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330. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

Car telles sont éminemment les qualités de Joubert : idéal, transparent, exquis ! […] Lui, le plus français des écrivains par la beauté de la langue et ses grâces, il n’avait pas la furie française, et même il eut la qualité anti-française qu’estimait le plus Henri Beyle, son antipode : quand il faisait ou écrivait quelque chose, il ne pensait pas au voisin. […] Mais la force, dans les qualités humaines, Joubert ne l’estimait pas son vrai prix.

331. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

Camille Rousset est un de ces assassins, du plus grand mérite, qui nous tuent d’ennui, et j’admirais avec quelle peine, quel labeur, quelle conscience, quelle correction et quelle perfection, il avait obtenu celui de son livre, qui véritablement est de première qualité. […] avoir enfin, encore une fois, les qualités qui furent françaises et qui maintenant ne le sont plus !  […] On périt souvent par ses meilleures qualités.

332. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « III. Donoso Cortès »

III Donoso Cortès, qui a toujours raison, quand il est entièrement catholique, est donc un grand écrivain dont la Critique est appelée, aujourd’hui qu’on publie ses œuvres, à dire les défauts et leur étendue, les qualités et leur limite. […] Ce que le comte de Maistre et le vicomte de Bonald firent contre les erreurs de leur temps, le marquis de Valdegamas l’a fait contre les erreurs du sien, et il l’a fait avec des qualités tout à la fois semblables aux leurs et différentes… L’un (le comte de Maistre) était un grand esprit intuitif, l’autre (le vicomte de Bonald) un grand esprit d’enchaînement. […] Saint Augustin l’attire par sa tendresse, la grande qualité de son esprit et de son âme.

333. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Honoré de Balzac » pp. 1-15

Poitou veut bien convenir pourtant que l’auteur de La Comédie humaine a de la vie, comme si la vie n’était pas la qualité suprême, comme si l’avoir et la donner n’impliquait pas ce qu’il y a de plus important dans les arts ! […] Poitou des nombreuses qualités de Balzac : ou il les transforme en défauts, ou il les méconnaît, ou il les oublie. […] Comme exécuteur en critique, il n’a ni la fermeté ni la justesse, ces qualités de tout bon bourreau.

334. (1886) Le naturalisme

Ses qualités dominantes sont à coup sûr, avec une précieuse netteté d’intelligence, une langue facile et brillante, un style coloré et nerveux. […] Diderot réunit de meilleures qualités de romancier. […] Malgré tout, il y a des qualités surprenantes chez Alexandre Dumas. […] Je n’ose pas dire les qualités, quoique pour moi elles soient telles. […] Il lui reste le véritable patrimoine de l’artiste, son grand et indiscutable talent, ses qualités non communes de créateur et d’écrivain.

335. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

« Quoiqu’il eût, dit d’Olivet, une grâce infinie à prononcer, cependant sa timidité naturelle et l’horreur qu’il avait pour la chicane le dégoûtèrent bientôt de son métier. » Il quitta Paris d’assez bonne heure pour aller à Reims et y être attaché à M. de Joyeuse, lieutenant du roi au gouvernement de Champagne, en qualité de secrétaire ou d’homme d’affaires, on ne dit pas bien sous quel titre, mais certainement sur un pied d’agréable domesticité. […] Qu’une grave maladie le prenne, comme cela lui arriva à Paris, où il se trouvait au printemps de 1682 en qualité de membre de l’Assemblée du clergé, et voilà tout aussitôt cet homme de société, de gaieté et, jusqu’à un certain point, de plaisir, le voilà tout changé ; il a des regrets, il se repent, il se réconcilie : Je commence à sortir, écrit-il au chanoine Favart, si souvent confident de ses légèretés et de ses jeux ; j’ai été aujourd’hui à la messe, c’est la troisième que j’ai entendue depuis ma maladie mortelle : car, mon enfant, j’ai été mort sûrement ; on ne peut aller plus loin sans toucher au but. […] Maucroix, en un mot, tenait de La Fontaine, dont il fut comme un second exemplaire conservé en province, avec moins de génie, avec plus de prose, mais avec presque toutes les autres qualités. […] Le surintendant Fouquet, à qui il était fort recommandé par Pellisson, et qui aimait à se donner tous les gens d’esprit pour créatures, avait envoyé Maucroix à Rome sous le titre d’abbé de Cressy, et en qualité d’agent diplomatique à demi accrédité, à demi secret : le but précis de la mission est resté assez obscur.

336. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Les événements de 1814 et de 1815, qui détachèrent la principauté de Neuchâtel de la France, ôtèrent à Léopold Robert, avec la qualité de Français, l’espoir d’être envoyé à Rome comme premier grand prix de gravure, distinction à laquelle il touchait presque avec certitude. […] Noblesse et vérité, c’est là toute la poétique de Léopold Robert, et qu’il ne songea à s’exprimer à lui-même que successivement et après l’œuvre : « La noblesse sans la vérité, pensait-il, n’est plus qu’une singerie qui ne peut plaire aux véritables connaisseurs. » La vérité sans noblesse est un autre écueil : Si je copie juste ce que je vois, je sens que je ferai un tableau plat… Si on se contentait de faire vrai, on se contenterait aussi de copier servilement le modèle que l’on a sous les yeux ; mais, aussitôt que l’on veut ajouter à cette qualité de l’élévation et de la noblesse, c’est une difficulté bien plus grande ; on peut tomber dans la manière, qui est l’opposé de ce qu’on doit chercher. […] À Florence, il regrettait, au milieu des qualités exquises et courtoises des habitants, de ne retrouver « ni le pittoresque, ni le caractère qui se conserve tant et si prononcé de l’autre côté de l’Apennin ». […] Le premier jet frappe et attire : mais ensuite une expression juste, une pose sévère et vraie, un dessin serré et gracieux en même temps, ne conservent pas seulement cette première attention, mais ces qualités produisent le goût des arts et font les amateurs constants.

337. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Vivant et régnant, il était apprécié à son prix, et dans toute l’étendue de ses qualités de souverain et de sauveur par tous les hommes patriotiques et sages. […] Chéruel établit et entoure de preuves dans sa récente et louable Histoire de l’administration monarchique en France, on ne voit rien à désirer d’essentiel : on possède un Henri IV vrai, dans l’équilibre de ses qualités et dans son ensemble ; on a fait, pour ainsi dire, le tour du personnage. […] Il a poussé ses qualités jusqu’aux défauts mais, considéré tout entier par les côtés qu’admire la raison et par ceux que condamne la morale ; regardé, en un mot, des hauteurs de l’histoire, et non par les dessous d’une chronique méticuleuse, Henri IV ne sera jamais haïssable. » — Ainsi Henri IV, somme toute, n’est pas haïssable ! […] Montluc a parlé quelque part de cette antique qualité de la noblesse de France, à laquelle il suffit d’un petit souris de son maître pour échauffer les plus refroidis : « Et sans crainte de changer prés, vignes et moulins en chevaux et armes, on va mourir au lit que nous appelons le lit d’honneur. » Henri exprime ce même feu de dévouement en deux mots et en le peignant aux yeux.

338. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Il écrivit au roi, qui était à Nîmes, pour demander une personne de qualité et autorisée, qui le conduisît jusqu’à Venise, lieu désigné pour sa retraite, craignant ou feignant de craindre quelque danger en chemin de la part des princes d’Italie ; il désirait peut-être se mettre par là à l’abri de tout soupçon de nouvelles intrigues. […] Ici une nouvelle carrière commence pour Rohan : le roi, sur le conseil du cardinal de Richelieu, le croit très propre à ses affaires en ces contrées, à cause des qualités mixtes et variées qu’il possède, négociateur, capitaine, très en renom à l’étranger, pouvant agir comme de lui-même et n’être avoué que lorsqu’il en serait temps. […] On a dit de sa prose qu’elle sent sa condition et sa qualité ; elle est surtout d’un sens excellent, très sain et judicieux. […] Quoi qu’il en soit, il est, par le rare assemblage de ses mérites, une des figures originales de notre histoire ; et, quand pour le distinguer des autres de son nom et pour caractériser ce dernier mâle de sa race, quelques-uns continueraient de l’appeler par habitude le grand duc de Rohan, il n’y aurait pas de quoi étonner : à l’étudier de près et sans prévention dans ses labeurs et ses vicissitudes, je doute que l’expression vienne aujourd’hui à personne ; mais, la trouvant consacrée, on l’accepte, on la respecte, on y voit l’achèvement et comme la réflexion idéale de ses qualités dans l’imagination de ses contemporains, cette exagération assez naturelle qui compense justement peut-être tant d’autres choses qui de loin nous échappent, et on ne réclame pas.

339. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Frédéric avait des qualités et des affections de famille. […] Le prince Henri était très supérieur au précédent par les qualités de l’esprit, par la grâce en société et par les talents à la guerre : peu s’en faut même, si l’on en juge par certaines histoires et par des panégyriques de rhéteurs, qu’on ne le mette au niveau presque du grand Frédéric, et qu’on n’établisse entre eux une espèce de parallèle par contraste, une rivalité. […] [NdA] « Mon frère Henri a fait des merveilles et s’est distingué au-delà de ce que je puis en dire. » Lettre de Frédéric à ses sœurs la princesse Amélie et la duchesse Charlotte de Brunswick, datée du camp de Prague, 11 mai 1757. — Et dans une lettre à la margrave de Baireuth, du 17 septembre même année, après la perte de la bataille de Kolin, après les revers : « J’ai lieu de me louer beaucoup de mon frère Henri ; il s’est conduit comme un ange en qualité de militaire, et très bien envers moi en qualité de frère. » 54.

340. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise par M. Taine. »

Taine qu’un appareil plus délicat et plus sensible qu’un autre pour mesurer tous les degrés et toutes les variations d’une même civilisation, pour saisir tous les caractères, toutes les qualités et les nuances de l’âme d’un peuple. […] Il y a distinction de qualité dans bien des gouttes. […] Paul et Virginie porte certainement des traces de son époque ; mais, si Paul et Virginie n’avait pas été fait, on pourrait soutenir par toutes sortes de raisonnements spécieux et plausibles qu’il était impossible à un livre de cette qualité virginale de naître dans la corruption du xviiie  siècle : Bernardin de Saint-Pierre seul l’a pu faire. […] Nous tous, partisans de la méthode naturelle en littérature et qui l’appliquons chacun selon notre mesure à des degrés différents18, nous tous, artisans et serviteurs d’une même science que nous cherchons à rendre aussi exacte que possible, sans nous payer de notions vagues et de vains mots, continuons donc d’observer sans relâche, d’étudier et de pénétrer les conditions des œuvres diversement remarquables et l’infinie variété des formes de talent ; forçons-les de nous rendre raison et de nous dire comment et pourquoi elles sont de telle ou telle façon et qualité plutôt que d’une autre, dussions-nous ne jamais tout expliquer et dût-il rester, après tout notre effort, un dernier point et comme une dernière citadelle irréductible.

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