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336. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Il y a quelque chance pour que le meilleur de mes ouvrages soit celui où il y aura le moins de mon cru. […] Pour qu’ils ne voient pas leur ambition, ils ne lui parlent que de sa grandeur ; pour qu’il n’aperçoive pas son avarice, ils flattent sans cesse la sienne… Il se forme de petits tyrans qui ont tous les vices d’un seul. […] Cicéron soutenait que les lois agraires étaient funestes, parce que la cité n’était établie que pour que chacun conservât ses biens. […] Mais il n’a pas assez développé cette vue pour qu’il y ait lieu de faire autre chose que la signaler. […] Il faut une surpopulation, croit Montesquieu, pour qu’il y ait beaucoup de gens qui « aient leur fortune à faire » et pour qu’il y en ait trop pour les besoins de l’agriculture, afin qu’un certain nombre soient rejetés sur le commerce, l’industrie, l’invention.

337. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

Dans le discours que Quinte-Curce met dans la bouche d’Alexandre, en présence de son armée, ce prince s’adresse à Hermolaüs : « À l’égard de ton Callisthène, aux yeux duquel tu parais un homme de cœur parce que tu as l’audace d’un brigand, je sais pourquoi tu voulais qu’on l’introduisît dans cette assemblée : c’était pour qu’il y débitât les mêmes horreurs que tu as vomies contre moi ou celles que tu lui as ouï dire. […] « En effet, tous ces individus tiennent à la famille, aussi bien que la famille tient à l’État ; or la vertu des parties doit se rapporter à celle de l’ensemble ; il faut donc que l’éducation des enfants et des femmes soit en harmonie avec l’organisation politique, s’il importe réellement que les enfants et les femmes soient bien réglés pour que l’État le soit comme eux. […] Il n’a point parlé davantage de plusieurs autres qui leur tiennent de bien près, telles que le gouvernement, l’éducation et les lois spéciales à la classe des laboureurs : or il n’est ni plus facile ni moins important de savoir comment on l’organisera, pour que la communauté des guerriers puisse subsister à côté d’elle. […] Aujourd’hui même, il y suffit du décret d’un seul magistrat pour que tous les membres du gouvernement soient tenus de se réunir en assemblée générale ; et, dans cette constitution, l’archonte unique est un reste d’oligarchie. […] Supprimez-y deux chapitres et vous n’avez rien à ajouter, rien à retrancher pour que la Politique d’Aristote, écrite 350 ans avant Jésus-Christ, soit le manuel de l’homme d’État de toutes les époques, preuve que la vérité est éternelle et qu’il n’y a rien de nouveau sous le ciel que le mensonge et le sophisme destinés à soutenir toutes les tyrannies, celle du peuple comme celle des rois.

338. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

J’exprimai quelques doutes ; je demandai si, par exemple, Byron réussirait à peindre une nature inférieure, animale ; son caractère personnel me semblait trop puissant pour qu’il aimât à se livrer à de pareils sujets. […] Weimar, sans doute, deviendra une très grande ville, mais il nous faut cependant attendre encore quelques siècles pour que le peuple de Weimar compose une masse telle, qu’il ait son théâtre et le soutienne. » On avait attelé ; nous partîmes pour le jardin de sa maison de campagne. […] Après des essais de différents genres, on me conseilla de prendre une tige assez forte pour que l’on pût la fendre (schlachten) en quatre parties. […] Ses intentions sont toujours bonnes, mais ce qui manque, c’est la réunion des circonstances nécessaires pour que l’intention puisse se réaliser parfaitement. […] Mais quelle foule de circonstances favorables ne faut-il pas voir combinées pour que la nature réussisse une fois à le produire dans sa vraie beauté !

339. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

Que dehors, dans le fort, on ne cannonne plus, pour que rien ne soit perdu de la mélodie ! […] Tes sveltes bras ennoue autour de moi pour que, lutinant, je tâte ta nuque, qu’avec une flattante chaleur sur ta poitrine gonflée je m’enserre. […] Maintenant elle baise son œil, pour qu’il l’ouvre. […] Flosshilde Le Père l’a dit, et il nous a mandé qu’avisées nous gardions le clair trésor, pour qu’aucun fourbe au flot ne l’enlève : donc, taisez vous, ô jasante troupe. […] Une Capitulation fut écrite à Tribschen à l’automne 1870, et terminée en décembre de la même année mais il faut attendre 1873 pour qu’elle soit publiée dans les Œuvres complètes du compositeur avec la préface ici présentée.

340. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre IV. Services généraux que doivent les privilégiés. »

L’un d’eux, le Parlement, simple rejeton sorti du grand chêne, a cru parfois posséder une racine propre ; mais sa sève était trop visiblement empruntée pour qu’il pût se tenir debout par lui-même et fournir au peuple un abri indépendant. […] Rouillé de n’avoir pas participé au traité de Vienne ; c’est pourquoi « on donne une pension de 6 000 livres à sa nièce, Mme de Castellane, et une autre de 10 000 à sa fille, Mme de Beuvron, fort riche »  « M. de Puisieux jouit d’environ 76 ou 77 000 livres de rente des bienfaits du roi ; il est vrai qu’il a un bien considérable ; mais le revenu de ce bien est incertain, étant pour la plupart en vignes. » — « On vient de donner une pension de 10 000 livres à la marquise de Lède parce qu’elle a déplu à Madame Infante et pour qu’elle se retire. » — Les plus opulents tendent la main et prennent. « On a calculé que, la semaine dernière, il y eut pour 128 000 livres de pension données à des dames de la cour, tandis que depuis deux ans on n’a pas donné la moindre pension à des officiers : 8 000 livres à la duchesse de Chevreuse dont le mari a de 4 à 500 000 livres de rente, 12 000 livres à Mme de Luynes pour qu’elle ne soit pas jalouse, 10 000 à la duchesse de Brancas, 10 000 à la duchesse douairière de Brancas, mère de la précédente, etc. » En tête de ces sangsues sont les princes du sang. « Le roi vient de donner un million cinq cent mille livres à M. le prince de Conti pour payer ses dettes, dont un million sous prétexte de le dédommager du tort qu’on lui a fait par la vente d’Orange, et 500 000 livres de grâce. » « M. le duc d’Orléans avait ci-devant 50 000 écus de pension comme pauvre et en attendant la succession de son père. […] Point de grands seigneurs pour députés ; ils les écartent et « les rejettent absolument, disant qu’ils trafiqueraient des intérêts de la noblesse » ; eux-mêmes, dans leurs cahiers, ils insistent pour qu’il n’y ait plus de noblesse de cour.

341. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIe entretien. Poésie lyrique » pp. 161-223

Ils sont assez beaux, assez nombreux, assez merveilleux pour que nous nous abîmions pendant les siècles des siècles dans une ineffable contemplation des facultés de l’âme. […] IV Nous vous l’avons dit tout à l’heure, certaines prédispositions intérieures ou extérieures sont nécessaires à l’âme de l’homme et à l’âme des animaux pour que cet instinct du chant se manifeste en eux dans toute sa force. […] L’œil plus perçant et plus exercé d’une jeune couturière nommée Nicette, qui travaillait habituellement au château, finit par tout entrevoir ; elle parla à la Jumelle des attentions du petit Didier ; elle parla au petit Didier des préférences de la Jumelle ; elle finit ainsi par en savoir assez sur l’état de ces deux cœurs pour que le toucheur de bœufs crût pouvoir s’enhardir jusqu’à la pensée de faire parler de mariage au père de la jeune fille. […] Pour la rendre un peu moins inaccessible aux bergers et aux journaliers qui veulent abréger le chemin d’Arcey au château, mon grand-père y avait fait complaisamment creuser au ciseau, par le tailleur de pierre, cinq ou six entailles en corniches, de la largeur d’une demi-main, pour que les paysans qui veulent la descendre ou la gravir pussent s’y cramponner avec les doigts ou y appuyer l’orteil sans crainte d’accident.

342. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

Engager la guerre générale avec l’Europe pour qu’un pacha factieux du Kaire fumât sa pipe à Damas, à Alep, à Constantinople, cela ressemblait tout à fait à la diplomatie prêchée aujourd’hui à la France par les publicistes garibaldiens, poussant la France à risquer ses trésors de paix, de sécurité, d’or et de sang français, pour qu’un duc de Savoie, brave, aventureux et ambitieux de chimères, fasse des entrées capitoliennes à Florence, à Rome et à Naples ! […] XVIII On a inventé plus tard le principe de l’ambition toujours légitime des cabinets, pourvu que cette ambition per fas aut nefas eût pour objet et pour résultat l’agrandissement de la puissance, ou dynastique ou nationale, des États ; le principe de l’accroissement illimité et toujours légitime des peuples ou des rois, faux principe qui ne se résume que dans ce qu’on a appelé la monarchie universelle, principe qui a été porté à son apogée par les Grecs sous Alexandre le Grand, par les Romains sous les consuls et les Césars, par les Barbares sous Charlemagne, par les Arabes sous Mahomet, par les Espagnols et les Germains sous Charles-Quint et sous Napoléon, principe qui a été chaque fois démenti par le soulèvement du genre humain contre ces ambitions du monde, qui, non contentes d’aspirer à le fondre dans l’unité de la servitude, aspiraient encore à assujettir d’autres planètes pour que l’infini de leur orgueil remplît l’infini de l’espace ! […] Au congrès de Châtillon, et le Rhin franchi par sept cent mille hommes, M. de Metternich tentait encore de négocier pour qu’on offrît des conditions plus tolérables au vaincu de Leipsick (lisez les correspondances diplomatiques entre Napoléon et ses plénipotentiaires au congrès de Châtillon ; elles sont écrites du champ de bataille ; elles varient de la nuit au jour, selon la défaite ou la victoire).

343. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Quant aux vrais principes d’une république unanime appelant toutes les classes et tous les citoyens sans exception à apporter, par le suffrage universel, leur part juste de souveraineté naturelle dans une première assemblée, pour que cette première assemblée dictatoriale régularisât à loisir les degrés divers de ce suffrage universel, pour que la souveraineté brutale du nombre, équilibrée par la souveraineté morale de la lumière et de la raison, donnât la majorité au droit général qui fait de l’intelligence une condition de tout droit humain ; je ne les répudie pas davantage. […] Le jugement final porté par moi dans les Girondins sur cet homme, sur ses systèmes et sur ses actes, est trop implacable de sévérité pour qu’on puisse m’imputer aucune complicité d’idées ou aucune intention d’atténuation de ses immanités, juste horreur des siècles. […] Il faut de l’horreur autour des bourreaux, pour qu’il y ait plus d’éclat autour des victimes.

344. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

non, dit-il, nous étions assez de monde à la maison sans lui pour soigner les animaux et pour servir de valets de ferme au père ; mon frère aîné était entré depuis deux ans, comme porte-clefs de la prison, dans la maison du bargello ; notre aïeule l’avait ainsi voulu, pour que sa filleule, la fille du bargello, et son petit-fils, mon frère, eussent l’occasion de se voir tous les jours et de s’aimer ; car elle avait toujours eu ce mariage dans l’esprit, voyez-vous, et les grand-mères, qui n’ont plus rien à faire dans la maison, ça voit de loin et ça voit mieux que les autres. […] Je cherchai à me souvenir juste de l’air qu’Hyeronimo et moi nous avions composé ensemble, et petit à petit, note après note, dans nos soirées d’été du dimanche sous la grotte, et qui imitait tantôt le roucoulement des ramiers au printemps sur les branches, tantôt les gazouillements argentins des gouttes d’eau tombant de la rigole dans le bassin du rocher, tantôt les fines haleines du vent de nuit qui se tamise, en se coupant sur les lames des joncs de la fontaine, aiguisées comme le tranchant de la faux de mon père ; tantôt le bruit des envolées subites des couples de merles bleus, quand ils se lèvent tout à coup du fourré, avec des cris vifs et précipités, moitié peur, moitié joie, pour aller s’abattre sur le nid où ils s’aiment et où ils se taisent pour qu’on ne puisse plus les découvrir sous la feuille. […] Je jouai donc l’air à nous deux, avec autant de mémoire que si nous venions de le composer, sous la geôle, et avec autant de tremblement que si notre vie ou notre mort avait dépendu d’une note oubliée sur les trous d’ivoire du chalumeau ; je jetais l’air autant que je pouvais par la lucarne, pour qu’il descendît bien bas dans la noire profondeur de la cour et qu’il n’en tombât pas une note sans être recueillie par une oreille, s’il y avait une oreille ouverte, dans cette nuit et dans ce silence des loges de la prison. […] Lucques n’est pas une terre de malfaiteurs ; le peuple des campagnes est trop adonné à la culture des champs qui n’inspire que de bonnes pensées aux hommes, et le gouvernement est trop doux pour qu’on conspire contre sa propre liberté et contre son prince.

345. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

C’est que, décidément, le palais de l’Institut est loin de Paris, et il faut des années ou des siècles pour que les bruits du monde y puissent parvenir. […] Il faut donc, pour que la musique réponde à son but en provoquant dans notre âme des émotions, que les auditeurs aient déjà une habitude, et la même chez tous, d’associer à certains signes musicaux certaines émotions intérieures. […] Il faut seulement qu’ils parlent avec des intonations plus accentuées, pour que l’orchestre n’empêche point leurs paroles d’être entendues : et il faut que ces intonations ne forment pas une dissonance fâcheuse avec la musique, provenant de l’orchestre. […] Pour une seule fois, laissons cette plaisanterie, ne complotons pas avec nous-mêmes, mais gardons bien ce qui venait de nous ravir ; et alors nous nous apercevrons que chez Bellini c’était la claire mélodie, ce chant si simplement noble et beau qui nous a charmé ; retenir et croire cela n’est vraiment pas un péché ; ce n’en est peut-être pas non plus un que de prier encore le ciel, avant de se coucher, pour que vienne aux compositeurs allemands l’idée de telles mélodies et une telle façon de traiter le chant.

346. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

— grave interrogation, qui préoccupe ceux ayant besoin d’entendre exécuter la musique Wagnérienne, et qui nous sollicite par son puissant intérêt d’actualité : peut-être le concert tout Wagnérien du Vendredi-Saint, le dernier de la saison, sera-t-il, en même temps qu’une occasion, un document de plus pour que dans un mois nous abordions cette question, à la veille justement des grandes solennités musicales de Bayreuth. […] Pour que ces deux mondes soient en harmonieuse contordance, il faut que cet art devienne en nous une vivante morale, il faut qu’en nous-mêmes nous vivions cet art, comme le Maître lui-même l’a vécu. […] Wagner seul comprit que pour qu’il y eût un théâtre allemand vraiment original, il fallait déclarer la guerre à l’autre, et rompre tout lien avec lui. […] Le héros fait en effet un pèlerinage à Rome pour que le pape lui pardonne ses péchés.

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