/ 1899
578. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

Le possible n’est que là, le reste est de la poésie ; mais ce ne sera jamais plus de la politique sérieuse pour l’Italie. […] Est-ce là de la politique sérieuse et durable sur laquelle l’indépendance majestueuse de notre Italie et la paix durable de l’Europe puissent s’asseoir avec l’ombre de dignité pour l’Italie, avec l’ombre de sécurité pour le monde ? […] Nous concevons parfaitement pourquoi les politiques et les fidèles ont en tout temps essayé de confondre ces deux natures : nous sommes étonnés seulement que ni les uns ni les autres n’aient trouvé jusqu’ici la principale explication politique d’une souveraineté temporelle assez sérieuse et assez vaste affectée au pontife romain dans la hiérarchie des souverainetés européennes.

579. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

On trouvait au fond des pots les idées hardies ou plaisantes ; d’insolentes facéties, comme le Chapelain décoiffé, et la Métamorphose de la perruque de Chapelain en astre, naissaient comme d’elles-mêmes après boire ; et si l’on examinait souvent quelque point de doctrine, la raison d’un usage ou d’une règle, si ce fut vraisemblablement dans ces conversations autour de la table que nos écrivains prirent conscience de leur rôle, et que Boileau exerça sur leur génie une sorte de direction salutaire par la droiture de son sens critique, il ne faut pas oublier que ces bons compagnons faisaient une besogne sérieuse très peu sérieusement, sans morgue dogmatique, sans tapage et sans pose, n’ayant l’air de songer et ne songeant en effet qu’à se divertir. […] Là, on s’émancipait à de plus vives gaietés, encore bien inoffensives : comme il arrive souvent aux gens voués par profession aux graves pensées et aux travaux sérieux, ces magistrats, ces savants et ces prêtres ont le rire serein et facile de l’enfance. […] Despréaux, avec une adresse perfide, se fait prier et supplier par un Père Jésuite de lui nommer l’unique moderne qui surpasse à son gré les anciens ; à ce nom de Pascal, si malignement retenu et brusquement lâché, stupeur du bon Père, qui gratifie d’une épithète injurieuse l’auteur des Provinciales ; là-dessus, voilà notre poète hors de lui, qui oublie son artificieuse ironie, et s’emballe à fond, criant, trépignant, et courant d’un bout de la chambre à l’autre, sans plus vouloir approcher d’un homme capable de trouver Pascal faux : cette merveilleuse page, dont je ne puis reproduire la couleur et la vie, donne la sensation de l’homme même : c’est bien lui, avec sa malice railleuse et sa sincérité passionnée, et toujours prenant trop au sérieux les idées pour s’en jouer avec la grâce indifférente de l’homme du monde, qui sacrifie sans hésiter n’importe quelle opinion à la moindre des bienséances.

580. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Par moment ils ne sont qu’à peine reconnaissables ; l’un d’eux se présente même sous les traits d’un Fugato bouffonnement et pédantesquement sérieux. […] Mais un seul homme a été qui vraiment fut un artiste ; Beethoven, seul de tous, a constamment et dans une entière conscience, institué au-dessus de la réalité habituelle ce monde artistique d’une réalité meilleure : il a balayé de son art les immondices et les ornements inutiles, il a connu et recréé tout le domaine, à jamais possible peut-être, de son art : il a soumis ses œuvres, sans arrêt, à une théorie, mais à une théorie lente et sérieuse, et qui nous apparaît seulement sous les œuvres qui en naquirent. […] Schumann fut un inquiet : ses romans, d’une prétentieuse simpletterie, occupent les doigts et les larynx, des pâles jeunes femmes ; mais point davantage en ses œuvres sérieuses il n’a exprimé une émotion réelle.

581. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Il aime cette femme si indigne d’un sentiment sérieux et profond, au point de donner sa démission pour rester près d’elle, quand son régiment part pour le Mexique. […] La découverte n’est pas sérieuse et rend des sons de marotte, lorsqu’il la raconte. […] Cette affaire d’argent et de déshonneur se traite entre la courtisane et l’escroc, avec un sérieux glacial et des réticences saisissantes.

582. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Ne semble-t-il pas que la gaucherie ou le dédaigneux laisser-aller de ce dernier vers ajoute à la pensée sérieuse comme un sourire ? […] Ironique, cela ne serait pas encore très cruel ; sérieux, cela dit une partie de la vérité. […] Il n’a point réussi moins bien, dans un ordre d’activité tout différent, lorsqu’il organisa une revue, non la plus sérieuse, mais la plus grave de celles qui naquirent vers 1890, l’Ermitage. […] Ghil, mais ainsi que l’on comprend une symphonie très rude et ponctuée de dissonances ; à travers le chaos des néologismes, l’amoncellement des vocables défilés du fil de la syntaxe, on démêle de sérieuses intentions ; M.  […] La clef de l’énigme que cherchaient en vain les historiens « sérieux » et professionnels, les Goncourt la trouvèrent dans une boîte à mouches, peut-être, mais ils la trouvèrent.

583. (1898) Impressions de théâtre. Dixième série

J’aurais aimé, pour ma part, qu’il prît encore moins au sérieux l’intrigue négligeable et qu’il multipliât ces tableaux. […] Par suite, l’empire romain, outre qu’il eût été privé de l’enseignement grec, eût trouvé de sérieux obstacles à son développement oriental. […] La pièce nous paraît obscure, parce que, bénévolement, nous la jugions d’avance toute nourrie d’idées sérieuses et profondes, et que nous finissons, — oh ! […] Ce qui ferait douter encore du sérieux de M.  […] Dans Froufrou même, la plus sérieuse et la plus humaine de ses pièces, personne n’est méchant.

584. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Elle se sentait à l’unisson avec lui, soit par la gaieté avec sa jovialité, soit par le sérieux avec sa tristesse, soit par l’imagination avec son talent. […] VI Mais je vis, quelques années plus tard, dans une autre maison, et dans une autre circonstance, combien ce qui était sérieux lui inspirait de gravité, et combien sa conscience lui inspirait de répulsion contre le mal. […] Combien de jovialité apparente cachait de sérieuses et difficiles vertus ! […] Vivre à ma fantaisie, travailler selon mon goût et à ma guise, ne rien faire de sérieux, m’endormir sur l’avenir que je me fais beau, penser à vous en vous sachant heureuses, avoir pour maîtresse la Julie de Rousseau, La Fontaine et Molière pour amis, Racine pour maître, le cimetière du Père Lachaise pour promenade !

585. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

Tout cela, des blagues grandioses qui mènent, à l’Institut, aux décorations, aux traitements, à la considération des gens sérieux. […] On me présente, il se soulève de sa chaise, veut bien me dire quelques mots sur les études que doit nécessiter l’histoire des mœurs, se rassied, et, toute la soirée, reste au cœur de la conversation des vieux, n’ouvrant pas la bouche, raide sur sa chaise, sérieux comme un doctrinaire qui politique. […] Dans le sentier étroit, nous rencontrons, tenant une blonde petite fille à la main, une ci-devant demoiselle, maintenant une mère que l’aîné de nous deux a eu, pendant huit jours, la très sérieuse intention d’épouser, et qui nous rappelle du bien vieux passé… Il y a des années qu’on ne s’est vu. […] * * * — L’excès du travail produit un hébétement tout doux, une tension de la tête qui ne lui permet pas de s’occuper de rien de désagréable, une distraction incroyable des petites piqûres de la vie, un désintéressement de l’existence réelle, une indifférence des choses les plus sérieuses telle, que les lettres d’affaires très pressées, sont remisées dans un tiroir, sans les ouvrir.

586. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1874 » pp. 106-168

Avec le sérieux implacable, le sérieux presque cruel de tous les comiques du dix-neuvième siècle, le dit Labiche lâche des mots drôles, des mots faisant rire les gens qui ont le rire facile. […] Il ne naît pas, tous les jours, pour écrire l’histoire d’une école de peinture, deux hommes ayant fait de sérieuses études de peinture, deux hommes qui, indépendamment de cette compétence, se trouvent être à la fois des érudits et des stylistes. […] J’étais devenu un jeunet sérieux, très peu remuant, presque triste, et qui, couchant dans la bibliothèque, passait ses nuits à lire les éditions stéréotypées avec les bons yeux de l’enfance, passait ses journées à rêvasser.

587. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

VI Voilà ce que je pensais de Job avant l’heure où une étude plus sérieuse, plus philosophique et plus développée, devait redoubler mon étonnement et mon enthousiasme pour ce drame unique. […] Il ne lui reste qu’à prendre ce monde au sérieux et à vivre avec résignation, ou bien à prendre ce monde en facétie et à dire : Ô Jupiter ! […] Dieu, le sérieux et la sainteté par essence, n’est pas un mauvais plaisant ; il n’a pas voué son œuvre au mépris de lui-même et des êtres émanés de lui, mais à l’admiration de lui-même et à l’adoration de ses créatures. […] Quand on adore, on est sérieux ; quand on console, on est attendri.

588. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

Le duc Charles n’était jamais en reste en fait de promesses de mariage, mais ici l’offre fut des plus sérieuses : On peut aisément imaginer, dit Lassay, l’effet que fît une telle proposition sur une jeune personne dont l’âme était noble et élevée ; elle regarda un honneur si surprenant avec modestie, mais elle n’en fut point éblouie au point de s’en croire indigne. […] Lassay, qui ne revint point avec eux, aurait bien voulu désarmer pour son compte le mécontentement du roi, qui à son égard datait de plus loin47 : dans une lettre sérieuse, assez politique, et où il mêle des vues sur les armées, sur les finances et l’administration des États de la maison d’Autriche, il loue délicatement Louis XIV et son gouvernement : « Comme on ne juge bien des choses que par comparaison, écrit-il, en vérité il faut sortir de France pour connaître parfaitement la puissance du roi. » On voit, par le désordre qu’il décrit, que l’Autriche n’avait pas eu alors ses Louvois et ses Colbert.

/ 1899