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1418. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

L’un et l’autre suscitent des travaux et des controverses qui se multiplient sans que l’attention de la critique et du public paraisse se lasser. […] La principale est probablement la place attribuée alors aux Lettres anciennes dans l’instruction publique. […] Au nom de quoi dire à un être humain : tu respecteras l’ordre public, si cet ordre n’est que cette figuration de brigandage masqué ? […] Henry Bordeaux est celui peut-être dont les romans sont allés le plus vite au grand public. […] Ses audaces de plume lui rendaient difficile, malgré sa réputation, l’accès des feuilles à gros tirage et à large public.

1419. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

L’économie est une excellente vertu publique, mais la parcimonie qui laisse séjourner de belles œuvres d’art dans l’atmosphère farouche et sombre d’une cave humide n’est guère moins qu’un détestable vice public. […] Masson est non seulement indigne de lui, mais encore que le public méritait mieux. De nos jours le public a sa sensibilité. […] Dans l’état présent des choses, l’ouvrier, réduit au rôle de machine, est l’esclave du patron, et le patron enflé en millionnaire est l’esclave du public, et le public est l’esclave de son dieu favori, le Bon Marché. […] Toutefois, il y a plus d’une sorte de public, et M. 

1420. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Or vous saurez que le roi ne mange pas en public ; seulement tous les dimanches soir la famille royale soupe ensemble ; on ne laisse pas entrer tout le monde. […] Il accompagne dès à présent dans les concerts publics, il transpose à première vue les morceaux les plus difficiles avec une netteté extraordinaire, au point que les maîtres ne peuvent dissimuler leur basse jalousie contre cet enfant. […] « Pour convaincre le public de ce qu’il en est, je me suis décidé à une épreuve tout à fait extraordinaire : j’ai résolu qu’il écrirait un opéra pour le théâtre. […] Je fis ouvrir au hasard, devant le public prévenu, le premier volume du poète Métastase, le Quinault de l’Italie, et l’on mit sous les yeux de mon petit Wolfgang les premières paroles qui se rencontrèrent. […] Mais la majorité du public voulait rentrer pour pouvoir manger encore ; et l’opéra, avec ses trois ballets, avait duré six bonnes heures.

1421. (1864) Cours familier de littérature. XVII « Ce entretien. Benvenuto Cellini (2e partie) » pp. 233-311

Comme cette tête était fort avancée, je l’avais découverte par un peu de vanité, pour la laisser voir au public. […] Cependant, lorsque j’eus permis au public de voir ma statue, il s’éleva, grâces à Dieu, un cri si universel d’approbation, qu’il ne laissa pas que de me consoler. […] J’ôtai ma statue des yeux du public, pour y mettre ensuite la dernière main. […] Bandinello jugeait mal du goût public par tout ce qu’on avait dit de son Hercule. […] « Cependant, grâces à Dieu, mon Persée fut achevé, et je le découvris tout à fait au public un jeudi matin.

1422. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Je lui préfère de beaucoup le système actuel complété par les mœurs publiques, et appuyé sur de bonnes lois. […] On pouvait voir qu’à Lacédémone et en Crète le législateur a eu la sagesse de fonder la communauté des biens sur l’usage des repas publics. […] Or le citoyen en général est l’individu qui a part à l’autorité et à l’obéissance publiques, la condition du citoyen étant d’ailleurs variable suivant la constitution ; et, dans la république parfaite, c’est l’individu qui peut et qui veut librement obéir et gouverner tour à tour, suivant les préceptes de la vertu. […] Il faut créer en plus grand nombre de nouvelles phratries ; il faut substituer aux sacrifices particuliers des fêtes religieuses, peu fréquentes, mais publiques ; il faut confondre autant que possible les relations des citoyens entre eux, en ayant soin de rompre toutes les associations antérieures. […] Il vaut mieux aussi ne pas accorder aux riches, même quand ils le demandent, le droit de subvenir aux dépenses publiques, considérables, mais sans utilité réelle, telles que les représentations théâtrales, les fêtes aux flambeaux et autres dépenses du même genre.

1423. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Ceux qui veulent connaître ma vraie pensée sur le public parisien qui a pris part à la chute de mon Tannhæuser, au Grand-Opéra, n’ont qu’à lire le récit que j’ai fait, peu après, de cet épisode, et qui a été reproduit dans le septième volume de mes œuvres complètes. Ceux qui liront les pages 189 et 190 de ce volume se convaincront que si j’ai attaqué les Français, ce n’est pas par mauvaise humeur contre le public parisien. […] Des autres raisons — bien incertaines — nous apparaissent : en Wagner, l’influence de Schopenhauer, la native disposition aux théories, le besoin de former au Drame Idéal un Public Idéal : en Tolstoï, l’aspiration slave vers le certain, le nihilisme environnant. […] Tolstoï veut la suppression des gouvernements, la suppression des Eglises, la suppression des tribunaux publics et privés, la suppression des armées, la suppression du capital économique, l’universel prolétariat de la fraternité. […] Mais cette traduction ne suffit pas : à la foule, aux théâtres, au grand public elle est bonne, et admirable ; à ceux qui souhaitent une intime connaissance de l’œuvre Wagnérienne, non : il faut la traduction littérale.

1424. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Jeudi 23 janvier L’amabilité de l’académicien X…, cette amabilité à jet continu à l’égard de tous, et qui ressemble pas mal aux distributions de victuailles au peuple, dans les anciennes réjouissances publiques, faisait dire à ma voisine de table, que cette amabilité-là, elle, ça la mettait en veine de butorderie ! […] La conversation va au Japon, aux impressions, aux images obscènes qu’il m’affirme ne plus venir en Europe, parce que, au moment où le pays a été ouvert aux étrangers, ils ont acheté ces images avec des moqueries et des mépris publics pour la salauderie des Japonais, et que le gouvernement a été blessé, a fait rechercher ces images, et les a fait brûler. […] Elle me parle ensuite de reprendre Germinie Lacerteux, et peut-être de la jouer en Angleterre, où elle me dit qu’elle a un public à elle. […] Vendredi 28 février Dans la non-concordance de la critique théâtrale avec le sentiment sincère du vrai public, il me venait l’idée, si je tentais encore une fois une grande bataille au théâtre, de faire afficher au-dessous du titre de la pièce, avec l’indication qu’elle est jouée tous les soirs, des affiches couvrant les murs de Paris, et ainsi conçues : « Je m’adresse à l’indépendance du public et lui demande, s’il trouve que c’est justice, de venir casser comme il l’a fait pour Germinie Lacerteux, le jugement porté dans les journaux par la critique théâtrale. […] Et nous allons, Ajalbert et moi, très nerveux prendre un verre de chartreuse, au café voisin, où je dis à l’auteur de la pièce : « Avec ce public, n’en doutez pas un moment, le premier acte va être emboîté, et la seule chance que nous puissions avoir, c’est qu’Antoine relève la pièce au second acte. » Au lever de la toile, je suis au fond d’une baignoire, où j’ai devant moi, des jeunes gens qui commencent à pousser des oh !

1425. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

Panckoucke fit ce présent au public, on vit paroître une nouvelle traduction de Lucréce à Paris en deux volumes in-8°. […] Elle restera probablement entre les mains du public. […] Il a donc voulu en sécouer le joug ; intimidé, dit-il, & averti par le peu de succès de quelques traducteurs de différens Poëtes ; traducteurs craintifs & scrupuleux, qui n’ont eu d’autre mérite dans leur travail que celui de prouver au public qu’ils savent expliquer mot pour mot leur auteur. […] Le public a applaudi à leurs efforts. […] Sa traduction restera entre les mains du public, & n’en laissera pas désirer d’autre.

1426. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Appendices » pp. 235-309

Lorsque les Italiens de la Renaissance pillent les auteurs grecs et latins, ou lorsque les Français du xvie  siècle pillent les Italiens, il n’y a pas démarquage, il y a adaptation voulue, il y a conquête, et approbation tacite de tout le public lettré. […] Au commencement D’Annunzio trompait sans doute son public, sans se tromper lui-même ; il affectait de mépriser la « grande Bête » (c’est son expression) et lui donnait en souriant la pâture désirée. […] Et ne peuvent-ils pas enfin, quand et comme il leur plaît, couvrir du prétexte ou du masque de l’intérêt public ce que leurs caprices ont de plus inique et de plus immoral ? […] Pourvu qu’on affuble de noms historiques même les personnages les plus fantaisistes, le public peu cultivé croira à leur réalité, puisque souvent il croit même à celle de personnages totalement obscurs ; inversement le public cultivé sera toujours plus sensible à la vraisemblance psychologique qu’à l’authenticité bien établie d’un fait invraisemblable ; Corneille a beau déployer son érudition, Rodogune nous laisse froids. — Que signifie cette obligation que, de nos jours encore, on prétend imposer aux poètes, de respecter la vérité historique ? […] J’ai vu ces nouveaux décors en action ; le public s’en trouvait fort bien, grâce à une ressource qui est en lui et dont je parlerai bientôt.

1427. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

Il était membre de l’Académie des sciences morales et politiques : M. de Talleyrand se dit que c’était pour lui l’occasion toute naturelle d’un dernier acte public, et, sous couleur de payer une dette d’amitié, il se disposa à faire ses adieux au monde. […] C’était un spectacle des plus singuliers, et quand je dis spectacle, je dis le vrai mot, car à l’instar des rois de France, M. de Talleyrand mourut, on peut le dire, en public. […] Il est évident qu’il ne voulait pas s’exposer, dans le cas où il eût survécu, ne fût-ce que de peu, à entendre les commentaires du public et à assister à son propre jugement. […] La déclaration, au moment de signer, fut lue à haute voix devant lui, et quand on lui demanda quelle date il désirait y attacher, il répondit : « La date de mon discours à l’Académie. » — Ces deux démarches préméditées, celle de ses adieux au public et celle de son raccommodement avec l’Église, étaient liées dans son esprit.

1428. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Villemain, même dans l’ordre des sentiments publics et nationaux, gradation par nuances avec les années, acquisition croissante sans rupture, modification en mieux sans disparate et sans oubli. […] Vers 1827, par le silence à peu près absolu des autres chaires et la disette de toute parole publique dont on était affamé, par la gravité des circonstances qui allaient jusqu’à menacer l’expression de la pensée littéraire, et par les développements croissants du professeur, le Cours de M. […] Villemain, ne semble pas moins singulier qu’eux et moins bizarre, nous souffrons d’une dispensation si inégale de la part du critique fait pour donner la loi à ces Ombres flottantes du public des poëtes, encore plus que pour la suivre. […] J’ai souvenir de quelques promenades d’alors et de bien des discours sensés, fleuris, mélancoliques un peu, car il était triste, par ses yeux souffrants encore, par les désirs contrariés d’un bonheur qu’il a depuis trouvé dans le mariage, par les circonstances publiques enfin.

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