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2311. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Mais peut-être faut-il accepter cette vieille loi du genre qui nous vient de l’antiquité, car La Fontaine n’inventait pas ces sociétés bizarres et ces invraisemblances au point de vue de l’histoire naturelle.

2312. (1903) Propos de théâtre. Première série

Le jour où les hommes, jusqu’à présent toujours partagés entre le sentiment de leur servitude et le sentiment, également fort, de leur liberté, en viendraient à n’avoir plus la conscience, l’illusion, si vous voulez, de leur libre arbitre, je crois bien qu’il n’y aurait plus guère de littérature, je crois bien qu’il n’y aurait plus guère de société, je crois bien qu’il n’y aurait plus guère de vie humaine, je crois bien qu’il n’y aurait plus rien du tout ; mais, sans aller si loin dans les hypothèses, je crois surtout qu’il n’y aurait plus guère de théâtre un peu élevé et un peu intéressant. […] Mais celles-ci n’étaient pas commodes à trouver, et il ne fallait rien moins qu’une profonde connaissance, et dans tout le détail, de la société attique pour les découvrir et pour les établir avec une solidité irréfutable. […] Pour remplir ce dessein, c’était plus qu’un salon, comme dans Le Misanthrope, qu’il fallait peindre, c’était d’abord une famille, comme dans Le Tartuffe ; car l’éducation, comme la religion, est une force qui agit principalement par la famille, et dans la famille, et qui forme, transforme ou déforme la famille selon la manière dont elle est comprise ; c’était ensuite presque la société tout entière ; car c’est une force sociale que l’éducation, comme la religion, et c’est selon les manières différentes dont on la comprend ici ou là que les groupes sociaux se répartissent et se distinguent. […] Deux personnages pour représenter le monde des auteurs ; — trois pour représenter les ridicules divers des femmes qui se mêlent de questions qui leur sont étrangères ; — un pour représenter l’excès du bon sens bourgeois poussé à l’injustice par le spectacle du pédantisme et l’horreur que ce spectacle lui inspire ; — un pour représenter le bon sens populaire en sa naïveté un peu rude, — un pour représenter le bon sens et la raison ferme chez la femme comme il faut ; — un pour représenter l’homme du monde et un peu l’homme de cour, d’esprit sain, de raison ferme, d’instruction seulement suffisante. — Toute la société du temps en ses rapports avec les choses de lettres, de science et d’érudition, est dans Les Femmes savantes, comme toute la société du temps en ses rapports avec les choses de religion est dans Tartuffe, comme toute la société du temps prise au point de vue des relations mondaines est dans Le Misanthrope. […] Il est né avec la « société polie », et il a vécu avec elle et de sa vie, comme un parasite.

2313. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Le Tartuffe, réduit en trois actes, par un obscur imitateur, sous le titre de Il don Pilona, faisait les délices de la société italienne. […] C’est un curé de paroisse qui parle ; les auditeurs ne s’en émeuvent pas ; ce serait un journaliste qui aurait écrit précisément les mêmes choses, les lecteurs croiraient la société menacée, et le procureur de la République se mettrait en campagne. […] L’adultère dans notre société moderne est devenu une affaire très sérieuse, ou du moins le monde comme il faut prétend n’en voir jamais que le côté sérieux. […] Mais ce n’est point de cette façon que la société l’entend. […] Il y avait dans la bonne société d’alors un habitus corporis et animi fait de légèreté insoucieuse dans le sentiment, de grâce spirituelle et brillante dans l’expression, qui était comme la forme générale, la superficie de cette société.

2314. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Il ne voulut plus rester dans la maison de sa tante, où, d’héritier présomptif, il devenait tout à coup parasite, — ni même à Saint-Pétersbourg, où l’accès de la société dans laquelle il avait été élevé lui fut tout à coup interdit. […] On fit aussitôt cercle autour de Lavretzky ; Lénotchka, en qualité d’ancienne connaissance, se nomma la première ; elle assura que, quelques moments encore, et elle l’aurait parfaitement reconnu ; puis elle lui présenta le reste de la société, appelant chacun, son fiancé lui-même, par son prénom.

2315. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Il se peut que dans le temps, où du consentement de la mode, on pouvait se glorifier d’une triste impuissance, et même de penchants sataniques ; que quelques jeunes esprits plus stériles qu’ils ne le croyaient eux-mêmes, aient admiré dans Rolla un idéal auquel ils se flattaient de ressembler ; mais cette mode a passé comme un nuage ; le bon sens reparu place sous le jour le plus défavorable un personnage aussi peu intéressant qu’il est présomptueux, et le lecteur s’irrite de ne jamais voir disparaître des œuvres du poète, un fainéant orgueilleux qui, le blasphème à la bouche et le dédain à l’œil, injurie la société tout entière pour lui avoir refusé des honneurs et des richesses qu’il n’a pas eu le courage de vouloir acquérir. […] Nous ne serons pas d’une pruderie farouche quant au sujet de ce livre, si nous nous permettons d’avancer que la bonne humeur de l’écrivain y dégénère trop souvent en imagination fort déréglée, et que, pour peu que l’esprit du lecteur ait de la délicatesse, il ne revient pas plus satisfait du contact de Mlle de Maupin que de la société de ces Jeunes France qui, suivant une expression pratiquée par leur auteur, n’ont pas de plus grande jouissance que de se griser abominablement .

2316. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

On ne doit pas, comme un Blanqui, se rendre esclave des idées au point de s’ensevelir vivant dans la vanité du sacrifice perpétuel, mais il est bon d’avoir eu l’occasion de témoigner quelque mépris aux lois, à la société, au troupeau des citoyens ; si d’une vaine lutte on emporte quelque blessure, la cicatrice est belle. […] Tout organisme, dès qu’il est né, tend vers sa réalisation ; les organismes conditionnés par la société ne peuvent se réaliser que selon le plan social ; alors vivre c’est créer de la richesse ; le mot est inéluctable. […] Dans les sociétés égoïstes et avachies, nul commerce ne rapporte davantage que celui de la pitié, et la traite des Pauvres demande moins de capitaux et fait courir moins de dangers que la traite des nègres.

2317. (1911) Nos directions

Définir jusqu’à quel point et de quelle manière l’écrivain a partie liée avec l’histoire et avec le mouvement de la société ; imposer, au fond, une idée de la littérature, de sa fonction, et des devoirs de l’écrivain. […] Il eût pu peindre à fresque une harmonieuse, épique et rude société ; il préféra faussement illustrer une théorie. — Qu’y gagna l’Art ? […] Le deuxième acte nous montrait alors les deux amants réfugiés dans le Rouergue, exclus de la société, rêvant de se recréer, par l’effort, une libre vie sociale : idée qui pouvait s’exprimer avec simplicité et passion. […] En dépit d’une parfaite précision, il est multiple : mais tout en lui concourt au même but, et en cela réside sa profonde richesse. — D’une part, un couvent, image de la société, où luttent les forces héréditaires et les instincts nouveaux : du mysticisme ou de la science, lequel l’emportera ?

2318. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

La privation de ses livres, laissés à Ferrare, de ses manuscrits, du bruit de sa renommée qui s’amortissait dans la solitude à Sorrente ; la monotonie de la maison rustique de sa sœur ; la société douce, mais stérile, de ses deux neveux, dont l’enfance ne s’élevait pas assez haut pour lui dans la sphère de la poésie et de la philosophie qu’il habitait à la cour de Ferrare ; peut-être même l’absence de ces agitations de l’esprit qui fatiguent la vie, mais qui l’occupent, ne tardèrent pas à lui faire désirer un autre séjour.

2319. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hugo, Victor (1802-1885) »

Hugo ne dit pas quand… Ce que nous avons dit à l’occasion d’Hernani s’appliquera à beaucoup de productions du même genre, et nous n’aurons plus à revenir sur la question principale : la liberté dans l’art réclamée au même titre que la liberté dans la société.

2320. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Enfin, les partisans du drame bourgeois, qui tire son tragique du même fonds d’où la comédie tire son ridicule, c’est-à-dire de la société et des mœurs du temps, pourraient en trouver la première théorie dans Corneille, tant ce grand homme avait approfondi la matière du poème dramatique.

2321. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Dans la haute société, la mode est à Wagner ; pour les musiciens, la connaissance minutieuse de Wagner est un minimum : qui ne peut à l’occasion faire du Wagner ne sait pas son métier ; les littérateurs parlent de Wagner, le citent, s’en inquiètent ; les peintres et les sculpteurs savent qu’il existe.

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