Henri Ritter ne suppose pas davantage qu’elle soit digne d’un regard. […] Aristote ne connaît que la Grèce, c’est vrai ; aujourd’hui nous connaissons l’esprit humain entier ; et il n’est pas une œuvre quelque peu digne d’attention qui échappe à nos regards, et que nous ne puissions étudier. […] Ainsi, l’âme s’offre à nos regards défigurée par mille maux. […] Un homme très supérieur à Pline, très supérieur à Buffon, égal à Cuvier ; une intelligence presque divine appliquée à la nature organisée ; l’homme étudiant l’homme, et la vie décrivant la vie avec le regard d’un Dieu !
Pas d’autres regards que ceux des astres, pas d’autre foule que celle des flots, pas d’autres voix que celle des vents autour de sa sombre agonie. […] Il approche, il fixe sur moi ses regards perfides ! […] Tout auprès résident leurs sœurs, les Gorgones aux mains d’airain, à la langue pendante, aux cheveux de serpents qui les avertissent en sifflant, dès qu’un homme approche, et dont le regard glacial pétrifie. « Monstres abhorrés, qu’aucun mortel n’envisage sans expirer subitement. » Plus loin, Io aura aussi à fuir les Griffons, aigles par la tête, lions par la croupe, la poitrine couverte de plumes rouges, qui thésaurisent, au fond de leurs cavernes, l’or que le Phase roule dans ses sables. […] Daniel, qui a pour pupitre un enfant robuste, ployé en deux comme une cariatide, transcrit et commente un verset sacré : il lit d’un œil, il écrit de l’autre, et son regard hésite entre les deux textes, comme l’œil d’un voyageur perplexe entre les deux branches d’un sentier.
Vingt ans après l’avoir perdu, elle écrivait à M. de Meilhan, qui avait eu sur les amis je ne sais quelle pensée digne de La Rochefoucauld (et elle avait pu elle-même dans une occasion récente vérifier la quasi-justesse de cette pensée) : « Je me souvins alors de ce que vous avez écrit sur l’amitié, et je dis : Il a raison ; ensuite je tourne mes regards sur trente-deux ans d’amitié avec mon si cher oncle, et je dis : Il a tort. […] Née et vivant dans la haute société, elle s’y fit de bonne heure son coin de retraite à elle ; elle ne fut, en aucun temps, mondaine, et dans sa vieillesse, jetant un regard en arrière, elle pouvait dire : « Le temps d’être dans le monde n’est jamais venu pour moi, mais en revanche celui de m’y montrer est absolument passé. » Sérieuse, instruite, ayant du temps à donner à la lecture, Mme de Créqui encore jeune désira voir les littérateurs célèbres de son temps et se former dans leur familiarité.
Mlle Roxandre, aux traits réguliers, à l’œil tendre, à la voix touchante et mélodieuse (il n’y avait un peu à redire chez elle qu’à la taille), était une Grecque attrayante et persuasive qui avait gardé du charme et des douceurs ioniennes du Bosphore ; elle méritait de s’entendre dire dans sa candeur : « Il n’est pas un de vos regards qui ne soit une pensée. » Mme Swetchine, plus hardie, plus sauvage et d’une séve qui lui arrivait peut-être de par-delà le Caucase, était autrement trempée, autrement avide et d’une ambition morale plus exigeante. […] Un salon où l’on ne peut suivre ou rejoindre la femme qu’on préfère, la distraire d’un groupe qui l’environne, l’entretenir à l’ombre et à demi-voix quelques instants, lui adresser une partie de la conversation plus générale où l’on se surprend à briller et dont on est récompensé d’un regard, n’est pas un salon pour moi : ne disparaissez jamais du salon français, soins animés et constants, vil désir de plaire, grâces aimables de la France !
Cette espèce de novice qui assiste aux offices de matines et qui recule d’effroi, ce chartreux manqué, et qui le fût probablement devenu en d’autres temps, nous le plaçons en regard du thermidorien intrépide et de l’artilleur improvisé de Mayence. […] C’eût été dommage, en vérité, que celui qui avait la taille, la vigueur, l’audace, le regard et le port de tête de Damp Abbé et de frère Jean, avec le cœur en plus du patriote et du citoyen, ne vécût point à cette date de l’abbé Sieyès et n’assistât point, en y prenant sa bonne part, à l’émancipation des classes, gage et signal de l’ennoblissement des cœurs.
En quelque lieu qu’il s’arrête, sur quelque métairie qu’il porte ses regards, il voit tout ensemble devant lui, la vigne qui, élégamment suspendue en contre-espalier autour de chaque champ, l’environne de ses festons ; les peupliers, rapprochés les uns des autres, qui lui prêtent l’appui de leur tronc, et dont les cimes s’élèvent au-dessus d’elles ; l’herbe, qui croît au pied de ces élégants contre-espaliers et qui gazonne les bords des nombreux fossés, destinés à l’écoulement des eaux ; les mûriers qui, plantés sur deux lignes au milieu des champs, et à une distance assez grande pour ne pas les offusquer de leur ombre, dominent les moissons ; les arbres fruitiers qui, çà et là, sont entremêlés aux peupliers et à la vigne ; les blés de Turquie qui, s’élevant à six ou huit pieds au-dessus de terre, entourent leurs magnifiques épis de la plus riche verdure ; les trèfles annuels dont les fleurs incarnates se penchent sur leur épais feuillage ; les lupins dont le coup d’œil noirâtre et l’abondante végétation contraste avec la souplesse, l’élégance et la légèreté des seigles non moins vigoureux qu’eux et qui s’élèvent au-dessus de la tête des moissonneurs ; enfin, les blés dont les longs épis dorés sont agités par les vents et rappellent par leurs ondulations le doux mouvement des vagues d’un beau lac. » Le second morceau consacré aux Collines est comme un pendant au tableau des plaines ; celles-ci, dans aucun pays, ne peuvent plaire aux yeux que par l’abondance et la fertilité qui les caractérise. […] La montagne est étincelante ; si l’on abaisse les regards sur quelque vallon, il forme un lac de lumière ; la terre entière paraît électrisée et pétillé de toutes parts. » « L’hiver, auquel la neige est inconnue, présente aussi ses beautés : le gazon conserve sa verdure ; il est même émaillé de fleurs dont quelques-unes mériteraient une place dans les jardins, comme différentes anémones, toutes les espèces de narcisses, les jacinthes, les ellébores, etc.
Ce n’étaient pas des couleurs combinées, surajoutées par un procédé successif, mais bien le réel se dorant çà et là comme un atome à un rayon du matin, et s’envolant tout d’un coup au regard dans une transfiguration divinisée. […] Pour nous, critique, chargé d’enregistrer à temps ces choses nouvelles, nous tâcherons de n’y jamais manquer, et nous gardant, s’il se peut, de la précipitation enthousiaste qui prophétise inconsidérément des splendeurs par trop nébuleuses, nous ne serons pas des derniers à signaler les vraies apparitions dignes du regard.
J’ai vu à Ferney un portrait de Voltaire, qui avait alors à peu près quarante ans, mais dont l’œil velouté et encore tendre montrait tout ce qu’il avait dû avoir de charmant, tout ce qui allait disparaître et s’aiguiser, faute dé mieux, dans le petit regard malicieux du vieillard. […] Il faudrait souvent s’oublier soi-même et sa part d’illusions d’autrefois ; ne pas en vouloir aux autres d’avoir, en mainte occasion, déçu nos rêves, desquels, après tout, ils ne répondaient pas ; tâcher de les considérer, non plus avec un rayon de soleil dans le regard, non pas tout à fait avec le sourcil trop gris d’un Johnson ; ne jamais substituer l’humeur au coloris ; voir enfin, s’il est possible, les œuvres et les hommes sous le jour où nous les offre ce moment présent, déjà prolongé.
Il n’en est pas moins certain qu’en présence de choses de même espèce un regard exercé opérera d’ordinaire assez vite un triage et saura distinguer une élite. […] Il lui suffit de savoir distinguer, dans le champ de blé qui ondule sous ses regards, les épis les plus pleins, les plus dorés, les plus hauts.
Il faut discerner la façon dont chaque auteur a su profiter des modèles qu’il a choisis ou rencontrés ; il y a cent degrés dans cet art ; on ne saurait confondre le copiste qui abdique son indépendance, et se fait le docile esclave d’un devancier avec l’adaptateur habile qui crée en imitant, qui prend un grain de semence chez autrui, le fait lever, fleurir, fructifier en pousses vigoureuses et nouvelles ; ni surtout avec l’inventeur qui ne puise guère qu’une noble émulation et un encouragement dans la contemplation des chefs-d’œuvre offerts à ses regards. […] Ces regards en arrière ont la vertu magique de remettre en lumière des formes, des idées, des œuvres oubliées, et quelque écrivain de jadis, sorti tout à coup de la nuit du passé, se trouve avoir sa place et son influence parmi les fils d’un autre siècle.
Elle inculque à sa jeune âme les soucis et les prudences des vieillards ; elle lui apprend à flatter, à feindre, à regarder d’un côté en marchant de l’autre, à saluer bien bas des gens qui ne valent quelquefois pas l’abaissement d’un regard… Siao sin ! […] Et pas un mot de reconnaissance, pas un regard d’affection pour le pauvre homme attaché à la roue qui fait tourner son joyeux moulin !