Pour moi, je ne sens point chez Mme de Rémusat l’âme étroite et mesquine qu’on lui prête ; je suis fort tenté de croire à la parfaite liberté de son jugement comme à la sincérité de son récit ; et je ne pense point faire preuve, en cela, de tant de naïveté. […] Alors il redouble ses investigations ; il cherche un endroit où puisse s’appliquer son microscope ; il trouve une explication qui rabaisse, à la portée de sa vue, la grandeur dont l’aspect l’avait d’abord offusqué, etc. » Rien de plus faux, à mon sens, que ce jugement. […] Dès lors, le poète ne pouvait faire que ce qu’il a fait ; il n’avait d’autre ressource que de nous peindre les plaisirs des sens, et, parmi ces plaisirs, ceux qui sont le plus universellement connus et recherchés. […] Il fallait tout au moins, pour nous donner vraiment l’impression du bonheur, réunir comme en un faisceau tous les plaisirs des sens : M. […] Faustus, après le parfait contentement de ses sens, a la joie plus haute de connaître la vérité.
Quelques-uns disent qu’il y avait une phrase qu’on n’a pas imprimée : « Je viens apporter ici non plus des espérances, mais des regrets », quelque chose dans ce sens ; dans tous les cas, le roi l’a compris ainsi, et a eu un moment d’humeur. Mais voilà que le lendemain à la Chambre des pairs (2 mai), M. de Montalivet est venu parler contre la philosophie et dans un sens qui pouvait sembler favorable au clergé.
M. de Talleyrand n’avait peut-être à son avantage de plus que Retz, qu’un grand sens, une vue plus juste des situations. […] Sainte-Beuve disait lui-même qu’on ne peut encore aujourd’hui, et tant que les Mémoires de M. de Talleyrand n’auront pas été publiés, écrire un travail complet sur celui qui résume le mieux en lui, dans les temps modernes, tous les sens du mot grec Ὑποκριτής.
« … La comtesse d’Albany n’est pas seulement en Angleterre, à Londres, mais en ce moment même, je pense, au palais de Saint-James, — non pas restaurée par une aussi rapide révolution que la française, mais, comme on le remarquait hier soir à souper chez lady Mount-Edgecumbe’s, par suite de ce sens dessus dessous universel qui caractérise l’époque présente. […] J’aurais voulu voir le biographe de Mme d’Albany faire dans un sens ce que j’ai fait dans un autre, quand j’avais l’honneur d’être le biographe de Mme de Staël. […] Vous qui avez perdu une femme adorée, vous pouvez concevoir ce que je sens. […] Mme d’Albany, à son arrivée, fut reçue par l’Empereur qui lui dit : « Je sais quelle est votre influence sur la société florentine, je sais aussi que vous vous en servez dans un sens opposé à ma politique ; vous êtes un obstacle à mes projets de fusion entre les Toscans et les Français. […] Elle avait des maximes pleines de sens : « Il y a un âge où il faut se contenter du bien sans chercher le mieux. » — « Le bonheur est comme chacun l’entend, il est relatif. » — « La santé et les affaires d’intérêt sont les deux bases du bonheur, il faut les soigner et les ménager. » Chez elle la passion était usée et éteinte il y avait beau jour.
L’esprit littéraire, dans sa vivacité et sa grâce, consiste à savoir s’intéresser à ce qui plaît dans une délicate lecture, à ce qui est d’ailleurs inutile en soi et qui ne sert à rien dans le sens vulgaire, à ce qui ne passionne pas pour un but prochain et positif, à ce qui n’est que l’ornement, la fleur, la superfluité immortelle et légère de la société et de la vie. L’amour des Lettres, aux âges de belle culture, suppose loisir, curiosité et désintéressement ; il suppose aussi une latitude de goût et même de caprice, une liberté d’aller en tous sens. […] Sa mère était une personne supérieure que Sismondi plus tard n’hésitera pas à comparer à Mme de Staël, non pour le génie et le brillant de l’esprit ; Mme de Staël l’emportait par ces côtés : « Mais ma mère, dira-t-il dans la conviction et l’orgueil de sa tendresse, ne le cède en rien ni pour la délicatesse, ni pour la sensibilité, ni pour l’imagination ; elle l’emporte de beaucoup pour la justesse et pour une sûreté de principes, pour une pureté d’âme qui a un charme infini dans un âge avancé. » Cette mère, femme d’un haut mérite et d’un grand sens, dominera toujours son fils, influera sur lui par ses conseils, le dirigera même à l’entrée de la carrière littéraire et, le détournant tant qu’elle le pourra des discussions théoriques pour lesquelles il avait du goût, le poussera vers les régions plus sûres et plus abritées de l’histoire7. […] Elle lui dit : « Qu’elle avait écrit, il est vrai, qu’il fallait se roidir contre l’opinion publique, mais non pas contre celle de ses parents ; que, d’après ce qu’on lui avait raconté, la demoiselle qu’il recherchait n’ajouterait par sa famille aucun lustre à la sienne, mais au contraire qu’elle ne lui apporterait aucune fortune et le mettrait dans la dépendance ; qu’elle regardait bien toutes ces distinctions de famille à Genève comme très-ridicules et de fort peu de poids ; mais que cependant elles en acquéraient davantage lorsque l’alliance que l’on contractait pouvait ouvrir ou fermer la porte de la meilleure compagnie et faire tourner la balance ; qu’il devait considérer la nature de son attachement et la personne qu’il aimait ; que si elle était telle qu’il crût réellement impossible de la remplacer, pour l’esprit et le caractère, par une autre qui lui fût égale, alors cette considération pouvait devenir la plus puissante de toutes ; mais, que s’il n’avait pas ce sentiment, il fallait peser toutes les autres convenances. » « J’ai répondu, poursuit Sismondi, que je jugeais en amant et que je ne pouvais éviter de voir cet accord parfait. — Elle a répliqué qu’un homme d’esprit, de quelque passion qu’il fût animé, conservait encore un sens interne qui jugeait sa conduite ; que toutes les fois qu’elle avait aimé, elle avait senti en elle deux êtres dont l’un se moquait de l’autre. — J’ai ri, mais j’ai senti que cela était vrai… » C’est là de la bonne foi, et c’est cette entière bonne foi, cette disposition naïve, italienne ou allemande comme on voudra l’appeler, mais à coup sûr peu française, qui, jointe à un grand sens et aux meilleurs sentiments, est faite pour charmer dans le Journal et dans la correspondance de Sismondi. — Et comment finit le roman d’amour ? […] Déjà introduit dans le monde de Mme de Staël à Coppet, présenté par elle à tout ce qui y passait de distingué, l’accompagnant dans ses voyages d’Italie et d’Allemagne, Sismondi fut à même de développer dans tous les sens sa bonne, loyale et intelligente nature ; il ne put manquer aussi, grâce au frottement continuel, de s’y aimanter et de s’y aiguiser.
Il les commente en juriste, qui n’a pas à les infirmer, à les corriger, à les rectifier ; il les tient pour établis, authentiques, véridiques ; il se borne à en définir le sens et marquer les conséquences. […] Il n’y a qu’un moyen de simplifier et d’éclaircir : c’est de dissoudre l’unité factice, de l’ouvrage, de refaire en sens inverse le travail de Montesquieu, et de prendre l’une après l’autre les diverses tendances, et les périodes successives de son activité intellectuelle, selon qu’elles affleurent ou s’étalent dans l’Esprit des Lois. […] Il compose avec infiniment de sagacité et d’originalité les deux milieux, dont les pressions, agissant tantôt dans le même sens et plus souvent en sens contraire, produisent les humeurs, les volontés, les actes : le milieu moral, éducation, société, profession, et le milieu physique, où Montesquieu distingue comme facteur principal le climat. […] On s’attendrait que Montesquieu va poursuivre son exposition dans le même sens, selon la même méthode, et commencer à étudier les rapports nécessaires des lois avec chaque ordre de causes naturelles. […] Montesquieu est un esprit absolument fermé au sens du divin.
Elle mit d’abord les rois dans le silence et les rendit comme stupides. » Stupides est pris là aussi dans le sens latin et primitif pour signifier la stupeur physique. Et encore : « Des rois qui vivaient dans le faste et dans les délices n’osaient jeter des regards fixes sur le peuple romain. » Je pourrais multiplier ces remarques et montrer comment Montesquieu affecte de rendre leur sens exact et propre à quantité de mots (ajuster, engourdir, etc.), et comment il double leur effet en les appliquant nettement à de grandes choses. […] » — On rapporte du cardinal Alberoni une critique de Montesquieu qui est dans ce sens : Il y a de la témérité, disait cet ancien Premier ministre, à chercher les causes de la grandeur et de la décadence des Romains dans la Constitution de leur État. […] M. d’Argenson ne se trompait pas dans un sens, mais il se trompait dans un autre : le livre de Montesquieu, avec tous ses défauts, allait déjouer les craintes et surpasser les espérances de ses amis mêmes. […] C’est bien en ce sens qu’il a eu raison de parler de la majesté de son sujet et d’ajouter : « Je ne crois pas avoir totalement manqué de génie.
La « loi », au sens moderne du mot, est justement l’expression d’une relation constante entre des grandeurs qui varient. […] Or, une étude plus approfondie des diverses aphasies montrerait précisément l’impossibilité d’assimiler les souvenirs à des clichés ou à des phonogrammes déposés dans le cerveau : à mon sens, le cerveau ne conserve pas les représentations ou images du passé ; il emmagasine simplement des habitudes motrices. […] Le cerveau, en dehors de ses fonctions sensorielles, n’a d’autre rôle que de mimer, au sens le plus large du terme, la vie mentale. […] Les organes des sens, les nerfs sensitifs, les centres cérébraux canalisent donc les influences du dehors, et marquent ainsi les directions où notre propre influence pourra s’exercer. […] On se serait d’autant plus méfié d’eux qu’on eût été plus savant, plus pénétré d’une science qui, purement psychologique, eût été orientée en sens inverse de la physique et de la mécanique.
tel qu’il est, le monde l’aime encore… Dans le drame intitulé La Coupe et les lèvres, Alfred de Musset exprimait admirablement, sous la figure de Frank et de Belcolore, la lutte entre un cœur noble, fier, orgueilleux, et le génie des sens auquel il a une fois donné accès. […] Voici ces vers qui ont été depuis imprimés, mais qui n’ont tout leur sens que quand on les voit ainsi tracés par le poète dans une nuit d’abattement et de regret amer, et dérobés, à son insu, par l’amitié : J’ai perdu ma force et ma vie Et mes amis, et ma gaieté ; J’ai perdu jusqu’à la fierté Qui faisait croire à mon génie. […] À la seconde époque de sa jeunesse, disant qu’il lit Werther et La Nouvelle Héloïse et qu’il dévore toutes les folies sublimes dont il s’est tant moqué, Alfred de Musset ajoutait : « J’irai peut-être trop loin dans ce sens-là comme dans l’autre. […] » Aller dans tous les sens, jusqu’à extinction : terrible hygiène morale et physique.
Je reviendrai tout à l’heure, avec plus de détail, sur l’ensemble des conditions qui me semblent à réunir pour aborder avec avantage de tels problèmes biographiques ; mais, en ce qui est de Chateaubriand, l’auteur d’abord s’est peint lui-même, s’est analysé en tous sens dans des portraits de jeunesse ; il s’est réfléchi et projeté à tout moment dans ceux mêmes de ses écrits subséquents qui, par le sujet, auraient dû être le moins personnels ; il s’est, dans sa vieillesse, raconté de nouveau et avec toutes sortes de variations dans des Mémoires dits d’Outre-Tombe. […] Molé en avait écrit en ce sens, lui répondit à tête reposée, et sa lettre, qui ne visait qu’à excuser leur ami commun et à chercher à sa conduite des raisons atténuantes, est devenue sous cette plume ingénieuse et subtile le portrait le plus merveilleux, le plus achevé, du moral de Chateaubriand à toutes les époques. […] Il manque à cet égard d’une sincérité qu’on n’a et qu’on ne peut avoir que lorsqu’on vit beaucoup avec soi-même, qu’on se consulte, qu’on s’écoute, et que le sens intime est devenu très-vif par l’exercice qu’on lui donne et l’usage que l’on en fait. […] La politique a ôté aux autres la moitié de leur esprit, la moitié de leur droit sens, les trois quarts et demi de leur bonté, et certainement leur repos et leur bonheur tout entiers.
Il n’aurait pu manifester hautement, l’eût-il possédé, le sens littéraire délicat et hardi d’un Cobet. […] Didot, mais encore dans de nombreuses lettres et des articles publiés dans les journaux ou revues de l’Instruction publique, Dübner a proposé des sens nouveaux, des corrections piquantes et autorisées. […] Heureux après tout, heureux homme, pourrions-nous dire, qui a consacré toute sa vie à d’innocents travaux, payés par de si intimes jouissances ; qui a approfondi ces belles choses que d’autres effleurent ; qui n’a pas été comme ceux (et j’en ai connu) qui se sentent privés et sevrés de ce qu’ils aiment et qu’ils admirent le plus : car, ainsi que la dit Pindare, « c’est la plus grande amertume à qui apprécie les belles choses d’avoir le pied dehors par nécessité. » Lui, l’heureux Dübner, il était dedans, il avait les deux pieds dans la double Antiquité ; il y habitait nuit et jour ; il savait le sens et la nuance et l’âge de chaque mot, l’histoire du goût lui-même ; il était comme le secrétaire des plus beaux génies, des plus purs écrivains ; il a comme assisté à la naissance, à l’expression de leurs pensées dans les plus belles des langues ; il a récrit sous leur dictée leurs plus parfaits ouvrages ; il avait la douce et secrète satisfaction de sentir qu’il leur rendait à tout instant, par sa fidélité et sa sagacité à les comprendre, d’humbles et obscurs services, bien essentiels pourtant ; qu’il les engageait sans bruit de bien des injures ; qu’il réparait à leur égard de longs affronts. […] « Pardon, cher monsieur, de cette sortie et de cette boutade qui dépasse de beaucoup les points auxquels j’avais à répondre, et sur quelques-uns desquels je ne sens à très-peu près d’accord avec vous… » (16 octobre 1868.)