent dans la pensée et n’en sont que plus réelles (car rien de matériel n’est vrai), est une élégie tragique de la plus grande beauté, écrite d’un style précis dans l’idéal et dans le raffinement, et qui, à elle seule, accueillie comme elle l’a été par mille bravos enthousiastes, eût suffi à établir la réputation d’un écrivain. […] Il suffira d’un jour pour qu’elle Attire une longue séquelle Chez Charpentier et chez Fasquelle.

705. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre premier »

Mais ce sera pour en garder le lecteur, et pour le détourner de donner aux vains écrits marqués de ces caractères, un temps que l’époque où nous vivons nous compte d’une main avare, et qui suffit à peine à nous pourvoir de l’indispensable. […] Il suffit de considérer à quelles conditions, en France, on est écrivain, pour se convaincre que c’est une langue toute d’appropriation et de communication. […] Faut-il parler de la défiance que doit avoir l’écrivain de cette demi-clarté trompeuse, qui peut lui suffire, mais qui laisse le lecteur dans les ténèbres ?

706. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

Evenepoel que le lieu de naissance ne suffit pas à fixer la nationalité. […] Il suffit de dire aux Français que c’est de l’alexandrin élevé à la troisième puissance. […] Cela suffit de reste à la récompense de ce chevalier.

707. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

Le motif de la Chevauchée me suffit pour me représenter la Chevauchée. […] Servières, « au moment où commençait dans les concerts la vogue de Richard Wagner auprès du grand public, c’est-à-dire au moment où le triomphe des œuvres du maître aurait dû suffire à sa gloire, et où semblait se clore l’ère des vaines polémiques quelques partisans de Wagner se sont dits : « Maintenant que l’œuvre de Wagner a triomphé, il serait peut-être temps d’essayer de la comprendre. […] Tout est factice et faux, et l’appareil théâtral suffit à rendre fausses les vérités les plus saisissables.

708. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Mais ces qualités, quelque éminentes qu'elles soient, suffisent-elles pour l'élever à la hauteur du Poëme épique ? […] Quant à ses Odes, il suffit de les lire, & l'on n'aura pas de peine à deviner la cause de son acharnement contre le grand Rousseau & M. […] Il suffit de dire que les fautes, les erreurs, les bévues, s’y entrechoquent à chaque page, & que l’Ecrivain y répete, répete, répete sans cesse les mensonges qu’il avoit déjà répétés en mille endroits.

709. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

« Lorsqu’une idée, dit à son tour Maudsley, devient de nouveau active, c’est simplement que le même courant nerveux se reproduit, avec la conscience que ce n’est qu’une reproduction : c’est la même idée, plus la conscience qu’elle est la même. » Mais cette conscience est précisément ce qu’il y a de moins « simple » à expliquer, et elle ne saurait se confondre avec la reproduction pure : il ne suffit pas, comme fait Spencer, de déclarer les deux choses identiques pour se tirer d’embarras. […] S’il fallait en croire Spencer, il suffirait d’ajouter la régularité dans le changement même : « La conscience, dit-il, est une succession régulière de changements. » — Non, répondrons-nous, ce n’est pas encore assez. […] Il ne suffit pas de mouvoir un kaléidoscope pour produire la conscience du mouvement et du changement, même si ses dessins reviennent à intervalles réguliers.

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