Car l’harmonie est proprement le plaisir qui résulte de plusieurs sons qu’on entend à la fois, la mélodie est celui qui résulte de plusieurs sons qu’on entend successivement ; or ce qu’on appelle harmonie d’une langue, est le plaisir qui résulte de la suite des sons dans un discours fait en cette langue ; on ferait donc mieux de donner à ce plaisir le nom de mélodie. […] Il faut entremêler à propos de plus grands intervalles, et même des intervalles dissonants, pour faire naître le plaisir de l’oreille ; plaisir qui résulte de la variété, et qui n’existe jamais sans elle. […] C’est à quoi, ce me semble, se réduit presque uniquement le plaisir de l’harmonie que les phrases de Cicéron nous font éprouver ; plaisir qui ne me paraît pas tout à fait chimérique, surtout quand on compare les phrases de cet orateur à d’autres, par exemple, au style heurté et coupé de Tacite et de Sénèque. […] Mais il faut convenir en même temps et par les mêmes principes, que le plaisir que cette harmonie leur cause est bien imparfait, bien mutilé, si on peut s’exprimer ainsi, et bien inférieur au plaisir que les Romains devaient éprouver en lisant leurs orateurs et leurs poètes. […] Il en résulte d’abord pour eux, dans un degré à peu près égal et semblable, le plaisir qui naît de la mesure ; plaisir qui est ensuite modifié différemment par la proportion qu’ils mettent entre les notes dans chaque mesure particulière, et par la manière différente dont ils appuient sur ces notes.
— Quoi qu’il en soit de cette digression, il reste acquis que l’on ne peut désigner avec quelque exactitude les émotions d’une œuvre d’art par les coefficients de peine ou de plaisir qui les affectent. […] Férécv opérant sur des hystériques et prenant pour base les variations réflexes de l’énergie musculaire, a tenté de mesurer le plaisir causé par certaines perceptions colorées. […] Il est vrai que peu d’hommes s’accordent à ressentir le même degré d’émotion à propos de la lecture d’un même livre : que ces différences de plaisir, d’intérêt, de saisissement peuvent aller fort loin. […] Que le sentiment esthétique que peut causer une chose utile, est de même nature que le sentiment de plaisir qu’elle donne au moment où on en a besoin ; b). […] Signalons que la formule « le plaisir et la peine » constitue le sous-titre du livre de Léon Dumont, Théorie scientifique de la sensibilité (1881).
Avant-propos On éprouve tous les jours que les vers et les tableaux causent un plaisir sensible, mais il n’en est pas moins difficile d’expliquer en quoi consiste ce plaisir qui ressemble souvent à l’affliction, et dont les simptomes sont quelquefois les mêmes que ceux de la plus vive douleur. […] Un poëme, dont le sujet principal est la mort violente d’une jeune princesse, entre dans l’ordonnance d’une fête ; et l’on destine cette tragedie à faire le plus grand plaisir d’une compagnie qui s’assemblera pour se divertir. Generalement parlant les hommes trouvent encore plus de plaisir à pleurer, qu’à rire au théatre. […] Un charme secret nous attache donc sur les imitations que les peintres et les poëtes en sçavent faire, dans le tems même que la nature témoigne par un fremissement interieur qu’elle se souleve contre son propre plaisir. J’ose entreprendre d’éclaircir ce paradoxe et d’expliquer l’origine du plaisir que nous font les vers et les tableaux.
C’est oublier le plaisir, la douleur, le désir et l’aversion. […] Essayez de vous représenter le plaisir comme un objet, vous reconnaîtrez que vous vous représentez toujours autre chose que le plaisir même ; ce seront des circonstances de lieu et de temps, une partie déterminée de votre corps où vous localisez le plaisir, un mouvement de molécules corporelles, etc. Mais tout cela n’est pas le plaisir. […] On a plutôt du plaisir que de la peine à s’instruire et à percevoir des objets. […] En consentant au plaisir, en luttant contre la douleur, nous avons conscience de quelque chose en nous qui n’est plus simplement le plaisir ni la douleur.
Il n’est pas vrai qu’une augmentation dans l’énergie vitale coïncide toujours avec une augmentation dans le degré de plaisir. […] Il en est de même pour les narcotiques qui, tout en causant du plaisir, affaiblissent le pouvoir vital. En somme, ni la doctrine qui unit le plaisir à la conservation de soi-même, ni celle qui unit le plaisir à l’accroissement d’activité, ne suffisent séparément ; il faut les joindre pour arriver à une explication complète. […] Le plaisir et la douleur ont été faibles ; et vice versa. […] Bouillier, du Plaisir et de la Douleur.
Ils auroient peint le plaisir vif que sent un homme pénetré du froid en s’approchant du feu, ou bien le plaisir plus lent, mais plus doux qu’il éprouve en se couvrant d’une fourure. Nous sommes bien plus sensibles à la peinture des plaisirs que nous sentons tous les jours, qu’à la peinture des plaisirs que nous n’avons jamais goûtez, ou que nous avons goûtez rarement, et que nous ne regrettons gueres. Indifferens et sans goût pour le plaisir même que nous ne souhaitons pas, nous ne pouvons être affectez vivement par sa peinture, fut-elle faite par Virgile. Quel attrait peuvent avoir pour bien des personnes du nord qui ne burent jamais une goute d’eau pure, et qui ne connoissent que par imagination le plaisir décrit par le poëte, les vers de la cinquiéme églogue de Virgile, qui font une image si pleine d’attrait du plaisir que goûte un homme accablé de fatigue à dormir sur un gazon, et le voïageur brulant de soif à se désalterer avec l’eau d’une source vive. […] Ils ne se peuvent lasser d’admirer qu’on lise les originaux avec tant de plaisir.
Ces pièces font beaucoup de plaisir ; mais elles ne font pas un plaisir dramatique. […] Mais c’est là un plaisir épique, et non pas dramatique. […] Quel est l’homme un peu éclairé, qui n’a pas plus de plaisir à voir aux Français la Marie Stuard de M. […] Lebrun sont bien faibles ; l’immense différence dans la quantité de plaisir vient de ce que M. […] Leur âme étant susceptible d’impressions vives, le plaisir peut leur faire oublier la vanité ; or, c’est ce qu’il est impossible de demander à un homme de plus de quarante ans.
Au contraire, la loi de contraste a une valeur propre quand il s’agit de peines et de plaisirs. Non seulement l’idée de peine suscite celle de plaisir par l’idée commune de sensibilité, mais en fait et réellement la peine et le plaisir s’engendrent l’un l’autre. […] Il n’est donc pas étonnant que la douleur et le plaisir soient associés de fait. […] Le plaisir, quand l’excitation a duré un certain temps, fait naître le besoin que le plaisir même ait un terme ; si bien qu’alors, dans la mesure où croît le plaisir, diminue le pouvoir de le ressentir encore. […] La volonté, après avoir accepté le plaisir, s’en lasse et le refuse : après l’affirmation naît la négation.
C’est cette détente agréable du corps et de l’esprit qu’on appelle le plaisir. […] Rabelais, selon nous, ne représente pas le plaisir, mais l’ordure ; il enivre, mais en infectant. […] Il ne s’agissait plus de loisir et de plaisir, mais d’opinions et de combats dans les ouvrages d’esprit. […] Philosophie du plaisir qui n’a pour moralité que le déboire et le dégoût. […] Le ricanement de l’indifférence sur les lèvres, du plaisir pour de l’or et de l’or pour le plaisir dans la main : voilà ta poésie !
Il n’est point de plaisirs flatteurs s’ils n’affectent le sentiment : c’est la partie divine de notre être, elle saisit ce qui est inaccessible aux sens, elle se passionne, s’attendrit, s’enflamme, sa subtilité inconcevable pénetre les objets les plus éloignés ; elle est la créatrice & la dépositaire des plaisirs de l’homme de Lettres, plaisirs aussi vifs peut être que ceux que procurent les passions, mais sans contredits plus fréquens, plus vrais & plus durables. […] La science est pour l’homme de Lettres un océan immense, où il se plonge avec volupté ; il étend de tout côté la sphere de son bonheur, & devient sensible à des plaisirs qui échapent au reste des hommes. […] Baçon emprisonné sous la voûte d’un cachot, commandoit à son ame de franchir ces murs épais, elle méditoit l’ordre éternel de l’Univers, le mélange inévitable de bien & de mal, la succession nécessaire du plaisir & de la douleur. […] Alors mes foibles accens rendus plus forts par la mâle éloquence de ce bienfaiteur de l’humanité iroient porter la honte & le remord dans le sein de leur persécuteurs ; alors l’Envie étonnée de se trouver sensible laisseroit tomber ses fléches empoisonnées ; & ses lâches Ministres réduits au silence, ne jouiroient plus du coupable plaisir de rabaisser un mérite qui les offusque. […] La gloire elle-même vaut-elle le plaisir réel & sensible, de vous communiquer vos idées, d’aggrandir mutuellement vos connoissances, de mêler les trésors de vos ames, de vivre en freres, en amis, honorés & vertueux.
Qu’est-ce donc que le plaisir et la douleur ? […] Le plaisir est seulement sa cessation. […] Mais si cet état de besoin est faible, si l’on est assuré de pouvoir le satisfaire, c’est un plaisir qui précède un autre plaisir. […] Le beau donne un plaisir calme, tranquille ; le plaisir du sublime est mêlé de douleur. […] Considérons un plaisir ou une peine.