Voilà celle qui fut Elvire, la figure de rêve autour de laquelle se ramassèrent les plus profondes impressions, les plusfiévreuses aspirations, les plus languissantes mélancolies de Lamartine. […] Il n’avait pas la ressource de la fuite dans le rêve comme Chateaubriand : il manquait d’imagination et d’égoïsme. […] L’absurde rêve que firent George Sand et lui de réaliser l’idéal romantique de l’amour, aboutit pour l’un et l’autre à d’orageux éclats, à de cruels déchirements : Musset y connut la souffrance profonde, aiguë, incurable. […] Le monde alors lui apparaît comme un rêve ; aucune réalité ne se laisse retenir. […] Lorsqu’il parle de lui, en prose, il rêve encore et poétise : faits, lieux, dates, il brouille tout.
Que si un fantôme d’elle alors leur apparaît et pose devant eux, si une image du passé, se dérobant à la tombe, semble se relever et marcher, est-il étonnant que ces âmes poétiques prennent leur rêve pour une réalité ? […] Ballanche, leur rêve de restauration du Christianisme ira s’affaiblissant ou se transfigurant : l’un laissera la religion pour la politique, et cherchera dans l’activité de chaque moment une continuelle distraction contre sa propre incrédulité ; l’autre conservera obstinément le nom de Christianisme à toute la série des initiations de l’Humanité. […] C’était un rêve, un idéal qu’ils poursuivaient, ne voyant pas, dans leur exaltation de poètes, combien les temps étaient changés et combien ce rêve était absurde. Mais à mesure que les années s’écoulaient, le rêve s’évanouissait. […] Mythologie usée, à laquelle le poète ne croit pas, à laquelle personne ne saurait plus croire ; bonne dans les poèmes d’Homère ou dans ceux d’Ossian, ou dans les légendes des moines du Moyen-Âge ; aujourd’hui froides fictions, vain jeu de l’esprit, sorte de demi-rêve fantastique, qui n’a pas même l’illusion que le sommeil prête à nos rêves !
Ne vaut-il pas mieux, lorsqu’une émotion universelle s’est produite autour d’un être idéal, ne pas trop en rapprocher l’objet, et se confier au rêve et à l’imagination de tous pour l’achever et le couronner mieux que nous ne saurions faire ? […] Ce sont celles avec lesquelles on achève la pensée de la veille et l’on commence le rêve d’aujourd’hui, celles dont on s’entretient d’abord en se revoyant, dont on se conseille la lecture, qu’on marque légèrement du doigt dans le volume qu’un autre lira tout à l’heurec. […] Il faut choisir, et dans Raphaël l’écrivain ne choisit plus : il prétend confondre et identifier l’une et l’autre ; c’est là son rêve. […] Mais ne pourrait-on pas lui répondre : Il y aura quelque chose de plus triste pour vous, pour la mémoire de ces heures immortelles, que d’être reléguée comme un point à peine visible dans le lointain du passé : ce sera de n’être prise un jour, de n’être étalée et exposée aux yeux de tous que comme un prétexte à des rêves nouveaux, comme un canevas à des broderies et à des pensées nouvelles.
De ce point de vue, l’amour-vanité, l’amour-goût, l’amour-passion, le mouvement qui conduit Stendhal de l’un à l’autre, qui lui fait apercevoir l’un comme un rêve à l’horizon de l’autre, prennent une valeur musicale. […] Delacroix : « l’énergie est chez lui l’aspiration de l’énergie, le rêve de l’énergie, la nostalgie d’un passé historique plutôt que la puissance de construction d’un avenir. » L’image de la cristallisation qui forme le leit-motiv du livre est à la fois le produit d’une imagination musicale, une figure de la réalité amoureuse : " il me semble, dit Stendhal dans une lettre, qu’aucune des femmes que j’ai eues ne m’a donné un moment aussi doux et aussi peu acheté que celui que je dois à la phrase de musique que je viens d’entendre. " la musique, surtout telle que la goûtait Stendhal qui n’y sentait qu’un motif de rêverie, c’est le monde et l’acte mêmes de la cristallisation parfaite, de sorte que Beyle, amoureux de second plan, simple amateur en musique, se définirait peut-être comme un cristallisateur. […] Une société sans le mariage bourgeois ne se conçoit guère que sur le papier, dans une salente arbitraire (j’en atteste le rêve même de M. […] Camille Mauclair a écrit la transposition mystique : « Si chacun de ces frêles personnages errant dans un paysage d’or rose figurait un état du rêve, où allaient-ils tous, et qu’est-ce qui les incitait à tourner ainsi le dos, avec une obstination douce, à l’existence réelle d’où je les contemplais, pour s’aller perdre de mirage en mirage dans les zones successives de cette vaporeuse bleuité ?
Cette haine de l’éloquence et du Rêve ? […] Je souris, et rêve. […] Et selon l’esthétique Mallarméenne l’univers morcelé mais harmonique devient un thème par quoi le Moi humain, d’analogies en analogies s’élève à sa plus pure unité selon son rêve rêve proposé a priori par le Moi créateur qui ainsi se donne comme norme spirituelle. […] Adam a écrit Chair molle, où il s’agit d’un couvent spécial, aux contrevents verts le rêve de Jean-Jacques. […] des soirs dans ta sévère fontaine J’ai de mon rêve épars connu la nudité.
Les lendemains des rêves sont dangereux, surtout quand ces rêves furent d’une qualité un peu basse.
Le pessimisme absolu, quand il est moins une perversion de l’esprit qu’un état du système nerveux, peut être grand créateur de rêves. […] Ils vont jusqu’à croire que la facile magnanimité de leur rêve les autorise à courir la chance des pires calamités publiques pour l’établissement aléatoire d’un régime social qu’ils sont même incapables de définir avec exactitude. […] Émile Pouvillon, cet amoureux de la terre, qui nous apporte quinze jours à peine, chaque année, ses yeux bleus de faune et d’enfant dans une bonne figure cuite d’officier et qui, le reste du temps, rêve là-bas dans son Quercy, était tout disposé à comprendre la petite pastoure visionnaire. […] Il n’y a plus de certain que les sommets, comme des escaliers pour le rêve. […] Il nous fait sentir ce que le rêve du surnaturel ajoute d’adorable aux âmes naturellement bonnes.
Ils sont la cause de nos premiers rêves. […] Il était cela, en rêve. […] Tel est le rêve de tout collectionneur. […] C’est le rêve des sens, mais c’est le rêve encore. […] Ils savaient que la vie est un rêve, ils voulaient que ce fût un doux rêve.
………………………………………………………………………………………………… Tandis que le Naturalisme essaye vainement de casser les ailes à la fantaisie et de mettre l’imagination sous clef, la fantaisie s’enfonce dans le pays des rêves d’un vol fou et l’imagination vagabonde dans les plus étranges sentiers. […] Laurent Tailhade, auteur du Jardin des rêves 3, M. […] Mais puisque, suivant Baudelaire, les parfums, les couleurs et les sons se répondent, c’est-à-dire puisqu’un parfum peut donner les mêmes rêves qu’un son et un son les mêmes rêves qu’une couleur, si une couleur est insuffisante pour suggérer une sensation, on use du parfum correspondant, et, si le parfum ne suffit pas non plus, on peut recourir au son. […] Qu’ils se rassurent, nous leur racontons aussi clairement qu’il nous est possible le plus étrange assaut qui ait jamais été donné à la langue française, cette belle langue raisonnable et sceptique, amoureuse de netteté et de clarté, qui a une horreur spéciale pour l’inachevé dans l’expression et n’est pas plus faite que le grand jour pour l’indécision et le flottant des rêves. […] Oui, ils sont les dignes fils de ce grand et noble poète tant bafoué et calomnié de son vivant, et si mal connu encore à cette heure ; de ce pur artiste qui écrivait : « … La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même ; elle ne peut pas en avoir d’autre et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d’écrire un poème. » Et, en remontant jusqu’aux premières années du siècle, on trouverait un autre ancêtre, Alfred de Vigny, l’auteur de Moïse, de La Colère de Samson, de La Maison du berger et de ce délicieux mystère où … les rêves pieux et les saintes louanges, Et tous les anges purs et tous les grands archanges… chantent sur leurs harpes d’or la naissance d’Éloa, cette ange charmante née d’une larme de Jésus.
Telles, les pensées qui me revinrent, lorsque j’eus lu l’effarant poème en prose d’Akedysseril, — une histoire simple, très humaine et philosophique, une œuvre de Réel Rêve comme Tristan, — et qu’il faut, ici, saluer, œuvre Wagnérienne, — non que l’auteur ait songé, l’écrivant, un rapport aux poèmes de Wagner, — mais parce que, suivant, consciemment ou inconsciemment, la voie ouverte par notre Maître, — le comte de Villiers de l’Isle-Adam, en cette éblouissante merveille, nous a donné les émotions d’apparitions et de musiques mystiquement idéales, et vraies, par lui vécues. […] La certitude de n’être impliqué, lui ni personne de ce temps, dans aucune entreprise pareille, l’affranchit de toute restriction apportée à son rêve par le sentiment d’une impéritie et par l’écart des faits. […] Type sans dénomination préalable, pour qu’en émane la surprise, son geste résume vers soi nos rêves de sites ou de paradis, qu’engouffra l’antique scène avec une prétention vide à les contenir ou à les peindre. […] Le paysage s’est un peu effacé de ma mémoire ; pourtant, j’ai le souvenir d’un lac bleu étendu dans la plaine et d’un palais de féérie ou de rêve — toute cette journée, d’ailleurs, est restée pour moi un rêve, un de mes meilleurs, — où le style changeait d’étage en étage, racontant la persévérance des souverains du lieu à construire leur tanière, avec de très fines décorations et de si nombreuses fenêtres qu’il ressemblait à une merveilleuse boîte à jours. […] Et ce Livre, où sa double pensée, pleinement, était signifiée, le Livre, ce tout puissant suggestif de l’Idée, ce Livre qui contenait son Œuvre de Poésie et de Théologie, — Wagner le lisait, l’impérieux créateur, et, seul, dans le calme silence de son rêve, parcourant des yeux les pages multiples, et des yeux suivant les Signes, — la lettre, la note et le trait, — il voyait et il entendait, manifestement suggérés par les Signes, vivre en lui, en le merveilleux et suprême théâtre de son Imagination, le drame réel et symbolique. — Peut être, quelques uns, lisant, lisant les partitions d’orchestre, peuvent voir et entendre le Drame musical, ainsi que, tous, nous voyons et entendons, le lisant seulement, le drame littéraire, ainsi que, tous, par la seule lecture, nous suscitons, en notre esprit, les tableaux que le roman décrit ; or, ces quelques uns aussi, lisant, jouiront dans le Livre, sans obstacle et sans divertissement, des splendeurs, magiquement évoquées, du Théâtre Wagnérien idéal ; et, pure vision non troublée par les étrangères matérialités, impudentes ou hypocrites, des salles théâtrales, — en la complète vérité d’un monde imaginatif, le Sens Religieux leur apparaîtra… Le Livre serait le lieu de Représentation, au Drame métaphysique et naturaliste.
Aux libres et violents instincts, aux farouches sexualités ils opposaient le rêve, la virginité, l’amour cérébral, la spiritualisation de la chair. Ce fut la revanche violente du rêve sur la réalité. […] Après l’éphémère fortune du naturalisme, une autre jeunesse, se libérant à son tour des tutelles et des méthodes, est venue manifester son goût profond du rêve et son dégoût non moins profond de la vie. […] Quelque chose de mille fois plus grave pour lui s’accomplissait lentement, en dehors des querelles bruyantes entre partisans du rêve et partisans de l’action. […] On rêve alors toutes sortes de choses folles, on écrit des œuvres où les ruisseaux se mettent à chanter, ou les chênes causent entre eux, où les roches blanches soupirent comme des poitrines de femmes à la chaleur de midi.