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989. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

ce n’est pas ce qui est vicieux, car l’image en serait haïssable ou dégoûtante, mais ce qui est ridicule et honteux, parce que l’image qu’on en offre excite le rire. […] La tendance de ce haut genre s’arrête à faire rire l’esprit, et à corriger le cœur en le divertissant. […] Mais comment fait-il rire sur des crimes abominables avec lesquels tout autre auteur n’eut su que faire pleurer et frémir ? […] On demande à rire, et l’on se révolte contre tout ce qui fait naître le rire. […] Dans les drames attendrissants, on n’aura plus honte de pleurer ; dans les pièces facétieuses, l’esprit égayé ne dédaignera plus de rire.

990. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Eh bien, je ne prétends point nier que cette invention soit curieuse, je crois même que, dans tel ou tel de nos grands théâtres populaires, cette scène aurait du succès ; oui, j’entends d’ici les rires et la joie : en effet, l’épisode est amusant et fait plaisir au spectateur parce qu’il va dans le sens de ses vœux. […] ni des autres chaleurs poétiques et militaires, qui font rire le lecteur presque dans tous vos livres ? […] Voltaire si libre d’esprit en tout le reste, mais élève des Jésuites et du père Porée pour la tragédie, tient pour les vieux genres bien distincts, tragédie d’un côté, comédie de l’autre ; côté du rire, côté des pleurs ; la vie humaine coupée en deux. […] » Cette plaisanterie provoque le rire des assistants. — « Insensés, leur dit alors Genès, je désire mourir chrétien. » On appelle un prêtre ; les cérémonies du culte des chrétiens s’accomplissent sur la scène, comme c’était alors l’usage, dit la légende, pour railler la religion nouvelle. […] Maintenant donc, illustre Empereur, et vous peuple, qui avez ri de ces mystères, croyez avec moi que le véritable Seigneur est le Christ ; qu’il est la lumière, qu’il est la vérité, qu’il est la miséricorde (pietatem), et que par lui vous pourrez obtenir et mériter le pardon. » — Là-dessus, Dioclétien, furieux, ordonne de livrer Genès aux tortures, et finalement le fait décapiter53.

991. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Dans son comique, Champfleury est comme les singes ; il ne rit jamais. […] voyez-vous, il ne faut jamais rire d’un jeune, la jeunesse, c’est sacré. […] Le bon Turc rit aux endroits obscènes, s’endort aux coups de bâton et fait sur la pièce, à son réveil, des réflexions parfois incongrues, parfois sublimes. […] Aussi bien faut-il laisser la gaieté douce et le rire facile en franchissant, même poète, la porte d’un hôpital. […] Il n’a jamais ri.

992. (1894) Critique de combat

Voyez-vous le roi Louis XVI, avec son rire de gros fermier en goguette, avec sa figure débonnaire qui fait dire à un archevêque ce mot cruel : « L’heureux masque !  […] Il nargue les critiques timorés ; il se rit des scrupules, même quand ils empruntent la voix qui lui est la plus chère au monde, celle de sa femme. […] Les vaillantes indignations contre les lâches, qui courbent l’échine, contre les cruels, qui rient de la souffrance d’autrui ! […] Cela met au cœur de folles envies de rire, de crier, de courir, de se jeter en pleine nature, comme dans les bras d’une amoureuse. […] On rit, à l’étranger, quand on entend Montpellier crier que tout est perdu, si Marseille, sa voisine, marche sur ses brisées en voulant se payer aussi le luxe d’une Université.

993. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Le récit est resté : il nous étonne ; quant aux débris du palais, ils sont là aussi, et ils nous font rire. […] Il est certain, d’autre part, que les littératures et les philosophies, et même celles qui visent à faire rire, et même celles qui exaltent la vie, sont en général pessimistes. […] L’optimisme complet et béat n’est compatible qu’avec une sorte d’insensibilité et de stupidité animales : les idiots seuls rient constamment et sont constamment heureux de vivre. […] Ensuite sous l’influence du cinématique, lequel se rit des systèmes, on recommence à chercher. […] Aucun journal n’a prêté l’oreille aux prétentions des réformistes ; une revue de science, qui avait adopté quelques simplifications, dut y renoncer devant le rire ou la colère de sa clientèle.

994. (1896) Écrivains étrangers. Première série

(Pyrrhon s’agite et rit.) […] ami, de te taire et de rire, est-ce maintenant toute ta philosophie ? […] Il n’y a jamais eu un poète dont il fût-plus facile de rire. […] Ce ne fut, d’un bout à l’autre des États-Unis, qu’une tempête de rire et de colère. […] Pour les médiocres, au contraire, pour Lowell, pour Matthew Arnold, sa poésie n’a été qu’une occasion à rire ou à s’indigner.

995. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Ce ruissellement d’eau pure, qui les trempait au grand soleil, prolongeait leur enfance, leur donnait des rires frais de galopins échappés, lorsque, jeunes hommes déjà, ils rentraient à la ville par les ardeurs troublantes du soleil de juillet. » Admirable éducation païenne, exceptionnelle hélas, à notre époque, bains de flammes, de verdure, de soleil, où l’âme se retrempe dans le sein de la terre, admirable éducation qui forme les tempéraments riches et les esprits robustes. […] Et c’étaient moins ses frissons à fleur de peau, le zig-zag de ses gestes, l’inflexion de sa parole, la lueur de son sourire, c’étaient moins son aspect éphémère superficiel que les lourdes causes originelles, que les profonds atavismes qui provoquent précisément chez nous les penchants ou les vertus, les larmes ou les rires. […] Dès que la foule ne comprend plus, elle rit.

996. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Et il en riait, excité plutôt, les épaules solides, avec la tranquille carrure d’un travailleur qui sait où il va. […] Il fait, en même temps, rire et songer. […] Nous rencontrons aussi les milieux gras, les rires gras, les froideurs grasses, les colères grasses et ainsi de suite.

997. (1925) Comment on devient écrivain

Il n’est pas facile d’émouvoir le lecteur ; il est encore plus difficile de le faire rire, bien que le rire « soit le propre de l’homme ». Le roman d’observation est généralement peu compatible avec le rire, « La plaisanterie, dit Pierre Lasserre, ne va pas sans une certaine charge, qui est très vite de la fiction et du mensonge. […] Tout le choquait dans le grand créateur du rire gaulois, ses plaisanteries, sa scatologie, son impudeur bouffonne, sa raillerie colossale, sa verve qui bafoue tout ce que respectait l’auteur des Méditations. […] Leurs fades déclamations doivent paraître encore en dessous des pieuses comédies de nos missionnaires, où les gens du monde vont rire et d’où le peuple sort en pleurant. […] On eût rendu un immense service à Victor Hugo en lui montrant l’absurdité de ses conceptions dramatiques, les longueurs descriptives de l’Homme qui rit et des Travailleurs de la mer.

998. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Ce badinage divertit l’attention du spectateur et nuit au drame ; l’angoisse diminue : l’on est distrait, l’on va rire, quand on aurait subi seulement l’horreur des splendides carnages. […] Cela fait, il ne demandait pas mieux que de rire et il y apportait toute sa complaisance aimable. […] D’ailleurs, il ne sied pas d’en rire, tout simplement. […] La fine bouche rit volontiers ; les yeux aussi. […] Elle va du rire aux larmes et puis revient au rire par de délicates transitions.

999. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Elle rappellerait plutôt un chant de Childe-Harold de lord Byron, glanant sur la surface de tout ce qui se présente à son imagination, mais ne glanant que des roses et du rire là où Byron glane des cyprès et des larmes. […] Mais si vous êtes seulement un homme de bon sens et de goût exquis, un amateur des délicatesses de l’esprit et des grâces de la poésie ; si vous ne sentez plus dans votre cœur ou si votre nature tempérée n’a jamais senti les brûlures sacrées ni les stigmates toujours saignants des fortes passions : amour, dévouement, religion, soif de l’infini ; si une félicité facile et constante vous a servi à souhait dans les différents âges de votre vie ; si vous avez passé l’âge des tempêtes, l’équinoxe de cette vie ; si vous êtes détrompé des hommes et de leurs vains efforts pour se retourner sur leur lit de chimères ; si vous avez vu dix révolutions et cent batailles soulever pendant soixante ans la poussière des places publiques et des champs de mort sans rien changer dans le sort des peuples que le nom de leur servitude et de leurs déceptions ; si vous avez vu les prétendus sages de la veille déclarés fous le lendemain, et les philosophies et les systèmes qui avaient fanatisé les pères devenir la dérision de leurs fils ; si la pensée humaine, toujours active et toujours trompée, vous a attristé d’abord par ce perpétuel enfantement du néant ; si, après avoir pleuré sur ce tonneau retentissant des Danaïdes qu’on appelle Vérité, vous avez fini par en rire ; si, sans chercher plus longtemps cette impénétrable moquerie du destin qui pousse le genre humain à tâtons de la vie à la mort, vous avez pris le parti de douter de tout, de laisser son secret à la Providence, qui, décidément, ne veut le dire à aucun mortel, à aucun peuple et à aucun siècle ; si vous vous laissez glisser ainsi sur la pente, comme l’eau de l’Anio qui glisse en gazouillant sous le verger d’Horace ; si vous n’avez ni femme ni enfant qui doublent et qui perpétuent pour vous les soucis de la vie ; si votre cœur, un peu rétréci par cet égoïsme qui se replie uniquement sur lui-même, a besoin d’amusement plus que de sentiment ; si vous possédez cet Hoc erat in votis , ce vœu d’Horace, un joli domaine aux champs pour l’été, une maison chaude l’hiver, tapissée de bons vieux livres ( nunc veterum libri ) ; si votre fortune est suffisante pour votre bien-être borné ; si vous avez pour amis quelques amis puissants, amis eux-mêmes des maîtres du monde, avec lesquels vous soupez gaiement en regardant combattre Pompée et mourir Cicéron pour cette vertu que Brutus appelle un vain nom en mourant lui-même ; enfin, si vous n’avez pas grand souci des dieux, et si les étoiles vous semblent trop haut pour élever vos courtes mains vers les choses célestes ; oh !

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